Le malaise

De Marxists-fr
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L’assemblée a été saisie de la question du « Comité secret ». Ce dernier a pour but de donner aux parlementaires la possibilité de « s’expliquer librement et de dissiper le malaise régnant actuellement ». Le comité a été refusé par les ministres et la presse « fidèle » en tant que menace d’une crise. Mais à peine rejeté, il revient sur le tapis. La vie de la France et sa politique tournent autour de Verdun comme autour d’un axe. L’exigence d’un Comité secret se manifeste à nouveau victorieusement à propos la question de Verdun.

Le 10 Mai, le Matin publia un article énigmatique se référant à un article de Hervé : « Victoire » autorisé par la censure, d’après lequel le Haut-Commandement aurait signé, dès les premiers jours de la ruée allemande sur Verdun, l’ordre de retraite sur la rive gauche de la Meuse; le général de Castelnau aurait donné le contre-ordre : résister à tout prix, sauvant ainsi Verdun. L’article fit sensation, mais provoqua un démenti formel par l’intermédiaire, « on se demande pourquoi », du ministère des Affaires étrangères. La presse polémiqua avec la censure qui usa de ses arguments : les ciseaux et le bâillon. Quelques journaux furent suspendus pendant quatre jours. A l’affaire, se mêla le « sieur » Hervé, plus dangereux qu’un ennemi. Suivant lui, l’article serait l’œuvre de partisans de Castelnau à l’insu de ce dernier. Il serait du domaine de la plus haute fantaisie d’y voir une attaque du chef d’état-major contre le Haut-Commandement. Les relations de Joffre et de Castelnau seraient des meilleures, bien qu’ils aient un point de vue différent quant au Saint-Esprit.

Sur une initiative de Renaudel, une session spéciale de la commission de guerre du Parlement écouta les explications fournies par le ministre de la Guerre et par Briand et en conclut à une réglementation de la censure et à l’envoi sur le front de Verdun de « commissaires spéciaux ».

Clemenceau, président de la commission de Guerre du Sénat, fit ce « grand voyage » sur le front et en rapporta des preuves inattaquables confirmant ce qu’il écrivait depuis plus d’un an en luttant contre la censure : l’armée française est au-dessus de toute comparaison, mais il faut lui donner un Haut-Commandement correspondant à sa valeur. Une de ces preuves, qui avait été formulée, bien avant le voyage, dans la presse inspirée par le député Abel Ferry, serait le manque total de fortifications du côté nord de Verdun.

La session, après la « trêve » de Pâques, fut extrêmement mouvementée. Le Président du Conseil, après les interventions qui le « chatouillaient », prononça un discours de combat, reprenant l’ancienne thèse déjà rebattue que le ministère ne peut exister sans la pleine confiance du Parlement. Le succès de Briand fut purement arithmétique. Clemenceau put écrire que les jours du gouvernement étaient comptés, et le « vieux Tigre » s’y connaissait ! La question d’un « Comité Secret » reprit toute son acuité. La nécessité de réunir vingt voix fut satisfaite le 26 Mai (168 voix) et la question sembla résolue. Le gouvernement ne voulait pas de « séances secrètes », nous le croyons volontiers. Mais, d’autre part, à en juger par le Rappel, on pouvait s’attendre à un changement de position de la part de Briand. C’est ce que font remarquer les commentaires aigres-doux du Temps, et le fait que la girouette de la Victoire se soit mise résolument du côté d’ « un Comité secret ». Hervé met à l’ordre du jour : les lourdes fautes commises devant Verdun du 21 au 26 février, le pourquoi de l’immobilisme des armées alliées et d’autres contradictions frappantes. Mais Hervé nous avertit : ne vous croyez pas revenus à l’époque de la Convention ! Cet avertissement est fait avec un tel cynisme qu’il met fin aux illusions du social-patriotisme et à la phraséologie révolutionnaire de la première période de la guerre. Il faut citer ce texte ! « La Convention s’appuyait sur les passions révolutionnaires : la guerre contre l’Europe était une guerre civile contre toutes les aristocraties, la Marseillaise et la Carmagnole étaient des chants de guerre civile. Nous vivons maintenant à l’époque de « l’Union sacrée » qui est opposée diamétralement aux passions révolutionnaires ».

Voilà pourquoi Hervé recommande de ne pas renverser le ministère. Quel principe nouveau le Parlement peut-il opposer au « principe » de Briand ? Dans tous les cas, « notre pouvoir exécutif » comprend une « équipe » de personnalités aussi fortes que celles qui prétendent les remplacer.

Attendons donc de voir par quelles méthodes l’Assemblée dissipera le « malaise » régnant en ce vingt-deuxième mois de la guerre.