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Special pages :
Le rôle des mencheviks et des SR dans la conférence démocratique
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 4 octobre 1917 |
in Correspondance Internationale n° 104 — 7ème année.
Camarades ! J'avoue que je m'étonne des raisons par lesquelles les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires veulent repousser le mot d'ordre : «tout le pouvoir aux Soviets !» (Interruption : «le mot d'ordre est venu d'Allemagne !».)
TROTSKY. — Non, camarades, ce mot d'ordre ne vient pas d'Allemagne, mais cette interruption est un écho de l'espionnage. (Rires, vifs applaudissements.)
Repoussez camarades ces raisons ! Ne rappellent-elles pas les raisons que donnaient les réactionnaires avant la révolution, contre le suffrage universel ? «Comment peut-on, disaient-ils, donner le droit de votes aux masses crasseuses, qui ne savent ni lire ni écrire ?» «Comment peut-on, dit à présent le camarade Kaplan, vu l'ignorance de nos paysans et de beaucoup de soldats, exiger qu'on remette le pouvoir aux soviets ?»
On fait donc exactement la même objection contre notre mot d'ordre. C'est vrai, le pouvoir n'a jamais été entre nos mains. On dit que nous n'avons pas «d'expérience», que probablement, au début, nous ferons des fautes... Petit à petit, nous apprendrons à administrer le pays. Mais, si nous ne prenons pas le pouvoir maintenant, nous continuerons à n'avoir aucune expérience. Donnez le pouvoir au peuple, et il apprendra à s'en servir !
Pourquoi parmi les S.R. et les mencheviks, personne n'a-t-il protesté, quand on a introduit chez nous le suffrage universel ?
Camarades, aux élections des administrations communales et des soviets, toutes les voix se prononcent pour nous autres bolcheviks et pour les S.R., avec l'aile gauche desquels nous nous sommes toujours entendu au mieux. C'est la même chose aux autres élections. Aussi le peuple confie le pouvoir aux partis socialistes. Allons-nous abandonner le pouvoir à la bourgeoisie, comme on le propose à la «Conférence démocratique» ? Ce serait une défiance criminelle pour nos propres forces.
Chez nous, les socialistes des différents partis ne se différencient pas énormément les uns des autres par leur programme ; il s'agit beaucoup plus de la façon de réaliser ce programme. Mais pourtant les programmes n'existent que pour qu'on les réalise dans leur plus large mesure possible. C'est là aussi notre tâche. Si nous abandonnons le pouvoir à la bourgeoisie à quoi serviront donc les programmes ?
On dit que, dans notre effort pour réaliser le plus possible notre programme, nous nous isolons. Oui, nous nous isolons de tous ceux qui recherchent un compromis avec la bourgeoisie. Mais nous ne nous isolons aucunement des masses populaires. Nous avons la majorité dans toutes les organisations révolutionnaires, tandis que les mencheviks se détachent de plus en plus des masses.
Tseretelli, par exemple, a abandonné notre soviet, et, ensuite, il lui a fallu s'appuyer sur le Comité central exécutif, qui est beaucoup moins actif que le soviet, car il a été élu au congrès des soviets de province, alors d'esprit arriéré.
Pourtant, même au Comité central exécutif la proposition de Tseretelli, de faire une coalition avec les cadets, est tombée de façon lamentable, et, maintenant, il commence à s'appuyer davantage sur les coopérateurs, sur les administrations municipales et sur les zemstvos. Il va de plus en plus à droite et s'éloigne de plus en plus des masses.
On dit que dans la «conférence démocratique», il n'y a que quatre cadets... Oui, camarades, quatre cadets déclarés ; mais des dizaines de cadets qui cachent leur véritable figure idéologique.
Les coopérateurs disent qu'ils ont été élus par des millions de gens. C'est vrai. Mais ils ont été élu pour faire le travail coopératif et non pour faire de la politique. C'est justement pourquoi il ne représentent pas non plus la physionomie politique de leurs électeurs. Pour la politique, on a élu les soviets, et chacun sait comment y est la majorité.
Camarades, nous avons renversé l'autocratie, parce que nous ne voulions pas tolérer que le pouvoir soit entre les mains d'une seule personne, et, derrière notre dos, on est en train de rétablir cet état. La «conférence démocratique», selon la résolution de Tseretelli, ne doit que «collaborer» avec Kérensky pour l'établissement du pouvoir. On y dit aussi que le gouvernement devra reconnaître le pré-Parlement. La «conférence» n'a pas été convoquée afin que le pouvoir reconnaisse le peuple révolutionnaire, mais afin que le peuple révolutionnaire reconnaisse le pouvoir.
Il faut examiner de près une telle argumentation, car elle peut rejeter toute la révolution russe.
Nous avons protesté, car nous voulons un pouvoir qui soit responsable devant nous. Aussi doit-il être créé par nous. Il en résulte une situation extraordinaire. Tseretelli a avoué qu'il était l'auteur de la résolution et nous a demandé de voter pour sa résolution.
Nous avons abandonné la «conférence démocratique», non parce que Tseretelli nous a blessés, mais parce qu'il a fait comme si nous allions voter sa résolution. Si nous l'avions fait, il eût fallu prendre un balai et nous chasser de tous les coins. Nous tenons pour nécessaire de déclarer de la façon la plus énergique que nous ne pouvons pas voter pour le pouvoir qui nous a été proposé, car il s'agit du pouvoir révolutionnaire, du sort de toute la révolution. Nous nous sommes résolus à défendre le plus strictement les intérêts du peuple révolutionnaire, car c'est pour nous la tâche la plus haute.
On dit que nous autres bolcheviks nous voulons prendre tout le pouvoir entre nos mains... Qu'y a-t-il là d'extraordinaire ? Il n'y pas un seul parti qui ne s'efforce de prendre le pouvoir. Qu'est-ce donc qu'un parti ? C'est un groupe de gens qui s'efforce de prendre le pouvoir pour avoir la possibilité de réaliser son programme. Un parti qui ne veut pas du pouvoir ne mérite pas le nom de parti. S'il est exact que la majorité des soviets ne veuille pas du pouvoir, c'est sans doute parce que les soviets n'ont pas encore assez épuré leurs rangs. (Applaudissements.) Il faut se mettre tout de suite à cette épuration.
Le camarade Braïdo nous accuse de vouloir prendre le pouvoir et nous abandonner «à Dieu va», de nous remettre au hasard. Il n'y a jamais eu chez nous de pouvoir des soviets, dit-il ; allons-nous être assez grands ?
En effet, il n'y a jamais eu chez nous de pouvoir des soviets, mais, jusqu'au 28 février, il n'y avait pas non plus de république. Avons-nous donc commis des fautes ?
Nous avons goûté au gouvernement de coalition, et il est clair que, quels que puissent êtres les doutes qui subsistent sur la valeur du gouvernement unique, nous nous sommes convaincus que le gouvernement de coalition ne vaut rien.
Puis ce camarade Broïdo dit que toute la démocratie s'est réuni à Moscou... Y était-elle vraiment toute ? Il n'y avait pourtant aucun Bolchevik à la Conférence d'Etat de Moscou. C'est pour cette raison que six cent mille ouvriers de Moscou se sont mis en grève ; ils protestaient contre cette conférence, et messieurs les délégués on dû gentiment aller à pied de la gare au Grand Théâtre... (Rires.) Qui nous est le plus proche et le plus cher ? Messieurs les délégués ou les ouvriers de Moscou ?
Nous, nous préférons nous unir aux ouvriers.
Tseretelli, au contraire a préféré s'unir aux coopérateurs, aux zemstvos, etc. Il est parti du soviet prolétarien, et, par le chemin du Comité centra exécutif, il marche de plus en plus à droite. Il tend maintenant la main à Boublikov.
Telle est la ligne de Tseretellli : du prolétariat à la bourgeoisie libérale. Celle-ci l'a complètement isolé des couches dont il est sorti.
Seul, le parti qui pose carrément les questions seul, ce parti peut ramasser ensemble toute la démocratie révolutionnaire. Nous ne craignons pas de nous isoler des couches supérieures, nous craignons de nous isoler du prolétariat.
Nous repoussons tout compromis ! C'est alors seulement que nous pourrons vaincre nos ennemis, établir la liberté de notre peuple. (Applaudissement prolongés.)