Le Travail d'Instruction Politique dans la Russie Soviétique

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La guerre et la révolution ont excité dans les masses une soif passionnée de savoir. Il faut voir avec quelle attention la masse écoute un orateur quelconque, comment elle reste debout pendant des heures craignant de laisser échapper un seul mot, pour comprendre combien est grande cette soif de savoir. Et cette masse ne se passionne pas seulement pour les questions quotidiennes. Ainsi le conseil villageois d'un petit village obscur demande des conférenciers et indique les thèmes des leçons qu'il voudrait faire donner : l'âge de pierre, la révolution française, la situation de la femme. Un train de propagande avec un dépôt de livres passe dans un village, par exemple ; tout de suite une longue queue se range près du dépôt et augmente sans cesse. On voit des vieilles femmes, des vieillards, des jeunes gens avec des sacs. Il semble bien qu'on achèterait tout, si c'était possible, mais le train n'accorde à ce village qu'une petite quantité de sa richesse bibliothécaire ; il en faut aussi pour d'autres. Il faut bien croire que dans aucun domaine les paysans et les ouvriers ne manifestent tant d'initiative que dans celui de l'instruction publique. Ils construisent des maisons du peuple, des clubs, des bibliothèques, des cercles à qui mieux mieux, sans parler des spectacles. Toute la Russie du plus petit au plus grand donne des représentations, des spectacles, des concerts ; quand il n'y a point de pièces, on en écrit soi-même. Il y a des gouvernements dans lesquels on trouve plus de théâtres que dans toute la France. Parfois le centre du gouvernement ne sait même pas combien il y a d'établissements d'instruction culturelle dans son gouvernement. Il serait donc facile de faire du bon travail.

Certes, dans les conditions actuelles, c'est extrêmement difficile ; il n'y a point de personnel capable d'enseigner, il n'y a point de livres d'enseignement, il faut diminuer même le tirage des journaux. La guerre, l'obligation du travail, les conditions difficiles de cette tâche poussent les gens vers d'autres occupations. On sent l'insuffisance de maîtres, de conférenciers, de bibliothécaires. De plus, le travail est nouveau, il faut l'apprendre, et enfin l'insuffisance du réseau de chemins de fer, les mauvaises relations postales, sont cause d'un isolement de la campagne comme la Russie n'en a point connu jusqu'à présent. Et néanmoins le travail d'instruction se poursuit suivant un rythme très progressif.

En Russie il faut s'occuper encore d'un travail d'instruction qui est absolument inutile dans le reste de l'Europe. Par exemple, comme héritage du tsarisme, nous avons reçu des millions d'analphabètes. Ainsi dans le gouvernement de Saratov ont été enregistrés 2 400 000 illettrés, à Viatka 2 000 000, à Gomel 1 500 000, à Riazan 1 200 000, à Penza 800 000, à Vologda 500 000, à Pskov 870 000, à Kazan 500 000, à Nijni-Novgorod 440 000, à Pétrograd 62 000. Une quantité particulièrement considérable d'illettrés se trouve dans l'Est, dans le gouvernement d'Ouralsk 75 %, dans le gouvernement d'Altaï 78 %, dans le gouvernement de Simbirsk 80 %, dans les gouvernements de Tioumen et d'Astrakhan 94 %. Le Conseil des Commissaires du Peuple a émis un décret spécial concernant la nécessité d'en finir au plus vite possible avec l'analphabétisme. En vertu de ce décret une commission extraordinaire pour la liquidation de l'analphabétisme a été créée qui s'est mise énergiquement au travail.

La dernière session du Comité Central Exécutif panrusse a également décidé que la liquidation de l'analphabétisme exigeait le plus actif concours. Voici quelques exemples de la manière suivie dans ce travail. Suivant le compte rendu donné par le gouvernement de Tambov : pendant trois mois de l'année 1920 les écoles de « liquidation » ont instruit 48 000 personnes ; suivant un autre compte rendu du gouvernement de Tchérepovetz 57 807 personnes ont passé par les écoles de liquidation de l'analphabétisme. Selon les comptes rendus du gouvernement d'Invanovo-Voznesensk 50 000 personnes ont passé dans ces écoles, à Novozybkov toutes les personnes jusqu'à 40 ans ont reçu une certaine préparation. A Pétrograd 500 noyaux scolaires du premier et du second degré ont déjà préparé 9 000 personnes et ils en préparent encore 25 000. A Kalouga 190 écoles ont été ouvertes ; dans le gouvernement de Saratov 1 000 écoles, à Toula et à Kozmodémiansk 130, à Gjatsk 40, à Jisdra 40, à Arkhangelsk 180, à Omsk 190, à Elabouga 70, etc... On imprime des abécédaires en langue russe, polonaise, allemande, tartare, tchouvache, maruks, votiaque, mordvine, ossétine, lettonne, estonienne et juive. En 1920, 6 % d'illettrés ont été préparés. Dans certains endroits comme, par exemple, à Pétrograd, dans le gouvernement de Tchérépovetz et dans d'autres la liquidation de l'analphabétisme se poursuit d'une façon particulièrement heureuse. A Pétrograd ces questions sont étudiées dans les séances du soviet des députés de Petrograd et elles provoquent un enthousiasme extraordinaire. Maxime Gorki a visité des écoles d'illettrés et s'est entretenu avec les élèves sur la signification de la science, sur l'élévation du niveau intellectuel du pays, etc. Ayant créé des conditions qui rendent possible à chacun d'apprendre à lire et à écrire, les autorités soviétiques exigent de chaque citoyen qu'il utilise ces possibilités. On trouve certaines décisions intéressantes dans quelques soviets locaux, par exemple :

Dans le gouvernement de Kazan, ceux qui ne désirent pas apprendre les premiers éléments de lecture et d'écriture encourent une amende de 5 000 roubles, les travaux obligatoires jusqu'à 3 mois et la privation des cartes d'alimentation. A Petrograd ceux qui se refusent à apprendre les premiers éléments sont déchus de leur catégorie alimentaire, traduits devant les tribunaux populaires et exclus des syndicats. Dans le gouvernement de Tambov la signature pour un illettré n'est point valable, etc... Le bureau du comité exécutif du gouvernement de Saratov a émis une décision dans laquelle entre autre il est dit ce qui suit : Les citoyens qui se présenteraient volontairement pour apprendre les premiers éléments jouiront des avantages suivants :

  1. ils recevront un certificat d'enseignement les libérant de toute obligation à l'exception de l'obligation militaire ;
  2. le cachet de la commission du gouvernement pour la liquidation de l'analphabétisme sera apposé sur leurs cartes de ravitaillement et grâce à ce cachet ils pourront recevoir leurs produits dans toutes les boutiques de rayon et hors tour ;
  3. ils recevront des objets manufacturés au premier tour.

Ceux qui se seront refusés intentionnellement à apprendre les premiers éléments seront amenés devant les tribunaux et enfermés dans un camp de concentration pour un délai de trois mois.

Évidemment, pour réaliser sur une telle échelle la liquidation de l'analphabétisme il faut préparer le personnel sur une échelle également large. On peut voir dans le gouvernement de Tcherepovietz comment cette préparation de travailleurs se poursuit.

Dans le gouvernement de Tcherepovietz ont lieu des cours-conférences de district d''une durée de trois jours préparant 250 travailleurs scolaires, ensuite des cours-conférences de cantons qui préparent tous les travailleurs scolaires du gouvernement, ensuite un cours de 3 semaines préparant 10 000 personnes et enfin des cours spéciaux d'instruction et de contrôle préparant 36 instructeurs. Dans toute une série de gouvernements a lieu aussi la préparation intensive de maîtres pour l'enseignement des premiers éléments. Tous les travailleurs pour la liquidation de l'analphabétisme reçoivent leur ration alimentaire au premier tour.

Le Conseil des Commissaires du Peuple a ratifié le compte financier de la commission extraordinaire pour la liquidation de l'analphabétisme se montant à 4 milliards et demi de roubles. On a reçu des communications officielles du Centre-Chauffage disant que le pétrole est fourni aux institutions pour la liquidation de l'analphabétisme sur place. Le Commissariat du Commerce Extérieur a commandé et préparé des crayons, des porte-plumes et du papier pour 6 000 000 et demi de personnes qu'on se propose de préparer au cours de l'année 1920.

En dehors du travail direct pour la liquidation de l'analphabétisme, la Commission Extraordinaire mène aussi une large propagande, surtout par la voie des affiches, en vue de la réalisation de cette campagne de liquidation. Outre les écoles des premiers éléments, on créé aussi des écoles pour les personnes sachant lire et écrire. Dans les programmes de ces écoles on accorde une attention particulière aux mathématiques, aux sciences naturelles, à la géographie économique, à l'étude des projets économiques ou à l'histoire du travail. Ces temps derniers on organise dans tous les chefs-lieux de gouvernement des écoles du Parti et des travailleurs soviétiques ayant une importance particulière pour l'établissement du régime soviétique dans les différents endroits de la Russie.

Il faut dire quelques mots particuliers sur l'université Sverdlov de Moscou dans laquelle sont faits des cours du Parti et d'éducation soviétique et où viennent des milliers de jeunes travailleurs ; de même des facultés d'Etat ouvrières, des écoles professionnelles techniques, ainsi que des cours pour les adultes.

Pour ce qui est des bibliothèques, celles-ci se développent assez intensivement. Dans tous les lieux ou ont passé les blancs ceux-ci ont anéanti les bibliothèques en brûlant certaines complètement. Quelques gouvernements, comme par exemple celui de Koursk, jusqu'à ce jour n'ont encore pu réparer ce vandalisme des barbares. Il est en effet difficile de réparer de telles destructions étant donné l'extrême insuffisance de livres sur le marché. Seulement dans les derniers temps les entreprises d'édition de l'Etat ont commencé à travailler avec beaucoup plus d'application. Il est vraisemblable qu'il faudra faire imprimer d'un seul coup des bibliothèques entières.

Et cependant, malgré toutes ces conditions peu favorables, le nombre des bibliothèques dans la Russie soviétiste s'accroît. Dans quelques gouvernements, par exemple celui de Toula, leur nombre en 1920 a décuplé par rapport à 1919. Dans les gouvernements d'Astrakhan, de Briansk, de Perm, il a septuplé ; dans 4 gouvernements il a triplé, etc.

Dans certains gouvernements le nombre absolu de bibliothèques est satisfaisant, ainsi par exemple :

  1. Le gouvernement de Tver possède 879 bibliothèques, 2 150 isbas de lecture, soit 3 029 bibliothèques ;
  2. Le gouvernement de Viatka possède 2 437 bibliothèques ;
  3. Le gouvernement de Perm possède 1 887 bibliothèques, plus 211 isbas de lecture, soit 2.098 bibliothèques ;
  4. Le gouvernement de Iaroslavl possède 1 828 bibliothèques ;
  5. Le gouvernement de Saratov possède 835 bibliothèques, plus 930 isbas de lecture, soit 1 765 bibliothèques ;
  6. Le gouvernement de Smolensk possède 1 625 bibliothèques ;
  7. Le gouvernement de Samara possède 478 bibliothèques, plus 702 isbas de lecture, soit 1 180 bibliothèques ;
  8. Le gouvernement de Kostroma possède 1 171 bibliothèques, plus 936 isbas de lecture, soit 2 107 bibliothèques ;
  9. Le gouvernement de Kalouga possède 1 103 bibliothèques.

Les autres gouvernements possèdent chacun moins de 1 000 bibliothèques. Le nombre total des bibliothèques pour 42 gouvernements, sans compter le Caucase du Nord, l'Ukraine, le bassin du Donetz et sans compter les bibliothèques des coopératives et des syndicats, se montait a 32 166. En 1919 pour 32 gouvernements, il y avait 13 506 bibliothèques. Dans ces mêmes gouvernements, il y en a, en 1920, 26 118, ce qui veut dire que le nombre de ces bibliothèques dans ces gouvernements a doublé. A Petrograd, depuis la révolution, il y avait, outre les bibliothèques publiques, 23 bibliothèques avec 140 000 volumes. Il y a maintenant 59 bibliothèques avec 800 000 volumes. Dans les 3 mois de travail de ces bibliothèques, il y avait 156 000 gros volumes et 257 000 livres prêtés. Les éditions des Cent Noirs sont exclues des bibliothèques, de même que les livres de morale religieuse, lesquels sont remplacés par des livres traitant de questions politiques, etc... Dans les sections bibliothécaires, on trouve des diagrammes caractéristiques montrant comment au début le nombre des volumes avait diminué par suite de l'épuration faite, et comment ensuite il avait augmenté de plus du double. La technique des bibliothèques s'est aussi considérablement perfectionnée. Dans beaucoup de bibliothèques et même dans des bibliothèques relativement petites, on a introduit le système décimal ; le nombre des bibliothèques ambulantes a considérablement augmenté, les isbas de lecture sont devenues des points importants de lecture à haute voix. Il y a longtemps déjà le Conseil des Commissaires du Peuple a émis un décret relatif à la lecture à haute voix de journaux et de brochures populaires dans les villages .et dans les campagnes. Mais comme ce décret n'a pas été exécuté par le Commissariat du Peuple de l'Instruction Publique, il ne fut pas appliqué avec une suffisante efficacité. A présent, la section de propagande du Commissariat de l'Instruction publique vient d'être chargée d'appliquer ce décret, et il le sera désormais dans les administrations de ce dernier Commissariat. Cette question est étroitement liée à celle de la fourniture des livres dans les campagnes les plus obscures et un grand travail est fait dans cette direction.

Le nombre des clubs est difficile à établir. Il n'a pas encore figuré sur une liste : il y a des clubs du Parti, des clubs de l'Armée Rouge de tous les types, des clubs de la jeunesse, des travailleurs de différentes industries, des sections de l'instruction publique, des clubs du Proletcult, etc. Dans la Russie soviétique, les clubs ne jouent pas le rôle qu'ils ont joué par exempte en France à l'époque de la grande Révolution ou de la révolution de 48. La direction politique appartient en Russie non point au club, mais au Parti Communiste. Les clubs répondent aux besoins généraux. C'est là que l'on fait des cours, des concerts-meetings, des réunions de délégués et des spectacles.

Dans les villages chaque année on crée de nouvelles et de plus nombreuses maisons du peuple, où sont concentrées d'habitude les administrations d'instruction publique des endroits respectifs : bibliothèques, écoles, cours professionnels, clubs, bureaux d'information, petits cercles, auto-culture, chœurs, spectacles et expositions.

Dans les chefs-lieux de district on a installé des maisons dites « paysannes » avec de petits restaurants, des cafés, des halls pour soirées et des écuries pour les chevaux.

Dans ces maisons descendent les voyageurs des campagnes. Le soir, on y fait des lectures à haute voix de journaux, de brochures, des entretiens y ont lieu, suivis de spectacles, de chants, etc... Les maisons paysannes ont, une importance de propagande considérable. Dans le seul gouvernement de Gomel il y en a 60.

Parallèlement aux institutions fixes d'instruction, on augmente de plus en plus abondamment les formes et moyens mobiles d'instruction. Des bateaux et des trains de propagande emportant des expositions, des cinématographes, des propagandistes, quelques musiciens circulent un peu partout. Ils s'arrêtent dans les campagnes et dans les villages et attirent les foules. Des wagons de propagande, des chars rouges et des expositions ambulantes portent l'instruction dans les coins les plus obscurs.

Pendant les fêtes, des représentations populaires éveillent la pensée des habitants des campagnes et élargissent son horizon.

Toutes ces institutions d'instruction publique provoquent le développement culturel de la masse illettrée. Les derniers temps, en rapport avec la résolution du sixième congrès du Parti Communiste Russe sur l'organisation économique, on a imposé aux travailleurs de l'instruction publique encore d'autres tâches, à savoir : éduquer dans les masses le goût et la conscience du travail, de l'organisation économique et des questions de production. Ce travail déjà commencé sera élargi dans tous les domaines.

Beaucoup a déjà été fait en matière d'instruction publique des masses, mais il en reste encore infiniment plus à faire. Afin de créer la vie sur des bases communistes les masses doivent être armées de tous les moyens créés par le savoir.