Le rôle des ouvriers juifs

De Marxists-fr
Aller à la navigation Aller à la recherche


Chers camarades,

Tous mes remerciements pour votre lettre sérieuse et intéressante qui m'a donné pour la première fois un aperçu du mouvement ouvrier juif en Europe occidentale. Je me réjouis du ton d'optimisme actif qui se dégage de ses lignes et reflète certainement l'esprit de votre organisation. En outre le camarade Fr(ank) m'a déjà parlé avec sympathie de l'esprit militant du groupe juif d'opposition de Paris.

L'idée de transformer Klarkheit en un organe juif international est intéressante. Mais je n'ai pas encore une idée claire du rapport que cela aurait avec les mouvements nationaux et les sections de l'Opposition intéressées. Plus Klarkheit devient "international" au sens technique du mot, plus il devra assumer un caractère théorique-propagandiste, parce qu'il ne pourra naturellement pas traiter des questions politiques spécifiques de chaque pays.

Je maintiens que c'est sans doute la plus grande obligation des ouvriers juifs en France, comme dans les autres pays de participer au mouvement ouvrier du pays où ils vivent, travaillent et luttent. Les ouvriers juifs en France, dans leur majorité se considèrent-ils comme des immigrants permanents ou envisagent-ils de quitter le pays dans un avenir proche ? Je crois que c'est la première hypothèse qui est juste. Si tel est le cas, il est très important d'apprendre le français. Dans la situation donnée, dans ce n'est pas seulement l'intérêt individuel de chacun, mais aussi l'intérêt politique de la classe ouvrière française et internationale. Soixante mille ouvriers juifs à Paris constituent une grande force. Les ouvriers étrangers en France représenteront avant tout un facteur très important dans le développement de ce pays, plus important même que les nègres en Amérique avec qui ils n'ont en commun que leur statut de parias.

Traditionnellement, les organisations purement françaises n'ont pas un caractère de masse. Dans une certaine mesure, elles reposent sur une "aristocratie" politique et syndicale de la classe ouvrière. L'écrasante majorité reste inorganisée et à distance des activités des organisations politique et syndicale. Il me semble que le rôle des ouvriers étrangers en France va secouer le grand conservatisme de ce pays. Puisque les ouvriers étrangers représentent dans leur grande majorité les couches inférieures du prolétariat du pays, ils sont ainsi proches, liés et partagent le sort des couches inférieures du prolétariat du pays qui reste cependant plus éloigné des organisations officielles. Les ouvriers étrangers ont un esprit différent, simplement parce qu'ils sont étrangers: d'un esprit d'émigrants, plus mobile, plus réceptif aux idées révolutionnaires. C'est pourquoi l'idéologie du communisme peut gagner le respect des ouvriers étrangers et en faire un instrument puissant de la pénétration de la classe ouvrière française tout entière.

Votre groupe, ainsi que les autres, doit avoir une appréciation claire de sa grande mission historique. Naturellement, pas dans l'esprit d'une quelconque fierté nationale messianique - il ne peut en être question - mais dans celui d'une grande obligation internationale. C'est sous cet angle, que j'ai posé la question du caractère de Klarkheit. Il ne servira pas, bien entendu, à séparer les ouvriers juifs du mouvement ouvrier des pays particuliers, comme ce fut autrefois le cas avec la presse du "Bund" juif, mais, au contraire, à les lancer dans la vie de cette classe ouvrière.

En ce qui concerne l'Opposition en général, elle doit trouver chez les ouvriers étrangers un domaine de travail qui est non seulement important mais aussi très opportun. La bureaucratisation du parti officiel, qui dévaste tout, doit d'abord frapper son secteur le plus faible, à savoir les ouvriers étrangers. Comme ces derniers, du fait de l'infériorité de leur position sociale sont plus enclins à être critiques, je crois qu'il est possible, à travers une action de grande envergure, consciente et réellement désintéressée de construire l'Opposition comme centre le la cristallisation de la majorité des ouvriers étrangers.