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Special pages :
Le premier pas a été franchi !
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 24 juin 1915 |
Les Partis présents à la Douma ont exigé un ministère de coalition selon les plus belles recettes parlementaires et, en effet, s'est ouverte une ère de profondes réformes intérieures. Maklakov, ministre de l'intérieur, a été mis à la retraite. Cherbatov l'a remplacé. Qui est Maklakov ? Tous le savent suffisamment. Il a commencé sa carrière en province où, sur les tapis du gouverneur, il a magnifiquement imité la panthère. On raconte que, dans certaines solennités, il imita à la perfection le chant du coq et la ménagère qui écosse des petits pois. Cela décida de sa destinée et de celle de la Russie, pour quelques années. L'homme au chant du coq obligea toute une population à user d'une autre voix que la sienne propre. Il est à la retraite. Cherbatov l'a remplacé. Savez-vous quelque chose de lui ? Non ? Nous, non plus. Personne ne sait. Cela ne l'empêche pas de présider aux destinées de la Russie. On ne sait qu'une chose, mais elle est confirmée il était directeur d'une école d'équitation. À moins d'être misanthrope, on peut y voir une quelconque garantie de libéralisme. Les chevaux, en particulier ceux de race, exigent une nourriture et des soins impeccables ils ne supportent aucun régime d'exclusion. Voici pourquoi notre « pouvoir historique » s'est trouvé appelé à solliciter l'appui de réformateurs chevalins ! Toute la question est la suivante Cherbatov conservera-t-il ses sentiments humains en passant d'une écurie à celle, immense mais « humaine », qu'on appelle Russie ? On ne peut le deviner, à moins de savoir lire dans le marc de café.
Nous voudrions tellement être optimistes ! Mais la nomination du nouveau responsable de la Presse nous trouble quelque peu. Katenine ! Vous connaissez ? Nous, non plus ! Pourquoi l'a-t-on nommé ? Lui-même l'ignore. Son programme ? «Vous vous intéressez à mon programme ?», demande Katenine très étonné au correspondant de Rousskoe Slovo, «mais je n'ai aucun programme, je ne connais rien aux questions de presse.» L'ex-gouverneur de Kourtsk suivait bien sûr le journal de Markov, mais avec ennui. Il ne réussit pas à s’intéresser à la presse. Mais ce n'est rien...
Lui, Katenine, examinera l'affaire et, voilà, il décidera bien quelque chose... Quels que soient les principes directeurs de Katenine, voici ce qui doit le guider «la presse se partage en deux la presse honorable, et l'autre». La première, il la défendra, l'autre, voyons, soyons d'accord, il ne pourra pas le faire. C'est ce qu'a expliqué le nouveau fonctionnaire au représentant du journal Informations boursières. Mais comment distinguer la bonne presse de la mauvaise ? Rien de plus simple. Il faut de « l'impartialité ». Comme il n'a jamais eu affaire à la presse auparavant, il n'a aucun préjugé.
Echos de Russie[modifier le wikicode]
«Mais si vous voulez tout savoir, poursuit le nouveau promu, eh bien ! je traiterai la presse comme elle me traitera.» Le lecteur n'en croit pas ses yeux ! Il est naïf ! Nous aussi n'en crûmes pas nos yeux et... nous nous en repentons, nous sommes naïfs. Voici les termes exacts de Katenine «Les relations entre la presse et moi dépendront des relations entre moi et la presse.» (Rousskoe Slovo, n° 117.)
Constatons avec amertume que Katenine n'est pas passé par une bonne école équestre. Aucun fonctionnaire, dont la destinée a fait un directeur de manège, ne pourrait s'exprimer comme suit «Mon comportement envers les pur-sang dépendra uniquement de leur comportement envers moi.» Au contraire, tout un chacun dirait je les traiterai suivant les exigences de la nature chevaline. La presse, c'est autre chose. Inutile de connaître la nature de la presse. Il faut ignorer les préjugés et avoir une bonne digestion. Le reste viendra tout seul.
Il n'y a pas encore de ministère de coalition à la vérité. Mais le premier pas a été fait. Pour le créer, on a fait appel à deux personnages «nouveaux», deux valeurs peu ordinaires le premier est un spécialiste de la haute école, l'autre n'a besoin que d'un stage dans une écurie pour parfaire son savoir en manière gouvernementale.
«Nache Slovo», 24 juin 1915.
L. TROTSKI.