Le parti et l’opposition au seuil du XVe congrès du parti

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Rapport présenté à la réunion des militants de l’organisation de Leningrad du PC(b) de l’URSS 26 octobre 1927

Bilan social et bilan de classe à la veille du XVe congrès du parti[modifier le wikicode]

Problème crucial : Les rapports entre la ville et la campagne[modifier le wikicode]

Camarades,

La session commune du CC et de la CCC (Commission centrale de contrôle) qui vient de terminer ses travaux, a été la dernière réunion plénière[Note des Ed 1] avant le prochain congrès, le XVe[Note des Ed 2], de notre parti. C’est pourquoi il est tout à fait naturel qu’elle se soit posé pour objectif de dresser le bilan de la politique que le CC de notre parti a mené au cours des deux années écoulées depuis le XIVe congrès du parti. La prise en considération de l’expérience acquise par le parti pendant cette période, la vérification des résultats de la ligne politique tracée par le XIVe congrès ne pouvaient manquer d’être les tâches primordiales de l’assemblée plénière qui vient de s’achever. D’autre part, il est tout à fait évident qu’étant donné cette prise en considération de l’expérience acquise et la nouvelle situation dans le pays, le nouveau rapport des classes, la session plénière du CC se devait de tracer la ligne politique pour la prochaine période.

Vous savez tous parfaitement que le problème principal de notre politique, ces derniers temps tout particulièrement, se ramenait, en fin de compte, à celui des rapports entre la ville et la campagne. Il est clair également qu’à l’avenir ce problème, celui des rapports entre la ville et la campagne, entre la classe ouvrière et la paysannerie, jouera un rôle énorme dans notre pays, avec son système économique arriéré, le travail de la classe ouvrière et de son avant-garde, le Parti communiste, consistant à réaliser la refonte d’une vingtaine de millions de foyers paysans individuels. Cette tâche ne peut être menée à bien qu’au cours d’un espace de temps prolongé, non en quelques années mais au cours de plusieurs décennies. La question des rapports de la ville et de la campagne, entre la classe ouvrière et la paysannerie, celle de l’attitude de notre parti à l’égard des différentes couches de la paysannerie étaient, comme vous en souvenez, au centre de la discussion qui s’est déroulée à la veille du XIVe congrès du parti, ainsi qu’au centre des débats au XIVe congrès et, enfin, au centre de l’attention politique de tout notre parti durant la période qui a suivi.

Le caractère original des formes économiques et le rapport des classes à la veille du XIVe congrès du parti[modifier le wikicode]

Camarades, il nous faut avant tout nous remémorer ce qu’était la situation générale dans notre pays il y a deux ans en ce qui concerne tant la corrélation entre les différentes forces d’économie que le rapport entre les principales classes.

Nous ne faisions alors qu’aborder la fin de la période du relèvement de notre industrie.

Les leviers de commande, l’assise essentielle de l’économie générale du pays — notre industrie socialiste, tout comme les autres leviers se rapprochaient du niveau d’avant-guerre, sans toutefois l’atteindre entièrement.

Dans l’agriculture, la situation était la suivante : une partie considérable des terres n’était toujours pas cultivée, la superficie des emblavures restait inférieure à la norme d’avant-guerre et un fonds de terres en friche s’était constitué chez nous.

Il est à noter que parmi les paysans moyens, qui forment la masse essentielle de notre paysannerie, la certitude ne régnait pas encore que sous le pouvoir des Soviets il serait possible de progresser d’un pas ferme vers une amélioration de l’exploitation individuelle ; d’autre part, il n’existait pas de stimulant suffisant pour passer à l’exploitation coopérative. Vous vous souvenez tous parfaitement que l’on se heurtait aux séquelles des traditions du communisme de guerre à la campagne, aux traditions de l’époque du système des prélèvements obligatoires de denrées agricoles, à toute une série de difficultés qui se dressaient sur la voie d’un relèvement de l’exploitation du paysan moyen et de son progrès économique. Le paysan moyen n’avait pas la certitude qu’au moment où il commençait à se relever petit à petit, il ne serait pas « démoyennisé » de la même façon qu’on a « dékoulakisé » le paysan riche, et cette mentalité (le larges masses de la paysannerie moyenne était l’un des principaux freins à tout essor économique dans le domaine de notre production agricole.

D’autre part, nous nous souvenons tous parfaitement qu’à cette époque, n’existaient pas chez nous à la campagne la mesure et le degré indispensables de légalité révolutionnaire. La paysannerie devait passer, et passait en effet, à un rythme plus accéléré de développement de sa production, elle avait besoin de formes plus précises, plus stables et réglementées de légalité révolutionnaire. Or subsistaient encore chez nous des séquelles de la période précédente, quand les tarifs fiscaux changeaient assez arbitrairement au cours de l’année, qu’il n’existait pas encore une réglementation ferme des rapports concernant l’économie paysanne en général, et les tarifs fiscaux en particulier. La paysannerie avait plus que jamais intérêt à savoir à l’avance ce qu’elle aurait à verser et pour quoi, ce qui serait ou non imposé, etc.

Et, enfin, on était à une époque où subsistaient encore des séquelles du « communisme de guerre » sous la forme de pressions excessives de notre appareil administratif, et où à la campagne étaient toujours forts les restes des méthodes de coercition devenus dans une certaine mesure superflus au seuil de la nouvelle période économique.

Par conséquent, le premier fait caractérisant la situation d’alors était l’essor de notre industrie, bien qu’elle n’eût pas encore atteint le niveau d’avant-guerre.

Le deuxième fait important était l’existence, concernant l’attitude à l’égard de notre paysannerie, et avant tout de sa masse moyenne, tant dans le domaine économique que dans le domaine politique, des traits dont je viens de parler.

Et, enfin, troisièmement, la situation chez nous était telle qu’étant donné nos ressources matérielles et nos possibilités en matière d’organisation, nous n’étions pas en état d’apporter à la paysannerie pauvre une aide substantielle à la mesure de ses besoins.

Problème central : l’alliance avec le paysan moyen[modifier le wikicode]

Sur le fond de cette situation, la conjoncture, chez nous, était telle que parmi la masse essentielle de la paysannerie moyenne nous pouvions constater avec une entière certitude un assez large mécontentement, qui se manifestait parfois avec acuité dans toute une série de faits d’ordre politique. Vous vous souvenez, camarades, de cette vague d’assassinats de correspondants ruraux, et en partie de correspondants ouvriers qui s’étaient rendus à la campagne, vague caractéristique pour cette époque. Vous vous souvenez aussi de la vague d’assassinats politiques dans les campagnes de membres des CEV[1] et d’autres militants responsables. Il ne fait aucun doute que cela reflétait directement et indirectement le fait que certaines couches de paysans moyens suivaient le koulak, le suivaient politiquement, se soumettaient aux inspirations et aux suggestions du koulak. Ce dernier dictait sa volonté à certaines couches de paysans moyens qui étaient mécontents ou récriminaient contre la situation qui s’était créée.

Le résultat des élections aux Soviets ruraux nous a donné, il y a deux ans, un tableau qui exactement de même témoignait de l’existence d’une crise dans les rapports entre la classe ouvrière et la paysannerie moyenne. Il n’était pas rare que la masse essentielle des paysans moyens, dans certaines régions, se mette à la remorque des koulaks, et que même quelques couches de paysans pauvres résistaient mal à l’influence des koulaks et, avec certains éléments moyens, se laissaient tenir en bride par les koulaks.

Dans le même temps l’idée d’« unions paysannes » indépendantes formant un parti politique de la paysannerie s’opposant au Parti communiste de la classe ouvrière révolutionnaire commençait à prendre de la force dans certaines régions parmi les couches de paysans moyens. Et, enfin, un peu de temps auparavant, toute une série de troubles avait éclaté parmi la paysannerie, la plus caractéristique étant celui à qui on a donné le nom d’« insurrection » en Géorgie[Note des Ed 3].

Tous ces faits viennent s’insérer dans une seule et même formule. Tous traduisaient avant tout les hésitations des masses moyennes de la paysannerie : ils traduisaient une crise dans les rapports entre la classe ouvrière et la paysannerie. Ils représentaient une menace assez sérieuse suspendue sur la dictature du prolétariat, car l’idée selon laquelle l’essentiel pour nous, pour le parti de la classe ouvrière, est de maintenir le bloc, de maintenir l’alliance entre la classe ouvrière, conduite par notre parti, et la masse des paysans moyens, en nous appuyant en premier lieu sur les couches pauvres, semi-prolétariennes, des masses paysannes, les plus proches de la classe ouvrière, les plus apparentées à celle-ci, cette idée est déjà devenue générale et est partagée par nous tous.

Ainsi, il y a deux ans, à l’époque de la XIVe conférence du parti et du XIVe congrès du parti, la question centrale était la nécessité de renforcer l’alliance avec le paysan moyen. Voilà pourquoi la question des rapports entre la classe ouvrière et la paysannerie ne pouvait manquer de se trouver au centre de l’attention de tout le parti. Voilà pourquoi la ligne politique de notre parti, son orientation politique principale, ne pouvaient manquer de tendre à l’adoption de mesures susceptibles d’aider à consolider ces rapports. Voilà pourquoi notre parti ne pouvait s’abstenir de résoudre et de soulever le problème qui était, je le répète, le problème central, celui des rapports entre la classe ouvrière et le paysan moyen.

L’opposition a fait un faux pas dans la question de l’alliance avec le paysan moyen[modifier le wikicode]

L’opposition, qui auparavant était représentée en premier lieu par les trotskistes, puis par la « nouvelle opposition », proposait, comme méthode principale pour résoudre ce problème, d’une part, une offensive contre le koulak et, d’autre part, la méthode dite de « surindustrialisation », comme on l’a appelée par la suite dans nos discussions à l’intérieur du parti et dans la presse du parti. Cette méthode de la « surindustrialisation » repose en somme sur le raisonnement assez primitif que voici : il faut conclure une alliance avec le paysan moyen ; cela est juste, sans doute, mais pour y parvenir, il faut diminuer la disette de marchandises ; pour diminuer la disette de marchandises, il faut développer à un rythme beaucoup plus rapide notre industrie, et pour cela il faut prendre le plus possible à cette même paysannerie. Dans pareille situation, quand les rapports entre la classe ouvrière et la paysannerie étaient déjà très tendus, le mot d’ordre de faire encore davantage pression sur la paysannerie était tout à fait impropre. C’est pourquoi le parti a rejeté cette méthode de résoudre le problème (je ne dirai rien des choses qui découlaient de ce mot d’ordre, car elles ont été suffisamment mises en lumière dans nos précédentes discussions à la veille du XIVe congrès) — le parti donc a rejeté cette méthode de résoudre le problème et a adopté une autre orientation. Cette orientation se trouve clairement exprimée dans les résolutions de notre XIVe congrès. Elle était la suivante : 1 ) ligne générale — industrialisation du pays, c’est-àdire développement de notre industrie, en dépendant au minimum du marché mondial mais en l’utilisant au maximum ; 2) élargissement de notre base industrielle, mais en excluant la surimposition de la paysannerie, de manière à entraîner non pas une élévation des prix, comme le proposait alors déjà l’opposition trotskiste, mais, au contraire, la baisse de ceux-ci ; 3) notre congrès du parti s’est résolument orienté vers le renforcement de l’alliance avec le paysan moyen non seulement par une politique relativement plus libérale à l’égard de la masse des paysans moyens et non seulement grâce à une politique de bas prix des articles manufacturés, mais aussi en appliquant un certain nombre d’autres mesures visant à accroître le caractère marchand de l’exploitation du paysan moyen et à dissiper chez ce dernier la crainte de développer son exploitation. Nous nous sommes résolument orientés vers la liquidation de toutes les séquelles du communisme de guerre, vers l’élimination des causes qui empêchaient la mise en valeur des terres en friche, c’est-à-dire non pas en vue d’un retour à l’achat et à la vente des terres — chez nous l’achat et la vente des terres n’existent pas ni n’existeront plus —, mais pour que ces terres en friche cessent de l’être et soient cultivées. Il en découlait toute une série de mesures dans le domaine des baux, la prolongation des baux, etc., la reconnaissance de nombre d’avantages visant à inciter la paysannerie à mettre en valeur les fonds de terre de l’Etat restés en friche, etc., etc. Telles ont été les mesures économiques tracées par la XIVe conférence et confirmées par le XIVe congrès. Dans le domaine politique, le congrès de notre parti a suivi deux lignes principales : premièrement, celle de l’établissement d’une législation révolutionnaire dont la nécessité était dictée par tout le progrès de l’économie nationale en général et celui de l’économie paysanne en particulier, et celle de la dynamisation des Soviets, ce qui était indispensable pour le renforcement de l’influence politique de notre parti et de la classe ouvrière sur la paysannerie moyenne, ainsi que pour l’organisation à la campagne de couches hostiles aux koulaks. Dans le même temps, notre congrès du parti s’est résolument orienté vers l’organisation de coopératives. Vous vous souvenez tous de l’immense importance, de l’énorme signification qui, parmi les autres questions, s’attachait à l’époque à la question des coopératives lors des discussions dans notre parti. Le congrès du parti a tracé un certain nombre de mesures en vue de l’organisation des paysans pauvres, de la création de conditions pour qu’à la campagne soit créé chez nous un mécanisme beaucoup plus solide, beaucoup plus puissant, un rempart de paysans pauvres mieux organisé. Telles étaient les décisions du XIVe congrès du parti, qui dictait la situation à l’époque. A présent, deux ans plus tard, nous devons avant tout dresser le bilan de la ligne politique qui a été la nôtre au XIVe congrès du parti.

Le parti a consolidé l’alliance de la classe ouvrière avec le paysan moyen[modifier le wikicode]

On nous avait maintes fois prédit que notre ligne politique échouerait piteusement et honteusement. On nous avait prédit qu’avec la politique adoptée par le XIVe congrès du parti, notre économie serait de plus en plus contrôlée par le koulak[Note des Ed 4]. On nous avait prédit des difficultés économiques sans précédent, et telles, qu’elles seraient presque en mesure de renverser la dictature de la classe ouvrière dans notre pays. Et si je ne me trompe, au milieu de 1926, le camarade Radek, citant un de mes rapports présentés justement chez vous, à Leningrad, demandait ce que dirait Boukharine, lorsque, au bout de six mois, tout le parti verrait où la politique du Comité central a entraîné tout le pays. Ces six mois se sont écoulés et absolument rien n’est arrivé ; près d’un an et demi s’est encore écoulé et nous voyons que la situation, chez nous, n’est pas du tout telle que l’avait prédit l’opposition. Et c’est justement le fait que rien ne se passe comme elle l’avait prédit qui explique la rage hystérique de l’opposition face à ses espoirs non réalisés.

Nous devons donc essayer de dresser le bilan de notre politique et celui de la ligne politique adoptée au XIVe congrès du parti. Nous constatons qu’il n’en est résulté aucune impasse. Nous devons poser la question : la tâche centrale fixée par le XIVe congrès du parti a-t-elle ou non été menée à bien dans l’ensemble ? Si nous nous posons la question : le problème fondamental, celui des rapports entre la classe ouvrière et la paysannerie moyenne a-t-il dans l’ensemble été résolu, les rapports entre la classe ouvrière et le groupe moyen de la paysannerie se sont-ils améliorés, avons-nous atténué l’acuité qui caractérisait l’époque précédant immédiatement le XIVe congrès, avons-nous obtenu quelque résultat dans ce sens ?

Si nous nous posons ces questions, nous pouvons et devons dire que dans l’ensemble nous avons résolu ce problème de façon satisfaisante.

Il est tout à fait naturel que notre parti, conjointement avec la classe ouvrière, ne peut résoudre tel ou tel problème à cent pour cent. Les cas de ce genre seront tout à fait exceptionnels. Mais, si nous comparons la situation à la campagne telle qu’elle se présentait il y a deux ans avec celle qui existe à présent, nous constatons qu’ont cessé les assassinats en masse, le mécontentement généralisé et les tentatives sérieuses d’organiser des troubles, comme dans la période précédente. Nous constatons actuellement à la campagne un apaisement politique qui a incontestablement sous lui une base économique et politique déterminée. Si un observateur plus ou moins consciencieux de notre vie sociale, s’inspirant non de considérations subsidiaires malveillantes, mais des intérêts de la cause, et rejetant tout ce qui est mesquin, secondaire, fractionnel, se pose cette question, aura-t-il l’audace de nier que nous sommes en présence d’un changement fondamental vers le mieux dans les rapports entre la classe ouvrière et la paysannerie. Certes, il existe à l’heure actuelle aussi à la campagne toute une série de sujets de mécontentements, de rugosités, un certain nombre de gros défauts, mais en comparaison avec ce qui existait avant le XIVe congrès du parti, on peut affirmer en toute conscience que la grande masse de la paysannerie s’est tranquillisée. Les rapports entre la masse fondamentale de la paysannerie et la classe ouvrière se sont améliorés, c’est pourquoi la dictature de la classe ouvrière s’est consolidée dans notre pays ; elle s’est consolidée sur une base nouvelle, celle de la croissance de l’économie, d’une alliance économique qui présente encore bien des lacunes, se heurtera à maintes difficultés. Mais en gros, le problème qui se posait de façon si aiguë à la veille du XIVe congrès a aujourd’hui perdu de son acuité. Ceci est la vérification principale de la ligne du XIVe congrès. Si nous avions pris dans cette question une autre orientation, si nous n’avions pas fait toute une série de concessions aux couches moyennes de la paysannerie, si nous n’avions pas pris un certain nombre de mesures dans ce sens et si nous avions adopté, comme le proposait l’opposition, une politique d’imposition renforcée de la paysannerie, si nous avions appliqué une politique de prix élevés, nous n’aurions pas obtenu de tels résultats.

Il faut dire que ce problème : le renforcement de notre alliance avec le paysan moyen, la tranquillisation des masses de la paysannerie moyenne, la consolidation de l’alliance entre la classe ouvrière et la masse fondamentale de la paysannerie, n’a pas été résolu tout simplement, dans quelque espace abstrait, mais sur la base de la montée des forces productives de toute l’économie nationale, sur la base de l’industrialisation croissante du pays, sur la base d’une augmentation du poids spécifique du secteur socialiste de notre économie. Autrement dit, ce n’est pas en bradant quoi que ce soit, par des concessions au producteur individuel petit-bourgeois, en sacrifiant des intérêts fondamentaux de la classe ouvrière, que nous avons assuré le passage à nos côtés des couches moyennes de la paysannerie ; c’est alors que l’économie nationale dans son ensemble et ses forces productives avaient remporté de grands succès, que l’industrialisation de notre pays avait progressé au cours de ces deux années, où à la suite des progrès de l’agriculture et de notre industrie, le poids spécifique de notre secteur socialiste, celui des leviers de commande se trouvant aux mains du prolétariat et de la classe ouvrière s’étaient fortement accrus.

Ainsi donc, les rapports entre les principales classes de notre pays : la classe ouvrière, la paysannerie, le capital privé, c’est-à-dire la bourgeoisie des villes et des campagnes, cette fraction de la bourgeoisie[Note des Ed 5] dont parlait le camarade Lénine, ont été, sont et seront pour nous le problème essentiel. Il est tout à fait naturel que d’un point de vue de classe, les rapports entre la classe ouvrière et la paysannerie moyenne soient au centre de ce problème, et c’est là justement qu’il y a deux ans, au moment de passer à la période d’un relèvement économique rapide, que les choses chez nous ont commencé à mal aller. A présent, d’aucuns l’ont oublié, ils ont oublié comment s’étaient alors aggravés les rapports entre la classe ouvrière et la paysannerie, l’opposition ne veut pas s’en souvenir. Quant à nous, nous rappelons la panique qui s’était emparé de l’esprit des actuels « bravaches » de l’opposition, quand aussitôt après l’insurrection en Géorgie, ils proposaient d’éditer un journal sans-parti, etc. Il est bon de la rappeler aujourd’hui à l’opposition. C’est précisément dans la question du paysan moyen, qu’en dépit de l’opposition, après avoir triomphé de sa ligne politique et tracé la nôtre, que nous avons remporté la victoire sur la base des décisions du XIVe congrès. En deux ans, notre ligne politique a passé son examen avec succès, elle a résisté à l’épreuve, elle a reçu une certaine confirmation du point de vue économique et politique. Nous pouvons dire avec une entière certitude que le cours de l’histoire dans notre pays, le glissement des classes qui s’est opéré ont donné entièrement raison à la politique définie par notre XIVe congrès du parti.

Maintenant en ce qui concerne les perspectives et l’orientation stratégique de classe qui a tracée réunion plénière du CC et de la CCC[Note des Ed 6].

Si l’objectif que s’assignait en gros le XIVe congrès du parti a été atteint, qu’est ce que cela signifie du point de vue de la distribution des classes ? Cela signifie-t-il ou non que la distribution des classes dans notre pays est restée la même qu’il y a deux ans ? Elle a changé bien entendu. Du point de vue du rapport entre les principales classes sociales, la situation dans notre pays est aujourd’hui autre qu’il y a deux ans. Pourquoi est-elle autre ? Du fait des résultats positifs de notre politique, parce que nous avons apaisé les couches moyennes de la paysannerie et consolidé le bloc de la classe ouvrière et de la paysannerie sur une base économique nouvelle, celle d’un renforcement considérable des positions économiques de la dictature du prolétariat. D’où la conclusion qui s’impose ; si nous avons un nouveau rapport des forces économiques, si nous avons un nouveau rapport des formes économiques, il va de soi que des objectifs quelque peu autres vont se poser à notre parti durant la période à venir. Les objectifs fondamentaux demeurent, mais notre tactique, les mesures concrètes pour le proche avenir doivent être déterminées par les principales particularités, les particularités essentielles précisément du moment actuel, et non par ce qui existait il y a deux ans.

Le renforcement du socialisme : base pour une pression continue sur les éléments capitalistes[modifier le wikicode]

A quels principaux faits sommes-nous ici confrontés ? Les principaux faits sont les suivants : 1) le renforcement de nos leviers de commande économiques ; 2) les progrès de l’action régulatrice planifiée des organismes de notre Etat ; 3) la croissance de nos coopératives ; du point de vue social et de classe, le renforcement de l’alliance de la classe ouvrière avec la paysannerie moyenne face à la baisse du rôle des éléments capitalistes. Le koulak a grandi dans l’absolu mais à présent sa situation diffère radicalement de celle qu’il occupait il y a deux ans du fait que nous avons réussi à l’isoler dans une mesure beaucoup plus grande en soustrayant à son influence la masse principale de la paysannerie moyenne. Et c’est là précisément une assise, un fondement, une base suffisante pour qu’à présent, dans une autre combinaison de forces, grâce au renforcement de notre bloc ouvriers-paysans, nous avons beaucoup plus de possibilités de restreindre les tendances exploiteuses du koulak. Voilà pourquoi, camarades, maintenant qu’a été atteint le but que s’était posé le XIVe congrès du parti — et son but principal était l’apaisement de la paysannerie moyenne et le renforcement du bloc avec cette dernière, maintenant que cet objectif a été réalisé, que le bloc ouvriers-paysans, sous la direction du prolétariat, sous la direction de notre parti, a considérablement accru sa force économique et politique, nous pouvons désormais sur cette base nouvelle passer avec plus de succès encore à l’offensive contre les éléments capitalistes de la ville et de la campagne.

Aux camarades qui estiment qu’alors que les leviers de commande économiques se sont renforcés et que le prolétariat s’est consolidé, nous sommes à présent en plein « Thermidor »[Note des Ed 7], et qu’en 1918-1919 nous avions selon eux une situation idéale et pas de « Thermidor », je voudrais pour leur montrer la mesure de nos succès, lire un passage de la célèbre brochure du camarade Lénine L’impôt en nature, passage qui éclaire d’une vive lumière notre situation actuelle. Voici ce qu’écrivait Vladimir Ilitch s’inspirant des besoins de l’époque :

« ... tout doit être mis en œuvre pour animer coûte que coûte les échanges entre l’industrie et l’agriculture. Celui qui, dans ce domaine, aura obtenu le maximum de résultats, fût-ce par la voie de l’économie capitaliste privée, voire même sans les coopératives, sans la transformation directe de ce capitalisme en capitalisme d’Etat, se sera rendu plus utile à l’œuvre de construction du socialisme en Russie, que celui qui « pensera » à la pureté du communisme, rédigera des statuts, des règlements, des instructions à l’intention du capitalisme d’Etat et des coopératives, mais ne fera pas avancer les échanges de façon concrète.

«Cela peut sembler paradoxal : l’économie capitaliste privée, dans le rôle d’auxiliaire du socialisme ?

« Pourtant cela n’a rien de paradoxal ; c’est un fait économique absolument incontestable »[Note des Ed 8].

Que voulait dire par là le camarade Lénine en 1921 ? Il voulait dire que nous étions tellement appauvris, ruinés, privés de tout ce qui est élémentairement indispensable que même si le « diable » capitaliste privé déployait son initiative, s’il aidait à obtenir une plus grande quantité de produits, nous devions y consentir. Et la directive sur la politique économique émanant du camarade Lénine stipulait : celui qui, dans ce domaine, c’est-à-dire l’accroissement de la production, obtiendra les meilleurs résultats, « fût-ce par la voie de l’économie capitaliste privée », voire « sans les coopératives», sur la base de l’économie capitaliste privée, celui-là fera beaucoup plus pour l’édification socialiste en Russie que ceux qui penseront à préserver la pureté du communisme et ne contribueront en rien au développement du commerce. Voilà comment la question se posait, alors, en 1921 !

Peut-on comparer ce qui est exprimé dans ces paroles du camarade Lénine, ce qui était alors, avec ce qui existe actuellement, quand nous avons, dans certaines branches d’économie, mis les éléments capitalistes privés dans la «blouse», quand nos coopératives et le commerce d’Etat ont entièrement évincé, dans le domaine de la circulation des marchandises, le capital privé de toute une série de branches, quand le capital privé, pour sauver sa peau, s’est précipité vers les petits métiers, les industries artisanales et domestiques, et quand nous nous apprêtons à l’évincer également des dernières positions où il s’est réfugié sous la pression de l’Etat et des coopératives. On était alors à l’époque de Vladimir Ilitch, en 1921, pendant la période du passage à la nouvelle politique économique, quand dans notre secteur socialiste, dans notre industrie d’Etat il n’y avait presque rien, que des usines vides. De là la directive principale : augmenter la quantité des produits quels que soient ceux qui les augmentent. En ce temps-là nous étions contraints de laisser au maximum le champ libre au capital privé : que lui, au moins, aide à produire des marchandises, cela pas pour toujours, bien entendu, mais pour la période où nous nous trouvons appauvris jusqu’au dernier degré, alors que nous disposons de trop peu de forces dans le domaine de l’organisation, quand il nous fallait coûte que coûte accroître la quantité des produits et intensifier le commerce pour ne pas mourir de faim et pour qu’un peu remis sur pied nous puissions penser à prendre l’offensive contre ce privé auquel nous avons nous-mêmes fait appel.

Mais peut-on dire que telle était la situation au moment où allait s’ouvrir le XIVe congrès ? A la veille du XIVe congrès, la situation était tout autre. Nous touchions déjà à la fin de la période du relèvement de notre industrie. Nous ne pouvions plus parler comme le camarade Lénine parlait très justement en 1921, nous ne pouvions déjà plus lancer le mot d’ordre : avec ou sans les capitalistes, avec ou sans les coopératives, peu importe, pourvu qu’on produise plus de marchandises ! Nous ne pouvions plus donner une telle directive. Pourquoi ? Parce que nous étions devenus beaucoup plus forts. Celui qui, au XIVe congrès, aurait donné une telle directive qui était absolument juste en 1921, aurait fourni la preuve que la politique qu’il préconisait n’était pas une politique socialiste. Cette directive absolument juste à l’époque où dans notre pays régnaient une misère épouvantable et le délabrement ; mais elle a cessé d’être juste, elle est devenue erronée, anticommuniste, à l’heure où nous avions déjà en mains des leviers de commande plus solides, où notre industrie était remise sur pied. Celui qui, tel un perroquet, répéterait cette vieille formule de 1921 telle quelle dans son intégrité, ne se conformerait aucunement aux recommandations du camarade Lénine qui stigmatisait la répétition des mêmes formules sans la moindre analyse de la réalité historique, économique et politique concrète.

Ainsi donc, au moment du XIVe congrès du parti, la période de relèvement touchait à sa fin, notre industrie commençait à entraîner à sa suite l’économie nationale : le capital privé jouait désormais un rôle tout à fait secondaire dans l’industrie ; mais, d’autre part, un pourcentage considérable de terres restant en friche dans l’agriculture, nous avions des frictions avec la paysannerie moyenne, il existait un état de crise chez nous entre la classe ouvrière et le paysan moyen qui, selon l’expression de Vladimir Ilitch, est la « figure centrale de notre agriculture »[Note des Ed 9].

Nos succès ont le résultat des mesures judicieuses prises par le parti[modifier le wikicode]

Telle était la situation à la veille du XIVe congrès du parti. Qu’avons-nous à présent ?

Deux ans après le XIVe congrès, la situation est caractérisée par le fait que notre industrie et les leviers de commande de notre économie entraînent à leur suite l’ensemble de l’économie nationale. Est-ce un fait ou non ? C’est un fait. Dans le circuit commercial, nous avons obtenu au cours de ces deux années nombre de succès extrêmement importants. Dans le domaine des stockages de blé, par exemple, les coopératives et le commerce d’Etat ont instauré en fait leur monopole. La nouvelle politique économique a mis fin au monopole céréalier de l’Etat. Et maintenant, grâce aux progrès réalisés par nos organisations économiques, aux succès remportés par ces dernières dans la compétition avec le privé, nous avons évincé le capital privé du domaine du stockage du blé ; nous nous sommes pour ainsi dire rapprochés par un autre bout, sur une base nouvelle, du monopole d’Etat dans le domaine du stockage du blé. Le commerce d’Etat et les coopératives possèdent à présent un quasi-monopole dans ce domaine comme dans un certain nombre d’autres branches de notre circuit commercial. Dans toute une série de branches essentielles de la circulation des marchandises, le commerce d’Etat et les coopératives se sont assuré une situation de quasi-monopole sur le marché, tant nos positions dans ce domaine se sont élargies et affermies.

Et, enfin, au point de vue social, au point de vue de classe, nous avons consolidé notre alliance avec le paysan moyen.

Par conséquent, par rapport à l’époque du XIVe congrès du parti, trois particularités caractéristiques principales sont à retenir : 1) le rôle économique déterminant, décisif et principal de notre industrie socialiste est devenu un fait incontestable ; nul ne peut le contester, car il se casserait la tête, même si cette tête était de cuivre, contre le mur d’acier des faits qui témoignent que notre industrie conduit toute l’économie nationale ; 2) dans le domaine de la circulation des marchandises nous exerçons désormais une influence décisive et dans certains secteurs nous avons acquis une situation de monopole ; 3) du point de vue social, du point de vue de classe, la paysannerie moyenne, dans l’ensemble, marche à présent aux côtés du prolétariat. Ces trois facteurs essentiels, étroitement liés l’un à l’autre et qui modifient la situation par rapport à celle que nous avions à l’époque du XIVe congrès du parti, modifient la situation générale dans le pays. Et du moment que la situation dans le pays est en train de changer et cela en notre faveur, il serait tout simplement stupide de dire aujourd’hui exactement la même chose, de « point en point », que ce que nous disions au XIVe congrès du parti. D’aucuns, dans l’opposition, affirment à présent : « Oui, mais vous ne dites pas aujourd’hui tout à fait la même chose qu’au XIVe congrès » ; et ils croient ce disant citer contre nous un argument « accablant », ils croient que de la sorte nous appliquons une politique « incorrecte », « en zigzag ». Cela est faux de leur point de vue, mais du point de vue de l’analyse des faits concrets et de la situation économique et politique concrète il ne saurait en être autrement dans le pays : après les grands succès remportés grâce aux mesures tracées lors du XIVe congrès du parti, nous allons maintenant de l’avant, appuyés sur ces succès sans lesquels nous aurions roulé dans un abîme d’où il faudrait nous tirer par nos longues oreilles. Heureusement, nos oreilles n’étaient pas aussi longues que le supposaient certains de nos adversaires.

Le trotskisme n’a jamais su prendre en considération les aspects spécifiques de la situation politique[modifier le wikicode]

Il est stupide de toujours répéter la même chose à chaque tournant. Qui répéterait aujourd’hui la formule de Lénine en qualité de directive pratique de notre parti ? Qui dirait aujourd’hui que notre objectif, c’est de produire la plus grande quantité possible de marchandises par tous les moyens, même sans les coopératives, même en recourant au capital privé ? Qui oserait répéter une chose pareille ? Personne, Il se trouverait peut-être des « malins » pour déclarer que c’est là une dérogation au léninisme, que Lénine n’a pas écrit cela ! Or Lénine n’a pas de recettes toutes prêtes pour chaque cas. Et qui voudrait voir dans la théorie de Lénine un recueil de recettes toutes prêtes, a du léninisme une approche qui est celle d’un mauvais pharmacien. L’application correcte du léninisme consiste dans une analyse précise et concrète de la réalité existante. Utilisant le léninisme comme instrument politique, nous aidant de la théorie marxiste, nous devons, à tout moment donné, déceler et analyser la combinaison des forces sociales concrètes les plus caractéristiques de période étudiée, et partant de là tracer notre propre ligne en se fondant sur notre ligne générale, celle du renforcement de la dictature du prolétariat, du développement du socialisme, de la croissance des éléments sociaux de notre économie, dans la perspective du communisme.

Ainsi donc, une analyse de la situation concrète est pour nous indispensable. Cette analyse montre qu’au moment du XIVe congrès du parti, tout était lié au problème de l’alliance avec le paysan moyen comme tâche principale dont la réalisation, bien entendu, ne s’oppose pas à notre appui sur la paysannerie pauvre, mais suppose au contraire le renforcement de celui-ci. Cette analyse montre qu’au cours des deux années écoulées, les tâches essentielles fixées par le XIVe congrès ont été réalisées sur la base de ses décisions.

Cette analyse atteste que parce que ces tâches ont été dans l’ensemble accomplies, nous avons à présent une autre combinaison de forces sociales, d’autres rapports entre les classes, que les positions économiques et politiques de la dictature du prolétariat sont aujourd’hui beaucoup plus fortes. Et, enfin, cette analyse nous amène à conclure que partant de cette situation nouvelle maintenant, que nos forces se sont accrues, que notre alliance avec le paysan moyen s’est consolidée, que nous avons pris le paysan moyen par la main, nous devons, nous pouvons, nous avons la pleine possibilité, en un front commun avec le paysan moyen, d’exercer avec succès une plus forte pression sur notre principal adversaire à la campagne : le koulak. Cette autre disposition des forces nous permet, nous impose, afin de transformer l’économie paysanne et d’évincer les éléments capitalistes, de passer à ce que j’ai appelé, dans mon rapport au congrès des syndicats de Moscou, à une offensive de plus en plus puissante contre les éléments capitalistes, en premier lieu contre les koulaks à la campagne.

Telle est, camarades, l’orientation stratégique qui se fonde sur le nouveau rapport des forces.

En conclusion, je voudrais réfuter une objection mise en circulation par nos « amis » de l’opposition. Ils se réfèrent, par exemple, à ce que nous avons envisagé de dispenser encore 10% des paysans de l’impôt agricole ou d’accentuer l’offensive contre le koulak, et disent : mais vous avez, au fond, « chipé » notre plate-forme. Bien qu’encore suffisamment et pas à 100%, vous avez néanmoins progressé vers ce que « nous disions » au moment du XIVe congrès de notre parti. C’est donc (concluent-ils) que votre ligne politique a « fait lamentablement faillite ». C’est donc que nous, l’opposition, avions raison. Vous nous avez « dépouillés », et c’est pourquoi vous céderez votre « place » à une autre direction du parti (ils considèrent tout d’un point de vue à « longue portée »). Ce genre d’arguments est extrêmement caractéristique de toute l’opposition trotskiste. C’est aussi de cette façon que le trotskisme raisonne en ce qui concerne le léninisme en général. Car Trotski posait la question ainsi : qui le premier a dit « b » au sujet de la révolution prolétarienne en Russie ? C’est moi, Trotski, qui l’a dit encore avant Lénine ! Qui le premier a dit : pas de tsar, et gouvernement ouvrier ! C’est moi, Trotski ! Donc, en 1917, le léninisme s’est « réarmé », ainsi qu’il s’est exprimé, c’est Lénine qui a rejoint Trotski, et non l’inverse.

C’est là, camarades, est une vieille argumentation. En politique, il ne s’agit pas de savoir qui a dit « a » ou « b », ou quelque autre son. Outre l’abc, outre la ligne générale, l’orientation générale qui est claire pour vous et qu’il faut appliquer, il importe de savoir quand dire « a » et quand dire « b ». Il faut dire « a » quand cela est nécessaire. Mais si l’on intervertit et si l’on dit « a » quand il faut dire « b », ou si l’on dit « b » alors qu’il faut dire « a », il n’en résultera pas le moindre léninisme. Si nous avions dit ce que nous disons à présent sans avoir résolu au préalable le problème de l’apaisement de la masse des paysans moyens, cela aurait signifié que nous avons dit « b » alors qu’il fallait dire « a ». Et si, par exemple, on disait aujourd’hui ce que disait Lénine en 1921, cela signifierait dire « a » alors qu’il faut dire « b » ou peut-être même « c » et « d ». C’est là le « hic ». Telle est l’erreur principale du trotskisme, erreur maintes fois répétée et qui réside dans le fait que Trotski lançait ses mots d’ordre à contretemps. Et lorsqu’on nous dit aujourd’hui qu’enfin nous avons vu le koulak, nous répondons : chers amis, votre grand malheur, c’est que justement vous ne comprenez pas quand il faut dire quoi, vous ne voyez pas le maillon principal dont il faut se saisir. Il y a deux ans, au moment du XIVe congrès, le maillon principal, c’était la question de l’apaisement du paysan moyen. Si nous n’avions pas fait ce que nous avons fait au XIVe congrès du parti, nous ne verrions pas ce que nous avons aujourd’hui. Nous devrons au préalable mener à bien la tâche principale, qui était d’une énorme importance, sans quoi nous serions tombés au fond du gouffre. En adoptant la politique proposée à l’époque par le trotskisme et la « NOP »[Note des Ed 10] nous serions peut-être passés de la NEP à la NEONEP.

Maintenant, je vais aborder plus concrètement deux problèmes des plus importants qui se posaient au plénum. J’exposerai pour commencer les décisions positives adoptées par le plénum, en laissant de côté notre opposition, et à la fin, comme « dessert » permettez-moi de parler de ces problèmes en rapport avec l’opposition.

Camarades, j’ai dit que l’analyse des actuels rapports économiques et politiques et celle des forces de classes dans notre pays témoigne de nos progrès.

Au sujet des directives pour le plan quinquennal de l’économie nationale[modifier le wikicode]

Notre croissance trouve son expression dans la manière même de poser la question de l’élaboration du plan quinquennal de notre économie nationale. En effet, si nos affaires allaient en régressant, si les prémisses de notre économie planifiée ne s’accroissaient pas matériellement (or la croissance des prémisses matérielles n’est rien d’autre que celle des éléments socialisés socialistes de notre pays), l’idée ne serait naturellement venue à aucun de nous ni à aucune personne sensée d’aborder la solution de problèmes comme l’élaboration d’un plan économique cinq ans à l’avance. Le fait même de poser la question du plan quinquennal de notre économie nationale est une preuve de notre croissance, il en est le témoignage. Si de ce point de vue nous nous souvenons avec quelle prudence nous abordions auparavant l’élaboration de plans annuels, en rampant en quelque sorte « à quatre pattes » pour définir ne serait-ce qu’approximativement l’orientation de notre plan annuel, et non pas même celle d’un plan quinquennal, force est de reconnaître que nous avons fait un grand pas en avant en matière d’économie planifiée. Au dernier plénum du CC de notre parti et au Bureau politique qui a examiné cette question, avant que les thèses relatives au plan quinquennal soient soumises au plénum du CC, nous avons déclaré en toute franchise et avec une clarté totale que nous ne pouvions encore présenter que les directives pour le plan quinquennal, et non le plan quinquennal lui-même. A un certain point de vue, il faut reconnaître que c’était là une faute : il aurait été naturellement préférable qu’au lieu des directives pour le plan quinquennal nous puissions présenter au congrès un plan quinquennal plus ou moins précis de notre économie nationale. Mais un certain nombre de difficultés particulières, de difficultés supplémentaires, ont obligé le Bureau politique d’abord puis le plénum du CC à renoncer à présenter au congrès du parti l’expression chiffrée précise de notre plan économique cinq ans à l’avance. Outre les considérations habituelles sur la nécessité d’une utilisation plus prudente des chiffres, nous avons eu en vue deux circonstances : l’une, très importante, l’autre importante aussi, mais moins.

Le danger de guerre, la possibilité d’une mauvaise récolte et notre planification[Note des Ed 11][modifier le wikicode]

La première de ces circonstances, c’est notre situation internationale. Aujourd’hui, tous les milieux du parti, la grande masse de la classe ouvrière sont conscients de l’extrême acuité de notre situation internationale. Une résolution a été adoptée à ce sujet au dernier plénum du CC[Note des Ed 12].

Nous sommes tous profondément convaincus que nous nous trouvons à la veille d’importants événements dans la vie internationale bien que nous ignorions quand ils peuvent survenir. Mais cinq années sont un espace de temps suffisant. En cinq ans toutes sortes de complications sont très possibles dans la situation internationale. Si la guerre contre nous et l’intervention dans les limites de notre territoire sont très possibles au cours de ces cinq années, des événements de ce genre modifieraient inévitablement et très fortement l’ensemble de notre plan quinquennal. Il nous faudrait obligatoirement transférer, dans telle ou telle mesure, le centre de gravité dans l’industrie de guerre ; notre budget devrait assigner des crédits beaucoup plus considérables aux secteurs de notre économie, et non seulement de l’économie, qui concourent à accroître la capacité de défense de notre pays. Nous devons prendre toute une série de mesures en vue de constituer des réserves de toutes sortes — en nature, en marchandises, en devises — qui en cas de conflits armés, nous permettraient de manœuvrer du point de vue économique et politique. Il est donc parfaitement compréhensible que dans le plan quinquennal que nous avons à adopter dans une situation lourde de menaces, tout chiffre sanctionné par une décision du congrès du parti nous lierait d’avance les mains dans une situation, dans des conditions où nous devons avoir les mains beaucoup plus libres. La deuxième circonstance, c’est une certaine appréhension concernant l’état de nos récoltes au cours des prochaines années. Pendant plusieurs années de suite les récoltes ont été bonnes dans notre pays. La prévision des bonnes et des mauvaises récoltes n’est pas chez nous suffisamment développée (pour ne pas dire qu’elle est inexistante) pour que nous puissions prédire ne serait-ce que d’une manière très approximative ce que sera la prochaine. L’expérience de plusieurs décennies de la période précédente montre qu’à un très petit nombre d’années de bonnes récoltes succèdent des années de mauvaises récoltes. Il est probable que les quelques années de bonnes récoltes que nous avons connues seront suivies d’années de mauvaises récoltes. Peut-être que cela ne se produira pas, il n’y a pas ici de succession régulière. Mais vous concevez que nous devons chercher à nous assurer jusqu’à un certain point contre la répétition de mauvaises récoltes. Voilà pourquoi, de ce point de vue aussi, nous devons avoir en vue le caractère approximatif de notre plan quinquennal. Nous devons penser aux changements en pire que la vie peut apporter et dont je viens de parler. C’est pourquoi le Comité central du parti a décidé de ne proposer au XIVe congrès du parti que des directives générales concernant l’élaboration du plan quinquennal de notre économie nationale et non le plan lui- même, c’est-à-dire d’exposer les grandes lignes, les idées principales, directives d’ensemble dont doit s’inspirer le plan de notre économie nationale. Les travaux en vue de l’élaboration de ce plan quinquennal ne sont pas encore achevés. Ils se poursuivent dans les organismes appropriés, en premier lieu au Gosplan.

Un plan quinquennal avait été élaboré ; il est aujourd’hui amendé conformément aux directives qui ont été adoptées.

Au moment de l’ouverture du congrès du parti, nous disposerons probablement, parallèlement aux directives adoptées par le CC, de données chiffrées recueillies spécialement mais qui, toutefois, ne lieront ni le Comité central ni le congrès du parti, mais permettront à chaque membre du congrès et à tout le parti de s’orienter au moins approximativement dans les résultats essentiels obtenus et les principales prévisions des organismes économiques compétents.

C’est sous l’angle de cette prudence dans l’élaboration du plan quinquennal qu’ont également été rédigées les directives adoptées par le plénum du CC en qualité de thèses pour le congrès du parti. Ces thèses se proposent de surmonter certaines des principales difficultés de notre économie, difficultés qui existent déjà ou qui se présenteront encore. Il était en outre impossible d’éluder ici un certain nombre de questions d’une importance essentielle dans le domaine de la politique économique, qui séparent l’écrasante majorité du parti de l’opposition au sein de celui-ci.

L’économie mondiale et l’économie soviétique[modifier le wikicode]

Il fallait avant tout une orientation déterminée dans la question du rapport existant entre notre économie et l’économie mondiale. Cette question, vous le savez, s’est parfois posée chez nous sous les angles les plus différents. Quand, par exemple, les camarades de l’opposition nous accusaient d’« étroitesse nationale», ils avaient en vue non seulement la politique du Komintern, mais aussi notre politique économique. Ils considéraient, et considèrent jusqu’à présent, comme une preuve de notre « étroitesse nationale » le fait que nous avançons le mot d’ordre du maximum d’indépendance économique vis-à-vis du monde capitaliste. C’est là aussi à leurs yeux un signe de notre « étroitesse nationale ». Eux-mêmes lancent pour mot d’ordre : relations les plus larges avec l’étranger. Il fallait choisir la directive que nous devions donner à nos organismes économiques dans cette question lors de l’élaboration du plan quinquennal. Que doit-on considérer ici comme juste ? Camarades, nous avons résolu le problème conformément à la ligne de conduite qui est tout le temps la nôtre. Pouvons-nous en effet adhérer sans plus un mot d’ordre qui est en particulier celui de l’aile « orthodoxe » de notre opposition trotskiste, un mot d’ordre du maximum de relations avec l’étranger ? Nous estimons que cela est impossible, que ce mot d’ordre est néfaste, et cela pour une raison bien simple. Pour la raison que nous ne pouvons lancer à l’intérieur de notre pays le mot d’ordre de développement des forces productives, sans plus, que nous devons dire : développement des forces productives, mais de telle sorte qu’il concourt à la croissance de notre secteur socialiste. Imaginez, par exemple, que nous ayons entièrement éliminé toutes les barrières avec l’étranger, que nous ayons obtenu d’énormes emprunts capitalistes, de l’ordre de dizaines de milliards, en vendant notre droit d’aînesse prolétarien, en assujettissant au grand capital américain nos fabriques, nos usines, etc. Il est possible qu’au cours des deux ou trois années qui suivent ils développent les forces productives plus vite que nous ne le faisons, cela n’est pas exclu. Mais nous ne devons pas voir les choses de cette façon, ce n’est pas pour cela que nous avons fait la révolution. Nous sommes pour un développement des forces productives dans notre pays, qui renforce constamment le secteur socialiste de notre économie et désavantage l’économie de l’adversaire.

Voilà ce que nous disons concernant l’économie à l’intérieur de notre pays. Mais en ce qui concerne l’étranger ? Pouvons-nous dire comme les camarades de l’opposition : « maximum de larges relations économiques »? Si l’on considère le maximum de larges relations économiques avec l’étranger comme une incarnation de l’« internationalisme » et une certaine restriction dans ce sens comme un signe d’« étroitesse nationale», il adviendra ceci. Qui désire le « maximum de relations économiques avec l’étranger » doit avant tout supprimer le monopole du commerce extérieur, cela est clair « comme de l’eau de roche » !

Le monopole du commerce extérieur est une barrière. Le rôle de cette barrière est de faire obstacle à des relations trop larges avec l’étranger, car si cette barrière venait à être levée, nous serions envahis par des marchandises américaines meilleur marché. Tels seraient les effets de « relations plus larges avec l’étranger »... Notre industrie socialiste aurait-elle à s’en féliciter ? Non, car elle se heurterait de plein fouet à une industrie américaine plus développée, avec laquelle nous ne pourrions pas encore rivaliser au grand jour. Nous devons conserver le monopole du commerce extérieur. Nous développons et édifions notre propre industrie qui, pour le moment, ne repose pas encore sur la technique la plus avancée qui soit au monde. Dans un de mes rapports j’ai dit que si nous avions triomphé en Amérique, nous n’aurions sans doute pas besoin du monopole du commerce extérieur car nous produirions meilleur marché que tous. En URSS, le monopole du commerce extérieur est nécessaire pour nous défendre contre nos ennemis, pour que nous puissions, bien qu’encore plus pauvres que nos adversaires capitalistes, telles des fourmis, amasser de tous côtés et nous mettre à bâtir. Le monopole du commerce extérieur est notre sauvegarde et, en dehors de quelques oiseaux rares, nous sommes résolument tous d’avis qu’il existe. Le monopole du commerce extérieur réfute entièrement la conception, le mot d’ordre « des relations les plus larges avec l’étranger». C’est une absurdité ! Ce n’est pas une formule à utiliser et nous ne faisons nullement preuve d’« étroitesse nationale » si nous disons que nous voulons bâtir sans tomber dans l’exagération, sans avancer le mot d’ordre « relations les plus larges avec l’étranger ». On nous dit que c’est là de l’« étroitesse nationale ». Ah, si nous vivons dans un entourage non pas capitaliste, mais socialiste, il ne serait pas question de monopole du commerce extérieur par rapport à l’entourage socialiste, nous enverrions au diable les frontières nationales et serions unis avec les pays prolétariens étrangers. Nous démontrerions par là notre internationalisme.

Par conséquent, concernant nos relations économiques avec l’étranger, nous ne pouvons faire nôtre, sans plus, le mot d’ordre d’élargissement des relations économiques. Notre point de vue pourrait être le suivant : étendre les relations économiques dans les limites, dans le cadre, dans la mesure où, grâce à cette politique, nous deviendrons de plus en plus indépendants des pays capitalistes sous le rapport économique, politique et militaire.

Si nous avions un entourage socialiste, qu’aurions-nous besoin de cette indépendance, elle ne nous serait aucunement nécessaire. Mais si nous nous trouvons au milieu d’un encerclement capitaliste, l’indépendance nous est nécessaire car nous sommes en opposition avec les Etats impérialistes, car nous devons de plus en plus ne compter que sur nos propres forces. Il est absurde d’affirmer que c’est là faire preuve d’étroitesse nationale, car cette ligne de conduite n’est indispensable que parce que dans les autres pays le socialisme n’existe pas encore, alors que chez nous il grandit déjà, et c’est pourquoi il est limité. Nos limitations découlent du fait que la victoire de la classe ouvrière est elle-même encore limitée, là sont les « limites imposées à notre économie ». On conçoit qu’il serait absurde de tomber dans un autre excès, c’est-à-dire d’affirmer que nous ne devons rien acheter à l’étranger. Ce serait une sottise. Mais qui et quand a affirmé cela ? Bien entendu, nous devons acheter à l’étranger. Dans quelles limites ? Dans la limite où cela ne met pas en danger notre économie. Bref, nous devons tout faire pour grandir, nous sentir plus solides sur nos jambes. C’est ainsi que nous avons résolu la question de nos relations avec l’étranger.

La question des contradictions entre la ville et la campagne[modifier le wikicode]

Au sujet de la contradiction entre la ville et la campagne, c’est-à-dire de la question principale de notre politique économique, je voudrais dire ceci. Chaque chiffre du plan quinquennal implique une certaine répartition des ressources : la question des prix et des crédits pour telles ou telles branches, le financement de l’agriculture et celui de l’industrie, la répartition des investissements entre l’industrie lourde et l’industrie légère, tout cela est déterminé par l’orientation générale de notre politique économique. Et là, nous devons donner toute une série de directives en tenant compte de très graves difficultés qui ont leurs sources dans les contradictions entre la ville et la campagne (les fourchettes, les disproportions entre la production industrielle et la production agricole, etc.). Dans ce domaine, nous devions donner des directives bien déterminées, liées à nos conceptions politico-économiques générales. Nous devions rejeter la politique des prix élevés, celle d’une surimposition de la paysannerie moyenne ; nous devions adopter des directives concernant le plan qui s’inspireraient de notre méthode fondamentale de solution des problèmes économiques. Nous avons avant tout tracé une ligne de conduite tendant à l’abaissement continu des prix de revient, à la rationalisation de notre industrie, à un appel à la petite épargne par le recours à toutes sortes d’emprunts, aux caisses d’épargne, etc. La rationalisation, la réorganisation de notre industrie, des prix plus bas : telle est la voie qui nous permettra d’atténuer quelque peu, au cours des cinq prochaines années, les contradictions entre la ville et la campagne. Un problème important et douloureux entre tous est celui du chômage. Mais il ne doit pas être, lui non plus, résolu unilatéralement comme on a tendance à vouloir le faire dans certains milieux de notre parti, en développant l’industrie et rien de plus. Ce n’est pas de la sorte, qu’il faut résoudre le problème et l’attaquer à cette difficulté majeure. Le développement de l’industrie, qui est nécessaire et possible ne saurait résorber la masse de chômeurs qui existe et existera chez nous. Nous devons résoudre ce problème par les deux bouts. Telle doit être aussi la pierre angulaire des directives concernant l’élaboration du plan quinquennal : d’une part extension de l’industrie, d’autre part rationalisation de cette industrie sur la base d’une journée de travail plus courte (chose avec laquelle les camarades de l’opposition ne sont pas d’accord) et augmentation du nombre des postes de travail et, troisièmement, enfin, multiplication des exploitations exigeant une nombreuse main-d'œuvre à la campagne, c’est-à-dire industrialisation de l’agriculture elle-même. Camarades, notre façon de cultiver la terre est encore barbare, primitive, il existe chez nous un certain nombre de régions où la céréaliculture est impossible et qui, en raison de leur nature même, ne peuvent utiliser des engins tels que les tracteurs et autres grosses machines agricoles complexes. Il existe chez nous toute une série de branches d’agriculture qui ont tendance à se développer sous forme d’exploitations intensives, exigeant plus de travail : l’horticulture, les cultures maraîchères, élevage, etc. Un vaste champ d’action s’ouvre ici à nous. En encourageant ces exploitations à niveau d’emploi élevé, nous pouvons contribuer à réduire le surpeuplement agraire qui fait que le chômage s’accroît dans nos villes.

Industrie lourde et industrie légère[modifier le wikicode]

Des solutions différentes sont de même proposées par nous et par les partisans de l’opposition sur nombre de questions concernant d’autres secteurs, comme celle de la répartition des investissements entre l’industrie lourde et l’industrie légère. Nous considérons que la formule selon laquelle le maximum d’investissements doit être fait dans l’industrie lourde n’est pas tout à fait juste ou, plus exactement, n’est pas juste du tout. Si nous voulons avoir notre centre de gravité dans le développement de l’industrie lourde, nous devons tout de même combiner ce développement avec un développement approprié de l’industrie légère où la circulation des capitaux et leur récupération sont les plus rapides. Nous devons, je le répète, faire en sorte que cette combinaison soit pour nous la plus favorable. Il en va de même en ce qui concerne les nouveaux chantiers. Nous avons dû reconnaître, comme l’expérience l’atteste, que nous avons commis une erreur dans l’utilisation des capitaux. Nous nous sommes engagé sur un front beaucoup trop éparpillé, consacrant d’emblée à de nombreux centres de constructions nouvelles des sommes énormes qui ne donneront de résultats plus ou moins tangibles qu’après un long espace de temps, c’est-à-dire lorsque les nouvelles usines auront commencé à fonctionner et que leur production sera commercialisée, etc. Il aurait mieux valu concentrer ces mêmes sommes sur un front plus étroit afin d’obtenir plus rapidement des résultats, commercialiser la production, etc. Je le répète, il y a ici une multitude de problèmes et de questions extrêmement complexes. Nous devons nous fonder sur des considérations d’opportunité en tenant compte de tous les facteurs. On ne peut donner une formule simpliste : rien que pour l’industrie lourde, ou bien le maximum d’investissements dans l’industrie lourde, il faut savoir combiner tous les facteurs dont dépend vraiment le progrès de notre économie.

Le problème de la rationalisation socialiste et le passage à la journée de travail de 7 heures[modifier le wikicode]

Dans le domaine de l’industrie et partiellement dans celui de l’agriculture, nous devons résolument poser à présent le problème de la rationalisation. Nous estimons que sont inadmissibles toute concession à l’esprit suiviste parmi les ouvriers, les raisonnements du genre : nous saurons bien vivre « comme au bon vieux temps », alors que sur la nouvelle voie une foule de difficultés nous attendent.

Il est incontestable que la rationalisation s’accompagne d’énormes difficultés dans tous les domaines sans exception, mais faute de passer à un niveau technique plus élevé, de recourir plus largement aux applications de la science, de procéder à une division plus rationnelle du travail, c’est- à-dire sans une plus haute culture de la classe ouvrière elle-même, nous n’arriverons jamais à rattraper et à dépasser les pays capitalistes. C’est pourquoi il est tout à fait clair que le passage à un système de rationalisation, à des méthodes plus perfectionnées de notre industrie suppose, disons-le franchement, un travail plus intensif. Certains camarades de l’opposition disent une absurdité lorsqu’ils affirment qu’un niveau technique élevé, c’est bien, mais que cela ne doit pas s’accompagner de l’exigence d’un travail plus intensif, qu’il nous faut seulement une productivité du travail accrue. Il n’en est nullement ainsi, ni ne saurait jamais en être ainsi. La productivité du travail n’est pas, bien entendu, la même chose que l’intensité du travail. L’intensité du travail implique une plus grande dépense d’énergie par unité de temps : si, par exemple, l’ouvrier dépense en une heure une fois et demie plus d’énergie qu’auparavant, cela traduit un accroissement de l’intensité du travail. Si durant la même heure il dépense la même quantité d’énergie mais produit davantage, c’est- à-dire que l’intensité du travail reste la même, c’est que les améliorations techniques (nouvelles machines, etc.) ont permis une augmentation de la productivité du travail. Mais arrive-t-il, dans la vie, que l’un soit séparé de l’autre ? Non. Tout nouveau système demande plus d’attention. Le travail à la chaîne exige plus d’attention et plus d’intensité. La réalité, c’est que toujours le développement de la technique fait que le travail devient plus intensif. Mais avec la nouvelle technique entre en scène autre facteur, qu’il ne faut pas oublier et qui facilite les choses, à savoir l’élévation du niveau de la main-d’œuvre, grâce à quoi il lui devient plus facile de fournir un effort plus intense. Chaque ouvrier le sait fort bien par expérience lorsqu’il entre dans une usine où est en vigueur un nouveau système de travail, par exemple, quand il a commencé à s’occuper pour la première fois d’une activité socialement utile. Chacun sait qu’un travail inhabituel, la nécessité de réagir vite fatiguent rapidement l’ouvrier qui passe à une activité socialement utile. Il finit par s’habituer et par s’adapter. Par suite le travail devient plus intensif, les ouvriers s’y accoutument, prennent plus d’assurance, se transforment eux-mêmes. La main-d’œuvre devient autre. Si vous essayez d’obliger l’ouvrier arriéré de notre pays à travailler dans une usine américaine, il ne sera pas, au début, en état de travailler comme l’ouvrier américain. Pourquoi ? Parce qu’il lui faut s’habituer, parce que la culture du travail de l’ouvrier en Amérique est autre. C’est un long processus que celui qui consiste à rééduquer la main-d’œuvre, à la porter à un niveau plus élevé, c’est ce que j’appellerai la culture du travail. La culture du travail devient de plus en plus haute, la main-d’œuvre change, comme change l’homme lui-même.

Je voudrais vous citer un exemple tiré d’un tout autre domaine : quand quelqu’un apprend à jouer d’un instrument quelconque, du piano, par exemple : il doit d’abord examiner les touches sur lesquelles il posera les doigts, son regard doit glisser simultanément sur le clavier et sur ses mains, il doit apprendre à distinguer et à rendre les différentes notes. Cela exige de gros efforts, mais une fois qu’il aura appris à jouer, il placera mécaniquement les doigts à leur place. Ou bien prenons l’exemple suivant : quand quelqu’un apprend à lire, il lit b+a=ba, s+e=se, base, ou bien b+i=bi, s+e=se, bise (Rires). Lorsque l’enfant apprend à lire cela exige de sa part de gros efforts, une grande dépense d’énergie, jusqu’à ce qu’il apprenne à lire, que cela devienne pour lui une habitude. Et si l’on se fait particulièrement la main dans la lecture — je le sais d’après mon expérience — il se produit une chose que l’on appelle « lecture de la partition ». Tu vois toute une page, mais tu ne lis pas toute la page, tu la parcours des yeux et tu en saisis le sens ; on peut lire un livre seulement en la feuilletant et néanmoins on en saisit le sens. Cela signifie que l’homme s’est tellement entraîné dans ce domaine qu’il a développé la faculté de lire les partitions. Je cite ces exemples parce qu’ils me sont plus familiers. C’est théoriquement ce qui se produit dans le processus matériel du travail, de la rééducation de la main-d’œuvre, de son passage à un niveau plus élevé. Processus auquel la rationalisation de l’industrie doit communiquer une vigoureuse impulsion. Autre type d’ouvrier, autre rythme du travail, autre intensité de celui-ci, mais en même temps autre capacité chez la main-d’œuvre d’accroître l’intensité du travail. Quoi de plus naturel, camarades, qu’il y ait là un très grand problème que nous devons obligatoirement résoudre. Mais nous ne pouvons le faire à la manière du capitalisme. Le Comité central a posé la nécessité de passer graduellement à la journée de travail de sept heures. Et cela non seulement parce que nous serons alors en mesure d’organiser un plus grand nombre d’équipes, mais aussi parce que nous donnerons plus d’ampleur à la production. Si nous voulons faire progresser la rationalisation de notre industrie, nous devons donner une compensation à la classe ouvrière, compenser son passage à un niveau plus élevé par une journée de travail plus courte. Nous ferons de la journée de travail de sept heures, une fois qu’elle sera réalisée, un puissant levier permettant d’atteindre un plus haut niveau de développement. Nous ne pouvons dépasser les pays capitalistes au point de vue économique si nous ne faisons pas progresser de plusieurs paliers tout le rythme de notre production. Je ne m’arrêterai pas sur toute une série d’autres problèmes : ils sont exposés dans les décisions publiées.

Je passe à l’exposé des mesures concrètes qui ont été adoptées au sujet de la campagne.

L’accentuation de la pression sur le koulak, continuation de notre ligne politique[modifier le wikicode]

Du point de vue de classe nous abordons la question de notre politique à la campagne exactement de la même façon que celle de l’élaboration du plan quinquennal de notre économie. Notre objectif essentiel est la progression du socialisme. Comme je l’ai déjà dit, nous devons, sur la base de nos réalisations, sur la base du renforcement et de la consolidation de l’alliance avec le paysan moyen, mener une offensive plus organisée contre les couches capitalistes de la campagne. Les thèses soumises à l’attention des membres du parti, en même temps qu’elles exposent l’orientation générale dont j’ai parlé, notent les erreurs et les déformations de notre politique. Dans les thèses sont notées les plus graves erreurs et déformations dans notre politique à la campagne, erreurs et déformations qui se sont produites et qui peuvent se reproduire. L’essentiel, dans les thèses, ce sont les mesures pratiques que le Comité central a considéré nécessaire d’indiquer pour notre avenir immédiat afin de réaliser la ligne tactique qu’il a tracée.

Comment s’exprimera la ligne de l’offensive intensifiée contre le koulak ?

Premièrement, par une plus grande précision et une amélioration’ apportées à l’organisation de l’imposition progressive de ses revenus en vue de prendre en compte tous les revenus du koulak et de passer à ce type d’imposition dans le volost.

Deuxièmement, la lutte contre l’achat et la vente, le don de terres et leur transmission par testament, ce que l’on observe dans certains endroits.

Troisièmement, la réduction de la durée des baux, — la réduction des droits de ceux qui ne cultivent pas la terre eux-mêmes et la louent — de trois à six ans.

Quatrièmement, l’arrêt de l’attribution de lotissements, si cette attribution s’effectue au profit du koulak et s’accompagne d’une extension de son exploitation.

Cinquièmement, un strict respect du code des lois relatives au travail dans l’exploitation rurale capitaliste, c’est-à-dire celle du koulak, ainsi que des règlements provisoires en vigueur dans les exploitations d’importance moyenne auxquelles s’appliquent ces règlements.

Une plus grande attention portée aux formes coopératives d’économie et leur renforcement en vue de passer des coopératives de vente et d’achat à un développement croissant des coopératives de production. Dès à présent nos organismes économiques passent souvent directement des commandes à la paysannerie, indiquant les moyens de mieux produire, fournissant parfois des matières premières et se trouvant ainsi liés par des rapports contractuels avec la paysannerie groupée en coopératives, gérant en fait l’exploitation paysanne suivant un plan de production déterminé.

Concernant les mesures d’ordre politique, la restriction la plus importante inscrite dans les thèses est que celles-ci prévoient en fait que le koulak sera privé du droit de vote dans les associations agricoles. C’est là une réforme des plus importantes. Car très souvent, à la campagne, les affaires relatives à la terre sont régies par une association agricole, et en outre par le Soviet, c’est-à-dire qu’il y a en quelque sorte en germe une « dualité du pouvoir ». Si le koulak est privé des droits électoraux au Soviet mais s’il possède un droit de vote dans l’association agricole, lors qu’il s’agit de régler les affaires agricoles, il aura par vote la possibilité de manœuvrer. C’est pourquoi, il est prévu de priver du droit de participer aux votes dans l’association agricole ceux qui sont privés des droits électoraux au Soviet. Ceci est également indispensable du point de vue de la ligne générale de notre politique afin que le Soviet ne soit pas coupé de la production, c’est-à-dire des affaires de la société agricole. Telles sont les principales mesures envisagées concernant la politique à la campagne. Je ne m’arrêterai pas sur d’autres mesures, de type plus ordinaire comme, par exemple, le maximum d’aide à apporter aux travaux d’irrigation, sur la question de la réglementation du régime de la terre sans la solution de laquelle il est impossible de développer plus avant l’économie paysanne et de réprimer les appétits du koulak qui, en cas de conflits lors de l’aménagement des sols, s’empare parfois des meilleures terres, etc.

Toutes ces mesures traduisent la politique de classe que nous avons tracée sur la base des acquis qu’ont rendus possibles les décisions du XIVe congrès dans la situation nouvelle. Vous voyez que cette politique trouve son expression concrète, pratique, dans les décisions du plénum, qui devront être appliquées avec le maximum de persévérance par les membres du parti une fois qu’elles auront été adoptées, comme nous l’espérons, par le congrès du parti. Nous avions deux points principaux à l’ordre du jour de notre plénum du Comité central, en dehors de la question relative à l’opposition : le plan quinquennal et le travail à la campagne.

Je n’ai parlé ici que de ce qui était le plus important pour la raison que ces thèmes sont si vastes que même laissant de côté la situation internationale, dont on a pris chez nous l’habitude de parler, vous voyez que nous soulevons ici des problèmes complexes, extrêmement difficiles, de notre lutte et de notre travail.

Ce que je voudrais, camarades, c’est que de cette partie du rapport vous retenez de façon parfaitement claire et nette l’idée qui j’ai essayé d’y développer, à savoir : premièrement, dans les conditions actuelles, nous devons accentuer la pression sur les éléments capitalistes ; deuxièmement, notre politique n’est pas fortuite mais découle de notre politique antérieure à laquelle elle s’articule étroitement ; troisièmement, cette articulation faisait que nous ne pouvions intensifier l’offensive contre les éléments capitalistes à la campagne n’ayant pas pour nous le paysan moyen ; quatrièmement, nous ne pouvions gagner le paysan moyen sans réaliser les mesures décidées par le XIVe congrès du parti.

Notre politique actuelle, qu’a tracée le dernier plénum du Comité central, n’est pas une balle tirée par hasard, un coup de revolver inattendu comme voudrait le faire croire l’opposition ; c’est la continuation de la ligne politique qui était auparavant la nôtre et qui se fondait sur la prise en compte de la nouvelle combinaison des forces sociales, sur ce qu’ont apporté de nouveau les deux dernières années.

Je le répète encore et encore: celui-là n’est pas un léniniste, qui répète à toute occasion, bonne ou mauvaise, exactement la même chose. C’est le genre d’animal dont le vrai nom est « perroquet ». La tâche du léniniste consiste à analyser le rapport concret des forces, la situation concrète, et d’agir en conséquence. Nous sommes maintenant passés à une situation nouvelle sur la base de notre politique antérieure. La situation nouvelle exige aussi de nous un mot nouveau. Ce mot nouveau nous le trouvons dans les décisions du dernier plénum.

Le parti et l’opposition[modifier le wikicode]

Je passe maintenant à la seconde partie du rapport, aux questions liées à nos désaccords, aux désaccords entre l’opposition et le parti. Je commencerai cette partie de mon rapport par ce qui suit. Il n’est pas rare d’entendre les camarades de l’opposition dire que nous sommes allés à leur rencontre, ou que nous avons « chipé » une partie de ce qui figure dans leurs plates-formes, dans leurs déclarations, etc. J’ai, en fait, répondu à cette question dans la première partie de mon rapport et ici je voudrais soulever une autre question. Bon, admettons que nous avons « chipé » leur plate-forme, mais alors pourquoi ne déposent-ils pas les armes, pourquoi ne disent-ils pas : soit, il y avait entre nous des désaccords au sujet du koulak ; aujourd’hui le parti s’est rallié à notre point de vue, les désaccords sont éliminés, vivons donc en paix ; il existait des désaccords au sujet d’un certain nombre d’autres questions, mais maintenant, après que Trotski a dit dans une conférence que Boukharine tourne la « jument théorique » tantôt la queue, tantôt le mufle en avant, selon son humeur, maintenant que le CC, de l’avis de l’opposition, a tourné cette jument non pas la queue, mais le mufle en avant, pourquoi ne déposez-vous pas les armes, chers amis ? C’est là une question tout à fait naturelle.

Supposons en effet, que durant ces deux années nous nous soyons trompés, que depuis le XIVe congrès du parti nous avons divagué, que de ce fait l’opposition avait le droit moral et politique de se rebiffer et de vider sur le parti tout ce qu’elle avait dans son arsenal, depuis les obus de mortiers jusqu’à certaines substances assez malodorantes. Qu’est-il besoin de jacasser maintenant de la sorte ? Pourquoi ne pas nous unir à présent que le parti, selon la conviction de l’opposition, modifie son point de vue ? Voilà une question qu’il est nécessaire de poser. A quoi l’opposition répond : vous nous avez manifestement « dévalisés », mais nous ne croyons pas que les cadres dirigeants du parti soient en état de réaliser le programme que nous traçons ; vous trichez tous, vous avez tourné à gauche, vous avez fait un zigzag, vous avez viré sous l’effet des critiques de l’opposition, mais le parti n’est pas en état de réaliser ce qu’il a lui-même décidé.

Bon, supposons qu’il en soit ainsi, supposons que telle est bien la situation, tout le parti a divagué durant deux ans ; supposons même que maintenant, ayant adopté un point de vue juste, la direction du parti elle-même ne soit pas en mesure d’appliquer cette politique. Mais dites-nous, s’il vous plaît, s’il en était bien ainsi et si, dans ces deux questions, l’opposition avait raison, n’aurait-elle pas dû dire : maintenant, la direction du parti a fait la preuve de sa faillite politique ; mais le parti fait confiance à cette direction ; nous, opposition, devons encore fournir la preuve à tous les simples membres du parti que cette direction sera incapable de rembourser les lettres de change qu’elle a délivrées. Attendons encore un an et chacun verra que la direction du parti ne remboursera pas les lettres de change qu’elle a délivrées, qu’elle ne pourra réaliser la ligne politique qui a été tracée, et le premier imbécile venu comprendra alors qu’il est nécessaire de renverser, de jeter bas pareille direction. Voilà comment aurait dû alors raisonner l’opposition.

Au lieu de cela, que voyons-nous ? Nous voyons que ce changement de l’orientation tactique du parti, étant donné la nouvelle situation, s’accompagne du côté de l’opposition des cris « au voleur », mais aussi d’une aggravation sans précédent de la lutte au sein du parti. Pourquoi cela ? Si nous sommes convaincus que l’actuelle direction du parti est incapable de mener à bien par ses propres forces la politique qu’elle s’est tracée, s’il en est bien ainsi, le devoir de chaque membre de l’opposition ne serait-il d’attendre encore un peu et de ne pas exposer le parti au danger sans précédent d’une scission, de ne pas condamner la dictature du prolétariat dans notre pays à toutes sortes de fluctuations en s’engageant dans la voie d’activités clandestines, en sortant délibérément du cadre des normes de la vie intérieure du parti et même du droit soviétique.

L’opposition s’est écartée du parti non seulement dans les questions de tactique, mais aussi dans celles de programme[modifier le wikicode]

Pourquoi tout ce tapage ? Pourquoi cette furieuse attaque ? Pourquoi cette politique qui signifie, en somme, le rejet de tous les principes d’organisation du parti ? Pourquoi cette furie ? Pourquoi ces activités antiparti et même, je le répète, en partie antisoviétiques ? Pourquoi ? Si tout est comme l’affirme l’opposition, il n’existe à cela aucune réponse, si... si on ne prend pas en considération un autre aspect de la question, si l’on ne tient pas compte du fait qu’aujourd’hui, les camarades de l’opposition s’écartent du parti en ce qui concerne non seulement la tactique, mais aussi le programme. Et si les choses continuent d’évoluer dans le même sens, l’opposition ne doit s’attendre à rien de bon.

Je prendrai certains points, les plus importants selon moi et, je pense, selon nous tous, et je m’efforcerai de montrer combien sont aujourd’hui loin l’un de l’autre, dans des questions fondamentales, élémentaires, cardinales et essentielles, le parti, d’une part, et l’opposition d’autre part. Je prendrai, camarades, la fameuse question de « Thermidor » dont on vous rompt la tête, mais au sujet duquel je dois néanmoins dire ici quelques mots. La question de « Thermidor » est, en somme, celle de savoir ce que représente en fin de compte notre pays aujourd’hui. Y a-t-il dans notre pays édification révolutionnaire ou contre-révolution, assistons-nous à la victoire d’autres classes, etc. ? Je le répète, il s’agit de savoir ce que représente aujourd’hui notre pays. Ce n’est pas une petite question ! Cette question est celle qui conditionne tout. Dans sa brochure Le cours nouveau Trotski, attaquant la politique de la majorité du parti qui comprenait Zinoviev, Kamenev et d’autres, tout en se distançant des autres critiques de notre parti, des critiques du camp menchevik et libéral, de ceux qui estimaient avoir été les premiers à parler de Thermidor, qui dès 1921 considéraient Lénine comme le « thermidorien » numéro un, voyaient dans la nouvelle politique économique la première déchéance des bolcheviks, voyaient déjà en 1921 dans la nouvelle politique économique l’annonce d’un futur bonapartisme et d’une future contre-révolution, Trotski, donc, combattait sur deux fronts : contre la majorité du parti, d’une part, et contre les mencheviks et les sménovekhovtsy[Note des Ed 13], d’autre part. Voici ce qu’il écrivait : « Les analogies historiques avec la Grande Révolution française (la chute des Jacobins !) dont se nourrissent et avec lesquelles se consolent le libéralisme et le menchevisme, sont superficielles et inconsistantes » (Le cours nouveau, p. 33, souligné par nous — N. B.).

En quoi consiste cette analogie avec la Grande Révolution française ? C’est une analogie avec Thermidor, le bonapartisme et autres « métaux et épouvantails ». Trotski écrivait en 1923 déjà que jouer avec ces choses-là, qu’un jeu fondé sur une analogie et cette analogie elle-même sont superficiels, c’est-à-dire inadmissibles, inconsistants, c’est- à-dire doivent être rejetés ; analysant d’un point de vue social, d’un point de vue de classe les propos de ces discoureurs qui péroraient sur « Thermidor », il les qualifiait de libéraux et de mencheviks ; il écrivait : que le libéralisme et le menchevisme trouvent dans ces analogies nourriture et consolation.

De 1923 à 1927 des années ont passé. Qui trouve à présent dans cette analogie avec la Grande Révolution française nourriture et consolation ? Le menchevisme ? Oui. Le libéralisme ? Oui. Mais sont-ils les seuls, ou en est-il encore d’autres qui se nourrissent théoriquement, idéologiquement, de cette analogie ? Nous devons, malheureusement, constater ce fait indéniable qu’à présent l’opposition dans notre parti, Trotski en tête, a rejoint le duo libéralo-menchevique. Et de ce point de vue quel jugement doit-on porter sur nos désaccords ? Le seul jugement que l’on puisse porter sur nos désaccords, c’est que sur la question fondamentale dont dépend la réponse à toute une série de questions : tactiques, de politique générale, économiques et autres, l’appréciation de la situation dans le pays, donnée aujourd’hui par notre opposition, a entraîné celle-ci dans le camp des libéraux et des mencheviks. C’est là, malheureusement, un fait incontestable.

Dans la question du jugement à porter sur la dictature du prolétariat l’opposition a basculé dans le camp du menchevisme[modifier le wikicode]

J’aborde la seconde question, celle du caractère de notre pouvoir d’Etat. La question du caractère de notre pouvoir d’Etat n’est pas une question mineure : elle est essentielle pour l’appréciation à porter sur la situation dans tel ou tel pays. Qu’en était-il hier et qu’en est-il aujourd’hui ? Nous savons tous qu’il y a relativement peu de temps, un an et demi à peu près, Trotski a lancé pour la première fois une expression, que beaucoup répètent depuis, relativement au caractère de notre Etat qui serait loin d’être prolétarien. Lorsque l’on attira son attention éclairée sur ce caractère « loin d’être prolétarien de notre Etat », Trotski s’est maintes fois permis d’accuser ceux qui le critiquaient de le calomnier, ou presque. Mais maintenant que voyons- nous et que dit l’opposition au sujet de notre régime, de notre pouvoir d’Etat ? Chacun est au courant du document de l’opposition où il est écrit noir sur blanc que du fait du groupe dirigeant, du groupe actuel de notre Comité central, notre pays en est arrivé à une situation où nous revivons la période de Kerenski. Cela est écrit noir sur blanc et circule dans toutes sortes de documents de nos camarades de l’opposition. Mais qu’est-ce que cela signifie que nous revivons l’« époque de Kerenski» et que notre opposition défend le point de vue des bolcheviks en juillet 1917 ? Cela signifie que nous sommes un Etat contre-révolutionnaire et qu’un véritable révolutionnaire doit non seulement ne pas chercher à défendre cet Etat, mais le renverser. Nous pouvons constater qu’à présent, concernant l’attitude envers le pouvoir d’Etat après être passée par différentes étapes, par la déclaration relative au caractère « loin d’être prolétarien de l’Etat », l’opposition a résolument tendance à passer à des choses qui entraînent des conclusions absolument incongrues politiquement et absolument intolérables (pour ne pas dire plus) dans les rangs du parti de la classe ouvrière révolutionnaire.

L’opposition préfère la «démocratie» bourgeoise à la dictature du prolétariat[modifier le wikicode]

Il faut que je cite ici un document qui a été rendu public lors du dernier plénum et qui n’a pas été réfuté par les représentants de l’opposition. G est pourquoi je vais le citer ici. C’est la déclaration de Kosko, un camarade de Leningrad, qui a été « reçu » par Trotski, Zinoviev et d’autres lors de leur dernier séjour à Leningrad, pendant la session du Comité exécutif central des Soviets[Note des Ed 14]. Différentes questions ont été posées aux camarades Zinoviev, Trotski et autres au cours de la « réception », y compris celle-ci : comment il se fait que les alliés de notre actuelle opposition — les ultras de la gauche allemands —, ont, dans leur organe Fahne Des Kommunismus (Le Drapeau du Communisme), édité par Maslov que tous vous connaissez bien, ont dénoncé notre camarade Lominadzé à la police. Le camarade Lominadzé militait là-bas dans la clandestinité et ils ont écrit qu’il se trouvait en Allemagne et écrivait des articles. Ce camarade Kosko rapporte ce qu’a répondu à cela le camarade Zinoviev. Je cite mot à mot la déclaration de ce camarade de Leningrad.

« Zinoviev (répond). Nous sommes bien entendu fautifs. Mais il n’y a rien de terrible dans tout cela. Le camarade Lominadzé n’a pas perdu un seul cheveu. Certes, ce qui s’est passé n’est pas bien. Mais à vrai dire, aussi étrange que cela paraisse dans l’Allemagne de Hindenburg il y a plus de liberté que chez nous. Je peux dire hardiment qu’il n’y a pas là-bas à l’heure actuelle un seul communiste en prison. On peut y écrire et y dire ce que l’on veut. Alors que chez nous, si à la réunion du parti tu dis quelque chose au sujet du secrétaire ou contre une erreur de l’appareil, demain tu seras exclu du parti (souligné par nous. — N. B.)

(Des voix : « C’est une honte ! »).

Je me suis permis de citer ce document, je le répète, parce qu’il a été rendu public au plénum du Comité central et que l’opposition n’a pas daigné le démentir. Mais l’esprit de ce document est parfaitement conforme à tout le reste : « Thermidor », la comparaison avec la période de Kerenski. Effectivement, si nous avons non seulement « Thermidor » mais aussi une victoire de la contre-révolution qui apparente notre Etat à celui de la bourgeoisie impérialiste de Russie de l’époque de Kerenski, après les journées de juillet, c’est-à-dire après la défaite temporaire de la classe ouvrière révolutionnaire et sa répression, comparée à cet Etat, l’Allemagne de Hindenburg ne se distingue pas par des défauts particulièrement importants. Mais alors, camarades, il faut nous entendre avec l’opposition : à qui la république bourgeoise de Hindenburg semble préférable à la République soviétique de la classe ouvrière, nous disons : « Eh bien, partez, nous ne l’empêcherons pas, la voie est libre... » (Exclamations : « Très bien ! » Vifs applaudissements).

L’opposition nie le caractère socialiste de nos leviers de commande[modifier le wikicode]

Je prends une autre question qui doit exactement de même être soulevée lorsque nous parlons des problèmes cruciaux qui se posent à chacun de nous, à chaque membre conscient de la classe ouvrière, à chaque membre de notre parti. C’est la question du rôle des leviers de commande économiques. Vous vous souvenez que lors du XIVe congrès du parti, sur cette question, celle de l’appréciation du rôle des leviers de commande économiques, il existait des désaccords entre nous et la nouvelle opposition, désaccords qui étaient à l’époque encore très difficiles à saisir. L’opposition n’avançait aucune formulation précise, elle ne faisait qu’attaquer notre définition de l’industrie comme industrie de « type socialiste conséquent », définition qui était celle de Lénine, ou comme « industrie socialiste ». Les différentes formulations qu’elle donnait, très « élastiques », manquaient absolument de précision mais qui visaient toutes à minimiser plus ou moins le caractère socialiste de notre industrie. Et dans l’un des derniers « ouvrages » de notre opposition, sa «plate-forme» où il est question de l’industrie, il est dit, entre autres, que la situation actuelle dans les fabriques est marquée par une tendance au rétablissement des rapports qui existaient avant la révolution. On y parle des relations entre contremaîtres et ouvriers, mais dans le contexte qui indique clairement une tendance générale au rétablissement dans les fabriques des rapports entre les hommes qui étaient propres à la période d’avant la révolution. Mais étant donné que la caractéristique sociale, c’est-à-dire l’essence de classe de tel ou tel régime, de telle ou telle industrie est défini justement par ces rapports entre les hommes, dire que dans notre industrie il existe une forte tendance au rétablissement des rapports qui existaient avant la révolution, c’est commencer à dénier tout caractère socialiste à notre industrie d’Etat. Ce désaccord n’est pas tactique, c’est un désaccord de programme, car si dans nos fabriques existaient les mêmes rapports qu’avant la révolution, nous n’aurions aucun droit ni moral, ni politique, ni révolutionnaire d’appeler la classe ouvrière à soutenir cette industrie, au contraire, nous devrions l’appeler à la détruire.

Au XIVe congrès du parti les désaccords sur cette question, malgré leur importance, ont joué un rôle relativement secondaire. Mais ce que nous avons à présent, c’est un énorme écartement des ciseaux idéologiques au cours de ces deux dernières années, un écartement qui, au point de vue idéologique aussi, entraîne de même l’opposition au- delà d’une compréhension léniniste, au moins élémentaire, des choses.

Dans sa critique des thèses du camarade Molotov sur le travail à la campagne, que le Bureau politique a soumises à l’attention du plénum, le camarade Smilga[Note des Ed 15] a, entre autres déclaré ceci : (je cite littéralement d’après l’enregistrement sténographique des débats qui se sont déroulés lors du plénum du CC) : « Au lieu d’une position léniniste, nous avons une position boukhariniste à savoir qu’en régime capitaliste tout se passe d’une certaine manière, alors que chez nous tout se déroule d’une façon foncièrement différente (souligné par nous. — N. B.). Les thèses s’appliquent à démontrer que chez nous la différenciation de la paysannerie ne s’effectue pas tout à fait comme dans les pays capitalistes, chez nous, les chiffres et les statistiques attestent que parallèlement à la croissance des exploitations des koulaks et à la prolétarisation d’une partie des exploitations de paysans pauvres, du fait qu’une partie, assez considérable, des exploitations de paysans pauvres passent dans la catégorie des exploitations de paysans moyens, le paysan moyen, chez nous, n’est nullement une espèce en voie de disparition, comme en régime capitaliste, il demeure la figure centrale de notre agriculture et la raison en est l’existence de la dictature du prolétariat, de tout le système des rapports sous la dictature du prolétariat, l’orientation de nos leviers de commande, c’est-à-dire que chez nous des voies foncièrement autres de développement sont possibles parce que nous..avons une structure foncièrement autre du pouvoir d’Etat.

Le camarade Smilga a tenu à qualifier cette position de « boukhariniste », par opposition à la position « léniniste » ; d’où chez lui toute une cascade de tirades au sujet du révisionnisme, de la négation de la différenciation et de toutes sortes d’autres «métaux et épouvantails».

Le trotskisme contre le plan coopératif de Lénine[modifier le wikicode]

Mais dans la thèse principale qu’il a exposée ici, il est dit, ainsi que je vous l’ai lu : « Au lieu d’une position léniniste, nous avons une position boukhariniste, à savoir qu’en régime capitaliste tout se passe d’une certaine manière, alors que chez nous tout se déroule d’une façon foncièrement différente». Je n’ai jamais dit : « d’une façon foncièrement différente », et les thèses du camarade Molotov ne le disent pas non plus. Mais que notre développement s’effectue de façon foncièrement différente était jusqu’à présent pour chaque membre du parti une vérité élémentaire, et vous le savez. S’il n’en était pas ainsi, permettez- moi de vous demander comment le plan coopératif de Vladimir Ilitch aurait pu trouver place dans la politique du parti ? Si chez nous le paysan moyen est voué, comme dans la société capitaliste, à une disparition obligatoire et nécessaire, si le processus de la différenciation se déroule chez nous exactement comme dans la société capitaliste où n’existe pas la dictature du prolétariat, si le développement de l’agriculture s’effectue tout à fait comme dans la société capitaliste, s’il ne se produit pas un tournant fondamental, comment Lénine aurait-il pu s’orienter vers la coopérative qui, dans tous les pays capitalistes, s’est toujours intégrée dans l’ensemble du mécanisme de l’appareil économique capitaliste, se subordonnant à celui-ci et dégénérant en coopérative capitaliste, comment Lénine aurait-il pu s’orienter vers la coopérative en tant que méthode de développement du socialisme ? En affirmant une chose pareille, le camarade Smilga fait table rase du plan tout entier de Lénine, et je ne dis rien de l’absurdité qu’il y a d’affirmer que la dictature du prolétariat ne modifie pas radicalement toutes les conditions du développement, tout le rythme de développement et son orientation. Contre des arguments de ce genre nous trouvons l’objection classique, que j’ai à vrai dire honte de citer tant elle est bien connue de chaque membre de notre parti. Cette objection, elle a été formulée par le camarade Lénine lui-même dans son article sur la coopération, car il y écrivait :

« Les rêves des vieux coopérateurs renferment beaucoup de chimères. Ils sont souvent ridicules parce que fantastiques. Mais en quoi le sont-ils ? En ce que l’on ne comprend pas la signification fondamentale, essentielle, de la lutte politique de la classe ouvrière pour le renversement de la domination des exploiteurs[Note des Ed 16], » (Œuvres, t. VIII, 2e partie, p. 139, Souligné par nous. — N. B.).

Et à la fin de cet article, il écrit :

« On oublie que grâce au caractère particulier de notre régime politique, les coopératives acquièrent chez nous une importance tout à fait exceptionnelle »[Note des Ed 17] (ibid., p. 144. Souligné par nous. — N. B.).

Il explique en quoi sont fantastiques les plans des vieux coopérateurs à commencer par ceux de Robert Owen : «C’est qu’on rêvait de transformer pacifiquement la société moderne par le socialisme, sans tenir compte de ces questions essentielles que sont la lutte des classes, la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière, le renversement de la domination de la classe des exploiteurs. Voilà pourquoi nous avons raison de dire que ce socialisme « coopératif » est une chose purement fantastique, romantique et même vulgaire puisqu’on rêve de transformer les ennemis de classe en collaborateurs de classe, et la lutte de classes en une paix de classes (paix sociale, comme on dit) par le simple groupement de la population dans les coopératives »[Note des Ed 18]. « Mais voyez comme les choses ont changé maintenant que le pouvoir d’Etat appartient à la classe ouvrière, que le pouvoir politique des exploiteurs est renversé et que tous les moyens de production (excepté ceux que l’Etat ouvrier accorde volontairement aux exploiteurs, pour un temps et à certaines conditions) se trouvent entre les mains de la classe ouvrière »[Note des Ed 19]. «Aujourd’hui nous sommes en droit de dire que le simple développement de la coopération s’identifie pour nous (compte tenu de la « petite » exception signalée plus haut) avec celui du socialisme. Force nous est de reconnaître que tout notre point de vue sur le socialisme a radicalement changé »[Note des Ed 20] (ibidem). Et où est le changement radical chez Smilga ? Il n’y en a pas, il a disparu.

Et pourquoi ? C’est facile à deviner, camarades. Parce que Smilga part tacitement de la prémisse selon laquelle chez nous, il n’y a pas de dictature prolétarienne et c’est pourquoi, il est naturel, qu’étant donné l’absence de ce levier fondamental, tout ne va pas comme il faut : on voit apparaître les prémisses de Thermidor, de l’Etat de la période de Kerenski, d’une industrie où l’on est en train de rétablir les rapports d’avant-guerre, les prémisses d’une voie de développement capitaliste de l’agriculture, etc., toutes questions se ramenant à celle, fondamentale, de la nature de l’Etat dans notre pays : y a-t-il ou non chez nous une dictature du prolétariat ? Car voyez comment ce qu’on appelle « pensée » de l’opposition se débat en tous sens sous le signe de la négation de l’existence de la dictature prolétarienne dans notre pays. Il ne s’agit déjà plus ici d’un désaccord tactique, mais d’un désaccord fondamental, d’un désaccord sur le programme, et là mieux vaut se séparer sue de vivre ensemble sous un même toit, si c’est dans ce sens que s’oriente l’opposition.

L’opposition est contre l’édification socialiste[modifier le wikicode]

Camarades, il est bien compréhensible que devant des prises de position idéologiques tout à fait sans précédent, dans ce débat qui n’a rien de réjouissant, je passe, comme vous le voyez, sur tout ce qui est personnel, secondaire, adventive et ne m’arrête que sur des questions fondamentales telles des prises de positions « idéologiques » qui ne marquent rien moins que le passage de notre opposition dans le camp que Trotski appelait en 1923 celui des mencheviks et des libéraux, que la constitution et le développement d’une plate-forme politique pratique de l’opposition. Voyez à présent ce qui est dit dans cette plate-forme au sujet de la rationalisation de notre industrie. Que du mal : déformations, insuffisances, etc. Et voyez ce qui y est dit de positif toujours au sujet de la rationalisation de notre industrie. A propos d’une question qui a, pour l’édification du socialisme, une importance réellement capitale, voire décisive... il est dit, en tout et pour tout, deux lignes et demie. Pourquoi ? A quoi bon en effet parler de la rationalisation d’une industrie où sont en train d’être rétablis les «rapports d’avant-guerre »? Voyez à présent où est passé chez Smilga le plan coopératif ? Il n’existe plus, car sa prémisse, la dictature du prolétariat a disparu dans notre pays. Et qu’en est-il de la situation à la ville et à la campagne ? Pour ce qui est de la campagne, on en parle, c’est vrai, mais il est uniquement question de la défense des intérêts du paysan pauvre. Or, cela est encore insuffisant, car des points de ce genre figurent aussi chez les mencheviks ; l’opposition n’a plus aucun programme positif de construction du socialisme à la campagne. Où est-il passé ? Il s’est envolé, évaporé. Tout cela est compréhensible, car si chez nous la différenciation de la paysannerie s’opère exactement comme dans la société capitaliste, et si tout le reste n’est que « révisionnisme », dites-moi un peu, comment construire là- dessus le socialisme ? Comment réaliser dans ces conditions le plan coopératif de Lénine ? C’est chose impossible, et c’est pourquoi il ne saurait tenir à son propos un autre langage que celui des mencheviks. Ces derniers estiment que ce qui existe chez nous, c’est une sorte de capitalisme, c’est pourquoi ce qui doit nous préoccuper, c’est que les ouvriers pourraient faire grève pour exiger d’être payé un rouble de plus, ou quelque chose d’approchant, mais quant à soutenir notre industrie, dieu nous en garde ! Soutenir l’industrie dans l’Allemagne d’Hindenburg, où soi-disant «aucun communiste n’est en prison» (!), c’est une autre affaire ; mais dans notre pays où existe la tendance à rétablir le niveau tsariste d’avant-guerre, jamais de la vie ! Que les imbéciles de la majorité s’en occupent ! Car telle est en effet leur position. Et à la campagne ? A la campagne, on peut défendre les salariés agricoles, mais quant au travail positif, à l’édification du socialisme, ce sont choses impossibles puisqu’il « n’y a pas la dictature du prolétariat » mais « Thermidor », etc. Voilà où on en arrive.

L’opposition démolit la légalité soviétique[modifier le wikicode]

Voyez maintenant ce qui se passe par ailleurs dans le domaine de l’organisation et de la tactique. Tout ce que s’est permis l’opposition, cette opposition pour le moment encore au sein du parti, est une énorme tragédie pour elle- même, car elle est sortie non seulement de la légalité du parti, mais aussi de la légalité soviétique.

Elle n’est pas seulement déloyale vis-à-vis du parti, c’est-à-dire ne se soumet pas à la majorité du parti, foule aux pieds les décisions de l’Internationale communiste, etc., mais va plus loin encore en utilisant la couverture du livre de feu l’écrivain prolétarien Fourmanov et, frauduleusement, édite sa plate-forme aux frais de l’Etat en abusant nos organismes économiques. Premièrement, Fourmanov, décédé, n’a pas donné mandat à l’opposition d’utiliser son nom pour ses machinations. Ce n’est pas très convenable à l’égard d’un camarade décédé. D’autre part, n’est-ce pas là une violation des lois soviétiques ? C’en est une. Et qu’est-ce qu’une loi soviétique ? Si nous avons chez nous la dictature du prolétariat, c’est une loi de la dictature du prolétariat. Qu’est-ce que la violation des lois de la dictature du prolétariat ? C’est une atteinte à la dictature du prolétariat. De deux choses l’une : ou bien les camarades de l’opposition déclarent ouvertement qu’ils ne croient pas que nous ayons dans notre pays la dictature du prolétariat ! Mais alors qu’ils ne nous en veulent pas si nous disons que leur déclaration de vouloir défendre le pays contre l’ennemi extérieur est une odieuse hypocrisie. Si nous n’avons pas la dictature du prolétariat, l’ouvrier révolutionnaire n’a nul intérêt à défendre un tel Etat, il faut renverser celui-ci en mettant à profit l’intervention de l’ennemi extérieur. Si vous affirmez que vous voulez défendre notre Etat, qu’il y a chez nous la dictature du prolétariat, vous devez alors nous expliquer comment quelqu’un qui pense que la dictature du prolétariat existe chez nous peut oser violer les lois de celle-ci ? Voilà comment la chose se présente. On conçoit, camarades, qu’en partant de la négation de la dictature du prolétariat dans notre pays, en violant les lois de la dictature du prolétariat, on peut exposer la situation comme suit : l’ennemi principal, c’est le régime, car s’il n’y a pas la dictature du prolétariat, si nous avons actuellement un Etat analogue à celui de la bourgeoisie au temps de Kerenski après les journées de juillet, il est tout à fait clair qu’il constitue la cible que doit viser la balle de tout révolutionnaire honnête. Mais dans ce cas, dites-nous franchement que notre position, c’est la lutte contre le régime qui existe chez nous, ne jouez pas double jeu, ne dites pas que l’Etat lié à ce régime, vous irez le défendre contre l’ennemi extérieur, si chez Hindenburg on est mieux que chez nous ! Pourquoi défendrez vous notre Etat si celui d’Hindenburg, qui est « meilleur », lance ses régiments contre notre pays rouge ? N’y a-t-il pas la matière à réflexion ? On ne peut jeter des paroles en l’air, se référer ensuite tantôt à l’une, tantôt à l’autre sans vouloir répondre de rien. Non, veuillez répondre devant le parti pour chacune de vos paroles.

Tout naturellement, se pose ici la question de l’attitude vis-à-vis du parti. Si notre Etat est irrémédiablement pourri, si le régime d’Hindenburg est « meilleur » que le nôtre, il est clair que notre parti est responsable de tout ce mal, et on s’explique qu’il soit permis de se livrer à des activités clandestines, d’aménager des imprimeries, de n’hésiter devant rien, d’organiser des réunions secrètes, de mettre sur pied un autre parti, etc. Dites-nous alors : nous sommes pour le moment dans votre parti comme, par exemple, vous vous êtes trouvés pendant un certain temps dans le Kuomintang[Note des Ed 21] pour qu’ensuite on vous fasse sauter, on vous berne, etc. Dites-le alors honnêtement. On ne peut tout de même pas jouer double jeu, parler de l’unité du parti pour ensuite cracher dessus. La politique de l’opposition dans cette question se comprend si l’on suppose chez elle une logique élémentaire, c’est-à-dire si elle considère notre parti non comme un parti prolétarien mais une sorte de Kuomintang, et elle demeure dans notre parti uniquement pour capter ce qui reste dans celui-ci de la classe ouvrière, et l’entraîner ensuite dans son camp. Alors tout devient compréhensible.

Mais qu’on le dise ouvertement, qu’on nous dise que notre parti, considéré comme celui de la classe ouvrière, n’est pas un parti de la classe ouvrière, qu’on nous le dise franchement, qu’on ose le dire devant la masse ouvrière qui adhère à notre parti, et alors nous verrons. Je parierais qu’après avoir essuyé une vigoureuse riposte dans notre cellule du parti, ils imaginèrent une nouvelle théorie : ils diront que le prolétariat est fatigué, divisé, perverti, qu’il faut attendre dix ans et qu’alors on verra qu’ils avaient tout de même raison ; ils trouveront un sujet de consolation ; les vieilles personnes trouvent une consolation soit dans une icône, soit en Dieu, ou bien dans un bichon ; eux, ils se consoleront avec une nouvelle théorie.

Les relations de l’opposition avec les renégats et les opportunistes[modifier le wikicode]

A propos, ils disent qu’ils ont pour eux des « millions » de partisans. Ils ont dit au plénum que le prolétariat de Leningrad s’est détourné du parti, qu’à la manifestation, il a voté pour l’opposition. Est-ce pour cette raison qu’ils ont voté contre le manifeste du Comité exécutif central[Note des Ed 22]. Seulement cette prise de position à l’égard du parti explique les conclusions qu’ils tirent et leurs activités au sein de l’internationale communiste. Admettons que nous avons dégénéré — vous voyez qu’aujourd’hui je suis prêt à reconnaître les choses les plus inadmissibles — admettons qu’au pays des Soviets nous avons dégénéré et qu’au lieu d’un pays rouge, au lieu de la dictature du prolétariat, etc., il n’y a qu’un tas de fumier (encore qu’on ne comprenne pas pourquoi les ouvriers de tous les pays viennent voir ce tas de fumier !). L’intéressant est de savoir pourquoi l’opposition part en guerre contre tous les partis de l’Internationale communiste. On peut constater chez eux l’enchaînement suivant : tout le mal provient du CC du PC(b), ce mal pénètre dans tous les pays et par l’intermédiaire de notre parti la décomposition s’étend à tout le prolétariat d’Europe occidentale. Je ne comprends pas une chose : par quel moyen miraculeux ce groupe du CC parvient à exercer une telle influence dans le monde entier. Or, c’est ainsi qu’ils raisonnent. Ils s’opposent à l’immense majorité du parti. Avant la révolution, Trotski s’est attaché durant des années rassembler une brochette de toutes sortes, jusqu’au jour où tout s’est défait, s’est disloqué, à seule fin de faire des saletés aux bolcheviks. Il fait à présent exactement la même chose à l’égard de notre parti. Rappelons- nous le bloc d’Août[Note des Ed 23]. Trotski fait aujourd’hui à l’échelle internationale ce qu’il faisait au sein ou en marge de notre parti contre lui. L’opposition prétend s’appuyer sur l’aile gauche de l’internationale communiste. Voici une liste de ceux sur lesquels s’appuie, que rassemble autour d’elle l’opposition trotskiste. Je parle ici de l’opposition trotskiste, car il est clair pour tous que Zinoviev et Kamenev ne jouent aucunement en l’occurrence le rôle de force dirigeante.

Voilà ce que nous avons par pays : en Allemagne, l’opposition a pour elle le groupe Maslov[Note des Ed 24] dont l’organe central a dénoncé Lominadzé. Il existe un document récent (qu’on essaie donc de le démentir) selon lequel Maslov est entré en contacts avec le groupe Korsch ; or, Zinoviev a qualifié Korsch de contre-révolutionnaire avéré.

C’est ce même Korsch qui exige maintenant l’amnistie pour les mencheviks russes et s’élève résolument contre la défense de notre pays en cas de guerre impérialiste, car, selon lui, ce serait la même chose que défendre n’importe quel pays impérialiste, et le groupe qui défendrait notre pays connaîtrait la même déchéance que la social-démocratie allemande en août 1914. L’opposition, qui traitait Korsch de contre-révolutionnaire, se traîne aujourd’hui à sa rencontre.

Et qui ont-ils pour eux en Italie ? Le groupe parisien des émigrés politiques italiens, et parmi les gens plus ou moins comme il faut Bordiga. Prenez n’importe quel congrès de l’Internationale communiste présidé par le camarade Zinoviev, et n’importe lequel de ses discours au sujet de Bordiga : il l’a toujours considéré comme quelqu’un chez qui il n’y a pas trace de marxisme ni de léninisme.

Mais je prends encore d’autres choses bien plus intéressantes : l’opposition a des partisans en Belgique. Non pas parmi les membres du Parti communiste, il est vrai, mais parmi ceux du groupe Lidirs. C’est un groupe social-démocrate qui lutte contre le Profintern[Note des Ed 25], mène contre le Parti communiste belge une campagne délirante et, à la dernière réunion de ses partisans s’est résolument prononcé contre l’envoi d’une délégation en URSS. Ce leader se proclame partisan de l’opposition, édite ses documents et apporte des arguments à l’appui de sa plate-forme pour détourner les ouvriers de son pays de se rendre en URSS. Pourquoi dans ces conditions ne pas aller voir ce qui se passe dans l’Allemagne d’Hindenburg si là-bas c’est « mieux » et on est plus « libre », si le régime n’est pas du tout aussi « sanglant » que chez nous.

Ils ont à présent des partisans également en Autriche : une poignée d’hommes ayant à leur tête Frey, récemment exclu du Parti communiste autrichien. Et pourquoi a-t-il été exclu ? Parce qu’il avait proposé aux communistes de se joindre inconditionnellement aux sociaux-démocrates lors des dernières élections parlementaires. De plus il attaquait le parti dans son journal et avait créé sa propre fraction, etc. Et voici à présent qu’il accuse l’internationale d’avoir suivi une politique erronée dans les événements de Vienne en lançant le mot d’ordre de Soviets, que c’était là soi-disant de l’anarcho-communisme, qu’il faut marcher avec les sociaux-démocrates. Et cet homme, qui critiquait notre ligne de conduite à partir de positions d’extrême droite, est aujourd’hui un partisan de l’opposition.

Ruth Fischer, dame de l’opposition, agréable sous tous les rapports, déclarait il y a peu qu’elle préférerait aller avec le KAP (petit groupe anarcho-syndicaliste allemand exclu de l’Internationale communiste du vivant de Lénine, violemment hostile à l’URSS depuis des années et qui s’élève résolument contre l’envoi de délégations en URSS). En bien Ruth Fischer, cette dame de l’opposition, déclare qu’elle ira plutôt avec le KAP qu’avec nous.

La sphère d’influence de l’opposition s’est étendue jusqu’en Grèce. Il y a là-bas un certain Pouliopoulos chassé en son temps du parti communiste. Il est à présent partisan de l’opposition dont il édite les publications. Il a été exclu du parti pour avoir préconisé la dissolution du Parti communiste en Grèce.

Vous pouvez vérifier chacun de ces faits. Mais le bouquet qu’ils constituent n’est pas mal, il est, n’est-ce pas, très révolutionnaire.

Je mentionnerai encore une camarade personnellement très honnête, la Hollandaise Henriette Roland-Holst. C’est une femme d’un âge déjà avancé et d’esprit mystique. Il n’y a pas si longtemps de cela elle voulait adhérer à une société de philosophie religieuse mais sous notre influence elle y a renoncé. Elle nous invitait tout le temps au début à modérer nos passions et à nous réconcilier avec l’opposition. Eh bien, cette camarade Roland Holst s’est déclarée résolument partisan de l’opposition, mais d’autre part, dans une lettre à l’Anglais Brockway, leader du Parti ouvrier indépendant, elle se prononçait pour la fusion des IIe et IIIe Internationales...

Je ne cite que quelques faits, mais il y en a beaucoup d’autres. Par exemple, en Hollande, les membres de l’opposition inscrivent dans leur « équipe » l’organisation syndicale à la tête de laquelle se trouve Snalift [Sneevliet ?] exclu depuis longtemps de l’Internationale Communiste et grand opportuniste. Je ne dis rien de Souvarine sur lequel l’opposition prend appui en France, lui aussi opportuniste, exclu pour erreurs franchement droitières, etc., etc... Un vrai bloc d’Août international. On y trouve « deux de chaque espèce » ainsi qu’il est dit dans la Bible. Une plate-forme pour tous ceux qui s’engagent à critiquer le PC de l’URSS et se mettent à invectiver l’URSS. Voilà ce qu’est cette plate-forme. Je le répète : un bloc d’Août international. On ne peut comprendre et s’expliquer l’activité d’une opposition de ce type que si l’on considère qu’il n’est pas de pire ennemi que le pouvoir Soviétique en URSS. Comme disait autrefois Kautsky : « Mussolini, Horthy et les bolcheviks russes, tous se valent». On n’en est pas encore arrivé là et tant mieux si cela ne se produit jamais, mais ce qui n’est pas douteux, c’est que ces gens suivent une voie telle qu’ils peuvent en venir à affirmer que l’ennemi principal, c’est notre régime, et que par suite on peut le miner, lui nuire par tous les moyens. Vous comprenez vous-mêmes que ce sont là des choses que rien ne saurait justifier.

La lutte de l’opposition contre le parti, une récidive de la désertion d’octobre[modifier le wikicode]

Si l’on se demande où sont les sources de ces erreurs élémentaires, où sont leurs racines logiques, raisonnables, où les trouver, comment comprendre cela, je vous assure que moimême je me refuse parfois de comprendre ce qui se passe dans l’esprit des partisans de l’opposition. Si l’on réfléchit en gardant la tête froide pour essayer de comprendre toute la plate-forme de l’opposition et l’expliquer, on ne peut aboutir qu’à une conclusion, à savoir qu’avant tout il s’agit de l’« erreur d’Octobre qui n’est pas due au hasard ». Je ne dis pas cela pour faire pièce à qui que ce soit — on a suffisamment parlé de ces erreurs, et à quoi bon se répéter, mais comment comprendre qu’à la deuxième année de la révolution, quand nous nous préparons à célébrer le 10e anniversaire d’Octobre, il en est qui aboutissent à de telles conclusions. Personnellement je ne peux me l’expliquer que comme une récidive de la position profondément ancrée, enracinée, qui était celle de Zinoviev et de Kamenev pendant les journées d’Octobre[Note des Ed 26].

Quelles étaient les considérations qui alors jouaient un rôle chez eux ? Que notre pays était économiquement et techniquement arriéré terriblement, que nous ne maintiendrions pas le pouvoir et que si nous y parvenions, nous étions condamnés à dégénérer. Ce thème a maintes fois été développé, et je n’y reviendrai pas ici. Trotski pensait que la révolution mondiale, l’aide d’Etat du prolétariat international nous tireraient d’affaire, faute de quoi nous n’aboutirions à rien. Telle était sa position. Et cette aide n’existant pas aujourd’hui, on comprend qu’il se soit abaissé jusqu’aux points de vue que défendaient Kamenev et Zinoviev. Il ne serait pas mauvais de rappeler comment ils considéraient en général pendant les journées d’Octobre, la situation politique du pays. Je vais vous donner lecture d’un extrait d’un document écrit avec la bénédiction de Kamenev et de Zinoviev après le départ de leurs postes de certains commissaires du peuple[Note des Ed 27]. Qu’écrivaient-ils alors ? «Nous considérons que seule la constitution d’un tel gouvernement démocratique socialiste (c’est-à-dire, comprenant mencheviks, socialistes-révolutionnaires et bolcheviks. — N. B.) permettrait de consolider les fruits de la lutte héroïque de la classe ouvrière et de l’armée révolutionnaire pendant les journées d’octobre-novembre. Nous pensons qu’à part cela il n’existe qu’une seule voie : garder un gouvernement purement bolchevique au moyen de la terreur politique. C’est dans cette voie que s’est engagé le Conseil des Commissaires du Peuple. Nous ne pouvons ni ne voulons nous y engager. » (Ecoutez bien, la suite en vaut tout particulièrement la peine !) « Nous ne pouvons ni ne voulons nous y engager. Nous voyons que cela conduit à écarter les organisations prolétariennes de masse de la direction de la vie politique, à instaurer un régime irresponsable, pour finir par la débâcle de la révolution et du pays » (« Archives de la Révolution ». Sous la direction de Rojkov. 1917, p. 408).

Voilà ce qu’ils pensaient de la situation politique. Ils estimaient que dans un pays arriéré comme le nôtre, il était non seulement impossible de construire le socialisme, mais que du point de vue politique un régime dictatorial irresponsable ferait son apparition. Et quand à présent ils tentent d’ébranler le régime, quand ils se font les porte- parole d’une démocratie petite-bourgeoise, déclarent que la « démocratie » d’Hindenburg vaut mieux que la dictature du prolétariat, ils répètent mot pour mot ce qu’ils écrivaient en abandonnant leurs postes en Octobre, il y a dix ans. Cette position profondément enracinée se montre maintenant au grand jour, elle se traduit par leur lutte rageuse contre la direction du parti et contre l’actuel régime en général.

Dans une vieille brochure du camarade Trotski Nos tâches politiques, je recommande à l’attention des camarades un passage extrêmement intéressant qu’il m’est malheureusement impossible de citer exactement en ce moment, mais dont je peux rendre le sens général de vive voix de telle sorte que ce sens soit clair.

En 1904, le camarade Trotski écrivait, parlant de la dictature du prolétariat, que la période de transition allait poser à la classe ouvrière des tâches si compliquées qu’un seul parti, un seul courant ne serait pas en mesure d’en embrasser toute la complexité, qu’il y faudrait différents groupes, différents courants chacun abordant le problème de son côté. Ainsi, l’un ferait pression sur le koulak, un autre s’intéresserait plus particulièrement au paysan moyen, un troisième à la tourbe, un quatrième à la houille, etc., et seule la synthèse, c’est-à-dire l’association de tous ces courants, orientations et partis différents créerait la possibilité d’une solution des problèmes extrêmement complexes de la dictature socialiste prolétarienne. Or, c’est un peu le contraire qui s’est produit.

En ce qui concerne le parti, tous les bolcheviks affirmaient jusqu’à présent, et le camarade Zinoviev plus fort que tous, et avec lui le camarade Kamenev, qu’un système de deux partis était chez nous absolument impossible, qu’un tel système constituerait un glissement vers la démocratie bourgeoise, que deux partis dans notre pays, cela signifierait deux gouvernements, deux armées, deux Guépéous[Note des Ed 28], deux administrations partout, etc., parce qu’une division dans notre parti impliquerait la division de tout notre mécanisme, car notre parti régit et dirige, il a un doigt dans tout appareil économique, politique, militaire et autre, et une division de notre parti ouvrirait une lézarde dans tout le système du pouvoir d’Etat dans notre pays. Et pourquoi, je vous le demande, l’oublient-ils à présent, pourquoi veulentils maintenant un système de deux partis, pourquoi estiment-ils aujourd’hui que tous les moyens sont bons.

Cela, encore une fois, ne peut s’expliquer que si l’on nie l’existence de la dictature du prolétariat dans notre pays, car sans elle qu’importe que l’on scinde ou non la Guépéou, c’està-dire une « police politique secrète », que l’on scinde ou non l’armée puisque c’est une armée de « prétoriens »[Note des Ed 29] que l’on scinde ou non l’appareil d’Etat, que nous importe cet appareil si c’est une force qui nous est hostile, autrement dit avec des raisonnements de ce genre on peut oublier tous les discours enflammés prononcés il y a quelque dix-huit mois par les camarades Zinoviev, Kamenev et compagnie, qui défilent à présent avec à leur tête ce vieil anti-léniniste qu’est le camarade Trotski.

Et, après tout cela, qu’on nous explique en quoi ce point de vue à l’égard de l’URSS se distingue de celui des sociaux-démocrates ? Les sociaux-démocrates sont-ils ici d’accord avec notre opposition ? Oui, à 100%. Seulement ils l’ont dit avant. Pour ce qui est de la nature de notre pouvoir d’Etat, les sociaux-démocrates, sont-ils d’accord avec notre opposition lorsqu’il déclare qu’il a dégénéré ? Ils le sont.

Et en ce qui concerne nos entreprises d’Etat, sont-ils d’accord que l’on y voit renaître les rapports d’avant- guerre ? Là aussi ils sont d’accord. Et l’affirmation que le plan coopératif conduit non au socialisme mais au capitalisme ? Les sociaux-démocrates disent aussi la même chose. Au sujet de la situation de la classe ouvrière, comme quoi point n’est besoin de rationaliser notre industrie, et l’ouvrier doit arracher le plus possible ; dans les discussions sur le régime, rien ne distingue aujourd’hui l’opposition des mencheviks. Nous ne pouvons trouver aucune différence de principe entre vous, camarades de l’opposition, et les sociaux-démocrates. Ce que vous dites, c’est du néo-menchevisme, un nouveau menchevisme qui pousse comme un champignon.

Dans l’acte d’accusation que l’opposition dresse dans sa plate-forme il n’y a pas un mot de vrai. Ne s’y borne-t- on pas à répéter ce que disent les sociaux-démocrates ? Les principales accusations portées contre notre parti dans la plate-forme de l’opposition, c’est que nous voudrions liquider le monopole du commerce extérieur, rembourser les dettes d’avant-guerre, élargir les droits politiques du koulak et abandonner la Chine. Or, les auteurs de la plate-forme savent parfaitement et ne peuvent nier que toutes ces accusations sont fausses d’un bout à l’autre, à cent pour cent. Ils savent que nous sommes entièrement aux côtés de la révolution chinoise. Par des déclarations de ce genre ils nous calomnient. Ils disent que nous voulons liquider le monopole du commerce extérieur, or, ils savent très bien que c’est faux. Ils parlent des privilèges que nous aurons accordés aux koulaks, sachant parfaitement que ces derniers n’en ont aucun et qu’ils ont été privés du droit de vote dans les sociétés agricoles. Ils savent que tout cela, ce sont des mensonges à cent pour cent, des mensonges que l’opposition répète à l’unisson du camp libéral et menchevik, comme Trotski le déclarait à juste raison en 1923, à propos de la question de « Thermidor », etc. On voit ce qu’il en est à présent.

La base sociale de l’opposition[modifier le wikicode]

Nous pouvons et devons définir la base sociale de l’opposition, ce qu’elle représente, ce qu’elle exprime. Je distingue la base directe de l’opposition et son rôle accessoire, ce qui est tout autre chose. Peut-être un groupe dont les intérêts de la petite bourgeoisie constituent la base et dont le rôle accessoire est qu’il vient en aide à la grande bourgeoisie. Bref, son rôle accessoire ne coïncide pas avec sa base sociale. Avant tout, à propos de la base sociale de l’opposition. Tout n’est pas encore entièrement réglé dans notre pays. Nous avons beaucoup progressé, mais notre développement est contradictoire. Le chômage des employés, couche qui se situe entre l’intelligentsia et les citadins pauvres, est toujours caractéristique de nos villes. Nous nous posons aujourd’hui pour objectif de lutter contre le bureaucratisme et l’une des mesures à cet égard est la réduction de notre appareil d’Etat soviétique. Nous l’avons déjà fait une fois, à présent nous le réduisons encore de 20%. Si vous analysez la composition de cette catégorie sociale que constituent les chômeurs, vous constaterez que les employés en forment une très grosse partie, or, à présent nous nous apprêtons non pas à élargir notre appareil d’Etat, mais au contraire à le réduire. Vous pensez peut-être que cela se passe facilement ? C’est une couche énorme, à présent évincée par la compression de notre appareil, couche qui n’est pas purement prolétarienne, composée de petits salariés, de fonctionnaires, mais qui veulent manger eux aussi. Bien entendu, ces chômeurs ne sont pas très contents de la purge et de la compression incessantes de notre appareil lorsqu’ils sont congédiés et jetés à la rue. Mais nous comprenons tous parfaitement que dans l’intérêt de notre Etat prolétarien dans son ensemble nous devons simplifier notre appareil, et je le répète, il en résulte que des gens sont jetés à la rue. Ce n’est pas là une opération particulièrement agréable, et même si elle s’inspire de hautes considérations, de la raison d’Etat, la vie de beaucoup n’en est pas rendue plus facile. Cette masse tient par bien des racines à l’intelligentsia, elle est liée par ailleurs à la masse de la population pauvre des villes. Nous avons beaucoup parlé de la spéculation. Mais à Moscou vous avez devant les yeux le tableau suivant : la masse de la population pauvre spécule, s’embauche chez les gros accapareurs, fait la queue, leur procure parfois des livrets de coopérateurs, reste en attente des journées entières pour se procurer quelque marchandise. Ce sont, en somme, des agents du privé qui tient derrière eux. Pensez-vous qu’ils sont très satisfaits de notre régime ? Ils sont également liés à différents groupes de la population, et même à certaines couches, infimes il est vrai, d’ouvriers et de paysans se trouvant dans les villes. Pouvons-nous, aujourd’hui, ne pas réduire notre appareil d’Etat ? Nous ne le pouvons pas. Pouvons-nous, aujourd’hui, satisfaire toute notre intelligentsia et notre semi-intelligentsia ? Non, nous ne le pouvons pas. Ces couches manifestent un certain mécontentement d’une telle situation. Elles forment la principale base de l’opposition. Lorsque nous comparons dans notre parti les cellules ouvrières et celles des établissements d’enseignement supérieur nous constatons que le pourcentage des partisans de l’opposition dans les cellules de ces établissements est plus élevé que dans les cellules ouvrières. Pourquoi ? Parce que la composition de ces cellules est en rapport avec celle des couches dont je viens de parler. L’opposition brandit le drapeau idéologique de la gauche, mais elle exprime la pression de toutes ces couches, parmi lesquelles une partie des ouvriers chômeurs les plus arriérés qui ne comprennent pas dans quelle situation nous nous trouvons et pour lesquels cette situation est difficilement supportable. Mais le rôle décisif est joué ici, le noyau principal est constitué par la petite bourgeoisie des villes et les employés, les couches semi-intellectuelles particulièrement obstinées et surtout la jeunesse, toutes forces qui font preuve d’une capacité de résistance exceptionnelle et sont étroitement liées aux autres catégories de chômeurs. Telle est, à mon avis, la base sociale de notre opposition, mais, je le répète, aujourd’hui il importe non seulement de connaître la forme sociale de l’opposition, sa base, mais aussi de comprendre son rôle subsidiaire.

L’opposition sert de drapeau à toutes les forces contrerévolutionnaires[modifier le wikicode]

Nous devons malheureusement constater que l’opposition, brisant le cadre de la légalité soviétique, se met peu à peu directement au service de nos adversaires. Les camarades de l’opposition formulent contre nous des accusations comme celles-ci : vous, qui êtes de véritables thermidoriens, vous voulez nous, terroriser au CC, nous, les révolutionnaires authentiques, vous voulez qu’on nous confonde, comme à l’époque de Thermidor, avec la pègre, avec les contre-révolutionnaires, vous voulez créer un « amalgame » où le diable lui-même ne s’y retrouverait pas, vous voulez nous faire passer en sous-main pour des contrerévolutionnaires. Un amalgame est un amalgame, mais les faits sont les faits. Au plénum du CC, j’ai cité un certain nombre de passages d’un « amalgamiste » tel que le camarade Lénine. Je me contenterai de rappeler aujourd’hui des extraits de la résolution que l’on sait du Xe congrès du parti sur l’unité du parti, non pas ceux que l’on cite habituellement, mais d’autres. Voilà ce que Vladimir Ilitch écrivait dans la résolution du Xe congrès :

« L’exploitation par les ennemis du prolétariat de toute déviation de la stricte ligne communiste a été illustrée, de la façon la plus saisissante sans doute, par l’émeute de Cronstadt, où la contre-révolution bourgeoise et les gardes blancs de tous les pays du monde se sont aussitôt montrés prêts à accepter même les mots d’ordre du régime soviétique pourvu que fût renversée la dictature du prolétariat en Russie, où les socialistes-révolutionnaires et, de façon générale, la contre-révolution bourgeoise, ont utilisé à Cronstadt les mots d’ordre d’insurrection, soi-disant au nom du pouvoir des Soviets, contre le gouvernement soviétique de Russie. De tels faits prouvent pleinement que les gardes blancs veulent et savent se camoufler en communistes et même en communistes d’extrême gauche, à seule fin d’affaiblir et de renverser le rempart de la révolution prolétarienne en Russie. Les tracts mencheviks de Cronstadt montrent de même comment les mencheviks ont mis à profit les divergences et certains germes de fractions à l’intérieur du Parti communiste de Russie pour inciter et soutenir dans la pratique les émeutiers de Cronstadt, les socialistes-révolutionnaires et les gardes blancs, en se faisant passer pour des adversaires d’émeutes et partisans du pouvoir soviétique, soi-disant à quelques réserves près »[Note des Ed 30].

Le paragraphe 3 stipule : « La propagande à ce sujet doit, d’une part, expliquer à fond combien l’esprit fractionnel est nuisible et dangereux pour l’unité du parti et la réalisation de l’unité de la volonté de l’avant-garde prolétarienne, condition essentielle du succès de la dictature du prolétariat ; d’autre part, elle doit expliquer le caractère spécifique des dernières manœuvres tactiques des ennemis du pouvoir des Soviets. Ces ennemis, convaincus désormais que la contre-révolution tentée ouvertement sous le drapeau des gardes blancs est condamnée, font tous leurs efforts pour se raccrocher aux divergences à l’intérieur du PCR ; et aussi pousser en avant la contre-révolution, de façon ou d’autre, en remettant le pouvoir au groupe politique qui semble le plus proche du pouvoir soviétique.

La propagande doit aussi mettre en lumière l’expérience des révolutions précédentes, où la contre-révolution appuyait l’opposition la plus voisine du parti révolutionnaire extrême, afin d’ébranler et de renverser la dictature révolutionnaire, frayant ainsi la voie à la victoire complète de la contre- révolution, des capitalistes et des grands propriétaires fonciers »[Note des Ed 31].

Les trotskistes déblayent la voie pour la « troisième force »[modifier le wikicode]

Le camarade Lénine a plus d’une fois soulevé ce problème de la troisième force. Et si une faille s’ouvrait dans le parti ? La troisième force veille. Qui soutiendrait celle-ci directement ou indirectement commettrait un grand crime. Dans notre pays, il y a des mécontents. Nous écrivons et disons qu’une guerre est possible. Vous comprendrez facilement que parmi ces groupes on spécule à l’envi sur l’éventualité d’une guerre : peut-être y aura-t-il la guerre ? Alors pensent-ils, nous nous lèverons et nous montrerons de quoi nous sommes capables. Et à cette guerre ils se préparent, ils s’apprêtent à mettre à profit la moindre faille.

Comment l’opposition en est-elle arrivée à violer non seulement les statuts du parti, mais aussi les lois de la dictature du prolétariat, c’est-à-dire à briser des pièces maîtresses de la dictature du prolétariat, d’où l’apparition d’une faille que nos adversaires se feront un plaisir de mettre à profit ? Cela, il faut le comprendre. Naturellement, il en va tout différemment si l’opposition estime qu’il n’y a pas chez nous de dictature du prolétariat, il faut alors lui dire : allez-vous en, constituez un deuxième parti et laissez-nous tranquilles ; nous nous battrons honnêtement, mais cessez de tourner en tous sens de sorte qu’on n’y comprend plus rien car, d’une part, vous parlez de dictature du prolétariat et, d’autre part, de «Thermidor». De quel « Thermidor » peut-il être question s’il y a la dictature du prolétariat et de quelle dictature, s’il y a « Thermidor » ? Car ce qu’il y a chez vous, c’est une ligne de conduite bouffonne et non l’expression honnête de vos points de vue. Séparons-nous donc en ennemis honnêtes. A quoi bon ces folles simagrées ? Quand vous violez la légalité soviétique, vous encouragez toutes sortes de canailles.

Maintenant à propos du prétendu complot militaire. Je dois parler de ce complot parce que l’opposition a écrit à ce propos dans l’organe de Maslov, citant des noms et prévenant ainsi ceux que nous n’avons pas encore arrêtés mais que nous devons arrêter. Jusqu’à présent, si des activités contre-révolutionnaires étaient chez nous mises au jour, les membres du Comité centrai et ceux du parti en général, les membres honnêtes et non les filous, prêts à dénoncer Lominadzé aux espions de la police de la république d’Hindenburg, mais les révolutionnaires authentiques, honnêtes, estimaient devoir garder le silence aussi longtemps que cela était nécessaire. Or, figurez-vous que l’organe de Maslov a publié, assorties de remarques ironiques, des dépositions et autres pièces d’une enquête encore inachevée concernant un groupe contre-révolutionnaire récemment découvert. Nous savons qui était au courant de ces dépositions : des membres du Comité central du PC(b) de l’URSS.

Je parlerai dans les limites de ce qui a été rendu public grâce à l’opposition. Voici comment les choses se sont passées. A la suite de la découverte d’une imprimerie clandestine de l’opposition, il a été établi que certains collaborateurs de cette imprimerie étaient liés par différentes filières à des groupements militaires qui envisageaient d’exécuter chez nous un coup d’Etat du genre de celui de Pilsudski. Parmi eux figuraient d’anciens colonels de Koltchak, un communiste de l’opposition actuellement arrêté et encore différents personnages. Cette confrérie de militaires était farouchement antisémite. Ils affirmaient ouvertement à leurs « associés » : ce n’est pas vous, « saligauds », qui déciderez en fin de compte, mais nous vous utiliserons en attendant. Ils tentent de démontrer par les considérations les plus compliquées que ce qu’il faut actuellement, c’est sauver le pays de la « catastrophe » par un coup d’Etat analogue à celui de Pilsudski, d’autant que ce dernier a réussi sans tapage, sans intervention étrangère. Pour faire ce coup d’Etat ils ont besoin de gens décidés, il leur faut mettre à profit les désaccords au sein du parti. On nous traite d’« amalgamistes », mais je pense que si les camarades lisaient les procès-verbaux du plénum du CC, ils verraient que dans cette question le camarade Trotski s’est bel et bien fait prendre. Je lui ai demandé : y a-t-il parmi les détenus un sans-parti dont l’opposition exige la libération ? Et exige-t-elle toujours sa libération ? Trotski crie de sa place: «Nous l’exigeons, s’il est jugé pour l’affaire de l’imprimerie». Je demande: «Et si c’est pour l’affaire du complot militaire ? ». « Alors faites en ce que vous voudrez ». — « Et si c’est pour l’une et l’autre affaire ? » Il se trouble et dit : « Vous avez, pour arriver à vos fins, utilisé des prête-noms, etc. ». Je lui dis : qu’importe le moyen utilisé, mais si une personne travaillant dans votre imprimerie était en même temps en rapports avec des conjurés militaires, vous reconnaissez que l’on peut la traiter comme on veut, vous reconnaissez donc que dans la vie l’« amalgame » est possible, et que par conséquent, vous êtes le canal par lequel s’introduisent ceux qui, d’une part, travaillent dans votre imprimerie et, d’autre part, suivent les officiers de Koltchak. C’est ce qui se passe en réalité.

Camarades, je vous prie de ne pas oublier qu’aucun d’entre nous n’a jamais songé à accuser l’opposition de complot contre-révolutionnaire, les choses ne sont pas encore arrivées jusque-là. Ce dont nous les accusons, c’est d’attirer et d’encourager par leur lutte impudente contre la légalité du parti et la légalité soviétique, par leur violation éhontée des lois de la dictature du prolétariat, toute sorte de racaille. Cette racaille s’accroche aux pans de l’opposition, cherche à se glisser avec elle par la faille qu’elle a ouverte et à se faire passer pour son allié. On nous répond avec indignation : ils ne sont pas des nôtres, nous sommes nous-mêmes prêts à les fusiller, prenez-les, faites-en ce que vous voulez. Nous savons ce qui doit suivre : l’opposition rejettera cette racaille, mais celle-ci se cramponnera de nouveau à elle par différents moyens. Pourquoi ? Parce que les adversaires de notre pouvoir dans le pays comprennent parfaitement, qu’en brisant le cadre de la dictature par leur lutte à l’intérieur du parti, cadre établis par le régime du parti, ils ouvrent une faille par où se précipitent tous les autres.

Voilà pourquoi le camarade Kamenev avait tout à fait raison, s’agissant de l’époque actuelle, d’affirmer dès janvier 1925 : « l’opposition de Trotski est devenue le symbole de toutes les forces anticommunistes ».

On nous traite de «bonapartistes», d’« usurpateurs », etc., mais que dissimulent tous ces cris ? En général, qu’entendait-on jusqu’à présent par bonapartisme ? Jusqu’à présent, on qualifiait de Bonaparte ou de bonapartistes une forte personnalité ou un groupe de gens violentant la volonté d’une grande collectivité et en appelant à la rue. Nous avons un parti fort d’un million de membres, ce parti est animé d’une volonté collective élaborée et incarnée dans les congrès, et en face il y a quelques personnes qui, à la gare de Yaroslavl, en appellent aux laitières. Et ces isolés se dressent contre toute une immense collectivité, lui disent : « Ce sont là des bonapartistes ; nous, nous incarnons la volonté du parti ».

Il se passe une chose étrange. Ils disent : « Vous enfreignez la volonté du parti » ; autrement dit, l’écrasante majorité du parti et le congrès enfreignent la volonté du parti alors qu’eux, la poignée de héros de la gare de Yaroslavl[Note des Ed 32], incarnent la volonté du parti. Ils disent : nous sommes des démocrates et vous des usurpateurs. Mais, visiblement, pour eux la « démocratie » consiste à n’exécuter aucune décision de la majorité et à violer de la façon la plus grossière ses propres promesses. C’est cela la démocratie, et le contraire, c’est de l’« usurpation », du «bonapartisme », etc. Ici, non seulement tout se passe dans la tête mais marche sur la tête, et cela s’appelle la position de l’opposition.

Mais voyez ce qu’en pensent nos ennemis. Il n’y a pas si longtemps de cela a paru dans la presse une appréciation de Lloyd George, qui est un homme très intelligent. Lénine voulait lui dédier sa brochure La maladie infantile du communisme (le « gauchisme ») avec un soustitre ironique. J’ai vu ce manuscrit quand Lénine me l’a envoyé, avec une dédicace à « monsieur Lloyd George pour ses discours ça et là presque marxistes ». Lénine voulait dire : quel animal rusé que ce Lloyd George, comme il sait voir la composition de forces sociales dangereuse pour lui, et l’analyse de façon presque marxiste. Lloyd George a écrit au sujet de Trotski que ses phrases de gauche sont du galimatias, mais que s’il est question de fortes personnalités à tendances bonapartistes, elles ne peuvent venir que de là. Il est évident que cela ne se produira jamais.

L’idéologie de l’opposition est une idéologie néo-mencheviste[modifier le wikicode]

Mais je dois à ce propos vous mettre au courant d’un ouvrage intéressant. Il est vrai que cet ouvrage je ne l’ai pas malheureusement in extenso, mais sous la forme d’un compte rendu du rapport d’une personne sur son point de vue relatif au 10e anniversaire de la révolution d’Octobre. Cette personne écrit ceci — je ne donnerai lecture que les passages les plus importants : « En URSS, on sent que tout le monde a été déçu par la révolution prolétarienne ». On assiste dans la paysannerie à un processus de bonapartisation. La paysannerie cherche un homme fort, ou tout au début, un groupe de personnes capables de consolider les conquêtes de la révolution paysanne. La soif d’accumuler, de vivre à son contentement s’éveille dans la paysannerie et elle commence à se montrer ouvertement hostile à la classe ouvrière. Les plus honnêtes et les plus consciencieux parmi les bolcheviks reconnaissent eux-mêmes ces dangers. Ainsi, en 1925, Kamenev mettait en garde son parti en signalant la croissance rapide du nombre des koulaks qui, selon ses calculs, constituaient dès cette époque environ 12% de la paysannerie151 et écoulaient sur le marché 60% de l’ensemble des biens produits par les paysans ». Parallèlement à l’augmentation du nombre des koulaks s’accroit le prolétariat agricole qui va grossir l’armée des chômeurs. Les étages inférieurs de l’édifice de l’Etat soviétique sont envahis, comme le déclarait un bolchevik honnête, par l’élément paysan. »

« Il a fallu sept années d’expérience pratique pour que les bolcheviks consciencieux, c’està-dire l’opposition communiste, reconnaissent ce fait en 1927. Cette opposition a déclaré, par la bouche de Trotski, au mois d’août, au plénum du CC : « De plus en plus le prolétariat se contracte, cédant la place à d’autres classes qui se développent de plus en plus». Par là même l’opposition dans le parti communiste a reconnu ce que Martov et tout le parti socialdémocrate de Russie n’ont cessé de répéter : la révolution socialiste en URSS est impossible, et si elle commence, elle échouera étant donné le bas niveau de développement économique et culturel de la Russie ». Feu Martov avait tout à fait raison lorsqu’il déclarait que seule la renonciation résolue à la dictature et le passage à la démocratie politique sauveront la révolution russe. « Ce point de vue, souligne le rapporteur, est aussi, à présent, partagé par les bolcheviks honnêtes ».

« La voie à suivre pour sauver la révolution et renverser la dictature bolchevique, le plus grand obstacle à la réalisation du socialisme, est-il dit en conclusion, réside dans une inlassable propagande antibolchevique et dans une pression appropriée sur la classe ouvrière de l’URSS. Et il faut dire que malgré notre situation clandestine en URSS, nous avons réussi et nous réussissons à orienter une partie de la classe ouvrière et même des membres du Parti communiste, sans que ces communistes s’en rendent compte, dans la bonne voie, dans la voie du renversement du bolchevisme. »

J’ai pris cette citation dans le rapport de Rafaïl Abramovitch, membre du CC du POSDR. Camarades, vous le voyez, la profonde parenté de toute la conception idéologique de la nouvelle opposition qui a Trotski à sa tête, avec le menchevisme ne fait aucun doute. Sous le couvert de gestes gauchistes, etc., l’opposition, en ce qui concerne les problèmes fondamentaux de notre révolution, passe en fait, disait Trotski en 1923, dans le camp des mencheviks et des libéraux. Il va sans dire qu’avec cette orientation il est difficile de mener une propagande énergique pour la défense de l’URSS. Et les camarades de l’opposition n’ont pas à prendre de grands airs ni à s’offusquer lorsque nous leur disons qu’ils sont objectivement à l’égard de notre république ce qu’étaient les « défensistes ». Car on ne saurait galvaniser les ouvriers en leurs disant : défendez l’URSS parce que là-bas il y a des thermidoriens. On ne saurait non plus dire à la classe ouvrière des autres pays : prenez les armes pour défendre l’URSS, bien que la situation en Union Soviétique soit pire et il y ait moins de liberté qu’en Allemagne. Car c’est là une position absolument hypocrite. Et pour sortir de là il n’y a qu’un moyen : ou bien s’engager ouvertement sur les rails du menchevisme, faire ouvertement bloc avec les mencheviks, ou bien reconnaître ouvertement ses erreurs et ses crimes envers le parti. Il n’est pas de troisième voie. Nous appelons l’opposition à faire son choix ; se joindre ouvertement aux mencheviks ou bien être avec nous en reconnaissant ses crimes.

Nous irons de l’avant tant que nous sommes vivants ![modifier le wikicode]

Camarades, l’une de nos tâches principales, c’est la lutte systématique par la persuasion, la lutte pour chaque ouvrier honnête de l’opposition, car nous ne devons rien négliger pour gagner les ouvriers honnêtes et réellement révolutionnaires. L’un des objectifs de notre discussion est d’amener à changer d’avis les partisans honnêtes de l’opposition qui bien que peu nombreux n’en existent pas moins. Alors les chefs de l’opposition, ces amiraux de la flotte suisse, abandonnés par leur armée, abandonneront cette lutte funeste et reconnaîtront leurs erreurs, ou bien ils passeront ouvertement dans le camp des mencheviks. Ce dernier cas sera extrêmement regrettable si l’on considère le destin individuel de ces chefs. Sincèrement nous ne voulons pas cela, mais nous ne pouvons, par compassion pour telle ou telle personnalité, même ayant rendu de très grands services à notre mouvement ouvrier, sacrifier le présent par considération pour ce passé, sacrifier les intérêts actuels véritables, communs, de notre classe ouvrière. Et nous déclarons que nous combattrons résolument tous ceux qui tentent d’entraîner ou entraînent leurs camarades dans le marais menchevik.

Ce n’est pas pour faire marche arrière et revenir aux positions des déserteurs d’Octobre que nous avons pris le pouvoir, que nous avons fait la révolution. Nous avons pris en mains le drapeau de la révolution d’Octobre pour aller de l’avant et nous irons de l’avant tant que nous sommes vivants !

N. Boukharine : Le parti et l’opposition au seuil du XVe congrès du parti.

Le 26 octobre 1927,

Gosizdat, Moscou, Leningrad, 1927.

  1. Comités exécutifs des volosts (N.d.L.R.).
  1. Il s’agit du plénum conjoint du CC et de la CCC du PC(b)US (21- 23 octobre 1927), qui a approuvé les thèses du rapport au XVe congrès du parti « Sur les directives en vue d’établir un plan quinquennal de l’économie nationale » et « Sur le travail à la campagne », plénum qui a pris la décision d’engager une discussion interne au parti avant le congrès. Ce plénum a résolu d’exclure Zinoviev et Trotski du CC du PC(b)US par ce qu’ils poursuivaient leur activité fractionnelle.
  2. Le XVe congrès du PC(b)US s’est déroulé du 2 au 19 décembre 1927 à Moscou. Le congrès a jugé que la tâche primordiale du parti était de transférer l’agriculture à une grande production socialiste s’appuyant sur des techniques nouvelles. Il a élaboré des directives en vue d’établir un plan quinquennal de développement de l’économie nationale et prêté attention à la consolidation de l’unité du parti, il a dressé le bilan de plusieurs années de lutte contre le trotskisme. Le XVe congrès du PC(b)US est entré dans l’histoire comme une étape importante dans la préparation de l’offensive du socialisme sur tout le front.
  3. Il s’agit de l’insurrection contre-révolutionnaire en Géorgie, qui a éclaté le 28 août 1924. Elle avait été provoquée par les mencheviks qui avaient tiré parti du mécontentement des paysans, suscité par des erreurs et des exagérations graves des organismes du parti et des Soviets dans le cadre de la réforme agraire, de la politique fiscale et des mesures antireligieuses.
  4. Il est question en particulier d’une déclaration de L. Kamenev au XIVe congrès du PC(b)US : « Ce n ’est pas nous qui avons « réglementé » le moujik cette année (1925. — N. d. R.), mais c’est le moujik qui nous a « réglementés ».» (Voir : le XIVe Congrès du Parti communiste (bolchevik) de l’Union Soviétique : compte rendu sténographique. Moscou, Leningrad, 1926, p. 263).
  5. Cf. Lénine : Œuvres, t. 17, p. 52.
  6. La Commission centrale de contrôle du PC(b) de l’URSS, organe supérieur de contrôle du parti entre 1920 et 1934. Son libellé initial est Commission de contrôle du PC(b)R, mais à dater du Xe congrès, elle en devient la Commission centrale de contrôle du PC(b)R. Elue par le congrès du parti.
  7. Voir note n° 101 (sur le sens du mot « Thermidor »).
  8. Boukharine cite d’après l’édition : Lénine N. (Oulianov V.) : Œuvres, Moscou, Gosizdat, 1924, t. XVIII, première partie, p. 255. (Cf. Œuvres, t. 32, p. 377).
  9. Cf. V. Lénine : Œuvres, 4e édition russe, t. 43, p. 382.
  10. La NOP : nouvelle duperie du prolétariat. C’est ainsi que les ennemis du parti avaient transformé le mot NEP.
  11. Il s’agit du premier plan quinquennal de développement de l’économie nationale (1929- 1933) élaboré sur la base des directives du XVe Congrès du PC(b) de l’URSS (1927) et approuvé par le Ve Congrès des Soviets de l’URSS (1929). La tâche principale du plan quinquennal consistait à construire les fondements de l’économie socialiste, à évincer toujours plus les éléments capitalistes dans les villes et à la campagne et à consolider la capacité de défense du pays.
  12. Il s’agit du plénum conjoint du CC et de la CCC du PC(b) de l’Union Soviétique, réuni du 29 juillet au 9 août 1927 à Moscou. Ce plénum a discuté des questions de politique internationale, d’édification économique et de la vie intérieure du parti.
  13. Changement de jalons. Courant politique et social apparu en 1921, essentiellement dans l’intelligentsia russe émigrée blanche. Ce label provient d’un recueil Sména vekh (Le changement de jalons) édité à Prague en 1921. Les « sménovekhovtsy » voyaient dans le passage à la NEP une évolution du pouvoir soviétique en direction d’une restauration du capitalisme et proposaient leur coopération dans l’espoir que l’Etat soviétique deviendrait une république bourgeoise.
  14. Il s’agit d’une session anniversaire du Comité exécutif central de l’URSS, consacrée au 10e anniversaire de la Grande révolution socialiste d’Octobre, et qui s’est déroulée du 15 au 20 octobre 1927 à Leningrad.
  15. Référence à un discours de Smilga au plénum conjoint du CC et de la CCC du PC(b) de l’URSS, les 21-23 octobre 1927 à Moscou.
  16. V. Lénine : Œuvres, t. 33, p. 480.
  17. Ibid., p. 486.
  18. Ibid., p. 486-487.
  19. Ibid., p. 487 (souligné par Boukharine).
  20. Ibidem (souligné par Boukharine).
  21. Le Kuomintang (parti national) : parti politique en Chine, créé en 1912. Jusqu’à 1927, a joué un rôle progressiste, puis est devenu un parti gouvernant de la réaction bourgeoise et terrienne, lié à l’impérialisme étranger. Le pouvoir du Kuomintang a été renversé par le peuple chinois en 1949. Après cette date, le Kuomintang a survécu à Taïwan.
  22. Il s’agit du Manifeste « A tous les ouvriers, travailleurs, paysans et soldats rouges de l’URSS. Aux prolétaires de tous les pays et aux peuples opprimés du monde », adopté à la session anniversaire du Comité exécutif central de l’URSS réunie du 15 au 20 octobre 1927 à Leningrad. Ce manifeste annonçait la transition des ouvriers de fabriques et d’usines, au cours des toutes prochaines années, d’une journée de travail de 8 heures à celle de 7 heures. Le 2 janvier 1929, le CEC et le Conseil des Commissaires du Peuple de l’URSS ont adopté une résolution sur la journée de travail de 7 heures.
  23. Référence à l’association des groupements révisionnistes créée par Trotski en 1912, et dont le nom est devenu le nom générique pour les accords sans principes.
  24. Le groupe de Maslov en Allemagne est un groupe « d’ultra- gauchistes » dont l’un des leaders était A. Maslov. Il était opposé à la tactique du front unique.
  25. Le Profintern : Internationale syndicale rouge, association internationale des syndicats révolutionnaires entre 1921 et 1937. Elle a tenu 5 congrès (à Moscou). Conformément à la ligne du VIIe congrès de l’internationale communiste (1935) elle a contribué au regroupement du mouvement syndical dans un certain nombre de pays.
  26. Il s’agit du comportement de Zinoviev et Kamenev en octobre 1917, lorsqu’ils ont pris position contre l’insurrection armée et ont révélé le moment où elle devait avoir lieu.
  27. Référence à la déclaration de certains commissaires du peuple du premier gouvernement soviétique qui avaient déclaré en novembre 1917 vouloir démissionner devant le refus du CC du parti d’accepter les revendications des partis conciliateurs qui voulaient créer ce que l’on appelait un gouvernement socialiste homogène.
  28. Guépéou (GPOU) (Direction politique d’Etat auprès du NKVD de la RSFSR) : Service de sécurité d’Etat en 1922-1923, créé sur la base de la Tchéka. Transformé en OGPOU (Direction politique d’Etat unie).
  29. Les prétoriens : dans la Rome antique, ce fut tout d’abord une garde des chefs de guerre, puis une garde impériale ; participaient aux coups de palais. Au sens figuré, éléments militaires qui soutiennent un tyran.
  30. V. Lénine : Œuvres, t. 32, p. 253.
  31. Ibid., p. 253-254.
  32. Par « héros » de la gare de Iaroslavl, il faut entendre, ironiquement, les participants à la manifestation trotskiste organisée le 9 juin 1927.