Le flot monte. La conjoncture économique et le mouvement ouvrier mondial

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I

On commence à distinguer dans le mouvement ouvrier d'Europe les symptômes d'un flux révolutionnaire. On ne peut encore prédire l'approche de la dernière et de la plus haute vague. Mais il est certain que la courbe révolutionnaire accuse une tendance ascendante.

C'est dans la première année de l'après-guerre, en 1919, que le capitalisme européen se trouva dans la situation la plus critique. La lutte atteignit sont point culminant en Italie, en septembre 1920, à un moment où l'Allemagne, l'Angleterre, la France avaient déjà surmonté les plus grandes difficultés de la crise politique. Les événements de mars 1921 ne furent, en Allemagne, qu'un écho attardé d'une époque révolutionnaire épuisée et non le commencement d'une nouvelle ère de combats. Dès le début de 1920 le Capital et l'Etat capitaliste, leurs positions fortifiées, passent à l'offensive. Les masses laborieuses de plus en plus, sont réduites à la défensive. Les partis communistes constatent qu'ils ne forment encore qu'une minorité. A certains moments on peut même avoir la sensation qu'ils sont isolés de la grande majorité de la classe ouvrière. Mais à l'heure actuelle le revirement est manifeste. L'offensive révolutionnaire de la classe ouvrière va en croissant. Les horizons du champ de bataille s'élargissent.

Ce changement d'étape résulte de causes assez complexes : mais la cause primordiale en est dans les très capricieux contours en zig-zag d'une évolution qui réfléchit exactement le développement du capitalisme d'après-guerre.

Le moment le plus critique pour la bourgeoisie européenne, ce fut la période de démobilisation, le retour du front des soldats et leur rentrée dans la production. Les premiers mois de l'après-guerre furent remplis d'énormes difficultés qui amenèrent une accentuation de la lutte révolutionnaire. Mais les coteries bourgeoises au pouvoir se ressaisirent tout de suite et inaugurèrent une politique financière et sociale assez large, de nature à pallier aux effets de la démobilisation. Le budget des Etats resta aussi considérables que pendant les hostilités. Un grand nombre d'exploitations industrielles superflues furent maintenues en activité. Des commandes qui auraient dû l'être ne furent pas annulées, par crainte du chômage. Les logements furent souvent laissés à des prix ne couvrant pas même les frais des réparations. Les gouvernements continuèrent de dégrever à leurs frais le prix des viandes et des céréales importées. En d'autres termes les dettes publiques s'accrurent, le change se déprécia, les rouages de l'économie se détériorèrent à seule fin de prolonger, dans le commerce et l'industrie, la prospérité fictive du temps de guerre. Cela mit les magnats de l'industrie en état de renouveler l'appareil technique des principales industries et de l'adopter au temps de paix.

Mais cette prospérité fictive ne devait pas tarder à se heurter à l'appauvrissement général. L'industrie des articles de consommation quotidienne se trouva en présence d'un marché extrêmement rétréci.

Elle forma par la surproduction une première barrière, qui devint bientôt un obstacle au développement de la grande industrie. La crise prit une extension et revêtit des formes inouïes. Déclenchée au printemps de l'autre côté de l'océan, elle gagna l'Europe en 1920, et atteignit son apogée en mai 1921.

Il arriva donc qu'au moment où la crise industrielle et commerciale d'après-guerre commença de s'étendre après une année de prospérité fictive, le premier assaut spontané de la classe ouvrière contre la société bourgeoise tirait à sa fin. La bourgeoisie l'avait soutenu en tergiversant, en faisant des concessions, en résistant par les armes. Ce premier assaut prolétarien avait aussi été très chaotique. Les idées et les buts précis, les plans et la direction lui faisaient défaut. Son développement et son issue prouvèrent à la classe ouvrière que la modification de la situation et la transformation de la société bourgeoise constituent une tâche autrement difficile qu'on ne le prévoyait d'abord. Relativement homogène dans l'expression imprécise de ses sentiments révolutionnaires la classe ouvrière ne tarda pas à perdre son homogénéité et à se différencier intérieurement. Sa fraction la plus active et la moins liée par les traditions, après avoir reconnu la nécessité de buts clairs et précis et de l'unité organisatrice, se forma en partis communistes. Ses éléments conservateurs et peu conscients s'écartèrent temporairement des buts et des méthodes révolutionnaires. La bureaucratie ouvrière n'eut qu'à exploiter ces divisions pour rétablir sa position ébranlée.

La crise commerciale et industrielle printemps et de l'été 1920 éclata, je le répète, à une époque où la réaction politique et psychologique s'était déjà produite au sein de la classe ouvrière et provoqua ça et là des manifestations houleuses. Après l'offensive avortée de 1919 et la différenciation intérieure de la classe ouvrière, issue de la défaite, la crise économique ne pouvait plus conférer elle-même au mouvement ouvrier l'unité indispensable et le transformer en un assaut révolutionnaire décisif. Ce qui nous confirme dans la conviction que l'influence de la crise économique sur le mouvement ouvrier est loin d'être aussi égale que des esprits simplistes sont enclins à l'admettre. L'effet politique — et non seulement sa profondeur mais aussi la tendance — est déterminé par l'ensemble de la situation politique et par les événements qui la précédèrent et l'accompagnent. Mais surtout par les luttes, les succès et les insuccès de la classe ouvrière à la veille de la crise. En certains cas une crise peut donner une impulsion extraordinaire à l'action révolutionnaire prolétarienne ; en d'autres elle peut le paralyser complètement ; en se prolongeant, en imposant trop de sacrifices aux travailleurs, elle peut même le débiliter profondément.

On pourrait aujourd'hui compléter ces idées par l'hypothèse suivante : si la crise économique, accompagnée du chômage et de l'insécurité du lendemain, s'était produite immédiatement après la cessation des hostilités, la crise révolutionnaire de la société bourgeoise aurait revêtu un caractère autrement grave. C'est justement pour empêcher ce résultat que les gouvernements bourgeois se sont évertués à affaiblir la crise révolutionnaire en créant une prospérité financière fondée sur la spéculation. Cela veut dire qu'ils ont retardé de dix-huit mois l'inévitable crise industrielle et commerciale, au prix de la désagrégation ultérieure de leur mécanisme économique et financier. La crise qui en résulta fut d'autant plus profonde et plus aiguë. Mais au lieu de coïncider avec l'effervescence de la période de démobilisation, elle coïncida avec la dépression morale de la défaite, la rééducation des uns, la déception des autres et les scissions qui en découlaient par voie de conséquence.

L'énergie révolutionnaire de la classe ouvrière se concentrait et s'exprimait surtout par la formation des partis communistes. En Allemagne et en France ces partis devinrent tout de suite puissants. Le capital qui, en 1921, avait prolongé artificiellement une période de prospérité apparente, n'hésita pas, après avoir écarté le péril immédiat, à exploiter la crise dans le but de dérober à la classe ouvrière ses conquêtes ; journée de 8 heures, majorations de salaires, etc, toutes concessions octroyées dans la période antérieure pour des raisons de tactique et de sécurité. La classe ouvrière résista mais dut céder. A une époque où elle se vit contrainte de lutter — et cela très souvent sans succès — contre des réductions de salaire, les idées de conquête du pouvoir de république des soviets et de résolution sociale devaient pâlir dans sa conscience.

Dans les pays où la crise économique ne revêtit pas les formes de la surproduction et du chômage, mais celles plus graves encore de la vente au rabais et de l'avilissement des conditions d'existence de la classe ouvrière, comme en Allemagne, l'énergie que le prolétariat déploie à poursuivre des augmentations de salaires ressemble à celle d'un homme qui poursuivrait sa propre ombre. Le capital allemand, comme celui des autres pays, a passé à l'offensive. Et les masses ouvrières résistent mais doivent se retirer en désordre.

C'est dans ces conditions que se déroulèrent en Allemagne les événements de mars 1921. Effrayé par le reflux des forces révolutionnaires le jeune parti communiste allemand tenta un effort désespéré pour tirer parti de l'action d'un contingent ouvrier d'esprit combatif dans le but d'électriser l'ensemble du prolétariat et de provoquer un combat décisif.

Le III° Congrès de l'Internationale Communiste se réunit sous l'impression toute fraîche des événements de mars en Allemagne. Après un examen approfondi il reconnut l'étendue du péril qui pouvait résulter du désaccord entre la «méthode d'offensive», d' «électrisation» révolutionnaire et les procès d'évolution bien plus profonds en voie d'accomplissement au sein des masses ouvrières, en relations avec les variations de la situation économique et politique.

Si en 1918 en 1919 l'Allemagne avait un parti communiste aussi fort qu'en mars 1921, le prolétariat aurait très probablement conquis le pouvoir dès janvier ou mars 1919. Mais à cette époque il n'était pas question d'un semblable parti. Le prolétariat essuya une défaite. Et la croissance ultérieure du parti communiste fut le résultat de ces expériences. Mais le parti se serait suicidé s'il avait voulu agir en 1921 comme un parti communiste aurait dû agir en 1919.

C'est ce qu'a établi le dernier congrès. Les débats sur la théorie de l'offensive se rattachaient étroitement à l'appréciation de la conjoncture économique et de son développement futur. Les défenseurs les plus conséquents de la théorie de l'offensive développèrent le point de vue suivant.

La crise qui sévit dans le monde entier signifie la désagrégation de la société bourgeoise. Cette crise doit s'accentuer de plus en plus pour finir par rendre la classe ouvrière révolutionnaire. Le parti communiste n'a donc nulle raison de se retourner pour apercevoir ses réserves. Son devoir est de s'attaquer à la société capitaliste. Tôt ou tard le prolétariat fouetté par le besoin le soutiendra.

Ce point de vue ne s'est pas maintenu jusqu'au congrès sous une forme aussi prononcée. La commission chargée d'étudier la question économique en avait déjà adouci les contours. Mais l'idée seule qu'une crise industrielle et commerciale put être suivie d'une relative prospérité économique apparût aux défenseurs conscients et à demi-conscients de la théorie de l'offensive à peu près comme une idée «centriste». Et l'idée qu'un regain de vie économique capitaliste, loin d'être un obstacle à la révolution pourrait lui insuffler une force nouvelle leur parût être «pur menchévisme». Le radicalisme inopportun des «gauches» s'exprima avec innocence au dernier congrès du parti communiste allemand, dont la résolution me fait entre autres l'honneur d'une critique personnelle, bien que je n'aie fait qu'énoncer l'opinion du Comité Central de notre parti. Mais j'admets d'autant plus volontiers cette petite «revanche» des «gauches», inoffensive pour notre cause, que les leçons du III° Congrès de l'Internationale n'ont laissé personne indifférent — et moins que personne nos camarades allemands.

II

Les symptômes d'un revirement de situation économique sont sans contredit manifestes. Il reste entendu que les généralités faciles sur la dernière crise de désagrégation capitaliste base d'une époque révolutionnaire qui ne peut se terminer que par la victoire du prolétariat, ne peuvent suppléer à une analyse concrète du développement économique et aux conclusions tactiques qui en découlent.

Comme nous l'avons déjà remarqué la crise mondiale s'est arrêtée en fait dans son développement en mai dernier. L'industrie des articles de consommation quotidienne attesta la première une certaine amélioration. La grande industrie suivit. Aujourd'hui ces faits sont incontestables ; on peut les résumer en chiffres. Mais nous renonçons à produire des chiffres pour ne pas alourdir cet exposé d'idées. Le lecteur peut se reporter aux chiffres publiés par le camarade Pavlovsky dans le N°19 de l'Internationale Communiste et aux articles du camarade Falkner, parus dans la Vie Economique (en russe) Nos 281-2, 285-6.

La désagrégation de l'économie bourgeoise est-elle donc arrêtée ? La société capitaliste a-t-elle retrouvé son équilibre ? L'époque révolutionnaire est-elle close ? Point. Le revirement de la situation industrielle signifie seulement que la désagrégation de l'économie capitaliste et le cours de l'époque révolutionnaire sont phénomènes beaucoup plus complexes que les esprits simplistes ne voulaient l'admettre.

L'évolution économique est caractérisée par deux courbes différentes. La première — et elle est fondamentale — définit la croissance générale des forces de la production, du trafic, du commerce extérieur, des opérations financières. Cette courbe accuse, en général, à travers l'ensemble du développement capitaliste, une direction ascendante, mais qui est loin d'être égale. Pendant des décades elle ne monte guère ; à d'autres moments sa montée est rapide, après quoi il lui arrive de demeurer invariable pendant un temps assez long. En d'autres termes l'histoire constate que le développement du régime capitaliste est tour à tour lent et rapide. Si nous considérons, par exemple, la courbe du commerce de la Grande-Bretagne, nous constatons un développement très lent qui va de la fin du XVIII° jusqu'au milieu du XIXe siècle. Puis, en vingt ans, de 1851 à 1873 un développement très rapide suivi d'une période de stabilité de 1873 à 1894, moment où le développement reprend et dure jusqu'à la guerre mondiale.

Mais nous savons que le développement capitaliste s'accomplit par cycles industriels formés de plusieurs phases économiques : prospérité, arrêt, crise, stagnation, amélioration, prospérité, arrêt... etc. L'histoire montre que ce cycle recommence tous les huit ou dix ans. En le représentant par un graphique nous obtenons un schéma caractérisant le développement du capitalisme, avec ses flux et ses reflux périodiques. Les oscillations économiques de ce genre constituent une propriété aussi immanente de l'économie capitaliste que le battement du cœur d'un organisme vivant. La crise est suivie d'une période de prospérité qui est à son tour suivie d'une crise. Pourtant la courbe du capitalisme accuse en général, au cours des temps, une direction ascendante, la somme des montées étant évidemment plus grande que celle des chutes. Mais cette courbe varie avec les époques. En des périodes de stagnation ses oscillations n'ont pas cessé. La lenteur générale du développement capitaliste montre que les crises balançaient à peu près les relèvements. Mais chaque relèvement faisait néanmoins progresser l'économie davantage qu'elle ne devait reculer au cours de la crise subséquente. Les oscillations des cycles industriels sont comparables aux vibrations des cordes d'un instrument de musique. Mais loin d'en avoir la rectitude de tension elles représentent plutôt une courbe très complexe.

Ce seul mécanisme du développement capitaliste qui passe sans cesse de périodes de crises aux périodes de prospérité et ainsi de suite, montre combien l'opinion selon laquelle la crise actuelle ne peut que s'aggraver jusqu'au moment de la dictature prolétarienne — que celle-ci surgisse dans un, deux , trois ans ou plus — est fausse, superficielle, antiscientifique.

Les oscillations cycliques — disions-nous dans notre rapport au III° Congrès — accompagnent le développement du capitalisme dans sa jeunesse, sa maturité et sa décadence comme le tic-tac du cœur dure chez un homme dans son agonie même. Quelles que soient les conditions générales et quelle que soit la gravité de la désagrégation économique, toute crise commerciale et industrielle fait cesser la surproduction, rétablit l'équilibre entre la production et la vente et ranime par conséquent l'industrie

Quant à l'allure, à la constance, à la durée de cette animation elles dépendent de l'ensemble des conditions caractérisant la viabilité du capitalisme. On peut maintenant dire avec certitude — on l'a déjà dit au III° Congrès mondial — que sitôt les énormes majorations des prix atténuées par la crise, la reviviscence de l'industrie dans les cadres de la société actuelle, se heurtera à d'autres obstacles : à la rupture de l'équilibre économique entre l'Europe et l'Amérique, à l'appauvrissement de l'Europe orientale et centrale, à la profonde et durable désagrégation de l'appareil financier. En d'autres termes : la prochaine période de prospérité industrielle ne pourra pas rétablir même approximativement la situation d'avant-guerre. Il est au contraire fort probable que cette prospérité au lendemain de ses premiers succès se fourvoiera bientôt dans une impasse économique.

Mais une période de prospérité reste néanmoins une période de prospérité. Elle signifie une augmentation des demandes de marchandises, un élargissement de la production, une diminution du chômage, une majoration des prix des articles, une possibilité de majoration de salaires. Et, dans les conditions historiques données, loin d'affaiblir l'action révolutionnaire de la classe ouvrière, elle la fortifie. Cela résulte de toute l'évolution antérieure. Après la guerre, le mouvement ouvrier a atteint dans tous les pays son apogée qui, c'est l'évidence, l'a conduit à une défaite plus ou moins marquée, à la retraite ou au déchirement. Dans ces conditions politiques et psychologiques, une crise, prolongée augmenterait sans doute l'effervescence des masses ouvrières et surtout des chômeurs complets ou partiels ; mais ce ne serait pas sans diminuer d'autre part leur activité, celle-ci étant indissolublement liée à la conscience qu'elles ont d'être nécessaires à la production. Un chômage prolongé au lendemain d'une bataille révolutionnaire et d'une retraite politique est loin d'être favorable au développement des partis communistes. En se prolongeant la crise menace de susciter à la fois des tendances anarchistes et des tendances réformistes. Ces faits se sont traduits par la séparation des groupes anarchistes syndicalistes de la III° Internationale, par une certaine collaboration entre la Fédération Syndicale d'Amsterdam et l'Internationale 2½ , par une concentration momentanée des serratistes, par la scission du groupe Lévi.

Au contraire une nouvelle animation de l'industrie pourra fortifier en premier lieu la conscience de la classe ouvrière affaiblie par ses défaites et par ses divisions, lui rendre sa cohésion dans les fabriques et les usines, approfondir ses aspirations à des actions unitaires. Nous apercevons déjà les premiers indices de ces faits. Sentant sous ses pieds un sol plus solide, la classe ouvrière cherche à rallier ses rangs. Les scissions lui paraissent des obstacles à l'action. Elle voudrait non seulement opposer un front uni à l'offensive du capital née de la crise économique, mais encore préparer sa contre-offensive en tirant parti de l'amélioration de la situation industrielle. La crise fut une période d'espérances déçues et d'irritation, résultant en grande partie, pour les travailleurs, de la conscience de leur propre impuissance. La prospérité capitaliste, pourvu qu'elle s'étende, offrira, par l'action, un exutoire à ses sentiments. C'est ce que disait aussi la résolution du III° Congrès, que nous avons appuyée.

"Si l'allure de l'évolution venait à se ralentir et qu'une période de prospérité vint à suivre la crise économique actuelle, dans un nombre plus ou moins grand de pays, ce fait ne signifierait aucunement le début d'une époque «organique». Tant que subsistera le capitalisme les oscillations cycliques seront inévitables. Elles l'accompagneront dans son agonie après l'avoir accompagné dans sa jeunesse et dans son âge mûr.
En admettant que l'offensive du capital fasse reculer le prolétariat, ce dernier ne manquera pas de passer à son tour à l'offensive au début d'une meilleure conjoncture. Son offensive économique qui, dans ce cas, serait conduite sous le mot d'ordre de la revanche pour toutes les duperies de la guerre ainsi que pour toutes les spoliations et les humiliations du temps de crise, aurait de ce chef autant de tendance à se transformer en guerre civile ouverte que la défensive actuelle

III

L' «assainissement» économique et la perspective d'une nouvelle période de consolidation capitaliste plongent dans une vive allégresse toute la presse bourgeoise. Cette allégresse est aussi peu fondée que ne l'étaient les espérances de la «gauche» communiste attendant la révolution d'une aggravation incessante de la crise. Si la prochaine période de prospérité commerciale et industrielle devait procurer à la bourgeoisie des richesses nouvelles, ce ne serait que favorable à notre politique. Les tendances à l'unité de la classe ouvrière expriment seulement une volonté d'action affermie. Si le prolétariat exige aujourd'hui pour la lutte contre la classe possédante, que les communistes entrent en pourparlers avec les social-démocrates et avec les socialistes indépendants, il ne tardera pas à se convaincre par l'expérience que seul le parti communiste est capable de prendre la direction de l'action révolutionnaire. La première vague d'action entraînera toutes les organisations ouvrières et les poussera à l'unification. Quant aux social-démocrates et aux indépendants, les uns et les autres sont guettés par le même destin ; ils seront les uns et les autres emportés et noyés par les vagues révolutionnaires.

Cela signifie-t-il, par opposition à la théorie de l'offensive, que ce n'est pas la crise mais le renouveau économique du capitalisme qui doit aboutir immédiatement à la victoire du capitalisme ? Nous avons déjà indiqué plus haut qu'il n'y a pas entre la conjoncture économique et la lutte des classes corrélation simplement mécanique, mais plutôt dialectique et très complexe. Pour être en mesure de remplir nos devoirs de l'avenir prochain, il nous suffit d'être mieux armés pour la période de prospérité capitaliste que nous ne le fûmes pendant la période de crise. Il y a aujourd'hui, dans les plus importants du continent européen, de forts partis communistes. La nouvelle conjoncture leur offrira sans nulle doute des possibilités nouvelles d'offensives économiques et politiques. Il serait vain de vouloir prévoir aujourd'hui leurs péripéties éventuelles. L'offensive ne fait que commencer ou plutôt nous n'en voyons encore que les signes précurseurs.

Mais, nous objecteront de bons dialecticiens, en admettant que le prochain renouveau industriel ne nous amène pas à la victoire immédiate, un nouveau cycle constituera un nouveau pas dans la voie de la restauration du capital ?

A quoi l'on peut répondre ce qui suit :

Si le parti communiste ne se développait pas, si le prolétariat ne s'enrichissait pas tous les jours d'expériences nouvelles, s'il ne livrait pas à la bourgeoisie des combats de plus en plus implacables, s'il ne tentait pas de saisir la première offensive pour passer de la défensive à l'offensive, le développement capitaliste, habilement dirigé par les gouvernements bourgeois, atteindrait certainement son but. Des pays entiers seraient voués à la barbarie. Des dizaines de millions d'hommes seraient condamnés à la famine et au désespoir, avant qu'un nouvel équilibre capitaliste stable se rétablisse sur leurs ossements. Mais une semblable perspective est abstraction pure. Dans sa voie vers l'équilibre le capitalisme se heurterait à bien des obstacles considérables : chaos du marché mondial, annulation de la valuta, militarisme, dangers de guerre, incertitude du lendemain. Les forces primordiales du capitalisme cherchent une issue dans ce labyrinthe. Mais ce sont elles aussi qui frappent la classe ouvrière et la poussent à l'action. La classe ouvrière elle aussi est un facteur du développement capitaliste et même le plus important car elle incarne l'avenir.

Ainsi la courbe de l'évolution capitaliste tend à monter. Son mouvement est entravé par des oscillations cycliques qui, depuis la guerre, sont devenues convulsives. Dans quelle phrase verrons-nous se produire la coïncidence des conditions objectives et subjectives dont résultera nécessairement un revirement révolutionnaire ? On ne peut assurément prévoir si ce sera au commencement, au cours ou à la fin d'une période de prospérité ou au commencement d'un cycle nouveau. Contentons-nous de savoir que cela dépendra en grande partie de nous-mêmes, de notre parti et de sa tactique. Il est d'une importance capitale de se rendre nettement compte des aspects de la nouvelle période économique, qui ouvrira peut-être une nouvelle ère dans la concentration de nos forces pour une offensive victorieuse. La connaissance des situations et des faits est déjà par elle-même, pour un parti révolutionnaire, une abrogation des délais et un rapprochement du but final.