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Le congrès des Trade Unions de Cardiff
Auteur·e(s) | Edward Aveling |
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Écriture | octobre 1895 |
Au mois de septembre dernier a eu lieu à Cardiff le congrès annuel des Trade Unions. Il prend sa place daus la série des 28 congrès qui se sont succédés annuellement depuis le premier congrès tenu à Manchester en 1868. Il ont été la conséquence de l’act célèbre de 1867 « Maîtres et Serviteurs ». Suivant cette législation, si un ouvrier rompait le contrat qui le liait à son patron, il pouvait être condamné à un emprisonnement de trois mois, et, en fait, il l’était toujours ; d’autre part, si le patron rompait le contrat, on considérait qu’il y avait là un délit civil et non plus un délit pénal, de sorte que, pour des infractions exactement semblables, le patron n’avait, tout au plus, qu’à payer une amende, et l’ouvrier devait faire, au moins, trois mois de prison.
Le congrès de Cardiff a réuni 334 délégués, représentant 135 Unions. Quelques-unes de ces Unions, les ouvriers du gaz et l’union générale ouvrière (general labourers union) par exemple, comprennent, il ne faut pas l’oublier, différents métiers ; la general labourers union comprend près de 70 espèces différentes d’unskilled labour [travaux non-qualifiés]. Les délégués étaient moins nombreux qu’aux congrès précédents ; ce fait trouve son explication dans le changement de l’état des choses dont nous allons avoir à parler. Il peut être intéressant pour les lecteurs du continent de connaître le traitement des fonctionnaires du congrès des trade unions. Les chiffres pourront servir à une comparaison intéressante avec les appointements des fonctionnaires des congrès ouvriers français et allemands. Chacun des scrutateurs reçoit 21 shillings ; chacun des auditors, dont le travail est purement nominal, reçoit lui aussi 21 shillings par semaine. Les préposés à l’entrée et les commissionnaires, 2 livres ; les membres du bureau, 2 livres ; le secrétaire, 3 livres. À l’exception des préposés à l’entrée et des commissionnaires, ceux qui remplissent ces différentes fonctions sont choisis parmi les délégués au congrès, et, comme tels, les unions qui les ont mandatés, les indemnisent déjà en leur payant leurs salaires ordinaires. L’autre rémunération fait partie de ce que nous appelons en Angleterre les pickings (petits bénéfices). Les meilleurs pickings sont réservés aux membres du comité parlementaire, c’est-à-dire au comité nommé par le congrès des trade unions pour agir comme corps exécutif jusqu’au congrès suivant. On pourrait s’imaginer que ces douze personnages ont beaucoup de travaux très importants à faire ; en réalité, leur travail est purement nominal. Il est vrai qu’ils se réunissent environ huit fois par an à Londres ; mais tous ceux qui sont un peu au courant du travail qu’ils font au sein du comité savent qu’il n’est pas considérable. Leur traitement est de 12 shillings par jour, pour ceux qui habitent Londres et 12 shillings 6 pence par jour, pour ceux qui n’habitent pas Londres, plus les dépenses de voyage. Le trésorier, en plus des sommes ci-dessus, reçoit une somme annuelle de 15 livres, et le secrétaire, je crois en plus des sommes ci-dessus, 200 livres par an. C’est là un traitement qui n’est nullement exagéré, étant donnée la quantité de travail qu’il doit fournir. Une tentative faite pour élever le traitement du secrétaire (M. Woods, représentant des mineurs au parlement jusqu’aux dernières élections) a échoué sur une motion d’ordre présentée par les néo-unionistes, conduits par l’incorruptible Will Thorne. Les néo-unionistes soutenaient avec force que, pour déterminer les salaires des ouvriers chargés de travaux pour le compte des ouvriers, il ne faut jamais prendre en considération les traitements des salariés officiels de la bourgeoisie.
Un fait qui paraîtra étrange aux lecteurs français, c’est que le dimanche qui précéda l’ouverture du congrès de Cardiff, on prêcha dans les églises principales des sermons sur le trade unionisme, ou pour être plus exact, sur le socialisme, car ce fut là le texte de tous ces hommes de Dieu. Pour comprendre cela, il faut connaître nos mœurs anglaises et l’hypocrisie religieuse qui s’infiltre dans toutes les couches de notre société. Il ne faut naturellement pas oublier qu’il y a des raisons historiques à ce mélange étrange des questions économiques et sociales avec la question religieuse. Les mouvements révolutionnaires ont très fréquemment, en Angleterre, pris une forme religieuse, par exemple, le mouvement des Lollards, la révolte contre les Stuarts, la révolte des Niveleurs contre les parlementaires. Toujours est-il que c’est un spectacle étrange que tous ces prêtres, débitant solennellement des fadaises sur le travail et le socialisme, et essayant de convaincre leurs auditeurs et à se convaincre eux-mêmes que la question religieuse est au cœur du mouvement ouvrier. Mais, s’il ne faut pas oublier les relations historiques qui existent entre les mouvements avancés de l’Angleterre et certaines formes de croyance religieuse, il faut aussi nous souvenir que, de nos jours, ces croyances sont mortes et que toutes les tentatives pour rétablir un lien vivant entre elles et le mouvement économique, sont des tentatives pour galvaniser un cadavre.
Un autre fait qui ne paraîtra pas moins étrange aux lecteurs du continent, c’est la présence au bureau du maire de Cardiff ; c’est aussi la présence d’un grand nombre d’ouvriers à une réception que le maire donna en leur honneur. Il était entouré d’un certain nombre de messieurs vêtus avec élégance, et qui avaient l’air de se trouver satisfaits de vivre du surtravail des ouvriers de Cardiff et d’ailleurs. Si l’invitation avait été faite par un conseil municipal socialiste, cela paraîtrait naturel, mais ce maire est un bon bourgeois qui fait argent des ouvriers en leur vendant du vin. Il n’a aucune idée du mouvement ouvrier, et il soutiendrait sérieusement qu’il a fait sa fortune honnêtement et non aux dépens de la classe ouvrière. Il faut mentionner encore que, le premier jour du congrès, presque tous les congressistes allèrent en excursion en bateau à vapeur, et prirent part à un excellent déjeuner aux frais du marquis de Bute, un des plus grands propriétaires fonciers anglais.
L’objet le plus important du congrès fut la discussion pour l’application du nouveau règlement. Pour comprendre cette discussion et sa signification, il est nécessaire de revenir un peu en arrière. C’est en 1890, au congrès de Liverpool, que les représentants du néo-unionisme vinrent pour la première fois. La grève des ouvriers des docks avait eu lieu en 1889. Les ouvriers du gaz obtinrent la journée de huit heures en 1889. Sans compter les deux grandes Unions qui furent le résultat immédiat de ces événements, d'autres ouvriers unskilled [non-qualifiés] s’organisent pour la première fois. C’est au congrès de Liverpool qu'est présentée, non pas précisément pour la première fois, mais pour la première fois d’une façon sérieuse, une résolution nettement socialiste. On essaya de faire voter une résolution sur les candidatures ouvrières au parlement qui avait pour objet d’engager les délégués à ne voter que pour les candidats qui se déclaraient partisans de la socialisation des moyens de production et de distribution. L’année suivante à Newcastle, M. Thomas Burt qui ne s’était jamais beaucoup dépensé en faveur des ouvriers, et que l'on avait rendu muet en lui donnant un poste officiel lui rapportant 1.200 livres par an, supprima, en sa qualité de président, cette résolution de l’ordre du jour. A Glasgow, en 1892, 128 voix votèrent pour, 153 contre. A Belfast, en 1893, la résolution socialiste obtint, pour la première fois, la majorité par 137 voix contre 97 ; et, à Norwich, l’année dernière, la même proposition, quoique présentée dans d’autres conditions, l’emporta par 219 voix contre 61. Il n’est pas douteux qu’il y a là, théoriquement, une adhésion collective des Trade Unions au socialisme ; mais, comme je l’ai fait remarquer dans l’Ère Nouvelle du mois de novembre de l’année dernière, il ne faut pas pousser plus loin la curiosité et se demander le sens qu’ont attaché aux mots qu’ils ont voté les 219 votants. Le vote est certainement très significatif et très important, mais nos amis français ne doivent pas être trop enthousiastes.
Le jour de la clôture du congrès de Norwich, comme à l’ordinaire, beaucoup de questions portées à l’ordre du jour, n’avaient pu arriver à la discussion et elles furent renvoyées au nouveau comité parlementaire. Une de ces questions portait sur diverses modifications à apporter au règlement des congrès. Suivant les habitudes reçues dans tous les congrès, selon toutes les règles de l’équité et de l’honnêteté, ces modifications, une fois étudiées par le comité, devaient être déposées par lui sur le bureau du congrès qui, seul, pouvait les approuver, les modifier ou les rejeter. Il n’y a pas de proposition qui ait jamais été plus universellement reconnue que celle-ci : aucun comité ne peut changer la constitution essentielle et la méthode de procédure d’un corps, tel qu’un congrès, sans le consentement de ce corps lui-même. Un congrès est, comme le disait notre maître F. Engels, absolument souverain et il peut, s’il le veut, ne tenir aucun compte des décisions de n’importe quelle commission nommée par lui. Et, par exemple, la commission d’organisation qui a lancé les invitations pour le congrès ouvrier socialiste international qui doit avoir lieu à Londres en 1896 a été tenue, pour l’envoi de ces invitations, à se conformer aux décisions prises par le congrès international de Zurich de 1893. Seules ont été invitées les organisations qui se déclarent partisans de l’action politique. Le congrès de 1896, une fois constitué, pourrait, s’il le voulait, ne tenir aucun compte des décisions du congrès de Zurich et ouvrir ses portes à des délégués d’organisations adversaires de l’action politique et parlementaire. Il n’y a aucune probabilité que les choses se passent ainsi. Je cite ce cas extrême pour mieux illustrer ce principe : le congrès est souverain.
A vrai dire, toutes les fois que ce principe a été violé, personne n’a défendu la justice de cette violation. Les vieux trade unionistes qui ont fait ce coup d’état, reconnaissent cyniquement qu’ils ont vu là une bonne occasion et qu’ils en ont profité. Le congrès de Norwich leur avait renvoyé l’étude des modifications à apporter au règlement ; les vieux unionistes du comité ont décidé la révision du règlement obligatoire pour le prochain congrès, ce qui dépassait leur droit. Ce procédé viole d’autant plus la justice qu’une des nouvelles règles change complètement, sur un point essentiel, la base des qualités requises pour pouvoir être délégué au congrès. Les deux points en litige du nouveau règlement portaient, l’un sur les qualités nécessaires pour être délégué, l’autre sur la méthode selon laquelle se feraient les votes. Personne ne peut être délégué s’il ne travaille pas actuellement dans le métier de sa corporation, ou s’il n’est pas actuellement un employé à traitement fixe dans sa corporation. Il n’est pas douteux qu’on n’ait voulu viser deux ou trois personnalités bien connues : MM. Henry Broadhurst, Hardie et Mann. Personnellement, je ne puis admettre les raisons de ceux qui pensent qu’un homme n’est d’aucune ou de peu d’utilité dans un congrès de Trade Unions si, à ce moment même, il n’est en relation constante avec les ouvriers de son propre métier. Si cet argument avait une valeur, il vaudrait aussi pour les employés qui reçoivent un traitement fixe. Mais, dans un congrès de Trade Unions, un grand nombre de questions, et les plus importantes, n’ont rien à voir avec les détails du métier, mais concernent les grandes questions générales du travail. Et pour ces questions, ceux qui, tout en n’étant plus occupés dans leur métier, sont restés en contact avec le mouvement ouvrier en général, peuvent être de la plus grande utilité. Dans les congrès de corporations déterminées, il peut être utile d’exiger des délégués qu’ils soient actuellement ouvriers du métier, mais dans un congrès comme le congrès des Trade Unions, on peut avoir besoin de ces hommes qui, justement parce qu’ils sont devenus libres, ont pu étudier l’ensemble du mouvement ouvrier.
Le second point en litige portait sur le mode suivant lequel seraient comptés les votes. Jusqu’ici, chaque délégué présent avait une voix ; désormais, une voix sera donnée à chaque millier de membres compris dans l’Union et fraction de mille. Je ne me propose pas de discuter actuellement, cette très importante question. Il ne s’agit pas, en ce moment, de savoir si les deux innovations sont bonnes ou mauvaises, mais de juger le procédé qui imposa ces innovations au congrès. Et ce procédé ne peut être trop sévèrement qualifié. Le congrès convoqué illégalement, d’après le nouveau règlement, a nécessairement favorisé les réactionnaires. Fait incroyable, ce règlement qu’on a imposé au congrès, ne l’a emporté au sein de la commission que par suite du double vote d’un seul. Il faut se souvenir que le comité parlementaire est composé de douze membres. Sur la question de savoir si le règlement serait imposé de force, la majorité se trouva également partagée. Partisans du coup d’état : Holmes, Burns, Mawdsley, Inskip, Cowey, Harford, tous, à l’exception de Burns, vieux trade unionistes. Adversaires du coup d'état : Jack, Sheldon, J.H.Wilson, Tillett, Broadhurst, Will Thorne. C’est une procédure admise en Angleterre que, lorsque les voix sont également partagées, si le président a voix prépondérante, il vote en faveur du statu quo ante, c’est-à-dire qu’on laisse les cboses comme elles sont. Mais, M. David Holmes, président du comité parlementaire viola, de la façon la plus éhontée, ce principe de justice reconnu par tous, et bien qu’il eût déjà voté comme membre, il vota encore comme président. C’est ainsi que la décision remporta au sein du comité parlementaire.
Le parti pris du congrès en faveur des réactionnaires éclata dès le début, au moment de l’élection des fonctionnaires du congrès. Sur les six scrutateurs à nommer, le premier élu fut un mineur avec 185 voix, puis un tisseur avec 184 voix. Le suivant sur la liste n’obtint que 72 voix. Le représentant des mineurs au comité parlementaire était M. Cowey ; les représentants des tisseurs étaient MM. Holmes et Mawdsley. Des cinq membres du bureau, le premier était un mineur avec 180 voix, le second un tisseur avec 139 voix, le suivant en obtint 107. Les deux auditors furent un mineur avec 120 voix, un tisseur 129 ; le suivant n’avait obtenu que 80 voix.
La lutte contre les réactionnaires était conduite par J. H. Wilson, le député des marins au parlement pour Middlesborough. Wilson est une personnalité curieuse. Je ne crois pas être injuste envers lui en disant qu’il n'a pas la moindre conception économique du mouvement ouvrier. Bien qu’il ne soit pas socialiste, il a certains instincts généreux qui le poussent dans la bonne voie, et, sans conteste, il est un excellent militant. Voici, dans son entier, la résolution qu’il a présentée :
« Le congrès est d'avis que le comité parlementaire a dépassé les instructions qu’il avait reçues du congrès de Norwich en mettant en vigueur le nouveau règlement sans le soumettre, tout d’abord, au congrès de Cardiff pour être accepté ou rejeté. De plus, le congrès est d’avis qu’il est contraire à la constitution des congrès des Trade Unions et de tous les autres corps publics, de mettre en vigueur de nouvelles règles constitutives de l’association sans les soumettre, au préalable, à une réunion de délégués dûment convoqués pour les approuver ; enfin, le congrès refuse de sanctionner la mise en vigueur du nouveau règlement jusqu’à ce qu’il ait reçu l’approbation du congrès. »
Le débat fut très vif. Les arguments invoqués partaient tous d’un certain point de vue, alors qu’il était évident que les votants se placeraient à un autre point de vue. M. Mawdsley, qui est un politicien habile, tira tous ses arguments de l’excellence du nouveau règlement pour conclure au droit de le mettre en vigueur par force. La position des deux partis était la suivante : Les progressistes disaient à leurs adversaires : « Vous n’avez pas le droit d’imposer un règlement au congrès, quelque bon qu’il puisse être, avant que le congrès ne l’ait discuté et approuvé. » Les réactionnaires répondaient : « Le règlement, en lui-même, est excellent ; et c’est dans votre intérêt, mes chers enfants, que nous vous l'imposons et, qui plus est, nous aurons la majorité dans le congrès. »
La mise au voix de cette question montra, d’une façon claire, la duplicité des réactionnaires. Le lundi, Wilson avait eu l’intention de présenter sa résolution au moment de la constitution du congrès. Sur la prière insidieuse des réactionnaires, il avait ajourné sa motion au lendemain. Cet ajournement, ainsi que l’avait déclaré publiquement le président H. Holmes, ne préjugeait pas la question (without préjudice). Ce qui, dans la langue juridique anglaise, signifie que les deux parties conservent tous leurs droits, et par conséquent, malgré l’ajournement, la position de Wilson était la même le mardi comme le lundi. Mais, le lendemain, Holmes n’était plus président, un autre lui avait succédé. Naturellement, légalement, moralement, le nouveau président, M. Jenkins, était lié par la décision without prejudice de M. Holmes. Tous les honnêtes du congrès s’attendaient naturellement à ce que le vote sur la résolution Wilson, qui mettait en cause le comité parlementaire à propos de la mise en vigueur du nouveau règlement avant de l’avoir soumis et fait accepter par le congrès, aurait lieu suivant l’ancien système de vote à main levée. Les choses se seraient passées ainsi si les réactionnaires avaient été tout à fait sûrs de l’emporter avec cette méthode, leur majorité eut-elle dû être très faible. Jusqu’au dernier moment, ils semblèrent accepter le vote suivant les anciennes règles, mais comme ils n’étaient pas absolument sûrs d’un certain nombre de voix, littéralement au dernier moment, dit-on, ils donnèrent à leur mannequin Jenkins l’ordre de décider, en sa qualité de président, que le vote aurait lieu d’après le nouveau règlement, qui était en cause à ce moment même ! Cela ne suffit-il pas pour montrer la perfidie des vieilles barbes ?
Une scène extrêmement violente suivit, lorsque le parti avancé se vit ainsi joué sans scrupules. Une proposition fut faite et appuyée, demandant que le « président quittât la présidence. » C’est là la dernière planche de salut lorsque le président se moque à ce point des règles de l’honnêteté. C’est une habitude courante en Angleterre que, dans ce cas le président soumet la proposition à la réunion. Si, et cela n’arrive presque jamais, la résolution est adoptée, le président abandonne le fauteuil de la présidence, si la proposition est repoussée, on revient à l’ordre du jour. La proposition qui venait d’être faite n’affecta nullement M. Jenkins. Il ne tint, de nouveau, aucun compte des habitudes reçues, refusa de soumettre la résolution au congrès, et la proposition Wilson fut repoussée par 604.000 contre 357.000. Le résultat du vote ne souleva aucun enthousiasme. Les honnêtes étaient mécontents, les intrigants, malgré leur victoire, avaient honte d’eux-mêmes. Et deux jours après, le congrès vota, sans un mot de protestation, la résolution suivante : « Le comité parlementaire n'a pas le pouvoir défaire de nouveaux règlements. » Comme le dit le proverbe, ils fermèrent la porte de l’écurie, alors que la vache était déjà partie.
Le discours du président nommé parmi les délégués du siège du congrès a, comme je l’ai écrit l’année dernière dans l’Ère nouvelle, une certaine importance comme signe des temps. Le discours de M. Jenkins cita quelques statistiques concernant Cardiff ; rendit une tribu de louanges au marquis de Bute et aux capitalistes bienveillants qui avaient bien voulu placer leur argent en actions minières ; il regretta l’échec de certains membres du parlement ; réprouva les méthodes de travail continentales, je parierais, d’ailleurs, que Jenkins n’a jamais su ni l’allemand ni le français. Le seul passage significatif est celui où il attaque le parti ouvrier indépendant (independant labour party). Il n’a rien dit contre le socialisme, mais il faut remarquer aussi qu’il n’a rien dit en faveur du socialisme. En écoutant Jenkins, on pouvait croire que le socialisme n’existait pas.
Le rapport du comité parlementaire constitue aussi un autre document annuel important. Il est vraiment remarquable de voir, année par année, s’accumuler les preuves de l’infinie capacité de ce corps à ne rien faire. En prenant les paragraphes du rapport les uns après les autres, nous trouvons successivement : indemnité pour les membres du parlement — promesse du gouvernement de prendre cette proposition en considération, le gouvernement qui avait fait cette promesse est tombé ; projet de loi sur les manufactures et les ateliers — bonne mesure prise par M. Asquith, qui a échoué devant le comité de la Chambre des communes ; enquête sur les accidents, adopté ; projet de loi fixant à huit heures la journée de travail pour les mineurs — échoué ; projet de loi sur les machines à vapeur — a échoué devant le comité de la Chambre ; projet de loi sur la responsabilité patronale — n’a pas été présenté à la Chambre, malgré la pression exercée sur le gouvernement libéral ; projet de loi sur le travail dans les prisons — attend le résultat de l’enquête ; ouvriers et entrepreneurs publics — voir plus bas ; pensions de retraite — rien n’a été fait ; les sans-travail — rien de fait. Ensuite le rapport parle de la tentative faite (malheureusement sans succès) pour arriver à une fédération de tous les métiers ; de la représentation des ouvriers anglais au congrès américain de l’an passé ; de la conférence spéciale des Trade Unions convoquée sans succès avant les élections générales ; des relations entre le trade unionisme et la coopération ; de la révision du règlement ; et enfin, pour conclure quelques remarques générales dont le refrain principal consistait en attaques dissimulées contre le parti ouvrier indépendant (independant labour party).
Voici quelles sont les résolutions qui ont été votées après la discussion sur le règlement et le rapport du comité parlementaire, et qui sont d'intérêt général. Nous devons tout d’abord parler de l’importante résolution présentée par un des ouvriers de l’arsenal de Woolwich : « Le congrès regrette que le gouvernement n’ait pas trouvé les moyens d’accorder les salaires demandés par les Trades Unions. » Dans le cours des débats que souleva cette question, il fut prouvé que, même en 1894, les fournitures à faire au gouvernement avaient été remises à des sous-entrepreneurs qui appliquaient chez eux le sweating system ; que, sur le chantier de l’arsenal de Woolwich, on employait, pour le transport des explosifs, au lieu d’hommes, des enfants à de très bas salaires ; que des hommes qui travaillaient pour le compte du gouvernement ne touchaient que 19 schillings [sic] 6 pence par semaine ; que, dans les ateliers du fer et de l’acier de l’ouest de l’Écose appartenant au gouvernement, les ouvriers recevaient des salaires infimes et étaient astreints à un travail excessif. En un mot, l’opinion des délégués que la clause du soi-disant fair-contract promise par le gouvernement libéral n’était qu'une plaisanterie, fut acceptée à l’unanimité par le congrès.
On refit les discours ordinaires contre la Chambre des Lords et on parla de l’indemnité à accorder aux membres du parlement. Un fait m’a particulièrement frappé, on n’y a point parlé du « grand parti libéral ». Dans ces dernières années, il était de mode, et même de rigueur, pour les trade unionistes d’insister avec beaucoup d’emphase sur les vertus du parti libéral, et sur les grands et nobles services qu'il avait rendus aux classes ouvrières. Le fait est que le parti libéral a complètement négligé de profiter de l’occasion qui lui était offerte. Il pouvait s’assurer, et pour longtemps, la majorité des classes ouvrières qui prennent part et intérêt aux luttes politiques. Le parti libéral ne voulait pas faire accepter par l’opinion, et encore moins faire voter des mesures utiles aux ouvriers. Mais, comme il y allait de son intérêt, il avait, maintes fois dans le passé, promis des réformes électorales et une législation protectrice des ouvriers. Ces promesses, le gouvernement libéral défunt n’a jamais eu l’intention de les tenir. Le seul homme parmi eux qui eut vraiment à cœur l’intérêt des ouvriers était M. Acland, le ministre de l’instruction publique. On pourrait se sentir porté à ajouter le nom de M. Asquith, ministre de l’intérieur, celai qui proposa les projets de lois sur les manufactures et les ateliers dont nous avons parlé plus haut. Il est plus que probable que ces projets de lois n’auraient jamais été votés dans leur forme première tels que les avait proposés M. Asquith, et il le savait bien. Le seul fait de les avoir présentés l’avait fait désigner par les libéraux les plus jeunes et les plus avancés comme leur leader probable ; entre eux et les anciens whigs conduits par M. Harcourt, il y aura guerre à mort. Nous ne devons pas oublier, cependant, que c’est ce même M. Asquith qui toléra que des mineurs innocents fussent fusillés à Featherstone, dans le Yorksbire, de même que la République française a fait fusiller des hommes, des femmes et des enfants à Fourmies. Bien que l’on ait beaucoup parlé de M. Asquith au congrès de Cardiff, aucun des délégués n’a fait allusion à cette infamie.
Néanmoins, comme je l’ai dit plus haut, c'est un fait remarquable que les anciens chants de louange au parti libéral n’ont plus résonné comme jadis.
La question de la fédération des métiers, dont nous avons déjà parlé, montra de nouveau quelle était la force et l’attitude du vieil unionisme. Au congrès de Norwich on avait, à l’unanimité, nommé une commission chargée de l’examen de cette question. La commission présenta un plan. Ce projet, dont je ne veux discuter ici ni les bons ni les mauvais côtés, fut voté à mains levées par 108 voix contre 68. Le vote fut discuté et, dans un second vote au scrutin (1 par 1.000), le projet fut repoussé par 405.000 contre 346.000. Ce vote fut de nouveau mis en question, parce qu’il y avait eu malentendu sur la position de la question ; les tisseurs et les mineurs eurent le temps de reprendre leurs places et de voter selon l’ordre de leurs chefs. Finalement le projet échoua par 463.000 contre 330.000, ce qui constituait une majorité de 133.000 voix, au lieu de la majorité de 59.000 que donnait le vote précédent. Les chefs des grandes Unions sont adversaires de la fédération parce qu'ils pensent que leurs unions ne pourront rien y gagner.
La question de la durée trop longue de la journée de travail fut soulevée au congrès par un représentant des tisseurs, Allen Gee, un des rares restés fidèles à leur foi ancienne. L’attitude du congrès a été, sur cette question, excellente.
Une résolution, sur laquelle l’attention ne s’est pas suffisamment portée, consiste dans l’invitation faite au comité parlementaire de préparer un projet de loi portant défense aux employeurs d’introduire des ouvriers du dehors dans les régions où il y a déjà beaucoup de bras. Il s'agit là de ce que nous appelons les black-legs. C’est comme si une loi était votée en France défendant à M. Rességuier de faire venir des ouvriers verriers des autres parties de la France pour prendre la place des victimes de Carmaux.
Le congrès a été unanime sur la question des huit heures. Il y a là une excellente illustration des mœurs de l’ouvrier anglais. Il n’y a que cinq ans nous luttions très laborieusement pour faire simplement reconnaître le principe de la journée de huit heures. Les membres du vieux trade unionisme s’y opposaient vigoureusement ; nous leur opposâmes des arguments et des faits, et nous eûmes le dessus. Maintenant que les classes ouvrières anglaises se sont emparées de cette idée, il est certain qu’elles ne l’abandonneront plus et qu’elles obtiendront les huit heures avant les autres nations. Cette année, Thorne, celui qui a présenté la résolution concernant les huit heures, n’a accepté aucun compromis quant à la liberté d’option à accorder aux différents métiers. Voici les termes mêmes de la résolution : « Le moment est venu où la durée du travail doit être limitée à huit heures par jour dans tous les métiers du Royaume-Uni. » La résolution invite le comité parlementaire à rédiger immédiatement un projet de loi en ce sens. Les mineurs ont été exclus de la résolution, mais ce n’est point parce qu’ils ne sont pas partisans des huit heures, mais simplement parce qu’un projet de loi fixant à huit heures le travail dans les mines est pendant devant le parlement ; et il est certain que ce projet sera voté longtemps avant que notre parlement bourgeois actuel soit forcé de voter une loi plus générale. A cette question s’en rattache une autre, celle de la grève générale. Ici il faut noter que, dans un congrès réunissant plus de 300 délégués, il ne s’en est trouvé qu’un partisan de la grève générale et que personne n’a soutenu une résolution en ce sens. Cela nous permet d’affirmer que, si une résolution sur la grève générale est présentée au congrès international de l’année prochaine, elle sera repoussée.
Voici, dans leur entier, les résolutions concernant les sans-travail, la municipalisation des docks et la nationalisation du sol. Tout commentaire est superflu.
« Le congrès, dans l’intérêt des centaines de milliers d’ouvriers qui sont actuellement sans ouvrage, sans qu’il y ait de leur faute, demande au gouvernement d’avoir une session d’automne dans le but spécial de leur trouver de l’ouvrage ; donne mission au comité parlementaire de convaincre le gouvernement de la nécessité de voter une loi s’appliquant à Londres et aux autres grands centres industriels et qui fasse application du principe inséré dans le rapport de la commission royale qui fait peser la responsabilité morale de trouver du travail à ceux qui n’en ont pas, au local govemment board. »
« Le congrès est d’avis que les docks et les warfs doivent être immédiatement municipalisés. Etant donné les subsides accordés par le gouvernement pour la construction des docks et les avantages accordés à la marine marchande, le congrès croit à la nécessité immédiate de la reprise de propriété actuelle des docks par les autorités municipales ; celles-ci recevront une subvention financière de l’État. »
« Le congrès est d’avis que le sol, les mines, les chemins de fer deviennent propriété de la nation ; en attendant l’éducation des travailleurs sur la question de la nationalisation, une commission doit être nommée, comme celles qui fixent les « justes fermages » en Irlande et dans les Highlanders [sic] d’Ecosse, qui fixera les fermages d’État et les tarifs pour le transport des minerais ; invite le comité parlementaire à préparer un projet de loi demandant nomination de cette commission ».
Nous devons mentionner encore le vote très important qui a eu lieu sur la question de l’immigration étrangère. C’est la lubie annuelle de M. Inskip, le plus réactionnaire des réactionnaires. L’année dernière, comme je l’ai fait remarquer dans l’Ère Nouvelle, vingt-quatre heures après le vote de la résolution collectiviste, par 143 voix contre 73, le congrès de Norwich en appelait au gouvernement anglais « pour empêcher l’immigration des pauvres des pays étrangers ». Voici pour 1895, la résolution présentée par M. Inskip et l’amendement beaucoup plus sensé qui a été proposé :
« Pour parer aux dommages causés à un grand nombre de corporations par l’immigration des pauvres étrangers, le Congrès invite le gouvernement à prendre les mesures nécessaires soit par une loi, soit par voie administrative, soit par arrêté ministériel pour défendre le débarquement de tout étranger qui n’a pas de moyens de subsistance. »
« Le congrès regrette le vote de l’année dernière qui empêche l’immigration des étrangers en Angleterre, étant donné que les statistiques montrent que l’émigration est supérieure à l’immigration, que c’est le système capitaliste qui met les ouvriers aux prises les uns avec les autres, et, en tant que Trade Unions, nous pensons que le remède se trouve uniquement dans l’union des ouvriers de tous les pays. »
Le vote a donné 266.000 voix pour et 246.000 contre la motion Inskip. Il y a là une diminution très importante de la majorité de l’année dernière. Petit à petit, disparaît l’animosité de la classe ouvrière anglaise contre leurs frères étrangers. A la conférence des marins et des chauffeurs dont M. J. H. Wilson est le chef de file — conférence tenue après le congrès des Trade Unions — une résolution importante a été votée. C’est le lascar qui constitue l’ « émigrant étranger » pour le marin anglais. Jusqu’à aujourd’hui, les marins et les chauffeurs avaient demandé que le lascar fut traité à la Inskip ; mais, cette année, leur congrès s’est prononcé courageusement non plus pour l’exclusion des lascars mais il a demandé : 1º que les propriétaires de navires soient tenus de fournir à chaque lascar pour son logement le même nombre de pieds cubiques que, d’après la loi, il est censé donner à chaque marin anglais. Il a ajouté une protestation énergique au sujet des logements insalubres et trop petits qui leur sont alloués à eux-mêmes ; 2º que le lascar touche le même salaire que l’ouvrier anglais. Ces deux résolutions prouvent que j’ai quelque raison de dire que, malgré ses erreurs et son manque de savoir, on peut affirmer que le cœur de Wilson est bien placé.
Nous arrivons à la résolution collectiviste. Comme nous l’avons indiqué déjà, à Norwich, c’est une résolution nettement socialiste qui l’emporta. Au congrès de Cardiff une motion fut présentée demandant le rejet de la résolution. On espérait que la lutte allait recommencer cette année. Mais quand, dès le début de la discussion, M. Pickard, la force dirigeante de la grande fédération des mineurs, monta à la tribune, et ce fut sa seule apparition, pour demander le passage à l’ordre du jour, tous les congressistes s’entreregardèrent. Il était évident que la fédération des mineurs ne voulait pas que la question fût discutée. Quelques-uns étaient d’avis qu’il valait mieux « laisser cette affaire tranquille ». La vérité est que, malgré tous leurs votes anti-socialistes, les mineurs étaient à peu près également divisés sur cette importante question. Les vieux unionistes craignaient d’être battus, même avec le nouveau système de vote. Le vote à mains levées leur assurait une défaite certaine. Un artifice de procédure permit de se débarrasser de la question au grand soulagement des vieux unionistes.
Deux autres résolutions qui, malgré leur importance, ont peu attiré l’attention de la presse anglaise, nous montrent qu’en dépit des efforts des six membres réactionnaires du comité parlementaire, le congrès des Trade Unions n’est pas revenu en arrière.
« Étant donné que l’emploi des enfants dans les manufactures et dans les ateliers, et que leur exploitation par les capitalistes est nuisible aux enfants, inique envers les parents et un crime contre la race humaine ; étant donné ce fait infâme que les enfants de la classe ouvrière n’ont pas leurs classes et l’emplacement pour les jeux aussi bien aménagés que les enfants riches ; étant donné que la Grande-Bretagne est, sous ce rapport, moins avancée que les autres pays ; étant donné que de malheureux parents, dans notre affreux régime, consentent et souvent même désirent que leur enfants quittent l’école pour être employés dans les manufactures, le congrès est d’avis qu’il est temps que la Grande-Bretagne cesse d’asseoir son empire sur des « cœurs d’enfants », cesse d’accroître sa richesse par le sacrifice des vies des enfants et demande au gouvernement, comme minimum, l’abolition du travail des enfants avant 16 ans, et la suppression du travail de nuit avant 18 ans » (Les ouvriers du gaz et l’union générale ouvrière).
La résolution qui fut votée diffère de la précédente, et l’âge de 16 ans a été remplacé par l’âge de 14, mais cette résolution, a pour l’Angleterre, une signification très grande, et son importance dépasse celle de toutes les autres résolutions.
L’élection des 12 membres du comité parlementaire donna les résultats suivants : Cowey (mineurs), 701 ; Mawdsley (fileurs), 693 ; Harford (employés de chemins de fer), 668 ; Holmes (tisseurs), 632 ; Inskip (cordonniers), 899 ; Wilkie (constructeurs de navires), 562 ; Chandler (charpentiers) » 491 ; Ferguson (mécaniciens), 440 ; Thorne (ouvriers du gaz), 420 ; Jack (mouleurs), 377 ; Wilson (marins), 348 ; Hodge (fondeurs d’acier), 249. Remarquons que, ici encore, c’est un mineur et un fileur qui arrivent en tête ; que Wilson qui venait d’habitude en tête ou à peu près, à cause de son attitude courageuse à propos du coup d’état, arrive tout juste ; que Burns et Broadhurst sont exclus par le nouveau règlement et que Tillet, le représentant des ouvriers des docks et du parti ouvrier indépendant, et qui était membre du dernier comité, n’a pas été réélu. Thorne et Tillet représentaient, dans le comité de 1894, les unskilled et étaient tous deux considérés comme socialistes. Thorne est nettement socialiste ; il est membre de la social democratic federation ; il est beaucop plus avancé que Tillet. Il est au courant du mouvement anglais, comme du mouvement dans les autres pays. Les hommes qui, grâce au nouveau règlement, dirigent le congrès, ont été à peine assez puissants pour empêcher Thorne et Tillet d’être élus. Mais soit qu’ils aient pensé qu’il était d’une mauvaise tactique d’abuser de leur pouvoir et de faire échec à tous ceux qui passent pour socialistes, soit, comme je le crois, par respect pour l’honnêteté et l’intégrité de Thorne, ils lui donnèrent un nombre honorable de voix. Il faut savoir que tout le système d’élection au comité parlementaire est une véritable comédie qui se joue ouvertement et sans gêne. Toute la semaine, les vieux, à de rares exceptions près, ne prennent peu ou point d'intérêt et peu ou point de part aux débats. Ils vont de groupe en groupe, d’homme à homme, conseillant, commandant ou implorant que le vote soit donné à tel ou tel candidat. Le vendredi matin, jour de l’élection, des hommes comme Mawdsley, Holmes, Pickard ont des listes toutes faites et pourraient dire, à une unité près, les voix qu’obtiendront chacun de leurs candidats. On fait des marchés entre les différents métiers : « vous nous donnez tant de voix pour notre homme, nous vous en donnerons tant pour le vôtre » ; vous voyez par là, combien le système est honnête et démocratique !
J’en arrive à l’aspect international du congrès. Heureusement, grâce à la solidarité croissante entre les ouvriers anglais et leurs frères du continent, tous les actes d’un congrès ou d’un métier déterminé ont une portée internationale. Parmi les faits qui témoignent le plus de ce caractère international, je citerai, en dehors de ce que j'ai déjà dit, la présence de deux délégués américains. Il faut cependant rappeler aux lecteurs français que, ni M. Gompers, ni M. Maguire ne représentent le mouvement américain actuel. Beaucoup plus satisfaisante est la résolution du congrès blâmant la conduite de l’emperéur d’Allemagne à l’égard des socialistes. Thorne, comme secrétaire de la commission d’organisation du congrès international de 1896, a proposé la résolution suivante : « Le congrès ayant appris, par la presse, que l’empereur d’Allemagne menace de mesures répressives les ouvriers allemands ; que M. Pfund, le gérant de Vorwärts ont été arrêté pour avoir parlé de l’empereur d’Allemagne d’une façon peu respectueuse ; que deux numéros de Vorwärts ont été saisis pour le même motif, proteste contre cet tentative de suppression de la liberté de la presse, et exprime sa sympathie pour les ouvriers allemands dans leur lutte pour la liberté » (Applaudissements).
De tout ce qui s’est passé au congrès rien n’a produit autant d’effet. Tous les journaux du soir de Cardiff portaient en manchette : « l’empereur d’Allemagne censuré ». Le vote montra que, malgré les différences qui existent entre nos ouvriers anglais et les ouvriers des autres pays, quand ils ont une fois compris qu’ils sont menacés par un ennemi commun, ils serrent les rangs et marchent sur lui comme un seul homme. Cependant, ils ne comprennent pas encore, en Angleterre, que le plus grand ennemi c’est le capitaliste. C’est une leçon qu’ils sont en train d’apprendre, et quand il la sauront, les choses marcheront d’une bonne allure.
C’est avec le plus grand plaisir que j’ai entendu les vœux faits par le congrès de Cardiff pour le congrès international de 1896. Au paragraphe du rapport du comité parlementaire faisant l’histoire de la formation du comité mixte (qui comprend des membres du comité parlementaire et des membres du comité élu par les délégués anglais au congrès de Zurich), Thorne a fait ajouter cette constatation qu’un grand nombre de Trade Unions et d’organisations socialistes continentales avaient déjà envoyé leur adhésion et des questions à mettre à l’ordre du jour. Il répondit aux questions qui lui furent faites au sujet du prochain congrès. Comme on lui demandait si les organisations anarchistes seraient admises, il répondit que le comité anglais était tenu par la décision du congrès de Zurich pour les invitations. Cette décision, on s’en souvient, est la suivante : « Toutes les chambres syndicales ouvrières seront admises au congrès, et aussi les partis et les organisations socialistes qui reconnaissent la nécessité de l’organisation des travailleurs et de l’action politique ; l’action politique, ici, signifie que les organisations des travailleurs cherchent, autant que possible, à employer ou à acquérir les droits politiques et le mécanisme de la législation, pour amener ainsi le triomphe des intérêts du prolétariat, et la conquête du pouvoir politique ». Le congrès de 1896 peut anuler cette décision, mais il est plus que probable qu’il ne le fera pas. Thorne posa la question comme je l’ai fait moi-même, dans une autre partie de cet article.
En résumé, de même que j’ai mis en garde les lecteurs de l’Ère nouvelle contre une trop haute estimation du vote collectiviste de Norwich, de même cette année ils ne doivent pas exagérer la portée de la réaction qui s’est produite. En réalité, le mouvement n’a pas rétrogradé ; et, de plus, le vote qui a approuvé la conduite des vieux unionistes du comité parlementaire ne représente pas l’opinion de la classe ouvrière anglaise. Les branches locales des grandes unions des mineurs et des tisseurs, comme on l’a, d’ailleurs, reconnu publiquement, n’avaient pas été consultées. L’opinion d’une importante minorité de ces deux unions, qui n’est pas d’accord avec le comité, n’était pas représentée au congrès. La lutte sera reprise dans les branches locales des Unions, et les membres de la minorité pourront se demander pourquoi on ne tient aucun compte de l’opinion de plusieurs milliers d’hommes et de fennmes. Quand les vieux unionistes au nom des « grandes Unions » demandent qu’elles aient une voix par 1.000 membres, ils ne tiennent aucun compte de la question importante de la force relative de l’union en proportion des ouvrières du métier. Ainsi, il y a une petite union de relieurs, dont le délégué, à Cardiff, représente 410 membres. Mais les ouvriers, dans cette branche spéciale de la reliure, sont très peu nombreux et l’union les comprend tous, ou à peu près, et peut dicter ses conditions aux patrons. D’autre part, l’union des mécaniciens réunis ne contient pas plus de la moitié des mécaniciens anglais. Si nous devons pratiquer ce système de représentation proportionnelle — qu’il est si difficile sinon impossible de faire fonctionner — du moins, il faudra considérer comme un des facteurs les plus importants, la proportion entre les membres de l’union et le nombre des membres du métier.
Les grandes unions demandent à être représentées en proportion de la force sociale que leur donne leur richesse. Nous ne voyons pas, d’abord, comment cet argument se concilie avec les sentiments démocratiques de Burns par exemple. Lui et ses amis s’élèvent contre les privilèges des propriétaires dans les élections au conseil de comté et au parlement, et ce sont eux qui soutiennent cette proposition inique. Cette question de richesse nous rappelle que les fonds des grandes unions ne sont pas consacrées à soutenir le travail dans sa lutte contre le capital, mais à payer les salaires aux sans-travail, les notes du médecin, et l’entrepreneur des pompes funèbres — ce qui, en vérité, n’est que fournir des subsides aux capitalistes. Relativement, une union comme celle des ouvriers du gaz, par exemple, est d’un plus grand secours pour les autres unions que les grandes unions les plus riches. C’est ce qui résulte bien des tableaux suivants empruntés au rapport de la société des mécaniciens réunis : Dépenses d’ordre général pour leur Union ou pour d’autres Unions : 1.568 livres ; allocations : 231.322 livres. De 1851 à 1894 inclusivement les dépenses d’ordre général pour leur Union et les autres Unions, se sont élevées à 412.211 livres ; l’argent dépensé en allocations à 3.938.865 livres sterling.
Après tout, de même qu’il ne fallait pas exagérer l’importance du vote socialiste du congrès de Norwich, il ne faut pas davantage exagérer la portée de la réaction qui s’est manifestée au congrès de Cardiff.
Historiquement et économiquement tout nous est favorable, et finalement la victoire sera nôtre.
Edward Aveling.