Le commerce britannique (Novembre 1861)

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A l'heure actuelle, l'Angleterre ne suit aucune ligne politique générale. Tout le monde, jusqu'au moindre citoyen, est entièrement absorbé par ses affaires et la crise américaine. Dans un article précédent, j'ai attiré votre attention sur l'état fébrile du marché cotonnier de Liverpool. Au cours des deux dernières semaines, il a manifesté tous les symptômes de la mode, des chemins de fer de 1845. Médecins, dentistes, avocats, cuisinières, ouvriers, employés, lords, comédiens, pasteurs, soldats, marins, journalistes, institutrices, hommes et femmes, tous spéculent sur le coton. Souvent les opérations d'achat et de vente, de rachat et de revente ne portent que sur une, deux, trois ou quatre balles. Les quantités plus considérables restent dans le même hangar, mais changent parfois vingt fois de propriétaire. On peut acheter du coton à dix heures, le revendre à onze heures, et faire un bénéfice d'un demi-penny par livre. Les mêmes balles passent ainsi par plusieurs mains en l'espace, de douze heures.

Cependant, il s'est produit cette semaine une sorte de réaction. Il faut l'attribuer au seul fait que le shilling forme un chiffre rond, puisqu'il se compose de douze pence, et que la plupart des spéculateurs ont décidé de vendre sitôt que le prix de la balle de coton atteindrait le shilling. En conséquence, il y a eu un accroissement subit des offres de coton, et donc une réaction sur son prix. Mais, ce ne peut être qu'un phénomène passager.

Lorsque les Britanniques se seront faits à l'idée qu'une livre de coton puisse coûter quinze pence, cette limite passagère à la spéculation aura disparu, et la fièvre de spéculation redoublera de violence. Cette évolution contient un moment favorable aux États-Unis et défavorable a ceux qui voudraient rompre le blocus[1]. Déjà les spéculateurs ont publié des protestations disant, non sans fondement, que tout acte belliqueux du Gouvernement britannique serait un acte d'injustice à l'égard des hommes d'affaires qui, ayant placé leur confiance dans le respect du principe de non-intervention proclamé et revendiqué par le Gouvernement britannique, ont fait leurs calculs sur cette base, ont spéculé à l'intérieur, abandonné leurs commandes à l'extérieur et acheté le coton d'après l'évaluation d'un prix qu'ils comptent obtenir après le déroulement de processus naturels, probables et prévisibles.

L'Economist d'aujourd'hui publie un article insensé dans lequel les statistiques sur la population et l'extension géographique des États-Unis l'amènent à la conclusion qu'on y trouve assez d'espace pour fonder au moins sept empires gigantesques et qu'en conséquence les unionistes devaient chasser de leur cœur « le rêve d'un domaine où ils régneraient sans limites ». La seule conclusion rationnelle que l'Economist eût pu tirer de ses propres données statistiques, à savoir que les partisans du Nord, même s'ils le voulaient, ne pourraient abandonner leurs revendications sans livrer à l'esclavagisme des États et des territoires gigantesques, « où l'esclavage survivrait artificiellement et ne pourrait s'affirmer comme institution permanente », cette conclusion, la seule rationnelle, ce journal est même incapable de l'aborder.

  1. Dans l'article intitulé « Notes économiques » (Die Presse, 3.11.1861), où Marx reprend pour le journal viennois certains arguments développés dans la New York Tribune, il en vient aussi à la conclusion que l'évolution économique joue en faveur des États-Unis et restreint en conséquence les moyens de pression de l'impérialisme de I'Angleterre de Palmerston : « Il ressort un fait Important des dernières statistiques sur le commerce extérieur anglais. Alors qu'au cours des neuf premiers mois de cette année, les exportations anglaises vers les États-Unis ont baissé de plus de 25 %, le port de New York * à lui tout seul a augmenté de plus de 6 millions de livres ses exportations vers l'Angleterre au cours des huit premiers mois de cette année. Pendant cette même période, l'exportation de l'or américain vers l'Angleterre a pratiquement cessé, alors qu'à l'inverse depuis quelques semaines l'or anglais afflue vers New York. En fait, le déficit américain est couvert par les achats de l'Angleterre et de la France à la suite des mauvaises récoltes de ces pays. Par ailleurs, le tarif Morrill et les économies inséparables d'une guerre civile ont ruiné en même temps la consommation de produits anglais et français en Amérique du Nord. Que l'on compare ces faits statistiques avec les jérémiades du Times sur la ruine financière de l'Amérique du Nord ! »

    * New York est au centre du compromis final entre le Sud et le Nord pour deux raisons : c'est le siège de la traite des esclaves, du marché de la monnaie, des capitaux et des créances hypothécaires des plantations du Sud, et ensuite l'intermédiaire de l'Angleterre. C'est donc, tout naturellement, la place forte des démocrates liés au Sud. Dans l'article « Affaires américaines » (in Die Presse, 17.12.1861), Marx écrit : « Le lord-maire de Londres n'est un homme d'État que dans l'imagination des écrivains de vaudeville et de faits divers parisiens. En revanche, le maire de New York est une véritable puissance. Au début de la sécession, le sinistre Fernando Wood, a échafaudé un plan pour proclamer l'indépendance de New York, en tant que république urbaine, en accord bien sûr avec Jefferson Davis. Son plan échoua en raison de l'opposition énergique du Parti républicain de l'Empire City. »