Le cadavre de Harte

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Le cadavre de Bob Sheldon Harte[1] prouve de façon tragique la fausseté de toutes les calomnies et dénonciations lancées contre lui. Les autorités policières, qui étaient obligées de ne pas refuser de prendre cette suspicion en considération ont également manifesté dans cette affaire une exceptionnelle énergie. Le G.P.U. n'est pas une simple bande de « gangsters » - c'est une sélection internationale d'agents bien formés dans une série de crimes et armés de ressources techniques et économiques illimitées. Selon les calculs les plus modestes, la préparation technique de l'attentat au Mexique à elle seule, compte non tenu des dépenses de corruption et de celles intervenues dans d'autres pays, s'élève à 10 000 dollars au moins.

C'est pour cela qu'il existe d'énormes difficultés pour démasquer les crimes du G.P.U. Dans aucun autre pays du monde, ni en France, ni en Belgique, ni en Suisse, aucun des crimes du G.P.U. n'a été aussi largement élucidé que l'a été, sous nos yeux, l'attentat du 24 mai à Mexico. Le cadavre de Bob Sheldon va sans aucun doute jeter un peu plus de lumière sur tous les aspects de cette conspiration complexe.

Dans deux de ses communiqués, le comité central du parti « communiste » a répété que la participation de Sheldon jette une lumière « suspece » sur l'attentat. En réalité, la pénétration d’un agent de Staline dans ma maison n'aurait signifié que le fait que le G.P.U. avait réussi à abuser mes amis de New York qui m’ont recommandé Bob Sheldon. Toute personne au courant sait que le G.P.U. infiltre ses agents dans toutes les organisations ouvrières et institutions d'État du monde entier. Dans ce but, elle dépense annuellement des dizaines de millions de dollars. Mais la version selon laquelle Sheldon était un agent du G.P.U. est pulvérisée. Son cadavre est un argument convaincant. Bob est mort parce qu'il s'est mis en travers de la route des assassins. Il est mort pour les idées auxquelles il croyait. Sa mémoire est sans tâche.

Cui prodest ? demande la vieille et sage maxime du droit romain ? Qui a intérêt à calomnier Bob Harte et à égarer l’enquête ? La réponse est claire : le G.P.U. et ses agents. La découverte de la source des fausses déclarations à propos de Bob révèlera certainement l'une des têtes du complot.

Bob n'est pas le premier de mes proches à être tombé des mains des assassins mercenaires de Staline. Je laisse de côté les membres de ma famille, mes deux filles et mes deux fils conduits à mort par le G.P.U. Je ne parle pas des milliers de mes partisans soumis à l'extermination physique en U.R.S.S. et dans les autres pays. Je me limite seulement à mes secrétaires dans les différents pays, qui ont été conduits au suicide par la persécution, qui ont été abattus ou assassinés par les agents du G.P.U. – sept personnes, M. Glazman, G. Boutov, J. Blumkine, N.Sermuks, I. Poznansky, R. Klement, E. Wolf[2]. Dans cette liste, Robert (Bob) Sheldon Harte occupe le numéro huit, mais je crains que ce ne soit pas le dernier.

Et, après cela, les agents politiques du G.P.U. parlent de ma « folie de la persécution ».

  1. Robert Sheldon Harte (1917-1940), fils d'un homme d'affaires américain récemment venu au S.W.P., avait été envoyé au Mexique comme garde. A cours de la nuit de l'attentat, c'est lui qui était de garde à la maison et avait ouvert la porte aux assaillants. Il était reparti avec eux, plusieurs témoins assurant qu'il l'avait fait « librement » et Trotsky assurant qu'il avait été « enlevé ». Or, son cadavre enfoui dans la chaux avait été retrouvé le 25 juin dans une baraque occupée peu de temps auparavant par un groupe de meurtiers dont les frères Arenal, beaux-frères du peintre Alfaro Siqueiros. (Note de P. Broué)
    Depuis la publication de ce volume, il a été établi que, contrairement à ce que pensait Trotsky, Harte était en fait un agent du G.P.U. (Note du MIA)
  2. Mikhail S. Glazman (? -1924) avait été le chef du secrétariat de Trotsky pendant la guerre civile. Exclu du parti et soumis à un chantage du G.P.U. dont nous ignorons les termes, il s'était suicidé en 1924. Georgi V. Boutov (? -1928), un ingénieur qui avait été le chef de cabinet de Trotsky pendant la guerre civile avait été également été arrêté, mais en 1928 et soumis à un chantage. Il avait riposté par une grève de la faim en guise de protestation et en était mort à la prison de la Boutyrka. Nikolai M. Sermuks était le chef du train blindé de Trotsky, devenu l’un de ses secrétaires à partir de 1925. Il avait été arrêté à Alma-Ata où il tentait de rejoindre Trotsky et avait disparu. Igor M. Poznansky (1898?-1938), jeune étudiant devenu volontairement l'un des plus proches collaborateurs de Trotsky en 1917 avait organisé les premiers détachements de « cavalerie rouge ». Arrêté en 1928, il avait cheminé de prison en déportation et avait été exécuté avec les derniers survivants des « trotskystes » d'U.R.S.S. à Vorkouta en avril 1938. Trotsky ne savait rien de précis sur le sort de Sermuks et Poznansky. En revanche, il en savait plus que le public sur le sort de Iakov G. Blumkine (1899-1929). Ce dernier, ex-terroriste s.r. très connu, condamné à mort pour avoir tué l’ambassadeur allemand pour provoquer la reprise de la guerre, avait été gagné en prison au bolchevisme par Trotsky et secrètement gracié était devenu l'un des as des services secrets à l'étranger. Dès la sortie d'U.R.S.S. de Trotsky il avait pris contact avec lui et participé à la liaison entre Constantinople et Moscou. Pris à la suite d’une dénonciation, il avait été fusillé en décembre 1929. Trotsky avait nié son rôle de liaison et assuré qu’il n’avait eu avec lui qu’une rencontre fortuite. Erwin Wolf (1902-1937) ancien dirigeant de la section allemande en exil, puis secrétaire de Trotsky en Norvège avait été arrêté lors d’une mission en Espagne en 1937. Il disparut. Rudolf Klement (1908-1938), étudiant allemand, avait été secrétaire de Trotsky à Prinkipo, puis en France. Secrétaire administratif du S.I. il disparut en juillet 1938 et on retrouva les débris de son cadavre dans la Seine.