Le bloc de la droite et de la gauche

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Dénonçant un bloc réel ou imaginaire entre Syrtsov et Lominadzé comme un bloc d'éléments de droite et de gauche, la Pravda écrit : "Nous avons déjà vu de tels blocs sans principes maintes fois, à commencer par le bloc d'août". Que le bloc d'août, destiné à réconcilier les bolcheviks et les mencheviks était une faute, c'est indiscutable. Mais cela s'est passé en 1913 et a duré deux ou trois mois. Depuis, beaucoup d'eau a passé sous les ponts.

En mars 1917, à la veille de l'arrivée de Lenine, Staline défendait une fusion du parti bolchevique avec le parti de Tseretelli. Sous l'influence de Staline et de ses semblables, au cours de la Révolution de Février, la majorité des organisations social-démocrates avaient un caractère unifié, c'est-à-dire qu'elles étaient formées de bolcheviks et de mencheviks. Dans des centres prolétariens comme Ekaterinburg, Perm, Toula, Nijni-Novgorod, Sermovol, Kolyma, Youzovska, les bolcheviks ne se sont séparés des mencheviks qu'à la fin de mai 1917. A Odessa, Nikolaïev, Elisavetgrad, Pèltava et dans d'autres endroits d'Ukraine, les bolcheviks n'avaient pas d'organisation indépendante aussi tard qu'à la mi-juin 1917. A Bakou, Zlatoustk, Bejitsa, Kostroma, les bolcheviks se sont séparés nettement des mencheviks à la fin de juin. Est-il vraiment correct de rappeler ici le bloc d'août ?

Mais il n'est pas besoin de revenir sur la position de Staline en 1917. Les "gauches" imaginaires (Lominadzé, Chatzkine) qui sont en réalité des centristes plongés dans le désespoir sont accusés de former un bloc avec Boukharine, Rykov et Tomsky. Le principal crime reproché à Boukharine est centré sur sa théorie et la défense du koulak - le koulak se développant en socialisme - et à juste titre. Mais l'Opposition a été exclue du parti précisément parce qu'elle s'est dressée contre cette théorie et cette politique et c'était Staline qui était dans un bloc avec Boukharine et Rykov contre l'Opposition de gauche - pas pendant deux ou trois mois, mais pendant huit ans - précisément quand Boukharine développait sa théorie du koulak se développant en socialisme, quand Rykov s'appuyait sur le village arriéré et résistait à l'industrialisation. Qui était alors dans un bloc avec la droite ? Lominadzé, Chatzkine, Sten et autres sont présentés comme à gauche, "trotskystes" ou "semi-trotskystes". Tous cependant, quand ils étaient dans un bloc avec Staline, ont écrit dans l'histoire de la lutte contre le trotskysme une page pas très glorieuse mais inhabituellement lucide. Sont-ils dans un bloc avec la droite ? Comment ce bloc s'exprime-t-il ? Quel est son programme ? Le parti n'en sait rien. Le cynisme de la Pravda dans les falsifications internes du parti est sans précédent et découle de l'époque de Boukharine. La Pravda habille certains en gauches, d'autres en droitiers et puis les met tous ensemble. Elle a les mains libres - analphabètes malheureusement - pour tout. Mais le parti est incapable de rien vérifier.

La tentative d'appuyer la légende d'un bloc entre l'Opposition de gauche et la droite sur des considérations idéologiques et pas uniquement sur de nouvelles révélations du G.P.U. apparaît bien triste et déraisonnable.

En premier lieu, assure la presse stalinienne, aussi bien les droitiers que les "trotskystes" sont mécontents du régime et l'accusent de bureaucratisme. Comme si quelqu'un au monde pouvait être satisfait d'un régime d'un régime de plébiscites truqués avec la duplicité inévitable qui grandit de façon aussi irrésistible que l'isolement du parti et de la classe ouvrière du sommet stalinien.

Nous, bolcheviks-léninistes, n'avons jamais considéré la démocratie du parti comme une entrée libre pour les idées et tendances thermidoriennes; au contraire, la démocratie du parti a été foulée aux pieds par la promotion de ces dernières.

Ce que nous entendons par restauration de la démocratie du parti, c'est que le noyau prolétarien, réellement révolutionnaire du parti conquière le droit d'écraser la bureaucratie et d'épurer réellement le parti: de l'épurer des Thermidoriens de principe aussi bien que des cohortes sans principes et carriéristes qui votent sur les ordres d'en-haut, des tendances au suivisme comme des nombreuses fractions de lèche-bottes dont le nom ne devrait pas être tiré du Grec ou du Latin mais du vrai mot russe désignant le léchage sous sa forme contemporaine, bureaucratisée et stalinienne. C'est la raison pour laquelle nous avons besoin de démocratie

La droite invoque soudain la démocratie pour avoir la possibilité de mener une politique oppontuniste conséquente qui exaspère toutes les classes et désorganise le parti. Mais une politique droitière conséquente, indépendamment des intentions de Boukharine, Rykov et Tomsky, c'est la politique de Thermidor. Où est donc la base pour un bloc, même pour un semblant de bloc ?

Mais, dit la presse stalinienne, l'Opposition de gauche est "contre" le Plan quinquennal en quatre ans et "contre" la collectivisation complète.

Oui, l'Opposition de gauche n'a pas éprouvé le vertige inévitable pour la bureaucratie centriste après son tournant de 180 degrés. Quand la presse du parti, au printemps de cette année battait les tambours pour la collectivisation de la paysannerie à 60%, nous dénoncions l'absurdité, l'auto-illusion et l'escroquerie avant que le vertige ait été reconnu par le directeur responsable du zigzag. Staline a fait très vite un rabat de 20%, exprimant l'espoir que 40% des paysans resteraient dans les fermes collectives. La Pravda écrivait récemment que les fermes individuelles englobaient trois quarts de la paysannerie de sorte que la part des fermes collectives et soviétiques n'était selon elle que de 25%. On voit combien ces chiffres sont peu fiables et comment, d'un trait de plume, des dizaines de millions de paysans sont envoyés du camp du socialisme dans celui de la production de biens petite-bourgeoisie qui nourrit le capitalisme.

Si la retraite de la ligne générale est de 140% (25% de ceux qui sont maintenant censés être dans les fermes collectives, c'est ce qui reste des 60% qui en ont été chassés), alors il est clair que dans l'arène du tournant à 140%, il y a place pour la Gauche et la Droite, pour ne pas parler de Staline lui-même qui s'est opposé après coup à la politique maximale de sa propre fraction.

Mais, qu'il y ait aujourd'hui dans les kolkhozes 20, 25 ou 30% de la paysannerie nous ne considérons pas ce secteur dans son ensemble comme "socialiste", parce que le koulak peut de nouveau émerger de ces kolkhozes qui manquent de la base industrielle nécessaire. Dépeindre comme le socialisme la collectivisation complète sur la base actuelle c'est ressusciter la théorie boukharinienne du développement du koulak en socialisme, seulement sous une forme administrativement dissimulée et d'autant plus dangereuse.

Nous sommes pour l'industrialisation et la collectivisation. Nous sommes contre le charlatanisme bureaucratique, contre les utopies réactionnaires sous leur forme thermidorienne ouverte ou centriste masquée. Où est donc la base pour un bloc avec la Droite ?

Mais nous sommes également contre les méthodes staliniennes arbitraires, sans principes, dévoyées, bureaucratiques, de représailles contre la Droite parce que nous sommes pour une démarcation générale tout le long du spectre du parti tout entier, pas pour la persécution par l'appareil, l'exil, la corde. C'est précisément pour effectuer cette démarcation qu'il faut avant tout avoir la démocratie. Où est donc la base d'un bloc avec la Droite ?

S'il devait apparaître - ce qui n'est pas le cas - qu'il existe une coïncidence tactique ou qu'épisodiquement se croisent deux lignes stratégiques différentes, irréconciliables , hostiles, cela signifierait-il que ces lignes se rapprochent l'une de l'autre ? Lorsque Lenine vota avec les mencheviks, à la conférence de 1917 - contre tous les bolcheviks, y compris bien entendu Staline - pour la participation à la 2° Douma, cela a-t-il rapproché Lenine des mencheviks ?

Finalement, les questions en discussion se bornent-elles au rythme de l'industrialisation et de la collectivisation dans l'année prochaine ? Quelle méprisable étroitesse de vue nationale administrative ! Nous, marxistes, nous n'avons pas un programme pour la construction du socialisme dans un seul pays, comme Staline et Boukharine. Nous nous plaçons sur le terrain du socialisme international. Où y a-t-il là une base commune avec le Droite ?

Le groupe américain de droite (Lovestone et compagnie) a récemment déclaré dans une résolution de principes qu'il n'avait que des divergences tactiques avec le Comintern, c'est-à-dire avec Staline et Molotov, mais qu'avec l'Opposition de gauche, il avait non seulement des divergences tactiques, mais des divergences sur le programme. Et c'est tout à fait exact. Les brandlériens d'Allemagne, qui ont toujours défendu contre nous la politique de Staline-Boukharine comme la seule possible, ont la même position. Ou peut-être le parti ouvrier et paysan de France, qui a voté pour la résolution au VI° congrès, est-il plus proche de notre programme que de la politique officielle du Comintern qu'il a soutenue contre nous jusqu'à hier ? L'Opposition de droite de Tchécoslovaquie a affirmé sa solidarité avec les brandlériens sur toutes les questions fondamentales et déclaré que l'Opposition de gauche était une "caricature du Comintern", c'est à dire une édition aggravée.

Toutes ces organisations de droite se situent sur le terrain du programme actuel du Comintern, élaboré par Staline et Boukharine, c'est-à-dire le centre et la droite. Nous rejetons ce programme parce qu'il est une trahison du marxisme et du bolchevisme sur les points les plus fondamentaux. C'est un programme de socialisme national et pas l'internationalisme marxiste, dont le noyau scientifique et pratique est détruit par la théorie du socialisme dans un seul pays. Sur la question du rôle de la bourgeoisie dans les révolutions coloniales, ce programme répète la politique de trahison qui a été menée en Chine par le bloc de Staline et Boukharine, y compris leur alliance avec Tchang Kaï-Chek. Sous le mot d'ordre de trahison de "dictature démocratique" opposé à la dictature du prolétariat, le programme du Comintern est en train de préparer de nouvelles défaites pour le jeune prolétariat des colonies. Le bloc du centre et de la droite est responsable de ce programme. On ne peut pas appeler ce bloc un bloc "d'août" car il n'a pas duré un ou deux mois, comme en 1913, mais huit ans (1923-1930) et, même après une rupture partielle, survit encore dans le document le plus autorisé: le programme du Comintern. Et ces gens qui ont bradé tous leurs principes marxistes dans des machinations sans principes, ont l'audace de parler de notre bloc avec la droite !