Le Programme des Communistes (Bolcheviks)

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I. La domination du capital, la classe ouvrière et les couches populaires pauvres de la campagne[modifier le wikicode]

Dans tous les pays — la Russie exceptée après la Révolution d’octobre, mais jusqu'en octobre aussi en Russie — le capital possède le pouvoir et la domination. — Prenons n’importe quel pays — la Prusse à moitié autocratique, la France républicaine, ou la soi-disant démocratique Amérique — partout le gros capital tient en mains tout le pouvoir. Un petit nombre de gens – gros banquiers, propriétaires fonciers et fabricants – tient en esclavage et en servitude des millions et des centaines de millions d'ouvriers et de pauvres paysans ; ils les obligent à travailler en dépensant toutes leurs forces et les chassent sur la rue quand ils ne sont plus utiles, épuisés par le travail écrasant, quand ils ont perdu leurs forces et ne peuvent plus apporter aucun profit au capital.

Cette effroyable puissance sur des millions d'ouvriers laborieux, donne la richesse aux banquiers et aux fabricants. Pourquoi le pauvre est-il obligé de mourir de faim quand il est chassé sur la rue ? Parce qu'il ne possède rien qu’une paire de mains et de pieds qu'il peut vendre au capitaliste quand ce capitaliste en a besoin ! Pourquoi le riche banquier ou l'industriel peut-il passer ses jours dans l’inaction et emmagasiner un revenu certain, vivre dans le superflu et amasser du profit chaque jour, à chaque heure, à chaque instant ? Parce qu’il ne possède pas seulement une paire de mains et de pieds, mais les moyens de production sans lesquels on ne peut travailler : Fabriques, machines, chemins de fer, mines, le sol et la terre, les bateaux à voiles et à vapeur, tous les appareils possibles et les différents instruments. Cette richesse amassée par l'humanité n'appartient, dans le monde entier — à l'exception de la Russie actuelle — qu'aux capitalistes et aux propriétaires fonciers qui se sont aussi mués en capitalistes. Devant une telle situation il n’a y a rien d’étonnant qu'une petite troupe de gens qui tient en mains tout le nécessaire, les objets les plus utiles, règne sur les autres qui ne possèdent rien. Le pauvre vient de la campagne à la ville pour chercher du travail. Chez qui ? Chez le capitaliste. Chez celui qui possédé une fabrique ou une usine. Mais le capitaliste a le droit de vie et de mort. Quand ses fidèles serviteurs — les directeurs et les comptables — ont calculé qu’on peut gagner de l'or avec plus de profit à l aide de nouveaux ouvriers, il donne du travail ». Si ce n’est pas le cas, il lui dit : « Va ton chemin ! » Le capitaliste est Empereur et Dieu dans sa fabrique. Tous se subordonnent à lui et obéissent à ses ordres. A son commandement la fabrique sera agrandie ou restreinte. A son commandement les chefs et la direction renvoient ou embauchent les ouvriers. Il fixe ce que les ouvriers doivent produire et le salaire qu’ils doivent recevoir. Tout cela arrive parce que la fabrique est sa fabrique, l'usine, son usine, parce qu'elle lui appartient, parce qu'elle est sa propriété privée. Ce droit de propriété privée sur les moyens de production est précisément la cause de cette puissance effrayante qui est aux mains du capital.

Le même phénomène se produit aussi en ce qui concerne le sol et la terre. Prenons les très libres et très démocratiques États-Unis d’Amérique, dont la bourgeoisie nous a rempli les oreilles. Des milliers d’ouvriers travaillent du sol étranger, le sol des gros propriétaires fonciers, des capitalistes. Tout y est organisé comme dans une immense fabrique : des dizaines et des centaines de charrues, de faneuses, de moissonneuses, de lieuses électriques, auprès desquelles des salariés travaillent du bon matin jusque tard le soir. Comme dans la fabrique, ils ne travaillent pas pour eux, mais pour les propriétaires, parce que le sol, la terre, les semences et les machines en un mot, tout excepté la main-d’œuvre — est la propriété privée du capitaliste-propriétaire.

Il est ici maître absolu. Il ordonne et conduit l'affaire pour que la sueur et le sang se transforment toujours plus en métal jaune et sonnant. On lui obéit, on grogne quelquefois, mais on continue de produire de l'argent pour le propriétaire parce qu'il a tout — l'ouvrier, le pauvre paysan ne possède rien !

Il arrive quelquefois cependant que le propriétaire foncier ne loue aucun ouvrier. Mais il loue, il afferme son sol et sa terre. Chez nous, en Russie, par exemple, les paysans, avec leurs petites parcelles où on pouvait à peine laisser paître une poule, étaient obligés de louer du terrain aux propriétaires fonciers. Ils y travaillaient avec leurs chevaux, leurs charrues et leurs herses. Mais ils y étaient aussi exploités impitoyablement. Plus grande était la misère à la campagne, plus gros était le prix de location réclamé par le propriétaire foncier, obligeant les pauvres paysans à un véritable esclavage. Pourquoi pouvait-il faire cela ? Parce que le sol et la terre lui appartenaient, à lui, le propriétaire foncier, parce que le sol et la terre étaient la propriété privée de la classe des propriétaires fonciers.

La société capitaliste est divisée en deux camps : Ceux qui travaillent beaucoup et qui mangent peu et mal, et ceux qui travaillent peu ou point, mais qui n'en mangent que davantage et mieux, Cela ne correspond pas tout à fait à la « Sainte Écriture » qui dit : « Qui travaille doit manger. » Cette situation n’empêche cependant pas les prêtres de toutes les confessions d’estimer le régime capitaliste, parce que les prêtres reçoivent partout, (excepté dans la République des Soviets) du capital, des salaires sonnants.

Une deuxième question se pose ici : Comment un petit nombre de parasites peut-il conserver le droit de propriété privée sur les moyens de production les plus nécessaires ? Comment cette propriété privée des parasites s est-elle maintenue jusqu’à présent ? Où en sont les causes ?

Cette cause est cachée dans la merveilleuse organisation des ennemis du peuple ouvrier. A l'heure actuelle, dans aucun pays capitaliste les capitalistes n'agissent individuellement. Au contraire, chacun d'eux est bon membre des associations de capitalistes.

Ces organisations de capitalistes tiennent tout en mains, elles ont des dizaines de milliers d’agents fidèles qui leur sont dévoués non par crainte mais consciemment. Toute la vie économique et sociale des pays capitalistes est complètement à la merci d’organisations spéciales de capitalistes : syndicats, trusts, unions de banques. Ces associations dominent et disposent de tout.

Mais la plus importante association d’employeurs est l’État bourgeois. Cette organisation de capitalistes tient en mains tous les fils du gouvernement et du pouvoir. Ici tout est pesé et compté, considéré et préparé pour étouffer dans l’œuf toute tentative de la classe ouvrière de s’élever contre la domination du capital. Au service de l’État se trouve la force matérielle grossière : Espions, policiers, tribunaux, bourreaux, soldats drillés et sans âme, et la force spirituelle qui, insensiblement, corrompt moralement les ouvriers et les pauvres gens et les éduque dans de fausses conceptions. Dans ce but, l’État bourgeois a des écoles et des églises auxquelles s'ajoute encore la presse bourgeoise. On sait que les éleveurs de porcs peuvent élever des porcs tels qu’ils ne peuvent plus marcher, tant ils sont gras ; ils n’en sont que meilleurs pour la boucherie. De tels porcs sont élevés artificiellement, on leur donne, jour après jour, une nourriture spéciale qui doit les engraisser. La bourgeoisie agit de même envers la classe ouvrière. Il est vrai qu’elle ne lui donne que très peu de vraie nourriture, on n'en peut pas devenir bien gras ! Mais jour après jour elle sert aux ouvriers une nourriture spirituelle spéciale qui « engraisse » le cerveau de la classe ouvrière et l'empêche de travailler. La bourgeoisie veut transformer la classe ouvrière en un troupeau de porcs, obéissant et bon pour l’abattoir, qui ne pense pas et perpétuellement se soumet. C'est pourquoi la bourgeoisie, par l'école et l’Eglise, inocule aux enfants la pensée que l’on doit obéir à l’autorité parce qu’elle est instituée par Dieu. (Seuls les Bolcheviks sont dignes d'être au ban de l’Église au lieu d'en recevoir les prières, parce qu'ils se sont refusés de payer, de la caisse d’État, les imposteurs qui portent le froc de moine.) C'est pourquoi aussi la bourgeoisie soigne la large diffusion de sa presse mensongère.

La bonne organisation de la classe bourgeoise lui permet de conserver la propriété privée. Il y a peu de millionnaires, mais à côté d’eux se trouve une quantité respectable de leurs serviteurs les plus fidèles, les plus dévoués et richement payés : ministres, directeurs de fabriques, directeurs de banques, etc. A côté de ces derniers il y a un plus grand nombre encore de leurs aides, qui reçoivent moins, mais qui dépendent complètement d’eux ; leur esprit est éduqué ainsi ; ils cherchent eux-mêmes à recevoir de telles places et à monter en grade s’ils le peuvent. Ils sont suivis eux-mêmes de fonctionnaires et d'agents du capital encore plus petits, etc. Ils se suivent tous en rang, ils sont liés par l’organisation unifiée de l’Etat bourgeois et des autres associations de capitalistes. Ces organisations couvrent chaque pays comme un filet, dans lequel la classe ouvrière se débat en vain...

Chaque État capitaliste se transforme, en réalité, en une énorme fédération de capitalistes : Les ouvriers travaillent, les capitalistes jouissent ; les ouvriers exécutent, les capitalistes ordonnent ; les ouvriers sont trompés, les capitalistes trompent. C'est là l’ordre qu’on appelle « l’ordre capitaliste » et auquel voudraient qu’on se soumette, messieurs les capitalistes et leurs serviteurs : les prêtres, les intellectuels, les mencheviki, les socialistes révolutionnaires et autres bien connus des ouvriers et des paysans.

II. La guerre criminelle, l'oppression de la classe ouvrière et le début de la chute du capital[modifier le wikicode]

Dans ces tout derniers temps, le petit capital a presque complètement disparu dans tous les pays capitalistes. Il a été englouti par les gros requins. Autrefois les capitalistes isolés se faisaient la guerre pour avoir les acheteurs. Maintenant qu’il ne reste pas beaucoup de capitalistes (parce que tous les petits ont été ruinés), ceux qui restent se sont unis, organisés et disposent à volonté de chaque pays, comme autrefois le propriétaire de son domaine. Quelques banquiers américains dominent toute l’Amérique, comme autrefois un simple capitaliste dominait sa fabrique. Quelques spéculateurs français ont assujetti tout le peuple français ; cinq grandes banques déterminent le sort de tout le peuple allemand. Il en est de même dans les autres États capitalistes. On peut donc dire que les États capitalistes actuels, les soi-disant « patries », se sont transformées en d’énormes fabriques qu’une association de capitalistes domine comme autrefois chaque capitaliste régnait dans sa propre fabrique.

Il n’y a rien d’étonnant que ces associations, ces associations étatistes, des différentes bourgeoisies, luttent actuellement entre elles comme les capitalistes séparés luttaient entre eux. L’empire bourgeois anglais lutte contre l'empire bourgeois allemand, comme auparavant, en Angleterre ou en Allemagne, un fabricant luttait contre les autres. Maintenant, le jeu est seulement mille fois plus haut et la lutte pour l'augmentation du profit est faite de la vie et du sang des hommes.

Dans cette lutte, qui englobe le monde entier, les États petits et faibles sont d’abord anéantis. Premièrement succombent les petits peuples coloniaux, tribus faibles, quelquefois sauvages, chassées en partie par les gros États brigands. Une lutte s'élève ensuite entre ces derniers pour le partage des territoires « libres », c’est-à-dire des pays qui n’ont pas encore été volés par les États « civilisés ». Ensuite commence la lutte pour la nouvelle répartition de ceux qui ont déjà été volés. — Il est clair que cette lutte pour un nouveau partage du monde doit être plus sanglante et plus exaspérée que jamais.

Ce sont d'énormes colosses, les plus grands empires du monde, armés des machines meurtrières les plus parfaites, qui conduisent cette lutte.

La guerre mondiale qui éclata en été 1914 et qui a duré jusqu'à ce jour est la première guerre pour un nouveau partage décisif du monde entre les monstres du pillage « civilisé ». Elle a entraîné dans son remous les quatre rivales gigantesques principales : l’Angleterre, l’Allemagne, l'Amérique et le Japon. La lutte est menée pour savoir laquelle de ces associations de brigands réussira à écraser le monde sous ses sanglantes bottes de fer.

Cette guerre, partout, empira incroyablement la situation déjà difficile de la classe ouvrière. Des fardeaux impossibles à porter lui sont imposés. Des millions parmi les meilleurs ouvriers sont assassinés sur les champs de batailles, la famine est le lot des autres. Les peines les plus sévères menacent ceux qui osent protester. Toutes les geôles débordent, les magistrats tiennent prêtes les mitrailleuses contre la classe ouvrière. Les droits des ouvriers ont disparu même dans les pays « les plus libres ». Il n’est plus permis de faire grève. Les grèves sont punies comme une trahison à la pairie. La presse ouvrière est étouffée. Les meilleurs ouvriers, les lutteurs dévoués de la Révolution sont obligés de se cacher et de fonder des organisations secrètes comme nous le faisions pendant la domination tsariste pour nous garder de l'essaim des espions et des policiers. Rien d’étonnant que les ouvriers ne se contentent pas seulement de gémir sous de tels résultats de la guerre, mais commencent aussi de s'élever contre leurs oppresseurs.

Mais les empires bourgeois eux-mêmes, qui ont déclenché ce grand carnage, commencent à se pourrir à la racine et à se décomposer. Ils sont tombés dans le bourbier sanglant que leur chasse au profit a créé et il n’y a pour eux aucune issue. Reculer, retourner les mains vides, après une telle dépense d’argent, de matière et de butin, on ne le peut pas ! Avancer, sur un nouveau péril effroyable, c’est presque aussi impossible. La politique de guerre conduit à une impasse où il n’y a point d’issue ; c’est pourquoi la guerre dure sans fin et sans aucun résultat décisif. Pour ces motifs l’ordre capitaliste d’État commence à tomber en pourriture, et tôt ou tard, il sera obligé de céder sa place à un autre ordre où la folie d'une guerre mondiale pour le profit ne trouvera plus de place.

Plus la guerre dure, plus les pays en guerre s’affaiblissent. La fleur du peuple travailleur est anéantie ou vit dans les tranchées, dévorée des poux, s’occupant de travaux de destruction. Tout est détruit pour la guerre, jusqu'aux poignées de laiton des portes qui sont confisquées comme matériel de guerre. Les choses les plus nécessaires manquent parce que la guerre a tout englouti, comme un insatiable essaim de sauterelles. Personne ne fabrique des objets utiles, on les consomme seulement. Depuis quatre ans, les fabriques qui produisaient des objets utiles ne créent que des grenades et des shrapnells. Sans hommes, sans production de ce qui est absolument nécessaire, tous les pays arrivent à une telle déchéance que les hommes commencent à hurler comme des loups, de froid, de faim, de misère, de détresse et d’oppression. Dans les villages allemands où l'on avait autrefois l'électricité, on brûle maintenant des copeaux de sapin parce qu'il n’y a plus de charbon. La vie expire dans la masse à mesure que grandit la misère générale du peuple. Dans des villes bien organisées comme Berlin et Vienne on ne peut passer de nuit dans la rue, partout on vole. Les journaux bourgeois allemands se lamentent sur le nombre insuffisant de policiers. Ils ne veulent pas voir que l'augmentation des crimes prouve l'augmentation de la misère, du désespoir et de la colère. Les éclopés reviennent du front et trouvent chez eux la famine générale. Le nombre des sans-abri et des affamés grandit malgré l'organisation extraordinaire, parce qu’il n’y a rien à manger ; et la guerre dure, dure, réclamant toujours de nouvelles victimes.

Plus la situation des empires en guerre devient pénible, plus les frottements, les querelles et les divisions se manifestent dans les différentes couches de la bourgeoisie qui, auparavant, marchaient la main dans la main pour les buts de rapine communs. En Autriche-Hongrie, les Tchèques, les Ukrainiens, les Allemands, les Polonais et les autres se prennent aux cheveux. En Allemagne, par la conquête de nouvelles provinces, la bourgeoisie (estonienne, lettone, ukrainienne, polonaise) qui appela à l'aide les troupes allemandes, est maintenant obligée de se quereller violemment avec ses libérateurs. En Angleterre, la bourgeoisie anglaise est en lutte à mort avec la bourgeoisie irlandaise qu’elle a opprimée.

Au milieu de chaos, devant la banqueroute générale, la classe ouvrière élève toujours plus clairement sa voix, la classe ouvrière qui, par tout le développement de l'histoire, est placée devant ce devoir : Étouffer la guerre et briser le joug du capitalisme !

Ainsi approche le temps de la décomposition du capitalisme, le temps de la Révolution communiste de la classe ouvrière.

La Révolution russe d'octobre a ouvert la première brèche. Le capitalisme s’est décomposé plus vite en Russie que dans les autres pays parce que le fardeau de la guerre mondiale a pesé plus lourdement sur le jeune État capitaliste de notre pays, Il n’y avait pas chez nous une formidable organisation de la classe bourgeoise comme en Angleterre, en Allemagne et en Amérique. Elle ne pouvait, par conséquent, ni remplir les obligations que lui imposait la guerre, ni résister au formidable assaut de la classe ouvrière russe et des paysans les plus pauvres qui, dans les journées d’octobre, ont désarçonné la bourgeoisie et ont remis le pouvoir aux mains du parti de la classe ouvrière, des communistes —- Bolcheviki —

Le même sort attend tôt ou tard la bourgeoisie de l'Europe occidentale. La classe ouvrière de l’Europe occidentale entre toujours plus nombreuse dans les rangs des communistes. Partout naissent des organisations « bolcheviques ». En Autriche et en Amérique, en Allemagne et en Norvège, en France et en Italie, Le programme du parti communiste devient le programme de la Révolution prolétarienne mondiale.

III. Partage général ou production communiste coopérative?[modifier le wikicode]

Nous savons déjà que la racine des maux de la guerre criminelle, de l'oppression de la classe ouvrière et de toute la barbarie du capitalisme, gît dans le fait que quelques bandes capitalistes organisées par l’État, possédant toutes les richesses de la terre, oppriment le monde. Le droit de propriété de la classe capitaliste sur les moyens de production est la cause première expliquant la barbarie de l’ordre étatiste contemporain. Arracher cette puissance aux Riches en leur prenant de force leurs richesses, c’est le premier devoir de la classe ouvrière et du parti ouvrier, du parti des communistes.

Quelques-uns pensent que ce qui a été pris aux riches doit être partagé chrétiennement, équitablement et également entre tous et qu’alors tout serait bien. Chacun aurait autant que l'autre, tous seraient égaux et délivrés ainsi de l’inégalité de l'oppression et de l’exploitation, Chacun travaillerait pour soi, ayant tout en mains ; la puissance des hommes sur les hommes disparaîtrait grâce à cette répartition égale, à ce nouveau partage général et à cette répartition des richesses aux pauvres !

Le parti communiste ne partage pas cette opinion. Il pense qu’un tel partage égal ne peut conduire à aucun bon résultat, qu’il n’en peut sortir que la confusion et le retour à l’ancien ordre de choses.

En effet ; Il est d’abord toute une série de choses simples qu’on ne peut pas partager. Comment devrait-on partager les chemins de fer ? Si l’un commence à s'approprier les traverses, un autre les rails, un troisième les vis, si un quatrième démolit les wagons pour chauffer son poêle, si un cinquième brise les glaces pour se raser devant un des débris, etc., chacun voit qu'un tel partage n'est pas égal et ne conduit qu'à un idiot pillage de choses utiles qu’on aurait encore pu utiliser.

De même on ne peut partager aucune machine. Car si l'un prend le rouage, l'autre le levier, le reste les autres parties, la machine cesse d'être une machine : tout est détruit. Il en est de même de presque tous les outils compliqués qui sont les plus utiles pour le travail. Il suffit de rappeler les appareils télégraphiques et téléphoniques, ceux des fabriques de produits chimiques. Il est clair que seul un homme qui ne comprend rien ou qui est un ennemi de la classe ouvrière peut conseiller un tel partage.

Ce partage n'est pas seulement foncièrement nuisible. Supposons qu’on arrive, grâce à un miracle quelconque, à partager plus ou moins également tout ce qui a été pris aux riches. Il n'en sort finalement rien de raisonnable, — Que signifie en effet le partage ? Il signifie qu’à la place d'un petit nombre de gros capitalistes il y en aura beaucoup de petits, il ne signifie pas l’abolition de la propriété privée, mais son fractionnement. Au lieu de la grosse propriété apparaît la petite. Nous avons déjà vécu un tel temps dans le passé ; nous savons très bien que le capitalisme et les gros capitalistes se sont engraissés de la lutte des petits capitalistes. Si nous créons des petits capitalistes par notre partage, il arrivera ceci : Une partie d'entre eux (et une partie importante) vendrait déjà le lendemain au marché des bric à brac ce qu’ils auraient obtenu et de cette manière leur propriété arriverait aux mains des propriétaires possédant davantage. Entre ceux qui restent éclaterait une lutte pour les acheteurs. Dans cette lutte ceux qui ont davantage vaincraient ceux qui ont moins. Ces derniers seraient ruinés et se transformeraient en prolétaires, leurs rivaux heureux augmenteraient leurs fortunes, s’achèteraient des ouvriers et se transformeraient ainsi en vrais capitalistes. Ainsi nous reviendrions, après un certain temps, au même état social que nous aurions détruit. Nous serions de nouveau devant la vieille auge du brigandage capitaliste.

Le partage en propriété privée, en petite propriété, n'est pas l’idéal de l’ouvrier ou du domestique. C’est le rêve du petit épicier opprimé par le gros marchand qui désirerait devenir lui- même un gros marchand. Pouvoir s'élever, recevoir le plus possible pour lui-même, c’est la pensée du boutiquier. Penser aux autres, voir le résultat de tout cela, ce n’est pas son affaire quand quelques sous de superflu sonnent au fond de sa poche. Il n’est pas effrayé que nous retournions au capitalisme parce que l’espérance lui consume le cœur, de devenir lui-même un capitaliste.

La classe ouvrière doit prendre un tout autre chemin et elle le suit déjà. Dans la transformation sociale, la classe ouvrière a intérêt à ce qu'un retour au capitalisme soit impossible. Par le partage on chasse le capitalisme par la porte monumentale, mais après un moment il rentre par la porte de derrière. La seule issue est l’ordre coopératif reposant sur le travail, l'ordre communiste.

Dans la société communiste toutes les richesses n'appartiennent plus à des personnes ou à des classes particulières, elles appartiennent à toute la société. La collectivité est alors une immense coopérative de production. Il n’y a pas de maître. Tous sont camarades. Il n'y a plus de classes : ni des capitalistes qui engagent des ouvriers, ni des ouvriers qui se vendent aux capitalistes. On travaille ensemble suivant un plan de travail préparé et combiné. Le bureau central de statistique calcule combien on doit produire de souliers, de pantalons, de saucisses, de cirage, de froment, de lingerie, etc., pour une année ; il calcule combien de camarades doivent travailler pour cela dans les champs, dans les fabriques de saucisses, dans les grands ateliers de tailleurs ; et les forces ouvrières sont réparties de façon correspondante. Toute la production sera conduite selon un plan rigoureusement calculé et réfléchi, sur la base d’un compte exact des machines, des outils, de toutes les matières premières et de toutes les forces ouvrières de la société. Les besoins annuels de la société seront aussi soigneusement calculés. Les produits fabriqués seront emmagasinés dans des entrepôts publics d’où ils seront repartis entre les compagnons de travail. On ne travaillera que dans les grandes fabriques, sur les meilleures machines, parce qu’elles épargnent de la peine.

L'administration de la production sera la plus économique ; on évitera toute dépense superflue ; le plan général et unifié de production y contribuera. Il ne sera plus d’usage de faire une chose d'une façon dans un endroit et autrement dans un autre, de ne pas savoir dans un lieu ce qui se fait dans un autre. Au contraire, le monde presque entier sera contrôlé et organisé : Le coton ne sera cultivé que là où le sol y est le plus propre, la production du charbon sera concentrée dans les mines les plus riches ; les usines métallurgiques seront construites dans le voisinage des mines de charbon et de minerai. On ne construira plus d'énormes maisons locatives sur un sol utile à la culture du blé, il sera au contraire complètement ensemencé. En un mot tout sera réparti pour que chaque entreprise trouve la meilleure place, où le travail rende le mieux, où tout prospère plus facilement, où le travail des hommes soit le plus productif. On ne peut atteindre tout cela que par un plan unique, une complète union de la société entière en une immense communauté de travail, une coopérative.

Dans la société communiste les hommes ne s'asseyent pas sur la nuque de leurs semblables. Aucun riche et aucun parvenu, aucun supérieur et aucun subordonné, la société n’est pas divisée en classes dont l’une domine l’autre. S'il n’y a plus de classes, il n'y a pas plusieurs espèces d'hommes (les pauvres et les riches), qui grincent des dents les uns contre les autres, les oppresseurs contre les opprimés, et les opprimés contre les oppresseurs. Il n’y a plus d’organisation semblable à l’Etat parce qu'il n'y a aucune classe dominante ayant besoin d’une organisation spéciale pour tenir en bride son adversaire de classe. Il n'y a plus aucune administration des hommes ni aucun pouvoir d'homme sur homme, il n’y a plus qu'une administration des choses, des machines, et un pouvoir de la société humaine sur la nature. Le genre humain n’est plus divisé en camps ennemis, il est au contraire uni par le travail commun et la lutte commune contre les forces naturelles extérieures. Les bornes frontières seront renversées, les patries particulières détruites. Toute l’humanité, sans différence de nations, sera unie dans toutes ses parties et organisée en un tout unique. Tous les peuples formeront une famille du travail, grande et unie.

IV.  Société anarchiste ou communiste[modifier le wikicode]

Il y a des gens qui s'appellent anarchistes, c’est-à-dire partisans de l’abolition des lois. Ils prétendent que les communistes-bolchéviques prennent un mauvais chemin parce qu’ils veulent maintenir le pouvoir. Tout pouvoir et tout Etat signifie oppression et violence ; nous avons vu qu'une telle pensée n'est pas juste à l’égard du communisme. La société communiste est une société dans laquelle il n’y a ni ouvriers ni capitalistes, où il n'y a aucun Etat. La différence entre la société anarchiste et la société communiste ne gît pas dans le fait qu'une aurait un Etat et l'autre pas, il n'y a d’État ni dans l'une ni dans l'autre. La vraie différence est la suivante :

Les anarchistes pensent que les hommes pourraient vivre le mieux, si toute la production était divisée en petites coopératives de production, en communes. Il se formerait par association volontaire une société, une coopérative de 10 personnes — à merveille ! Ces 10 personnes commencent leur travail à leurs propres risques et périls. A un autre endroit naît une deuxième société semblable. A un troisième endroit une troisième société. Plus tard ces coopératives commencent à entrer en négociation et en rapport : L'une manque de ceci, l'autre de cela. Insensiblement elles tombent d'accord et concluent des « contrats libres ».

Toute la production se meut dans ces petites communautés. Chacun reste libre de sortir quand il lui plait de la communauté, et chaque communauté reste libre de sortir de la fédération libre de ces petites communautés (coopératives de production).

Les anarchistes jugent-ils juste ? Tout ouvrier qui connaît la production des fabriques et des usines voit que leur jugement est faux. Disons donc pourquoi :

La société future doit sauver le peuple travailleur d'une double détresse. Premièrement de l’exploitation de l'homme par l'homme, de l’oppression qui découle du fait que l’un s'asseye sur la nuque de l’autre. Cela sera réalisé lorsque le joug du capital sera brisé et qu’on aura repris aux capitalistes leurs richesses. Il reste cependant encore un devoir. Il consiste à se libérer du joug de la nature, à se soumettre cette nature, à organiser la production de la manière la meilleure et la plus parfaite. Alors seulement l’homme dépensera peu de temps à la préparation des repas, à la confection des chaussures et des vêtements, à l’édification des maisons, etc., et emploiera le reste de son temps à son développement spirituel : la science, l'art et tout ce qui orne la vie humaine. Les ancêtres de l'homme actuel, qui vivaient comme un troupeau de demi-singes, étaient égaux entre eux, mais ils avaient une vie semblable à celle du bétail, parce qu'ils n’avaient pas soumis la nature, mais qu’ils étaient complètement soumis à elle. Par la grande industrie capitaliste l’humanité a appris, au contraire, à se soumettre la nature, mais les ouvriers vivent comme des bêtes de somme parce que le capitaliste s’est assis sur leur nuque, parce que l'inégalité économique domine. Qu’en résulte-t-il ? Il faut unir l’égalité économique et la grosse industrie. Il n'est pas suffisant que les capitalistes disparaissent. Il est nécessaire que la production, comme nous le disions auparavant, soit basée sur un large pied. Toutes les petites entreprises incapables doivent périr. Tout le travail doit être concentré dans les grandes fabriques, les grandes usines et les grandes entreprises agricoles. Il ne faut pas que Jean ignore ce que Pierre fait et que Pierre ne sache pas ce que fait Jean, Une telle société n’est capable de rien. Il est nécessaire d’avoir un plan de travail unique. Ce plan unique sera meilleur s’il englobe un plus grand nombre d’endroits. Le monde entier doit finalement former une grande entreprise de travail où toute l’humanité travaille pour elle sur les meilleures machines, dans les plus grandes fabriques, sans les maîtres et les capitalistes d’aujourd’hui, mais d'après un plan rigoureusement préparé, calculé et mesuré.

Pour développer davantage la production, on ne doit pas seulement ne pas mettre en pièces la grosse industrie que le capitalisme nous lègue déjà, on doit encore l’agrandir. Plus large et plus grand sera le plan d’ensemble, plus grandes seront les proportions dans lesquelles la production sera organisée, plus elle obéira aux ordres venant d'un point statistique central de comptes et de décomptes, en d’autres termes, plus elle sera centralisée, meilleure elle deviendra. Car moins l'homme aura de travail, plus il sera libre et plus 1a société humaine aura de temps pour son développement spirituel.

Mais la société future que défendent les anarchistes est l’inverse de cela. La société anarchiste fractionne la production au lieu de l'agrandir, de la centraliser et de la régler, elle diminue par là la domination de l'homme sur la nature. Elle n’a aucun plan d’ensemble, aucune grande organisation. Dans la société anarchiste on ne pourrait pas dire exactement comment employer les machines colossales, bâtir des chemins de fer selon un plan, entreprendre des grands travaux d'irrigation et de drainage. Prenons un petit exemple : On parle beaucoup maintenant de la substitution de l’électricité aux moteurs à vapeur et de l'utilisation de la force électrique des chutes d’eau, etc. Pour répartir régulièrement l’énergie électrique gagnée on doit, naturellement, calculer, mesurer, examiner où cette énergie doit être conduite et dans quelle proportion, afin qu’elle ait la plus grande utilité possible. Qu’est-ce que cela signifie ? Comment cela est-il possible ? Cela n'est possible que si la production est organisée sur une grande échelle, si elle est concentrée dans un ou deux grands centres de calculs et d’administration. Par contre cela est impossible dans la société anarchiste formée de petites communautés, dispersées et faiblement liées. De cette manière nous voyons que la société anarchiste ne peut organiser la production comme elle le doit. Elle nécessite une plus longue journée de ^travail, c'est-à-dire une énorme dépendance à l’égard de la nature.

La société anarchiste serait un sabot qui empêcherait l'humanité de se développer ; c'est pourquoi les communistes combattent l'enseignement que les anarchistes répandent.

Il est clair que l'enseignement anarchiste conduit à la division plutôt qu'à l'organisation méthodique et communiste de la société. La petite communauté anarchiste n'est pas l'immense ruche travailleuse d’une quantité d’hommes, mais un petit groupe qui peut compter jusqu'à deux personnes seulement. A Petrograd il existe un tel groupe, « Union des cinq opprimés ». D’après la théorie anarchiste il peut aussi y avoir une Confédération des deux exploités Représentons-nous maintenant ce qui peut arriver quand cinq personnes ou deux personnes indépendantes commencent à réquisitionner et à confisquer, puis à travailler à leurs risques et périls. En Russie il existe environ 100 millions de travailleurs. S'ils forment des « Unions des cinq opprimés », nous aurions, en Russie. 20 millions de telles communautés. On peut se représenter quelle tour de Babel ce serait si ces 20 millions de communautés commençaient à agir d'une façon indépendante ! Que Dieu nous préserve d'un tel chaos et d’une telle « anarchie » ! Il va de soi qu'il ne sortirait de là que le partage si de tels groupes prenaient possession, d'une façon indépendante de la richesse des riches. Le partage conduit, comme nous l'avons dit plus haut, de nouveau au règne du capital, de l’exploitation et de la violence sur les masses ouvrières.

V. Au communisme par la dictature du prolétariat[modifier le wikicode]

Comment fonder la société communiste ?

Comment y parvenir ?

Le parti communiste répond : Par la dictature du prolétariat !

Dictature ! — Cela signifie un pouvoir de fer, un pouvoir qui n’épargne pas ses ennemis. Dictature de la classe ouvrière ! — Cela signifie le pouvoir d’État de la classe ouvrière qui étrangle la bourgeoisie et les propriétaires fonciers. Ce pouvoir des ouvriers ne peut sortir que de la Révolution socialiste de la classe ouvrière qui détruit l’État bourgeois et le pouvoir bourgeois et qui bâtit sur leurs ruines le pouvoir du prolétariat lui-même et des couches populaires plus pauvres qui le soutiennent.

Ici nous sommes réellement pour un État ouvrier. Les anarchistes sont contre ! Nous, communistes, sommes pour un gouvernement ouvrier, qui est nécessaire pendant un certain temps, jusqu’à ce que la classe ouvrière ait mis un frein à son adversaire, jusqu'à ce que toute la bourgeoisie soit dressée, jusqu'à ce que tout son orgueil soit expulsé, jusqu’à ce que tout espoir de reprendre le pouvoir soit anéanti pour elle.

Vous, communistes, êtes donc pour la violence ? nous demande-t-on. Naturellement ! Répondons-nous, nous sommes pour la violence révolutionnaire. Avant tout, nous croyons que la classe ouvrière n'obtiendra jamais rien en voulant convaincre les capitalistes. On ne trouve rien de bon sur le chemin des compromis qu'enseignent les mencheviki et les socialistes-révolutionnaires. La classe ouvrière ne peut s'affranchir autrement que par la révolution, c'est-à-dire par l’ébranlement de la puissance du capital, par la destruction de l’État bourgeois. Toute révolution est violence pour les anciens maîtres. La Révolution de mars fut violence pour les propriétaires despotiques et pour les tsars. La Révolution d'octobre fut la violence des ouvriers, des paysans et des soldats contre la bourgeoisie. Une telle violence, violence contre ceux qui oppriment des masses de millions d’ouvriers, une telle violence n’est pas mauvaise, elle est sacrée.

Mais la classe ouvrière doit aussi user de violence contre la bourgeoisie, après l'avoir renversée dans la lutte révolutionnaire ouverte. Car en fait, quand la classe ouvrière a détruit l’État bourgeois, la bourgeoisie ne cesse pas d'exister encore comme classe. Elle ne disparait pas complètement d'un coup. Elle continue de nourrir l'espoir d'un retour à l'ancien régime. Elle est donc prête à conclure, avec le premier venu, une alliance contre la classe ouvrière victorieuse.

L'expérience de la Révolution russe de 1917 le confirme complètement. En octobre, la classe ouvrière chassa la bourgeoisie du pouvoir. Et la bourgeoisie ne se tranquillisa pas pour cela : elle a agi, mobilisant toutes ses forces contre les ouvriers ; elle s'efforce d'anéantir de nouveau le prolétariat et de parvenir à tout prix au pouvoir. Elle a organisé le sabotage, l’abandon contre-révolutionnaire de leurs postes par les fonctionnaires et les employés qui ne voulaient pas se joindre aux ouvriers et paysans ; elle a organisé les forces armées de Dutoff, de Kalédine, de Korniloff ; elle organise maintenant, au moment où j'écris ces lignes, les bandes du capitaine cosaque Semionoff pour son expédition contre les soviets de Sibérie. Enfin, elle appelle au secours les troupes de la bourgeoisie étrangère, allemande, japonaise, etc. L’expérience de la Révolution russe d'octobre nous montre donc que la classe ouvrière, même après sa victoire, est obligée de lutter contre de puissants ennemis extérieurs (les États capitalistes rapaces) qui accourent au secours de la bourgeoisie intérieure détrônée.

Quand nous considérons froidement le monde entier, nous voyons qu'en Russie seulement le prolétariat est parvenu à renverser la puissance de l’État bourgeois. Tout le reste du monde appartient encore aux pillards du gros capital. La Russie des soviets, avec son gouvernement ouvrier et paysan est une petite île au milieu de la mer furieuse du capitalisme. Même si la victoire des ouvriers russes est suivie d’un triomphe des ouvriers d’Autriche et d’Allemagne, il restera de grands empires capitalistes pillards. Si toute l’Europe capitaliste craque et tombe sous les coups de la classe ouvrière, il restera encore le monde capitaliste d’Asie, à la tête duquel est le Japon rapace, le capitalisme américain, à la tête duquel se trouve cette formidable association de pillards que sont les États-Unis d'Amérique.

Tous ces empires capitalistes n’abandonneront pas leurs positions sans lutte. Ils travailleront de toutes leurs forces pour empêcher le prolétariat de dominer le monde. Plus fort est l'assaut du prolétariat, plus dangereuse devient la position de la bourgeoisie, plus aussi la bourgeoisie sera obligée d’employer toutes ses forces dans sa lutte contre le prolétariat. Le prolétariat, après avoir vaincu dans un, deux ou trois pays, entrera en lutte sans merci avec le reste du monde capitaliste qui s’efforce de ruiner, par le sang et le fer, les efforts de la classe qui s’émancipe.

Que s’ensuit-il ? La classe ouvrière avant la société communiste et après la société capitaliste, dans la période transitoire qui sépare le capitalisme et le communisme, même après la révolution socialiste dans quelques pays, est obligée de soutenir une lutte violente contre ses ennemis intérieurs et extérieurs. Pour une telle lutte, il faut avoir une organisation solide, bien bâtie, qui ait à sa disposition tous les moyens de lutte. Cette organisation de la classe ouvrière est l’État prolétarien, le pouvoir des ouvriers. Comme tout autre État, l’État prolétarien est une organisation de la classe dominante (et la classe dominante est ici la classe ouvrière), une organisation de violence, mais de violence contre la bourgeoisie, un moyen de se défendre contre la bourgeoisie, et de la vaincre complètement.

Celui qui a peur d’une telle violence n’est pas un révolutionnaire. Le problème de la violence ne peut être tranché en disant que toute violence est mauvaise. C'est un non-sens. La violence que les riches exercent contre les pauvres, les capitalistes contre les ouvriers, est dirigée contre les masses ouvrières ; son but est de soutenir et de fortifier le brigandage capitaliste. La violence des ouvriers contre la bourgeoisie a au contraire pour but la libération de millions d’ouvriers, la délivrance du fouet du capital, des guerres de brigands, du pillage et de la destruction sauvage de tout ce que l’humanité a construit et acquis au cours de centaines et de milliers d années. C'est pourquoi la cause de la Révolution et l’établissement de la société communiste nécessite l’appareil de fer de la dictature ouvrière.

Chacun doit comprendre clairement que la classe ouvrière devra tendre toute son énergie (et elle doit le faire déjà maintenant) pour sortir victorieuse de la lutte contre ses nombreux ennemis et qu’aucune autre organisation ne peut soumettre ses ennemis que celle qui englobe la classe ouvrière et les paysans pauvres de tout le pays. Peut-on s’opposer à l’impérialisme étranger si l'on n’a pas en mains la puissance de l’État et une armée ? Naturellement pas ! Peut-on combattre la contre-révolution si on n’a aucune arme en mains (et c’est un moyen de violence), aucune prison pour enfermer les contre-révolutionnaires et les pillards (c’est aussi un moyen de violence), et aucun autre moyen pour contraindre et pour brider ? Comment peut-on obliger les capitalistes à se soumettre au contrôle ouvrier, aux diverses confiscations, etc., si la classe ouvrière n'a aucun moyen de se faire obéir ? On peut dire naturellement que quelques « Associations des cinq opprimés », quelques corps de guerre suffisent à cela. C'est un moyen ridicule. Quand la bourgeoisie fait marcher contre nous des régiments entiers et que nous avons la possibilité d’organiser contre elle aussi des régiments entiers, nous serions les derniers imbéciles si nous ne rassemblions pas toutes les forces pour organiser, exercer et éduquer des régiments rouges, révolutionnaires. Seule une organisation ouvrière ou une organisation des ouvriers et paysans, qui englobe tout le pays, peut le faire. Cette organisation est l’État ouvrier, la Dictature du prolétariat.

La nature de la période transitoire nécessite un État ouvrier. Même si la bourgeoisie est domptée dans le monde entier, habituée a l'oisiveté, elle grognera contre les ouvriers, elle se débarrassera du travail, et de toute manière nuira au prolétariat. On doit l'obliger à servir le peuple. Seuls le pouvoir et la contrainte peuvent le faire.

Dans les pays arriérés (la Russie est un tel pays) il existe encore une quantité de propriétaires et de capitalistes, petits ou moyens, de petits vampires, spéculateurs et parasites. Tous sont opposés aux paysans pauvres et davantage encore aux ouvriers des villes. Ils suivent le gros capital et les anciens propriétaires fonciers. Il est clair que les ouvriers et les paysans pauvres sont obligés de les brider quand ils combattent la Révolution. Les ouvriers doivent penser comment on pourrait introduire un ordre de choses juste, organiser la production reprise aux fabricants, aider les paysans à organiser l'agriculture, organiser une juste répartition du pain, des manufactures, des produits de fer, etc. Mais le parasite-sangsue, qui pendant la guerre s’est enrichi, se démène opiniâtrement et ne veut pas agir selon les règles générales. « Je suis mon propre maître ! » dit-il. Les ouvriers et les paysans pauvres doivent aussi l'obliger d’obéir, comme ils obligent à l’obéissance les gros capitalistes, les anciens propriétaires fonciers, les anciens généraux et les officiers.

Plus la situation de la Révolution est dangereuse. plus elle est entourée d’ennemis, plus aussi le pouvoir ouvrier doit agir sans pitié, plus la main révolutionnaire des ouvriers et des paysans pauvres doit être sûre et plus la dictature doit être énergique.

Le pouvoir de l’État est une cognée dans la main de la classe ouvrière qu'elle tient prête contre la bourgeoisie. Dans la société communiste; quand la bourgeoisie n’existera plus, quand il n'y aura plus de classes, quand il n'y aura plus ni danger intérieur, ni danger extérieur, cette cognée sera inutile. Mais dans la période transitoire, quand l'ennemi montre les dents et quand il se prépare à noyer toute la classe ouvrière dans le sang (qu'on se rappelle seulement le massacre des ouvriers finlandais les assassinats de Kieff, l’exécution des ouvriers et des paysans de toute l’Ukraine, les assassinats de Lettonie !). seul celui qui ne comprend ren peut rester désarmé et partir en guerre sans cette cognée du pouvoir de l’État.

On injurie la dictature du prolétariat de deux côtés. D'une part les anarchistes : Ils sont opposés à toute violence, par conséquent à la violence des ouvriers et des paysans. On peut leur dire : « Entrez dans un couvent de femmes si vous blâmez les ouvriers d'employer des moyens violents contre la bourgeoisie !

D'autre part, les mencheviki et les socialistes-révolutionnaires de droite s'élèvent aussi contre la dictature ouvrière (bien qu'ils aient écrit à ce sujet autrefois), ils sont surtout opposé-, à ce qu'on touche aux libertés... de la bourgeoisie. Ils voudraient que les chevaliers d'industrie reçoivent de nouveau ce qu'ils possédaient et, le cœur tranquille, se promènent dans les avenues et les parcs. Ils pensent que la classe ouvrière n’est pas tout à fait mûre pour la dictature. On peut leur dire : Allez à la bourgeoisie, qui vous aime tant, vous qui êtes ses avocats, mais laissez la classe ouvrière en repos ; laissez les pauvres tranquilles.»

Le parti communiste, précisément parce qu'il est partisan d’une dictature de fer des ouvriers sur les capitalistes, les vampires, les anciens propriétaires fonciers et tous les autres adorateurs de la vieille société capitaliste, est le groupe le plus révolutionnaire et le plus extrême des partis existants. « Par le pouvoir inébranlable et sans pitié des ouvriers, par la dictature du prolétariat au communisme ! » tel est le mot d'ordre de notre parti. Son programme est le programme de la dictature du prolétariat.

VI. Pouvoir des soviets ou république bourgeoise?[modifier le wikicode]

La conclusion inévitable de notre opinion sur la nécessité de la Dictature, est notre lutte contre la forme vieillie de la République parlementaire bourgeoise (on l'appelle aussi quelquefois « démocratie »), à laquelle nous opposons une nouvelle forme d’État : le pouvoir des Conseils de députés ouvriers, paysans et soldats.

Les mencheviki et les socialistes-révolutionnaires de droite défendent de toutes leurs forces la Constituante et la République parlementaire. Ils injurient à tous les carrefours, le pouvoir des Conseils. Pourquoi ? D'abord parce qu’ils craignent le pouvoir des ouvriers et veulent garder le pouvoir de la bourgeoisie. Les communistes qui veulent réaliser la société communiste (socialiste) non sur le papier, mais en fait, doivent nécessairement lutter pour la dictature du prolétariat et pour la chute finale de la bourgeoisie. C’est là que gît toute la différence. C’est pourquoi les partis des mencheviki et des socialistes-révolutionnaires marchent de pair avec les partis de la grosse bourgeoisie.

En quoi consiste la principale différence entre une république parlementaire et une république des soviets ? Dans le fait que les classes qui ne travaillent pas n’ont aucun droit de vote et ne prennent aucune part à l'administration de l’État dans la République des conseils. Les soviets dominent le pays. Ces conseils sont élus par le peuple travailleur dans les endroits où il travaille : fabriques, usines, ateliers, mines, dans les villages grands et petits. La bourgeoisie, les anciens propriétaires fonciers, les banquiers, les commerçants-spéculateurs, les marchands, les boutiquiers, les spéculateurs, les intellectuels bourgeois, prêtres, évêques, en un mot toute la bande noire, n’a pas le droit de vote, n’a aucun droit politique fondamental. La base de la République parlementaire est la Constituante. L’organe supérieur de la République des soviets est le Congrès des soviets.

En quoi le Congrès des soviets se distingue-t-il de la Constituante ? Il n’est difficile à personne de répondre.

Messieurs les mencheviki et les socialistes révolutionnaires de droite s’efforcent, il est vrai, d'envelopper la chose de nuages, inventant pour la Constituante des dénominations solennelles, comme : « Le seigneur de l’empire russe », etc. Mais la vérité ne se laisse pas cacher. La constituante se distingue du congrès des soviets par le fait qu’elle n’est pas élue par les travailleurs seulement, mais aussi par la bourgeoisie et tous ses agents. Elle s'en distingue parce que peuvent y siéger non seulement les ouvriers et les paysans, mais aussi les banquiers, les propriétaires et les capitalistes, non seulement le parti des ouvriers, les communistes, non seulement les socialistes révolutionnaires de gauche, non seulement les socialistes traîtres, genre socialistes révolutionnaires de droite et menchéviki, mais encore les cadets (le parti de la trahison du peuple), les octobristes, les ultra réactionnaires. Les dignes faiseurs de compromis s'efforcent d’avoir leurs voix. Lorsqu’ils crient la nécessité de la constituante « nationale et générale » , ils tiennent les soviets pour non nationaux parce qu’il y manque la bourgeoisie russe, les divers exploiteurs et sangsues. Adjoindre aux travailleurs toute la horde des parasites, donner à ces ennemis du peuple tous les droits, s'asseoir à côté d'eux au Parlement, faire du gouvernement de classe des ouvriers et paysans un gouvernement de la bourgeoisie sous le masque national, telle est la tâche des socialistes révolutionnaires de droite, des mencheviki, des cadets, en un mot du gros capitalisme et de ses agents petits bourgeois.

L'expérience de tous les pays montre que la bourgeoisie dupe toujours la classe ouvrière et les pauvres où elle jouit de tous les droits.

Quand la bourgeoisie tient en mains la presse et les journaux, quelle possède de grosses richesses, qu'elle nomme les fonctionnaires, qu'elle emploie les services de centaine de mille agents, qu'elle menace et effraie ses esclaves intimidés, elle obtient que le pouvoir ne lui échappe jamais des mains.

Le peuple presque entier vote selon l'apparence. Mais en réalité cette couverture cache la domination du gros capital qui s’installe d’une excellente manière et se vante de permettre au « peuple » de voter et de sauvegarder les différentes libertés « démocratiques », C'est pourquoi dans tous les pays qui sont en république bourgeoise (France, Suisse, États-Unis), malgré le suffrage universel, le pouvoir est complètement dans les mains des banquiers, C'est naturellement ce que les mencheviki et les socialistes révolutionnaires de droite désirent atteindre quand ils veulent renverser le pouvoir des soviets et convoquer la Constituante. En donnant le droit de vote à la bourgeoisie ils veulent préparer le passage à cet état social qui règne en France et en Amérique. Ils pensent, en effet, que les ouvriers russes « ne sont pas assez mûrs » pour tenir en mains le pouvoir. Le parti des communistes-bolchéviques pense au contraire, qu'une dictature des ouvriers est précisément nécessaire parce qu'il ne peut être question de l'abandon du pouvoir. On doit enlever à la bourgeoisie toute possibilité de duper le peuple. On doit la tenir absolument éloignée du gouvernement parce que nous sommes dans un temps de lutte vive, On doit fortifier et étendre la dictature des ouvriers et des paysans pauvres. C’est pourquoi le pouvoir d’État des soviets est nécessaire. Il n’y a pas de bourgeoisie là, pas de propriétaires fonciers Les organisations des ouvriers et des paysans règnent seules sur l’empire, elles ont grandi avec la révolution et portent sur leurs épaules tout le poids de la grande lutte.

Ce n’est pas tout. La simple république ne signifie pas seulement le pouvoir de la bourgeoisie. Toute son organisation interne l’empêche d'être pénétrée par l’esprit des travailleurs. Dans une république parlementaire chaque citoyen dépose un bulletin de vote tous les 4 ou 5 ans. Son rôle est ainsi terminé ; le champ est laissé libre aux députés, aux ministres, aux présidents, qui disposent de tout. Ils n’ont aucun lien avec les masses. Les masses du peuple travailleur sont seulement maniées et opprimées par les fonctionnaires de l’État bourgeois, elles ne prennent aucune part active au gouvernement.

La République des soviets, qui incarne la dictature ouvrière, est tout autre. Tout le gouvernement est organisé d'une façon spéciale. Le pouvoir des soviets n'est pas une organisation de fonctionnaires qui sont indépendants de la masse et dépendants de la bourgeoisie. Le pouvoir des soviets et ses organes reposent sur les plus grandes organisations de la classe ouvrière et des campagnards. Syndicats, comités de fabriques, conseils provinciaux des organisations des ouvriers, paysans, soldats et matelots, tous soutiennent le pouvoir central des soviets. Du pouvoir central des soviets partent dans toutes les directions des milliers et des millions de fils. Ces fils vont d’abord aux soviets provinciaux et régionaux, puis à ceux des villes ; de là ils vont au rayon urbain, atteignent les fabriques et les usines et unissent des centaines de mille ouvriers. Ainsi sont aussi organisées toutes les plus hautes organisations du pouvoir des soviets, par exemple le Conseil supérieur de l'économie populaire. Il est formé des représentants des comités des syndicats, des fabriques et des autres organisations. Les syndicats, de leur côté, réunissent des entreprises entières, ont des subdivisions dans les différentes villes et reposent sur la masse organisée des fabriques et des usines, 11 y a dans chaque fabrique un comité de fabrique nommé par les ouvriers de la fabrique ; ces comités de fabrique sont unis. Ils envoient leurs représentants au Conseil supérieur de l'économie populaire qui doit préparer les plans et diriger la production. Ici aussi l'organe central de l'administration industrielle est formé de représentants des ouvriers et repose sur les organisations de masses des ouvriers et des paysans les plus pauvres. Nous avons donc une tout autre organisation que les Républiques bourgeoises. Les droits ne sont pas seulement supprimés, à la bourgeoisie, il n'est pas seulement juste que les représentants des ouvriers et des paysans gouvernent le pays, il est encore plus juste que les Conseils soient en rapports constants avec les organisations de niasses des ouvriers et paysans et que. de cette manière, la grande masse prenne part au gouvernement de l’État ouvrier et paysan. C'est pourquoi chaque ouvrier organisé peut faire valoir son influence. Il ne prend pas part a l'administration de l’État par le seul fait qu’il nomme une fois par mois, ou tous les deux mois, ses hommes de confiance. Les syndicats préparent par exemple des plans pour l'organisation de la production. Ces plans sont alors étudiés dans les soviets ou les Conseils d'économie populaire, plus tard, s'ils sont acceptables, ils prennent force de loi quand le Comité central exécutif des soviets les ratifie. N'importe quel syndicat, n'importe quel comité d'usine peut» de cette manière, prendre part au travail commun de la création de la vie nouvelle.

Dans la République bourgeoise l’État se sent d'autant mieux que la masse déploie moins d'activité. Parce que l’intérêt des masses s’oppose à l'intérêt de l’État capitaliste. Si, par exemple, la masse commençait à parler dans la République nord-américaine, cela signifierait que la fin de la bourgeoisie et de son État approche. L’État bourgeois repose sur la tromperie des masses, sur leur sommeil, sur le fait que les masses sont écartées de toute participation au travail quotidien de l’État. qu'elles ne sont appelées à voter que de sept en quatorze et qu'elles se dupent elles-mêmes par leurs votes. Il en est tout autrement dans la République des soviets. La République des soviets, parce qu’elle incarne la dictature du prolétariat, ne peut vivre un instant si elle se sépare des masses ; elle est d’autant plus forte que les masses sont plus agissantes, qu'elles dépensent plus d énergie, qu'elles travaillent davantage en tout lieu, dans les fabriques et les usines, dans les villes et les villages grands et petits. C’est pourquoi ce ne fut pas une circonstance fortuite que le gouvernement des soviets, à la proclamation de ses décrets, se soit adressé aux masses, demandant aux ouvriers et aux paysans pauvres de les appliquer eux-mêmes. Ainsi s'est transformée, depuis la révolution d octobre, la signification des différentes organisations ouvrières et paysannes. Auparavant, elles étaient des organes de lutte de classe contre la bourgeoisie au pouvoir. Prenons, par exemple, les syndicats et les petits conseils de paysans. Auparavant, ils devaient lutter contre le capital pour des augmentations de salaires et des diminutions d’heures de travail : dans les villages ils devaient lutter contre les propriétaires fonciers pour leur prendre la terre et le sol. Maintenant que le pouvoir est aux mains des ouvriers et paysans, ces organisations deviennent des rouages du pouvoir de l’État. Les syndicats ne luttent pas seulement contre les capitalistes, mais comme organe du pouvoir ouvrier, comme partie du gouvernement des soviets, ils prennent part à l’organisation de la production, à l'administration de l'industrie ; de même, les conseils de village et de paysans, ne luttent pas seulement contre les vampires, la bourgeoisie et les propriétaires fonciers, ils s’occupent aussi d'établir le nouveau régime sur le terrain agraire, ils administrent les affaires agricoles comme organes du gouvernement ouvrier ; ils travaillent comme les hélices de la machine colossale de l'administration d’État, où le pouvoir est aux mains des ouvriers et paysans.

Ainsi, insensiblement, par les organisations ouvrières et par les organisations de paysans, des couches toujours plus profondes du peuple travailleur sont intéressées à l’administration du pays. Il n’existe rien de semblable dans un autre pays parce qu’aucun autre pays n’a vu la victoire de la classe ouvrière, parce qu’il n'y existe ni pouvoir ouvrier, ni dictature du prolétariat, ni République des soviets, ni État des soviets.

On comprend que le pouvoir des soviets qui incarne la dictature du prolétariat ne satisfasse pas tous les groupes de la population qui sont intéressés à un retour à l’esclavage capitaliste et non à une marche en avant vers la société communiste. On comprend aussi qu’ils ne peuvent dire ouvertement : « Nous souhaitons pour les ouvriers le fouet et le gourdin. » La duperie est nécessaire. Cette duperie est celle des mencheviki et des socialistes-révolutionnaires de droite, qui battent la grosse caisse pour « la lutte pour la République démocratique », pour « la Constituante, qui finalement doit sauver de tous les maux ». En réalité il n'est question que de remettre le pouvoir à la bourgeoisie. Sur cette question capitale aucune union n'est possible entre nous communistes et les différents groupes menchéviki, socialistes-révolutionnaires de droite, Novaia Jizn et autres messieurs. Ils sont pour le capitalisme, nous sommes pour l'effort en avant vers le communisme. Ils sont pour le pouvoir de la bourgeoisie, nous sommes pour la dictature du prolétariat. Ils sont pour la République parlementaire bourgeoise, dominée par le capital, nous sommes pour la République des soviets socialistes où tout le pouvoir appartient aux ouvriers et paysans pauvres.

Jusqu'à maintenant, jusqu'à la révolution russe de 1917, on n'a fait qu'écrire sur la dictature du prolétariat. Personne ne savait bien comment cette dictature serait réalisée. La révolution russe esquissa la forme de cette dictature : c’est la République des soviets. C’est pourquoi la meilleure avant-garde du prolétariat international inscrit maintenant sur sa bannière le mot d'ordre de la République des soviets et du pouvoir des conseils. C’est pourquoi notre devoir consiste à fortifier de tous . côtés le pouvoir des soviets, à le purifier de tous les éléments déshonorants, à attirer une immense quantité de camarades capables d'éduquer les masses ouvrières et paysannes pour l’œuvre de la Révolution. Les ouvriers et paysans ne peuvent et ne doivent défendre qu'un tel pouvoir, le pouvoir des soviets, le pouvoir des ouvriers et paysans.

Si les ouvriers et paysans avaient subi une défaite chez nous, si la Constituante avait été convoquée, si à la place de la République des soviets il s'était créé une vulgaire République bourgeoise à la façon de la France et des États-Unis, la classe ouvrière aurait été obligée de mettre à l’ordre du jour le renversement de cette République et elle n’aurait pas eu le devoir de la défendre. Son devoir est de défendre le pouvoir des ouvriers, non le pouvoir de la bourgeoisie. Envers le pouvoir de la bourgeoisie elle n'a qu'un devoir : le renverser !

VII. Les libertés de la classe ouvrière et des paysans pauvres (Liberté de la parole et de la presse, d’association et de réunion, etc., dans la République des soviets.)[modifier le wikicode]

Maintenant que nous avons une dictature des ouvriers et paysans, dont le but est d’étrangler complètement la bourgeoisie, de lui enlever toute envie de tenter la restauration du pouvoir bourgeois, il est clair qu'il ne peut être question d’aucune grande liberté pour la bourgeoisie comme il ne peut être question de lui accorder le droit de vote ou de transformer le pouvoir des soviets en un parlement républicain bourgeois.

Le parti des communistes (bolchéviki) est accablé de tous côtés de cris furieux, quelquefois même de menaces : « Vous suspendez la presse, vous emprisonnez, vous interdisez des assemblées, vous foulez aux pieds la liberté de la parole et de la presse, vous restaurez l’autocratie, vous êtes des despotes et des assassins » et bien mieux encore. Cette question des libertés dans la République des soviets doit être plus minutieusement étudiée.

Prenons d'abord un exemple : Lorsqu’en mars de l'année dernière (1917) la révolution éclata, les ministres impériaux (Stürmer, Protopopof, etc.) furent emprisonnés. Quelqu’un y fit-il opposition ? Personne. Et pourtant ces emprisonnements comme tous les emprisonnements, étaient une atteinte à la liberté individuelle. Pourquoi cette atteinte fut-elle admise de chacun ? et pourquoi dit-on maintenant : « Oui. on devait faire ainsi ! » Simplement parce que c'était l'emprisonnement de contre-révolutionnaires dangereux. Pendant la révolution on doit plus que jamais penser au onzième commandement « Prend garde ! » si l’on ne tient pas les yeux ouverts, si on laisse aller librement tous les ennemis du peuple, et qu’on ne prévienne pas le mal, il ne reste plus rien de la révolution.

Encore un exemple : Au moment où les Stürmer et les Goremikin étaient emprisonnés, on suspendit la presse ultra-réactionnaire. C'était une atteinte ouverte à la liberté de la presse. Une telle atteinte à la liberté de la presse était-elle juste ? Naturellement, elle était juste. Et aucun homme raisonnable ne niera qu’on devait agir ainsi. Pourquoi ? De nouveau parce qu’on est en période révolutionnaire, une lutte à mort est engagée et l’on est obligé de désarmer l’ennemi. La presse est une arme.

Déjà avant la révolution d'octobre les sociétés ultra-réactionnaires de Kiev — le « double aigle » et quelques autres — ont été dissoutes. C'était une atteinte à la liberté d'association... C'était agir avec justice parce que la Révolution ne peut pas supporter la liberté des associations contre-révolutionnaires. Lorsque Korniloff marcha contre Petrograd, une bande de généraux commença de faire grève, refusant de donner suite aux ordres du gouvernement provisoire. Ils déclarèrent qu'ils soutenaient complètement Korniloff. Pouvait-on admettre un tel droit de grève des généraux ? Il est clair qu'on devait soumettre ces généraux ultra-réactionnaires aux peines les plus sévères.

De quoi est-il donc question ? Nous voyons qu’une atteinte à la liberté est nécessaire à l'égard des adversaires de la Révolution. Dans la Révolution, il ne peut y avoir aucune liberté pour les ennemis du peuple et de la Révolution. C’est la conclusion claire et irréfutable.

De mars à octobre, les mencheviki, les socialistes révolutionnaires de droite et la bourgeoisie ne se sont pas lamentés du fait qu’en mars il y ait eu une « usurpation violente », du fait que la liberté de la presse (ultra-réactionnaire) et la liberté de parole (ultra-réactionnaire), etc., aient été foulées aux pieds. Ils ne s'en sont pas lamentés parce que cela fut fait par Gutchkoff, Milioukoff, Rodsjanko, Tereschtschenko et leurs fidèles serviteurs, Kerenski et Tseretelli, qui en mars prirent le pouvoir.

En octobre, la situation changea. En octobre, les ouvriers s’élevèrent contre la bourgeoisie, qui s’était assise sur leur nuque en mars. En octobre, les paysans soutinrent les ouvriers. On comprend que la bourgeoisie devint l’ennemie furieuse de la révolution ouvrière et dans sa haine elle ne fut pas inférieure aux propriétaires fonciers. Tous les gros capitalistes s'unirent contre la classe ouvrière et les paysans pauvres. Tous se groupèrent autour du soi-disant « parti de la liberté populaire » (en réalité : « parti de la trahison populaire »), contre le peuple. Il est compréhensible aussi que les ennemis du peuple hurlèrent de toute leur rage, « brigands », « tyrans », etc., quand le peuple commença d’étouffer ses ennemis.

Il est maintenant clair aux ouvriers et paysans que le parti des communistes ne réclame aucune liberté (de la presse, de parole, de réunion ou d’association, etc.) pour les ennemis du peuple, pour les bourgeois. Au contraire. Il demande qu’on soit toujours prêt à suspendre la presse bourgeoise, à dissoudre leurs associations, à leur interdire de mentir, de calomnier et de semer la panique, à opprimer sans la moindre pitié toute tentative de retour au pouvoir. En cela consiste précisément la dictature du prolétariat.

Quand il est question de la presse, nous demandons d’abord de quelle presse on parle — de la presse bourgeoise ou de la presse ouvrière ; quand il est question d’assemblées, nous demandons de quelles assemblées — ouvrières ou contre-révolutionnaires ; quand on touche à la question des grèves, ce qui est le plus important pour nous, c'est de savoir s il s agit d’une grève ouvrière contre les capitalistes ou d’un sabotage de la bourgeoisie ou de l'Intelligence bourgeoise contre le prolétariat. Celui qui ne fait pas de différence entre ces choses n’y comprend rien. La presse, les assemblées, les associations, etc., sont des moyens de la lutte de classe ; pendant l'époque révolutionnaire, ce sont des armes de la guerre civile aussi bien que les dépôts d’armes, les mitrailleuses, la poudre et les bombes. Toute la question est : par quelle classe et contre quelle autre classe seront-elles dirigées ?

La révolution ouvrière ne peut accorder aucune liberté à Korniloff, Dutoff, Milioukoff, pour organiser une révolte contre les masses ouvrières. De même, elle ne peut remettre une entière liberté de presse, de parole, de réunion ou d'association aux bandes contre-révolutionnaires qui poursuivent leur politique avec la plus grande opiniâtreté et n'attendent qu’une occasion pour se ruer sur les ouvriers et les paysans.

Nous avons vu plus haut que les socialistes révolutionnaires de droite et les mencheviki ne sont soucieux que des votes de la bourgeoisie quand ils lancent le mot d’ordre de la Constituante. Quand ils tempêtent comme des sauvages contre l’abolition de toutes les libertés, il ne s’agit aussi que des libertés de la bourgeoisie. On ne doit pas toucher la presse bourgeoise, les meneurs bourgeois, les organisations bourgeoises contre-révolutionnaires ! Telle est en réalité la position de ces messieurs.

Mais on nous dit : Vous avez aussi suspendu les journaux des mencheviki et des socialistes-révolutionnaires ; le parti des communistes a aussi parfois frappé la personnalité d'hommes honorables qui furent emprisonnés sous le gouvernement du tsar. Qu'en, est-il de cette affaire ? Nous pouvons répondre à cette question par une autre question : Lorsque le socialiste- révolutionnaire de droite Goltz organisa un soulèvement des nobles et des officiers contre les soldats et les ouvriers, devait- on le caresser pour cela ? Quand le socialiste-révolutionnaire de droite Rudneff et son coreligionnaire politique, le colonel Riabzer, en octobre, armèrent la garde blanche de Moscou, les rejetons de la bourgeoisie, les propriétaires d’immeubles et autres petits junkers et la jeunesse légère du beau monde, quand ils tentèrent avec les officiers et les junkers d’écraser à l'aide de mitrailleuses et de noyer dans le sang la révolte des ouvriers et soldats, devait-on pour cela leur suspendre une décoration au cou ? Lorsque le journal menchevik « En Avant » (en réalité « En Arrière ! ») et le journal socialiste-révolutionnaire «Trud » firent croire aux ouvriers de Moscou au moment le plus chaud et le plus critique de la lutte, que Kerensky avait repris Pétrograde (ils le faisaient pour égarer la volonté des ouvriers), devait-on les louer pour de telles intrigues provocatrices ?

Que conclure ? Lorsque les social-traîtres et leurs organes commencent à servir la bourgeoisie avec empressement, au delà de toute mesure, lorsqu’ils cessent de se distinguer par leur conduite réelle, des excitateurs cadets ultra-réactionnaires, on peut et on doit les frapper des mêmes mesures que leurs chers bienfaiteurs. Il y a beaucoup de ces individus qui luttaient contre les tsars et les propriétaires fonciers, mais qui gémissent d’une voix lamentable, quand les ouvriers frappent les richesses de la bourgeoisie. Nous les remercions pour le passé, mais si, dans le présent, ils ne se distinguent en rien des ultra-réactionnaires, ils ne doivent pas gémir d'être traites comme eux.

Un frein est nécessaire à la bourgeoisie et à tous les ennemis du prolétariat et des paysans pauvres, mais la complète liberté de parole, de presse, d’association, etc., est garantie au prolétariat et aux paysans, pas en paroles seulement, mais en fait. Jamais, dans aucun État, il n'y a eu autant d'organisations d’ouvriers et de paysans que maintenant, sous le pouvoir des soviets. Jamais un État n'a aidé les nombreuses organisations ouvrières et paysannes, comme de nos jours le pouvoir des soviets. Cela vient du simple fait que le pouvoir des soviets est le pouvoir des ouvriers et des paysans et il n'y a aucun miracle qu’un tel pouvoir soutienne les organisations de la classe ouvrière, autant que cela est possible et qu'il y a pour cela des forces et des moyens. Nous le répétons, les communistes appliquent réellement ces libertés et ne se contentent pas de les annoncer au monde. Un petit exemple : La liberté de la presse ouvrière : Sous la pression de la classe ouvrière, la bourgeoisie peut aussi accorder une plus ou moins grande liberté à la presse ouvrière. Mais les ouvriers n'ont aucun moyen ; toutes les imprimeries sont aux mains des capitalistes qui ont tout acheté. L’ouvrier se promène avec sa liberté de la presse, il ne peut réaliser cette liberté sans argent et sans papier ! Les communistes se rendent chez messieurs les propriétaires d’imprimeries et de papier et leurs disent : L’État prolétarien confisque votre imprimerie, la déclare propriété de l’État ouvrier et paysan et la met à la disposition des camarades ouvriers.

Ils peuvent ainsi réaliser leur liberté de la presse ! Il va de foi que messieurs les capitalistes hurlent- On ne peut obtenir qu'ainsi la vraie liberté de la presse ouvrière.

On peut encore nous poser une question : Pourquoi les bolchéviki ne parlaient-ils pas auparavant de la suppression des libertés de la bourgeoisie ? Pourquoi étaient-ils eux-mêmes auparavant peur une république démocratique bourgeoise ? Pourquoi étaient-ils autrefois pour la Constituante et ne parlaient-ils pas de la suppression du droit de vote pour la bourgeoisie ? En un mot, pourquoi ont-ils maintenant changé de programme sur ces points ?

La réponse est très simple. La classe ouvrière n’avait encore aucune force pour se lancer directement à l’assaut de la forteresse capitaliste, elle avait besoin de préparation, d'accumulation des forces, d'éducation des masses, d’organisation.

Elle avait, par exemple, besoin de la liberté de la presse ouvrière, de sa presse, non de la presse de ses maîtres. Mais elle ne pouvait aller auprès des capitalistes et de leur pouvoir d’État et leur dire : « Messieurs les capitalistes, fermez vos journaux et éditez mes journaux, les journaux ouvriers ! » On se serait seulement moqué d'elle, parce qu'il est. grotesque de poser une telle revendication aux capitalistes, c'est leur demander de se couper en morceaux de leurs propres mains. On ne pose de telles revendications que lorsqu’on s’élance à l’assaut. Auparavant, il n'y avait pas une telle époque, c’est pourquoi la classe ouvrière (notre parti aussi) disait : « Vive la liberté de la presse ! » (pour toute la presse, aussi la presse bourgeoise !).

Un autre exemple . Il est clair que les associations capitalistes, celles qui chassent les ouvriers sur la rue et qui préparent les listes noires, sont très nuisibles à la classe ouvrière. Mais elle ne pouvait pas se présenter et dire : Supprimez vos associations et développez les nôtres. Pour cela, il fallait briser le pouvoir capitaliste, et les forces manquaient pour le faire. C’est pourquoi notre parti disait : « Nous réclamons la liberté d’association (en général, non seulement celle des ouvriers).

Maintenant, ces temps ont changé. Il ne s’agit plus de la longue préparation à la lutte ; nous vivons dans l’époque qui suit le combat, après la première grande victoire sur la bourgeoisie. Maintenant, un autre devoir s’impose à la classe ouvrière : Briser définitivement la résistance de la bourgeoisie. C'est pourquoi la classe ouvrière qui agit pour libérer toute l'humanité de la barbarie et de la terreur du capitalisme, est maintenant obligée de remplir jusqu’au bout ce devoir avec une ferme décision : Aucune indulgence à l'égard de la bourgeoisie, complète liberté et possibilité de réaliser cette liberté pour la classe ouvrière et les paysans pauvres.

VIII. Les banques, propriété collective des travailleurs (La nationalisation des banques)[modifier le wikicode]

Nous avons vu que la cause de tout le mal de la société capitaliste provient de ce que tous les moyens de production appartiennent à la classe des propriétaires fonciers et des capitalistes.

Nous avons aussi vu que l'émancipation ne pouvait se faire, qu'en arrachant ces moyens de production des mains de la classe capitaliste (que ce soit des capitalistes isolés, des associations de capitalistes ou de l'État bourgeois) et en les remettant aux mains des classes travailleuses.

On ne peut le faire, et cela ne sera fait, que lorsque les ouvriers et paysans auront en mains cette arme puissante qu'est le pouvoir des travailleurs, le pouvoir des soviets.

On comprend qu'on ne peut avancer ici qu’en prenant d'abord au capital ses domaines les plus importants et les plus essentiels, ses meilleures forteresses économiques. Deuxièmement, il est nécessaire de commencer par ce qui est le plus facile, non seulement à prendre, mais aussi a organiser et a mettre sous contrôle ; on doit procéder de façon que la chose se réalise le plus facilement possible. Nous savons déjà que le devoir des ouvriers et des paysans pauvres n’est pas de tout prendre aux riches, de fourrer dans sa poche ce qui a été pris, de piller et de se répartir le butin, mais de créer une coopérative de production qui travaille d'après un plan et qui organise la production des produits et leur répartition.

Il s'ensuit que la classe ouvrière doit d'abord s'en tenir aux organismes qui existaient auparavant à l'usage des capitalistes, qu'elle doit les transformer à sa manière, les organiser de façon qu’ils ne servent plus les capitalistes, les propriétaires fonciers et les roués spéculateurs, mais le peuple travailleur.

C'est pourquoi notre parti pose celte revendication (qui est déjà réalisée) : La nationalisation des banques, c'est-à-dire la remise des banques aux mains de l’État des prolétaires et paysans.

On pense ordinairement que les banques n’ont de signification que par les monceaux d’or et les quantités de billets de banque et de valeurs qui reposent dans leurs caveaux et que c’est la raison pour laquelle les communistes étaient avides de s’emparer des banques. La réalité est tout autre.

Les banques actuelles ne sont pas seulement des sacs d'or. Elles sont beaucoup plus importantes : en particulier, les banques sont la tète, le sommet de l'organisation capitaliste qui règne sur l'industrie. Comment ? Voici : Les industriels-capitalistes gagnent des profits continuels et les capitaux leur coulent dans les mains comme un fleuve ininterrompu. Où le capitaliste met-il le profit obtenu ? Il en dévore une partie, la dissipe en bon vin et en bonne chère. L’autre partie, la plus grosse, il l’épargne pour agrandir son « affaire ». Mais il ne peut agrandir son affaire à tout instant, il ne le peut que lorsqu’il a épargné une somme suffisamment rondelette, quand il lui arrive une somme suffisante pour édifier par exemple une nouvelle aile de fabrique ou pour acheter de nouvelles machines. Aussi longtemps qu'il n'a pas cette somme, il met son capital en banque pour qu'il ne demeure pas inactif et que la banque lui bonifie un certain intérêt.

Ce capital reste-t-il en banque et y grandit-il de lui-même ? Naturellement pas !

La banque met ce capital en circulation. Elle fonde des entreprises propres et en reçoit de solides profits ou bien elle achète une partie des actions d’entreprises déjà existantes, ou d’entreprises qu'on est en train de créer. Ses actions lui rapportent des dividendes beaucoup plus élevés que ceux qu'elle paye à ses déposants.

Le surplus reste à la banque. Cet excédent s'accumule, est de nouveau mis en circulation et de cette manière le capital particulier de la banque grossit. Les banques, plus ce système dure, deviennent les véritables propriétaires des entreprises industrielles : elles possèdent complètement certaines entreprises, d’autres en partie seulement. L’expérience prouve qu'il suffit de posséder de 30 à 40 % de toutes les actions, pour dominer en fait toute l'entreprise. La réalité est telle. En Amérique, par exemple, deux banques dirigent et dominent toute l'industrie.

En Allemagne quatre banques tiennent en mains toute la vie économique du pays. Le même phénomène existe en partie en Russie. L'immense majorité des grosses entreprises russes sont des sociétés anonymes.

Les banques russes étaient propriétaires d’un très grand nombre d’actions de ces entreprises, les sociétés anonymes étaient donc en rapport étroit avec les banques et dépendaient complètement d’elles, elles étaient à leurs « ordres ». Puisque une banque dispose du sort de beaucoup d’entreprises industrielles, il est clair qu'une série de grandes banques est en réalité la plus haute administration de l'industrie, le point central ou se rencontrent tous les fils des différentes entreprises. C'est pourquoi la prise en possession des banques, leur expropriation des mains privées et leur remise à l’État ouvrier et paysan, ou, comme on dit : leur nationalisation, devient, pour la classe ouvrière, la nécessité primordiale. La bourgeoisie, sa presse et ses acolytes lancent à cette occasion un sauvage hurlement : « Les bolchéviki sont des brigands ! Les bolchéviki sont des voleurs ! Ne laissez pas piller la richesse populaire et les économies du peuple ! » Ces hurlements sont compréhensibles : la bourgeoisie sentait que la nationalisation des banques était la prise de la forteresse principale de la société capitaliste par la classe ouvrière et par conséquent le premier pas décisif vers la destruction du monde du profit et de l'exploitation. Si le prolétariat met la main sur les banques actuelles, il tient déjà dans une grande mesure les rênes de l'industrie.

D’un autre côté, il n’est pas difficile de comprendre qu'il serait impossible de débusquer les capitalistes des fabriques et des usines sans la nationalisation des banques. La fabrique actuelle dépend de la banque : ou bien la banque en est simplement propriétaire ou possède une partie des actions, ou bien elle lui accorde le crédit de toute autre façon et sous une autre forme.

Supposons maintenant que dans une fabrique les ouvriers aient tout mis sous leur contrôle. Si la banque est en mains privées, aux mains de la bourgeoisie, une telle entreprise est ruinée : La banque déclare qu'elle lui retire son crédit. C’est aussi important que de couper le ravitaillement d’un fort assiégé. Inévitablement les ouvriers doivent se rendre et tomber aux pieds des capitalistes. La nationalisation des banques par le gouvernement des soviets permet au pouvoir ouvrier et paysan? de disposer et de gouverner les moyens financiers et toutes les espèces de papiers qui les remplacent, de façon non seulement à ne pas entraver la reprise de l’industrie par la masse travailleuse, mais à la nécessiter au contraire. Le pouvoir qui, aux mains des banquiers était dirigé contre les ouvriers, se transforme ainsi en un pouvoir qui aide la classe ouvrière et qui est dirigé contre les capitalistes.

Le devoir suivant consiste à grouper en une banque populaire unique différentes banques privées ; réunir l’activité des banques, ou comme on dit, centraliser les affaires bancaires. Dans le passage de l'industrie aux mains de la classe ouvrière, la banque populaire se transforme en un comptoir central, en une institution qui règle les « payements » entre entreprises particulières et entre branches diverses de la production. En fait, nous admettons que les industries du charbon, de l'acier et du fer dépendent de la banque centrale. Chacune d’elles doit consommer les produits des autres: Les aciéries doivent recevoir du charbon des mines, les usines qui travaillent l’acier doivent se procurer l’acier des fonderies, etc. Il va de soi que ces entreprises dépendant complètement de la banque, tout « payement » peut se faire par une simple opération de comptabilité. La banque devient le comptoir des comptes, la comptabilité centrale où l’on peut voir toutes les relations entre les différentes entreprises et les diverses productions. Suivant le jugement de la situation, la banque soutient l'industrie par des moyens financiers.

Si on arrive à organiser tout le travail sur ce type (notre parti et le pouvoir des soviets, à la tête duquel il se trouve, poursuivent ce but), nous aurons finalement l'image suivante : Toutes les branches de la production appartiennent à l’État ouvrier ; elles sont unies par la banque populaire centrale ; ici se réunissent tous les fils des différentes entreprises ; la banque tient un compte exact de ces entreprises et des affaires qu’elles font entre elles, qu'elles amortissent mutuellement à mesure qu'une branche d'industrie livre ses produits à une autre. Dans la banque, dans cette comptabilité de toute la production sociale, se reflète de cette manière la situation générale de la production et des rapports entre les différentes parties de cette production. La banque centralisée et nationalisée (c'est-à-dire unie dans les mains de l'État ouvrier et paysan) se transforme en une comptabilité sociale de la production coopérative socialiste.

IX. La grande industrie au peuple travailleur (Nationalisation de l'industrie)[modifier le wikicode]

La nationalisation prolétarienne des banques est, nous l'avons vu, le pas décisif dans la voie de la reprise des moyens de production des mains des exploiteurs. Mais si le pouvoir des capitalistes, leur droit à la propriété demeure sur les fabriques et les usines, même sur la partie de la grande industrie qui ne dépend pas directement des banques, l'amélioration serait bien faible. Les employeurs retireraient de la banque des moyens financiers et messieurs les capitalistes exploiteraient leurs ouvriers en tout repos, soutirant des subsides au gouvernement pour les employer Dieu sait comment. C'est pourquoi le passage au régime communiste, inconcevable sans la nationalisation des banques, est inconcevable aussi sans la nationalisation prolétarienne de la grosse industrie.

Ici aussi, la classe ouvrière et notre parti s'efforcent de ne pas seulement détruire l'ancien régime, de ne pas arracher simplement aux capitalistes la domination de la production, mais aussi de créer de nouvelles conditions. C'est pourquoi on doit poursuivre la nationalisation de l'industrie, des grosses entreprises, et en premier lieu des branches d'industrie syndiquées.

Qu’est-ce qu’une industrie syndiquée ? Des syndicats (ou cartels) sont de grandes associations de capitalistes ; quand les possesseurs de quelques entreprises voient qu'il n'y a aucun intérêt à se voler mutuellement les acheteurs et qu’il est beaucoup plus profitable de former une solide association pour piller le public avec des forces réunies, ils organisent un syndicat ou une association encore plus étroite de fabricants, un trust. Quand les fabricants ne sont pas unis dans de telles associations, chacun d’eux fait descendre les prix des autres, chacun veut voler les clients de son concurrent et il ne peut le faire que s’il vend meilleur marché que lui ; il ne supporte pas cela et commence à se ruiner. Une telle lutte entre les fabricants-capitalistes conduit les petits industriels à la ruine ; les gros requins du capital, les industriels les plus riches sortent victorieux. Supposons que dans n'importe quelle branche d'industrie (la métallurgie par exemple), il ne reste plus que trois ou quatre grosses firmes. Quand l'une d'entre elles est plus forte que les autres, elle continue la lutte jusqu’à ce que les autres soient ruinées. Mais si leurs forces sont à peu près égales ? Il est clair que la lutte est vaine, tous les adversaires s'affaiblissent dans la même mesure. Ils sentent alors le besoin de conclure entre eux un pacte, ils organisent une association de ces entreprises et s'engagent à ne pas vendre leurs produits meilleur marché que certains prix fixés par eux. Ils se répartissent les commandes ou assignent une région à une firme, une autre région à une autre ; en un mot, ils se répartissent le marché à l'amiable. Quand les firmes entrées dans le syndicat produisent plus de la moitié de tous les produits de la branche d'industrie en question, le syndicat domine le marché, ses membres fixent de très hauts prix pour leurs produits et peuvent réduire leurs concitoyens à la mendicité. Il est naturel que celles qui sont entrées dans l'association créent une administration commune des entreprises autrefois séparées, tiennent un compte commun exact de tous les produits livrés, organisent la répartition des commandes ; en un mot, elles doivent organiser la production. Les capitalistes s’unissent dans leurs associations, non pour le peuple, non pour que le peuple reçoive davantage, mais pour le profit et le gain des capitalistes, pour piller complètement les ouvriers et voler les acheteurs.

On comprend maintenant pourquoi la classe ouvrière doit nationaliser d’abord les branches d'industries syndiquées, simplement parce que les capitalistes les ont organisées. Il est naturellement plus facile de venir à bout de la production organisée — même si messieurs les capitalistes l’ont organisée les premiers. On doit naturellement fortement modifier les organisations capitalistes. On doit en chasser les ennemis obstinés de la classe ouvrière, on doit y assurer une forte position des ouvriers afin que tout leur soit soumis ; on doit complètement détruire certaines choses. Mais un enfant comprendrait qu'il est plus facile de se rendre maître de telles branches d'industrie. Les choses se présentent ici comme pour les chemins de fer d’État. Ils ont été organisés par l’État bourgeois ; mais il était plus facile à l’État ouvrier de les reprendre en mains parce qu'ils avaient une administration centralisée, une organisation.

Dans l'Europe occidentale (en particulier en Allemagne) et aux États-Unis d'Amérique, presque toute la production fut remise aux mains de l'État capitaliste pillard pendant la guerre. La bourgeoisie comprit qu'elle ne pouvait obtenir la victoire que si la guerre criminelle était organisée au mieux. La guerre actuelle ne nécessite pas seulement l'abandon d'argent, elle demande que toute la production soit organisée pour la guerre, qu'il y ait un compte serré de toutes choses afin que rien ne reste inutilisé et que toutes les forces soient régulièrement réparties. Cela n’est possible que grâce à une administration réunie et centralisée. La bourgeoisie européenne réalisa cela en mettant presque toute la production à la disposition de son État pillard. On comprend bien que cette production n’est pas organisée pour l’avantage de la classe ouvrière, mais pour conduire la guerre pillarde et pour donner à la bourgeoisie la possibilité de s'enrichir. Il n'y a rien d'étonnant qu’à la tête de ces travaux forcés organisés se trouvent des généraux, des banquiers et de gros exploiteurs. Il n'y a rien d’étonnant non plus que la classe ouvrière y soit exploitée, et les ouvriers transformés en esclaves blancs, en serfs. D'un autre côté, si la classe ouvrière brise là le régime capitaliste, il lui sera très facile de reprendre la production et de l’organiser d'une nouvelle manière.

Elle doit en chasser les généraux et les banquiers et nommer partout de ses propres hommes. Mais elle peut utiliser cet appareil de comptes, de contrôle et d'administration que les pillards du capitalisme ont déjà créé. C’est pourquoi il est mille fois plus difficile aux ouvriers de l'Europe occidentale de commencer (de détruire le formidable État bourgeois) ; mais il leur sera beaucoup plus facile après de venir à bout de la production organisée déjà par la bourgeoisie.

La bourgeoisie russe qui vit son pouvoir intenable, le prolétariat se rapprochant de la victoire, avait grand’peur de suivre la voie où s'était engagée la bourgeoisie de l’Europe occidentale. Elle vit que la production organisée tomberait aux mains de la classe ouvrière avec le pouvoir de l’État. C'est pourquoi elle ne se préoccupa d'aucune organisation et sabota au contraire, au temps de Kerenski, la production.

On doit cependant remarquer qu’en Russie, déjà avant la guerre, les plus importantes branches de l'industrie furent syndiquées, grâce en partie au capital étranger. On peut le dire surtout pour ce qu’on appelle la grosse industrie (charbonnages, métallurgie, etc.). Ces formidables syndicats « Prodameta », « Produgol », « Prodwagon », « Krowlja », sont connus de chacun. Il est nécessaire de nationaliser d’abord cette grosse industrie (cela est déjà fait, par ex. : la production de l’Oural est nationalisée presque sans exception), mais toute la grande industrie doit ensuite être nationalisée. Par le passage de la grande industrie aux mains de l’État ouvrier, les petites entreprises en deviendront aussi dépendantes. Car beaucoup de petites entreprises dépendaient très fortement des grosses avant la nationalisation. Il arrive qu'elles sont de simples ateliers de réparation des gros industriels. Dans un autre cas, la grande entreprise consomme leurs produits, ou bien elles en dépendent comme acheteuses de matières premières, ou bien encore elles dépendent des banques, etc.

Par la nationalisation des banques et de la grande industrie, elles seront aussi soumises, dans une certaine mesure, à la production nationalisée. Il reste naturellement encore une quantité de petits patrons, d'artisans etc. Il y en a beaucoup en Russie. Mais les artisans ne forment pas la pierre angulaire de notre industrie, c'est l'usine ; la nationalisation de la production par l’État ouvrier porte au capital un coup irrémédiable.

Les banques et la grande industrie sont deux forteresses importantes du capital. Leur expropriation par la classe ouvrière, par le gouvernement ouvrier, est la fin du capitalisme et le commencement du socialisme. Les moyens de production, ce support essentiel de la vie humaine, sont ainsi enlevés des mains d'une petite bande d’exploiteurs et remis dans celles de la classe ouvrière, du gouvernement des ouvriers et paysans.

Les menchéviki et les socialistes-révolutionnaires de droite qui ne veulent pas dévier d'un pas du droit chemin et qui marchent la main dans la main avec la bourgeoisie, s’indignent effroyablement de toute nationalisation opérée par le pouvoir des soviets. Ils sentent fort bien, comme la bourgeoisie, que c'est porter un coup brutal en plein cœur du régime capitaliste qui leur est si cher et si confortable. C'est pourquoi ils embrument l'esprit des ouvriers en leur racontant qu’ils ne sont pas encore « assez murs » pour le socialisme, que nous avons une industrie tellement arriérée qu’il est impossible de l’organiser, etc. Nous avons déjà montré que la chose n'est pas ainsi. Le retard de la Russie ne provient pas du fait qu’il y a peu de grandes entreprises dans notre industrie. Au contraire, il y en a beaucoup. Notre retard provient de ce que toute notre industrie prend trop peu de place en regard de notre agriculture, mais il ne faut pas déprécier l’importance de notre industrie pour cela. Ce n’est pas en vain que la classe ouvrière est à la tête des forces vives de la Révolution.

Le fait suivant est encore intéressant : Messieurs les menchéviki et les socialistes-révolutionnaires de droite proposèrent en son temps, alors que le pouvoir était dans leurs mains et dans celles de la bourgeoisie, un programme pour le contrôle d’État sur l'industrie. Ils n’écrivaient pas alors sur notre état retardé. Ils pensaient alors qu’il était possible d'organiser l'industrie. D'où vient cette différence ? C’est très simple. Les menchéviki et les socialistes-révolutionnaires de droite considèrent qu'il est nécessaire que l’État bourgeois organise la production. (En Europe occidentale, Guillaume, Georges et le président Wilson sont aussi d’accord.) Le parti des communistes désire, au contraire, que l’État prolétarien organise la production. La question est ainsi clairement résolue. C'est de nouveau la même histoire : les menchéviki et les socialistes-révolutionnaires retournent au capitalisme, les communistes avancent vers le socialisme et le communisme, Les communistes comptent la nationalisation des banques et de la grande industrie comme les pas les plus importants dans cette voie.

X. La culture collective de la terre[modifier le wikicode]

La révolution d'octobre réalisa ce que les paysans russes avaient désiré pendant des siècles ; elle enleva le sol aux propriétaires fonciers et le remit aux mains des paysans La question se pose : Comment doit-on diriger le travail de la terre ? Les communistes doivent prendre ici la même position que dans la question du partage des entreprises industrielles. On peut naturellement partager le sol plus facilement qu'une fabrique. Mais que sortirait-il de ce partage du sol entre les paysans ? Celui qui a économisé quelque argent, celui qui est plus fort et plus riche deviendrait rapidement un privilégié, se transformerait facilement en une sangsue parasite et en un spéculateur.

Plus tard, il monterait encore plus haut, et commencerait d'acheter le sol de ceux qui s’appauvrissent. On voit qu'après quelque temps, le village serait de nouveau partagé en gros propriétaires fonciers, propriétaires, et pauvres, auxquels il ne resterait plus que d'émigrer en ville ou de se louer chez les riches du village. Ces nouveaux propriétaires fonciers ne seraient, il est vrai, pas des nobles, ce seraient de riches paysans, mais cette différence est mince. Le propriétaire foncier sangsue est une véritable araignée, « un escroc » qui s'asseye encore plus solidement sur la nuque du pauvre que le noble dégénéré, qui a sombré et qui n'est plus bon à rien.

Sur la voie du partage, il n'y a donc aucune issue. L'issue ne se trouve que dans le droit de propriété sociale, dans le droit de propriété du peuple sur la terre et le sol, si la terre est ' proclamée propriété des travailleurs. Le pouvoir des soviets promulgua la loi de la socialisation du sol. Les propriétaires fonciers sont en réalité expulsés de la terre qui devient propriété collective du peuple travailleur.

Mais cela ne suffit pas. Après une telle réforme, la terre ne doit pas seulement être propriété commune, on doit chercher à la travailler en commun. S’il n'y a pas un travail commun et collectif, il est indifférent de promulguer une loi de socialisation, il n’en sortira rien. L'un remuera sa portion de travail, un autre remuera la sienne, et quant on vit ainsi séparé, sans entraide et sans travail commun, on s’habitue insensiblement à considérer la terre comme propriété privée. Et aucune loi d'en haut ne remédie au mal d'en bas. La culture en commun de la terre ! voilà ce qu'on doit poursuivre et atteindre.

Dans l’agriculture, comme dans l'industrie, c’est mieux de diriger la production sur une grande échelle, Dans les grandes entreprises on peut employer de bonnes machines agricoles, épargner le matériel, organiser le travail d’après un plan, placer chaque travailleur à son poste, tenir un compte exact de tout, afin de ne pas dépenser inutilement du matériel ou des forces. Le but n'est pas que chaque paysan se remue sur son lopin de terre comme un bousier sur son petit tas de fumier, mais que les paysans pauvres organisent le travail commun si possible sur la plus grande échelle.

Comment atteindre ce but ? On peut l’atteindre de deux manières : premièrement par la culture collective des anciens grands domaines seigneuriaux ; deuxièmement par l'organisation de communautés de travail agricole.

Dans les anciens domaines seigneuriaux où la terre n'était pas complètement remise en fermage aux paysans mais où elle était organisée en une seule entreprise, on menait cette entreprise dix fois mieux que les paysans séparés. Le mal dans l’affaire, c’est que les bénéfices tombaient dans les mains du propriétaire foncier qui s’asseyait sur la nuque des paysans. Pour les communistes, une chose est claire : Comme les ouvriers ne doivent pas piller l’inventaire de la fabrique, se le répartir, et ruiner la fabrique, les paysans doivent agir de même. Dans les domaines seigneuriaux, il y a quelquefois beaucoup de bon : il y a des chevaux et des bêtes à cornes, des semences, différentes machines pour faucher et moissonner, etc. Dans d’autres domaines on a construit des laiteries, des fromageries, de vraies fabriques. Ce serait bête de piller et de disperser tout cela dans les fermes isolées. Les sangsues y sont intéressées, elles savent que tôt ou tard tout leur retombera dans les mains lorsqu’elles rachèteront la part du pauvre paysan. La sangsue voit que sur ce chemin du partage un pays de Cocagne l’attend. Les intérêts des paysans pauvres, des demi-prolétaires, de ceux qui se tirent d'affaire avec peine et qui doivent parfois aussi se louer, sont totalement différents.

Pour les paysans pauvres, il est mille fois plus profitable de faire avec les gros domaines ce que les ouvriers font avec les usines, les mettre sous leur contrôle et leur administration, cultiver en commun l'ancien domaine seigneurial, ne pas dévaliser les fermes, mais utiliser en commun toutes les machines et l'inventaire qui appartenaient autrefois au propriétaire foncier et qui passent aux mains des paysans ; engager à frais collectifs des agronomes et des gens expérimentés et cultiver la terre, non à la manière des fous, afin que la terre ne rapporte pas moins qu’au temps des propriétaires fonciers, mais davantage. Prendre le sol n’est pas difficile, prendre les richesses n’est pas difficile non plus. On devait le faire. Malgré toutes les prédictions des socialistes-révolutionnaires et des menchéviki (que ce serait une violation des lois, qu’il n’en sortirait rien, que ça provoquerait un bain de sang dans les villages, et patati et patata), les paysans ont pris la terre et le pouvoir des soviets les y a aidés. Il est beaucoup plus difficile de conserver ce sol aux mains des travailleurs et de le préserver des sangsues qui en ont une furieuse envie. Les petits paysans doivent comprendre qu’il leur faut veiller sévèrement sur l’intégrité de la propriété collective. Les anciens domaines seigneuriaux sont maintenant domaines collectifs. On doit les garder comme la prunelle de ses yeux. On doit les agrandir pour le bien des travailleurs. On doit organiser les choses de façon que les élus des paysans pauvres et des travailleurs, les conseils communaux et leur division agricole veillent sur tout, ne laissent rien perdre et soutiennent la culture collective des anciens domaines seigneuriaux. Ce sera d’autant meilleur que la production collective sera mieux organisée sur de tels domaines. Ainsi le blé prospérera mieux, les sangsues n’obtiendront rien et les paysans apprendront toujours mieux le travail collectif, ce qui est le plus important pour le communisme.

On ne doit pas seulement sauvegarder les anciens domaines seigneuriaux pour les cultiver selon de nouveaux principes. On doit s'efforcer d’organiser de grandes communautés de travail agricole collectif avec les petites parcelles. Le pouvoir est maintenant dans les mains des ouvriers et paysans, c'est-à-dire qu'il doit aider autant qu'il est possible toutes les initiatives utiles. Il est seulement nécessaire que les paysans les plus pauvres, les demi-prolétaires et les anciens domestiques montrent plus d'indépendance et une initiative propre. Les paysans pauvres et faibles ne peuvent rien par eux-mêmes. Ils sont à peine en état de se maintenir. Mais ils peuvent beaucoup s'ils commencent par unir leurs parcelles, s'ils s'occupent collectivement de leur exploitation avec l'aide des ouvriers des villes et cultivent ainsi la campagne ensemble selon les principes coopératifs. Les soviets des villes et les organisations économiques des ouvriers aident de telles communautés agricoles, leur livrent des produits manufacturés et de fer. Ils les aident en leur procurant des agronomes et des gens capables. Ainsi, petit à petit, l’ancien petit paysan écrasé, qui n’avait rien à voir en dehors de son jardin potager, se transforme en un camarade qui, avec d'autres camarades, pas à pas, la main dans la main, avance sur la voie du travail en commun sur une grande échelle.

On comprend qu’une bonne organisation des petits paysans est nécessaire pour un tel régime de travail. Cette organisation doit se proposer deux tâches essentielles : premièrement la lutte contre les sangsues de la campagne, contre les spéculateurs, les anciens cafetiers, en un mot contre la bourgeoisie rurale ; deuxièmement : organisation de la production et contrôle sur la répartition du sol. Organisation de communautés agricoles, efforts pour l'exploitation régulière des anciens domaines seigneuriaux, en d'autres termes, un travail colossal pour un nouveau régime agraire. Les paysans pauvres doivent former ces organisations sur le type des soviets communaux et instituer des sections spéciales dans ces conseils, par exemple, section alimentaire, section agraire, etc. Les sections agraires des soviets de paysans doivent soutenir les paysans pauvres dans la question agraire. Peur que la chose soit plus sure il serait mieux d'organiser ces conseils en y adjoignant des représentants des ouvriers de fabrique de l'endroit ou habitant dans le voisinage. Les ouvriers sont plus expérimentés que les paysans, plus familiarisés qu'eux avec l'organisation coopérative des affaires, plus expérimentés aussi dans la lutte contre la bourgeoisie. Les ouvriers soutiennent toujours les paysans pauvres contre les riches, c’est pourquoi les petits paysans trouveront en eux leurs meilleurs aides.

Les pauvres ne doivent pas se laisser duper. Ils ont longuement combattu pour avoir la terre, ils sont enfin parvenus à l’obtenir des propriétaires fonciers. Ils ne doivent pas la laisser reprendre de nouveau, pas même la laisser sortir de leurs mains. Ce danger existe quand on prend la voie de la division du sol et de sa répartition en propriété privée. Ce danger disparait quand les petits paysans, ensemble, avec la classe ouvrière, prennent le chemin de la plus grande production collective possible, Ainsi nous voguons à toute vapeur vers le communisme.

XI. L’administration de l'industrie par les ouvriers[modifier le wikicode]

Comme à la campagne, l’administration de la terre passe insensiblement dans les mains des organisations de paysans pauvres, dans les mains des différents soviets de paysans et de leurs sections, de même l'administration de l’industrie doit passer dans les mains des organisations d ouvriers et des organes du pouvoir ouvrier et paysan ; cela se produit partout, comme notre parti l'a réclamé.

Jusqu’à la révolution d’octobre et dans les premiers temps qui l’ont suivie, la classe ouvrière et notre parti ont posé la revendication du contrôle ouvrier, c'est-à-dire la surveillance de la production par les ouvriers, afin que les capitalistes ne cachent pas dans les fabriques et les usines des réserves de combustible ou de matière première, ne commettent aucune escroquerie, ne spéculent point, ne nuisent pas à la production, et ne jettent pas les ouvriers sur le pavé comme cela arrivait auparavant. La production, l’achat et la vente des produits et des matières premières, leur garde, les moyens financiers des entreprises, tout cela fut soumis à la surveillance des ouvriers. Une simple surveillance s’est montrée insuffisante. Elle s’est montrée insuffisante surtout après la nationalisation de la production, quand tous les droits de messieurs les capitalistes ont été détruits et que des entreprises ou des branches entières de la production passèrent dans les mains de l’État ouvrier et paysan. Il est clair qu'avec une surveillance on ne va pas loin V et qu il n est pas seulement nécessaire d'avoir un contrôle ouvrier, mais une administration de l’industrie par les ouvriers. Les organisations qui non seulement surveillent mais administrent sont les organisations ouvrières, comités des fabriques, syndicats, sections économiques des soviets, enfin les organes du pouvoir ouvrier et paysan, spécialement les différents comités, les conseils d’économie populaire, etc. On doit remarquer ce qui suit a ce sujet :

Dans certaines couches d'ouvriers inconscients règne la conception suivante des choses : Nous prenons notre fabrique en mains... et c’est tout ! Par exemple : la fabrique appartenait auparavant au fabricant X., elle est maintenant la propriété des ouvriers de cette fabrique. Un tel point de vue est naturellement faux ; il rappelle le partage. En fait, si on arrivait à cette situation que chaque fabrique appartienne seulement aux ouvriers de cette fabrique, les fabriques commenceraient à se faire concurrence : une fabrique s'efforcerait de gagner plus que les autres, elles se disputeraient les acheteurs, les ouvriers d'une fabrique seraient ruinés, ceux d'une autre deviendraient riches, les ouvriers ruinés seraient employés ; en un mot, c'est une histoire semblable à celle du partage, le capitalisme refleurirait bientôt de plus belle.

Comment lutter contre cette tendance ? Il est clair qu'on doit créer une administration des entreprises qui inculque aux ouvriers l'idée que chaque fabrique n’est pas la propriété des ouvriers de cette fabrique, mais celle de tout le peuple travailleur. On peut l'atteindre de la manière suivante : Il doit exister dans chaque usine et dans chaque fabrique une administration formée d’ouvriers, mais on doit la former de manière que la majorité ne soit pas constituée par des ouvriers de cette fabrique, mais d'ouvriers délégués par les syndicats de cette branche d'industrie, par le soviet des députés ouvriers et par le conseil départemental de l'économie populaire. Si l'administration formée d'employés et d’ouvriers (la majorité doit être assurée aux ouvriers parce qu'ils sont des adeptes plus sûrs du communisme) n'a pas une majorité de représentants de la fabrique elle-même, cette dernière sera administrée selon les intérêts de l'ensemble de la classe ouvrière.

Tout ouvrier comprend que les fabriques et les usines ne peuvent prospérer sans comptables, sans techniciens et sans ingénieurs, La tâche de la classe ouvrière consiste donc à faire entrer ces classes à son service. Jusqu'à ce que la classe ouvrière puisse sortir de son sein de tels spécialistes (elle le pourra dès qu'on arrivera à réaliser les plans d'éducation générale et la possibilité pour chacun de prendre part à l'éducation supérieure spéciale), elle doit payer un salaire aux intellectuels. Ils peuvent servir la classe ouvrière comme ils servaient auparavant la bourgeoisie. Autrefois, ils étaient sous son contrôle et sa surveillance, ils seront maintenant sous le contrôle et la surveillance des ouvriers et des employés.

Pour que la production marche facilement, un plan général unifié est nécessaire, comme nous l’avons déjà dit, ce serait insuffisant que chaque grande fabrique ait son administration ouvrière. Il y a beaucoup de fabriques, différentes branches d’industries, elles sont liées et toutes mutuellement dépendantes : Si les mines livrent peu de charbon, les fabriques et les chemins de fer s’arrêtent ; s'il n'y a pas de naphte, les bateaux à vapeur ne peuvent naviguer ; s'il n'y a pas de coton, les industries textiles n'ont rien à faire. On doit donc créer une organisation qui embrasse toute la production, qui travaille d’après un plan général, qui soit liée aux administrations ouvrières des fabriques et des usines isolées, qui tienne un compte exact de toutes les réserves et de tous les besoins, non d'une ville ou d’une fabrique seulement, mais de tout le pays. On peut voir la nécessité d un tel plan général spécialement dans l’exemple des chemins de fer. Tout enfant comprend que le dérangement du trafic des chemins de fer a pour résultat une incroyable misère : il y a surabondance de blé en Sibérie et la famine menace Petrograd, Pourquoi ? Parce que le blé qu'on pourrait avoir n'est pas à la portée des habitants de Petrograd ; on ne peut le transporter comme il le faudrait. Pour qu'un trafic régulier s’organise, tout doit être organisé et réparti. Cela n'est possible que par un plan. Imaginons qu'on administre d'une certaine façon un tronçon de chemin de fer, d'une autre façon ailleurs, d'une troisième façon un troisième tronçon, sans tenir compte les uns des autres, Il ne peut en sortir qu'une effroyable confusion. On ne peut y remédier que par une administration unique et centralisée. C’est pourquoi des organisations ouvrières qui réunissent toute une branche d'industrie, qui unissent ces branches d’industries, et qui finalement lient en un tout l’activité des différentes régions du pays, Sibérie, Oural, gouvernements du Nord, etc., sont nécessaires. De tels organes sont créés, ce sont les conseils régionaux et provinciaux d'économie populaire, sans compter les comités spéciaux unissant une branche d'industrie ou des branches commerciales (par exemple, Centro-textile, Centro-métal). A la tête, comme organisation centrale, est le Conseil supérieur de l’Économie populaire. Toutes ces organisations se tiennent en rapport avec les soviets d’ouvriers et travaillent la main dans la main avec le gouvernement des soviets. Elles se composent principalement de représentants des organisations ouvrières et reposent sur les syndicats, les comités de fabriques, les unions d'employés, etc.

Ainsi, de plus en plus et du haut en bas, l'administration de la production est créée par les ouvriers. Chacun a sa place, depuis le comité de fabrique et l’administration ouvrière, pour monter aux comités et aux conseils d’économie populaire régionaux et provinciaux et atteindre, au sommet de l’organisation, le Conseil supérieur de l'économie populaire,

Le devoir de la classe ouvrière est maintenant de développer l’administration de la production par les ouvriers et de la fortifier en éduquant les grandes masses dans ce but. L'effort du prolétariat qui prend en mains la production, non comme propriété de personnes ou de groupes, mais comme propriété de toute la classe ouvrière, consiste à soutenir par des milliers de petites organisations locales, par les administrations d’ouvriers dans les fabriques et les usines, les organisations ouvrières centrales et régionales. Si les organes supérieurs d'administration ne s’appuient pas sur les organes locaux, ils restent suspendus en l’air, ils se transforment en institutions officielles, bureaucratiques, d’où disparaît l'esprit révolutionnaire vivant. Ils sont, au contraire, capables de surmonter l’effroyable chaos s'ils sont soutenus de tous côtés par les forces vivantes de la classe ouvrière et si chaque ordre des organisations ouvrières centrales trouve un écho et est exécuté dans chaque endroit par les organisations et les masses ouvrières, non par crainte, mais par conscience. Plus les masses discutent elles-mêmes leurs affaires, plus elles prennent part avec ardeur et intérêt à l'élection de leur administration et au travail des fabriques et des usines, et plus elles punissent tout désordre et toute escroquerie, plus vite aussi la classe ouvrière se rendra maîtresse en réalité et non en paroles de toute l’activité industrielle. Ainsi se réalisera, non seulement la dictature politique, mais aussi la dictature économique, sociale, du prolétariat. La classe ouvrière sera maîtresse non seulement de l'administration de l’armée, de la justice, des écoles et des autres affaires, mais aussi de l'administration de la production. La puissance du capital sera ainsi atteinte dans ses racines et la possibilité désormais écartée de voir le capital exploiter à nouveau la classe ouvrière.

XII. Du pain seulement pour les travailleurs ! (Obligation du travail pour les riches)[modifier le wikicode]

Le passage à la société communiste signifie le passage à un régime où il n’y a plus de classes, plus d'inégalité de classe entre les hommes, Tous dans la même mesure sont, non des salariés, mais des travailleurs de la société. On doit passer sans délai à la préparation de cette société. Un des premiers pas dans cette voie, à côté de la nationalisation prolétarienne des banques et de la production, est l’introduction de l’obligation du travail pour les classes riches.

A l’heure actuelle, il y a beaucoup d’hommes qui ne font rien, qui ne créent aucun produit, mais qui sans cesse consomment, dilapident, utilisent et emploient ce que les autres ont créé. Plus, il y a des hommes qui non seulement ne travaillent pas, mais qui par toute leur activité et de diverses maniérés s’efforcent de nuire au gouvernement des soviets et de la classe ouvrière et de lui préparer des désagréments. Tous les ouvriers voient l’exemple de sabotage opéré par les intellectuels russes, instituteurs, ingénieurs, médecins et autres « gens instruits ». Il est inutile de parler des supérieurs, directeurs de fabriques et de banques, anciens hauts fonctionnaires, tous s’efforcent de désorganiser le travail du prolétariat et le pouvoir des soviets et de les détruire jusqu'à la racine. Le devoir du prolétariat est d'obliger messieurs les bourgeois, les anciens propriétaires fonciers et les nombreux intellectuels à sortir du cercle des privilégiés et de les obliger à travailler pour le bien général. Comment doit-on le faire ? Par l'introduction du carnet budgétaire du travailleur et par l'obligation du travail. Chaque travailleur reçoit un carnet spécial où est tenu le compte de son travail, de son travail obligatoire. L'inscription dans son carnet de travail lui donne le droit d'acheter ou de recevoir certains produits. en particulier le pain. Si un homme refuse de travailler (supposons que ce soit un saboteur du groupe des anciens fonctionnaires ou un ancien fabricant furieux contre les ouvriers, ou un ancien propriétaire foncier, ou encore un mécontent de ce que la terre sur laquelle il dominait et dont il disposait pendant des dizaines d'années lui soit enlevée), si un tel homme refuse de travailler, il n’y a dans son carnet de travail aucune inscription correspondante. Il va dans un magasin, mais on lui dit : « Pour vous, il n’y a rien ; s’il vous plaît, faites inscrire votre travail ! »

Par une telle organisation, la masse des oisifs qui remplit la perspective Newski et les rues principales des grandes villes est bien obligée de se livrer au travail. On comprend que l'introduction d'une telle obligation de travailler se heurte à de grosses difficultés. Les classes et les groupes privilégiés, riches et moyens, éviteront par tous les moyens possibles le devoir du travail et mettront d’un autre côté toutes les entraves possibles à la réalisation d'une telle organisation. Il n’est pas facile d’organiser les choses de façon que certains produits ne soient livrés que sur la base de l’inscription dans le carnet du travail et qu'ils ne puissent pas être obtenus autrement.

Les riches qui ont de l’argent (et l'argent est maintenant un bon pour obtenir des produits) trouvent mille possibilités à la fois de tromper le gouvernement des soviets, des ouvriers et des petits paysans. On doit détruire ces possibilités par une organisation régulière du ravitaillement.

L’obligation du travail pour les riches peut être introduite de la manière suivante : Chaque personne qui a un revenu de plus de 500 ou 600 roubles par mois, toute personne qui loue des travailleurs, toute famille qui a des serviteurs reçoit un carnet de consommation. Par de telles marques, on pourrait introduire l'obligation du travail pour les riches.

On comprend que l'obligation du travail pour les riches doive être le passage à l'obligation générale du travail. Non seulement parce qu'on ne peut élever 1a productivité de l'industrie et de l’agriculture que par l'emploi de tous les membres de la société capables de travail, mais aussi parce qu’il est nécessaire d’enregistrer soigneusement toutes les forces productrices et de les repartir régulièrement dans les différentes branches d industrie et dans les diverses entreprises.

Comme dans la guerre on a dû mobiliser, d'un côté, toutes les forces et d'un autre côté, les dénombrer et les organiser régulièrement, dans la guerre contre la faillite économique, on doit entraîner toutes les classes de la population capables de faire cette guerre, les compter et les organiser en une grande armée du travail où règne la discipline du travail et où chacun est conscient de son pénible devoir.

Actuellement règne, chez nous en Russie, un énorme chômage, conséquence de la faillite économique et du manque de combustibles et de matières premières. (Cette disette provient spécialement du fait que les bandes de l'impérialisme allemand ont pris le sud de la Russie et l'Ukraine). La situation suivante a été créée : D'un côté, il est clair que nous ne pouvons nous sauver de la faillite que par la force vivante du travail, par le travail qui élève la productivité de l’industrie et de l’agriculture. La force de travail est là ! D’un autre côté, bien que ces forces soient nombreuses, elles ne peuvent être employées nulle part. Déjà sans cela règne le chômage. Où devrait-on employer les gens que le pouvoir des ouvriers et paysans oblige à travailler ? Les tâches les plus importantes consistent dans l'organisation de travaux sociaux et de différentes constructions importantes pour l’État (construction de nouveaux chemins de fer, exploitation de nouvelles mines, travaux de drainage et d’irrigation, exploitation de tourbières, construction de greniers, d’élévateurs, etc,). Il est compréhensible que ce travail ne peut suffire d’un coup à une aussi grande quantité de forces de travail superflues. C’est pourquoi on doit d'abord se contenter d'un enregistrement rigoureux des forces de travail, avec déclaration de la profession et de la spécialité, et de l’introduction d’un service obligatoire à la demande du pouvoir des soviets ou des organes ouvriers qui dirigent la production. Éclairons cela d’un exemple : Supposons que des ingénieurs spécialistes soient nécessaires pour la recherche de nouvelles mines en Sibérie. La section métallurgique ou la section des mines du conseil d’économie populaire les demande. La section de l’enregistrement des forces ouvrières parcourt les registres des professions et trouve des personnes correspondantes. Elles sont obligées de s’en aller où les sections mentionnées les envoient.

Il est compréhensible que dans la mesure où l’on parvient à organiser avec ordre la production et où l’on crée de cette manière la possibilité de travailler, l’obligation du travail, l’utilisation de tous les éléments capables à un travail social obligatoire sera réalisée.

L’obligation du travail n’est pas en soi quelque chose de neuf, A l’heure actuelle, les gouvernements impérialistes de presque tous les pays en guerre ont introduit l'obligation du travail pour la population (surtout pour la classe exploitée). Mais l’obligation du travail introduite dans les pays de l'Europe occidentale est aussi éloignée de celle que nous devons introduire que le ciel est éloigné de la terre. Dans les pays impérialistes, elle signifie la complète oppression des classes ouvrières, leur complète domestication par le capital et par l’État pillard. Pourquoi ?

Tout simplement parce que les ouvriers ne se gouvernent pas eux-mêmes, mais sont gouvernés par des généraux, des banquiers, les membres des grands syndicats, des ministres bourgeois chevaliers d'industrie. L’ouvrier n'est qu'un pion dans leurs mains ; il est comme un esclave dont le maître peut disposer à volonté. Rien d étonnant que l'obligation du travail ne signifie en Occident qu'une nouvelle corvée, un esclavage, des travaux forcés militaires. Elle y a été introduite pour faire durer sans fin la guerre criminelle et pour que les ouvriers remplissent les poches de messieurs les capitalistes.

Chez nous, les ouvriers eux-mêmes introduisent et réalisent l'obligation du travail par leurs propres organisations et sur les bases de l'administration autonome par les ouvriers. Il n'y a sur nous aucun bourgeois. Au contraire, les ouvriers sont supérieurs aux anciens bourgeois : Contrôle, enrôlement, répartition des forces de travail, tout cela est l'affaire des organisations ouvrières, et si l'obligation du travail est introduite à la campagne, l'affaire des soviets de paysans qui règnent sur la bourgeoisie villageoise, mais qui n’y sont pas soumis. I ons les organes qui dirigent les forces de travail sont, de bas en haut, des organes ouvriers. C’est tout naturel, si l'administration de l'industrie est une administration ouvrière, l'administration du travail est aussi aux mains des ouvriers, ce n’est qu’une partie de l'administration de la production. La question capitale qui se pose à la classe ouvrière qui veut maîtriser la vie économique et sociale, (et qui la maîtrise malgré toutes les difficultés) qui veut devenir maîtresse de toutes les richesses, est la question de l'organisation de la production. L’organisation de la production demande de son côté la solution de deux tâches capitales : L'organisation des moyens de production (recensement, contrôle, répartition régulière du combustible et des matières premières, des machines, des instruments, des semences, etc.) et l'organisation du travail (enregistrement, contrôle, répartition régulière des forces ouvrières).

Pour employer toutes les forces de la société de toute manière, l'obligation du travail est nécessaire. Tôt ou tard, la classe ouvrière l'introduira. Les parasites disparaissent alors, il ne reste que des travailleurs utiles à la société.

XIII.  Répartition régulière des produits ; abolition du profit commercial et de la spéculation ; communautés de consommation[modifier le wikicode]

On ne peut donc maîtriser la production sans maîtriser la répartition des produits. Si les produits sont répartis irrégulièrement, la production ne peut marcher régulièrement. Supposons que toutes les grandes branches d’industrie soient nationalisées. Comme nous l'avons vu plus haut, une branche d'industrie travaille pour les autres. Pour que la production marche régulièrement, il est nécessaire que chaque branche reçoive autant de matériel qu'elle en emploie, une entreprise telle quantité, une autre entreprise telle autre. Les produits doivent donc être répartis régulièrement et selon un plan correspondant aux besoins de la production. Les organes de ravitaillement, c'est-à-dire les organisations ouvrières qui dirigent la répartition des produits, doivent donc être liés aux organes qui dirigent la production de ces produits. A cette condition seulement, toute la production peut marcher facilement. Il y a certains produits qui, comme le pain, passent directement dans les mains du consommateur pour son usage personnel. C'est le cas des nombreuses denrées alimentaires, d’une grande partie des tissus, de beaucoup d’articles de caoutchouc (par exemple, aucune fabrique n’achète des galoches, elles sont destinées à l'usage personnel des consommateurs). Ici aussi un dénombrement exact et une juste répartition de ces produits parmi la population sont nécessaires. Cette juste répartition est complètement impossible sans l'introduction d'un plan défini. On doit d'abord enregistrer l'ensemble des produits, ensuite le besoin dont on en a, enfin répartir sur les bases de ces calculs. L'exemple probant de la nécessité d'un tel plan d'ensemble est la question du ravitaillement, la question du pain. La bourgeoisie, les parasites, les socialistes-révolutionnaires de droite, les menchéviki, les paysans-sangsues privilégiés crient de toutes leurs forces qu'il faut transformer le monopole du blé et autoriser les gros et les petits spéculateurs, les marchands en gros et les maraudeurs, à agir comme il leur plaît. On comprend pourquoi les spéculateurs sont intéressés à la modification du monopole : ce monopole les empêche d’écorcher les consommateurs. D'un autre côté, il est clair qu’il y a maintenant encore des non-sens. Les riches mangent tranquillement du pain blanc qu'ils achètent en secret. Il n’est pas question pour eux de pain noir, ils payent beaucoup plus cher et ont tout. Qui les aide ? Naturellement, messieurs les spéculateurs. Leur souci n’est pas de rassasier la population, mais de gagner plus et de mettre davantage dans leur poche. Il est connu que le riche peut payer davantage que le pauvre. C’est pourquoi les spéculateurs ne ravitaillent pas en pain les endroits qui en ont le plus besoin, mais ceux qui peuvent les bien payer. Et on n’est pas encore parvenu à mettre un terme à cela. On voit donc clairement que pour organiser une juste répartition du pain, il ne faut pas modifier le monopole du blé, et les travaux des comités et des fonctionnaires du ravitaillement, mais au contraire introduire ce monopole le plus sévèrement possible ; juger sans pitié les spéculateurs, épouvanter les commerçants privés afin qu’ils n’essayent point d’amasser des richesses aux dépens des misères du peuple et de déranger le plan général. Le malheur ne consiste pas dans l’existence d’un monopole et la disparition du commerce privé, mais bien dans le fait que le monopole du blé est mal organisé et que le commerce privé secret demeure, et cela, dans un temps où il y a peu de pain, où les Allemands ont saisi les plus riches provinces, où en maints endroits le blé laissé pour graine est consommé, tandis que les champs restent incultes et où les hommes ont faim. Chaque morceau de pain est cher, chaque livre de farine, chaque livre de blé est inestimable. C’est précisément pourquoi tout doit être soumis à un recensement, afin qu’aucune miette ne soit perdue, que tout le pain soit également réparti, et que les, riches ne jouissent d’aucun privilège. Nous le répétons, on ne peut faire cela, on ne peut l’atteindre, que si tous les ouvriers unanimes se mettent à l’œuvre, s’ils enferment les spéculateurs et les filous. Il y a malheureusement parmi nous beaucoup de pauvres inconscients qui font des achats à leurs propres risques et périls sans se soucier des organes de ravitaillement des ouvriers et qui détruisent ainsi le plan général. Chacun d'eux pense : « On peut en dire ce qu’on voudra, je m'occupe de moi-même ». Et il va acheter du pain. Mais en agissant ainsi, il s’attire plus tard différents ennuis à cause de ce pain, et cela éveille son mécontentement. « On ne laisse pas les gens se ravitailler ». En réalité, cela ressemble souvent à l’exemple suivant : Supposons qu’un train bondé soit en marche. Les hommes sont debout dans les couloirs ou assis sur le plancher, en un mot une pomme ne pourrait rouler jusqu’à terre. Soudain, on perçoit une odeur de brûlé et on crie de toutes ses forces « Au feu ! », et tous, comme des fous, s’élancent vers la sortie, frappant des poings de tous côtés. Les hommes se précipitent comme s’ils avaient perdu la raison, tous à la fois vers la porte ; il en résulte un pêle-mêle sauvage et des rixes ; les hommes se mordent, se battent, se cassent les côtes, écrasent les enfants. Le résultat : c'est une foule de morts, de blessés et d’estropiés. Est-ce bon? Cela aurait pu se passer tout différemment ; s'il s’était trouvé des hommes raisonnables qui aient maintenu la foule, l’aient apaisée, tous seraient sortis par rangs sans une seule éraflure. Pourquoi en est-il arrivé autrement ? Parce que chacun pensait ; Je m'inquiète de moi-même, que m’importent les autres. Finalement, celui qui raisonnait ainsi s’est cassé le cou le premier. C’est exactement la même histoire pour ceux qui achètent du pain pour eux-mêmes, contrairement aux ordres de l'organisation ouvrière de ravitaillement. Chacun pense qu'il est utile à lui-même. Qu’arrive-t-il finalement ? Par ces achats, tout recensement régulier de ce qui existe est entravé ; le transport régulier du blé en est rendu impossible. Supposons qu'on doive transporter du blé d’un endroit qui a encore quelque réserve dans un autre où règne la famine, mais les gens de cet endroit viennent, achètent tout et l’emporte. Le premier endroit peut mourir de faim ! Mais après ?... Quand les achats organisés et collectifs sont désorganisés, le maraudeur-spéculateur entre en scène. Il commence par faire son profit des achats privés. Ainsi, les pauvres, inconscients de leurs intérêts de classes commencent, sans le comprendre eux-mêmes, à encourager l'activité des araignées-spéculateurs dont la place serait sur la potence. On comprend maintenant pourquoi messieurs les spéculateurs emploient le mécontentement naturel des affamés contre le pouvoir des soviets et pourquoi les derniers vauriens, les sangsues et les parasites se sont montrés à la tête des soulèvements contre le pouvoir des soviets qui parfois éclataient dans les petites villes de province. Les ouvriers doivent comprendre une fois pour toutes qu’il n’y a aucun salut sur le chemin du retour à l'ancien régime, mais qu’il est sur la voie qui conduit en avant à la suppression de la spéculation, à la suppression du commerce, à la répartition collective des produits par les organisations ouvrières. Il en est de même pour toute une série d’autres produits. La classe ouvrière ne doit absolument pas souffrir que les gens riches aient tout à l'aide de leur argent. D’un autre côté, la classe ouvrière ne doit pas permettre les profits fabuleux des spéculateurs qui, comme un essaim de noirs corbeaux, volent de tous côtés et font leurs sales affaires. Une juste répartition  des produits sur la base du calcul des besoins et des réserves, telle est une des tâches capitales de la classe ouvrière. Qu’est-ce que cela signifie ? Nationalisation du commerce, c’est-à-dire en principe : suppression du commerce ; car le passage à la. répartition sociale ne s’accommode pas de l’existence des spéculateurs et des différents intermédiaires qui vivent comme des parasites et entravent toute l’œuvre du ravitaillement. Non en arrière, vers le « commerce privé libre », c’est-à-dire vers le pillage « libre », mais en avant, vers une juste répartition des produits d'après un plan et par les organisations ouvrières ! tel doit être le mot d'ordre des ouvriers conscients. En vue d’introduire avec succès un tel plan, on doit s'efforcer de réunir obligatoirement la population dans des communautés de consommation. On ne peut répartir équitablement les produits que lorsque la population qui reçoit ces produits est réunie et organisée dans de grands groupes dont on peut bien calculer les besoins. Quand la population n’est pas réunie et organisée, mais dispersée, il est extrêmement difficile d’organiser cette répartition un peu régulièrement : on ne sait ni ce qu’on utilise, ni dans quelle quantité, ni où, ni combien il faut livrer, ni comment, c’est-àdire par qui, on doit répartir. Supposons maintenant que la population soit réunie en communautés de consommation par rayons. Chaque quartier de la ville forme une coopérative, une communauté de consommation, qui est en relations avec les comités de maisons. Les produits sont d’abord répartis entre ces communautés, qui calculent à l’avance ce qu’elles utilisent et dans quelle quantité et qui répartissent les produits par leurs hommes de confiance aux consommateurs privés... Les coopératives déjà existantes peuvent jouer un rôle énorme pour réunir la population dans de telles communautés de consommation. Plus large est l'activité des coopératives, plus elles englobent une grande partie de la population, plus aussi la répartition des produits s’organise facilement et plus les coopératives se transforment en organes de ravitaillement de toute la population. Selon toute probabilité, la forme de répartition des produits qui expulsera le mieux le commerce, et par laquelle on pourra une fois pour toutes détruire le profit commercial, sera d'obliger les communautés à s'unir aux coopératives déjà existantes. Pour faciliter encore la juste répartition des produits, on doit s’efforcer de remplacer l'économie domestique par une économie sociale. Maintenant, chaque famille a sa propre cuisine, achète elle-même, indépendamment des autres, les produits nécessaires, condamnant la femme à l’esclavage, la transformant en une éternelle cuisinière qui, du bon matin jusque tard le soir, ne voit rien en dehors de la batterie de cuisine, des balais, des torchons et des divers détritus. Une énorme quantité de travail et d'argent est ainsi perdue inutilement. Si l’on réunissait et centralisait l'économie domestique, l'alimentation d'abord, par exemple par la réception collective des produits, la cuisson des repas en commun, l'organisation de grandes salles à manger modèles, il serait plus facile d'enregistrer les besoins, et à côté de l'économie réalisée, le travail de la répartition juste serait grandement facilité. Une des plus importantes questions pour les consommateurs est la question de l'habitation. Les pauvres sont ici exploités sans pitié. D’un autre côté, les propriétaires y gagnent un argent fou. L’expropriation de cette forme de propriété, la remise des maisons et des places de tous genres aux organes ouvriers locaux, aux organes du pouvoir des soviets, leur enregistrement et la répartition équitable des habitations et des chambres est une tâche difficile, mais non ingrate. Les grands ont assez longtemps mené une vie de seigneurs ! L’ouvrier, le pauvre ouvrier laborieux, a aussi le droit d'avoir un coin chaud et de vivre humainement. Ainsi, peu a peu, la vie économique s'organisera. La classe ouvrière organise la production, la classe ouvrière organise la répartition ; la classe ouvrière organise la consommation, alimentation, habillement, habitation — tout est enregistré, tout est réparti le mieux possible. Il n’y a plus d'administration de maîtres, il n’existe que l’administration de la classe ouvrière par elle-même.

XIV. La discipline du travail des ouvriers et des petits paysans[modifier le wikicode]

Ce serait certainement beau d’organiser la production de façon qu'on puisse vivre sans maître, d'après les principes coopératifs. Il y a cependant une différence entre la théorie et la pratique. Les difficultés surgissent en masse.

Nous avons d’abord l'héritage de la guerre pénible et malheureuse, qui a fini par ruiner le pays. La classe ouvrière doit payer maintenant les verres que Nicolas Romanoff et ses serviteurs — les Stürmer, les Suchomlinoff, les Protopopoff — ont cassés et que plus tard les Gutschkoff et Rodsjanko et leurs serviteurs — Kerensky, Tseretelli, Dan et le reste de cette société de traîtres — ont encore émiettés. Ensuite, la classe ouvrière doit organiser la production et parer les coups de ses pires ennemis : les uns qui, de l'extérieur, veulent envahir, en grinçant de leurs dents d’anthropophages, les autres qui, de l’intérieur, s’efforcent de faire sauter le pouvoir des ouvriers. Dans de telles conditions, la classe ouvrière, pour triompher, pour triompher une fois pour toutes, doit aussi vaincre sa propre mollesse. En organisant l'armée du travail, on doit aussi créer une discipline révolutionnaire du travail pour cette armée. Il y a encore des classes d'ouvriers qui, semble-t-il, ne croient pas qu'ils soient devenus eux-mêmes les maîtres de la vie. Car la caisse d’État est maintenant la caisse des ouvriers et paysans ; les fabriques sont les fabriques du peuple, le sol est le sol du peuple, les forêts, les machines, les mines, les maisons, tout cela passe maintenant dans les mains du peuple travailleur. L’administration de tout cela est maintenant une administration ouvrière. L’ouvrier et le paysan ne doivent plus se comporter à l’égard de tels biens comme autrefois : alors ils appartenaient aux maîtres, maintenant ils sont à tout le peuple.

Le maître extorquait à l’ouvrier tout ce qu’il pouvait. Le seigneur foncier écorchait les petits paysans et les domestiques. Les ouvriers et les domestiques avaient alors raison de ne pas se croire obligés de bien travailler pour leurs maîtres, et de fortifier par leur travail la violence et le pouvoir de leurs bourreaux. C’est pourquoi il ne pouvait être question de discipline ouvrière quand, sur la nuque de l’ouvrier, claquait le fouet du capitaliste, et quand, sur la nuque du paysan et du domestique, sifflait le knout du propriétaire foncier. La chose est maintenant tout à fait différente. Ces fouets sont anéantis. Le peuple ouvrier travaille pour lui, il ne produit pas d'argent pour les capitalistes, il exécute l’œuvre de tout le peuple. l'œuvre du peuple travailleur qui était auparavant esclave.

Néanmoins, nous le répétons, il y a encore des ouvriers inconscients qui, semble-t-il, ne voient pas tout cela. Pourquoi ? Parce qu'ils ont été trop longtemps esclaves ; continuellement naissent dans leur esprit des pensées d'esclaves et de valets. Ils pensent, au plus profond du cœur, qu'on ne peut, en fin de compte, pas réussir sans Dieu et sans bistros. Et ils exploitent la Révolution pour s’efforcer de fourrer le plus possible dans leurs poches, et de s'en aller oisifs quand c’est possible. — Au travail, ils ne pensent jamais à leurs devoirs, ils ne pensent pas que la négligence et l'escroquerie sont maintenant un crime contre la classe ouvrière elle-même. Car on ne travaille plus maintenant pour les riches : le travail profite aux ouvriers, aux pauvres gens qui sont maintenant au gouvernail social. On ne dupe pas maintenant les directeurs et les banquiers, mais les membres des administrations ouvrières, les associations de travailleurs, les conseils ouvriers et paysans. Lorsqu’ils travaillent négligemment avec les machines, quand ils brisent les instruments et s'efforcent de ne rien faire pendant les heures ordinaires pour faire traîner le travail jusqu'aux heures supplémentaires, afin de gagner le double, ces ouvriers ne trompent pas les exploiteurs, ils ne font pas de tort aux capitalistes, mais à l'ensemble de la classe ouvrière. Il en est de même pour le sol Celui qui pille l’inventaire que les paysans et les domestiques ont dressé, vole la société et non le propriétaire foncier qu'on a chassé depuis longtemps, Celui qui abat du bois, malgré l'interdiction des organisations de paysans, le vole aux pauvres. Celui qui, au lieu de travailler la terre qui a été prise aux propriétaires fonciers, s’occupe de spéculation sur les blés ou distille de l'eau-de-vie, est un filou et un criminel à l’égard des ouvriers et des paysans.

Il est bien clair pour chacun, que les ouvriers doivent s’organiser eux-mêmes et créer leur propre règlement de travail, afin d'organiser la production. Dans les fabriques et les usines, les ouvriers eux-mêmes doivent veiller à ce que chaque camarade travaille autant qu’il peut. Les syndicats ouvriers, les conseils ouvriers dirigent la production. Ils peuvent, quand c'est possible, diminuer la journée de travail et nous nous efforçons de réaliser une organisation de la production telle que la tâche de chaque groupe ne comporte pas 8 heures, mais six heures de travail. Mais les organisations ouvrières, et avec elles le gouvernement ouvrier et la classe ouvrière entière, peuvent et doivent exiger de leurs membres l'attitude la plus prudente à l'égard des biens du peuple et l’attitude la plus consciencieuse au travail. Les organisations ouvrières, les syndicats surtout, fixent elles-mêmes la norme de la production, c’est-à-dire la quantité de marchandise que chacun est tenu de produire au cours do la journée de travail. Celui qui ne produit pas cette quantité (il n'est naturellement pas question ici de maladie ou de faiblesse anormale) sabote, brise le travail d’introduction du nouveau régime socialiste libre, et empêche la classe ouvrière de suivre la voie du communisme intégral.

La production est une énorme machine dont toutes les parties s'adaptent les unes aux autres, se complètent et doivent marcher de pair. Un mauvais instrument dans la main d’un ouvrier capable est un non-sens, un bon instrument dans la main d'un mauvais ouvrier est aussi un non-sens. Il est nécessaire que l'instrument soit convenable et que l'ouvrier soit aussi habile. C'est pourquoi nous devons organiser de toutes nos forces la livraison de combustible et de matières premières, mettre en ordre les moyens de transports, répartir équitablement le combustible et les matières premières, mais, d'un autre côté, prendre toutes les mesures pour inculquer aux masses ouvrières la discipline volontaire, la persévérance et la conscience.

C'est plus difficile à réaliser en Russie que dans n’importe quel autre pays. La classe ouvrière (et encore moins les petits paysans) n'a pas passé par cette école d'organisation que les ouvriers d’Europe occidentale et d'Amérique ont connue pendant de longues années. Il y a chez nous beaucoup d'ouvriers qui ne sont pas ouvriers depuis longtemps, qui commencent à s'habituer au travail collectif, qui commencent à se déshabituer de cette pensée : « que nous importe cela ». De tels gens sont toujours désunis. Plus il y a de ces gens qui ont à l'esprit cette idée . « Devenir maître soi-même, épargner de l'argent et ouvrir un magasin » plus il est difficile d’introduire une réelle discipline du travail. Mais d'autant plus grands doivent être les efforts de l'avant-garde de la Révolution, des ouvriers avancés, des organisations ouvrières, pour créer, introduire et assurer une telle discipline.

XV. La fin du pouvoir de l’argent (Les « finances d’État» dans la République des soviets et l'économie financière)[modifier le wikicode]

L’argent est maintenant un bon pour obtenir des marchandises. Celui qui a beaucoup d’argent peut donc acheter beaucoup, il est riche. La valeur de l’argent peut tomber très bas, celui qui a plus d’argent, peut vivre mieux. Les classes riches qui ont de l’argent en surabondance peuvent donc tout obtenir en abondance. Les commerçants et les négociants, les capitalistes et les spéculateurs en ville, les sangsues à la campagne, qui se sont incroyablement engraissés pendant la guerre, ont épargné de l’argent en papiers de dix mille couleurs différentes. Ça est allé si loin qu’il ont enterré leur argent dans des vases de terre et de verre, tant ils ont amassé de ces bons.

D’un autre côté, l’État ouvrier et paysan a besoin d’argent. De nouvelles émissions font tomber la valeur de l'argent, plus on en émet, moins il a de valeur. On doit cependant pourvoir les fabriques et les usines d’argent ; les ouvriers doivent être payés, Où doit-on prendre l’argent ? Il est nécessaire, d'imposer d’abord les classes riches. L’impôt sur la fortune et les revenus, c’est-à-dire une imposition des gros revenus et des grosses fortunes, l’imposition des riches, de ceux qui ont un excédent de revenus, doit être l’impôt principal.

Mais maintenant que nous vivons tous dans le feu de la Révolution, où il est difficile d’organiser d’un coup équitablement l’introduction de l’impôt, d’autres formes de prélèvement d’argent sont admissibles et utiles Le moyen suivant, par exemple, est utile : Le gouvernement déclare que jusqu'à une date déterminée tout l’argent doit être changé en nouvelle monnaie, l’ancienne perdant sa valeur. Cela signifie que chacun doit tout sortir des vases de terre, des bahuts et des armoires et le porter à la banque pour le change. On peut alors organiser la chose de la manière suivante : Les épargnes des petites gens ne sont pas touchées, elles reçoivent rouble pour rouble, l’ancien rouble est changé contre un nouveau. A partir d une certaine somme, une part sera retenue au profit de l’État, et plus les sommes épargnées sont grosses, plus aussi on doit faire des décomptes proportionnellement plus élevés. Disons par exemple : jusqu’à 5000 roubles, chaque rouble sera changé contre un rouble. On prélèvera le 1/10 des 5000 roubles suivants, le 1/7 des troisièmes 5000, le 1/4 des quatrièmes, la 1/2 des cinquièmes, les 3/4 des sixièmes et à partir d'une certaine somme tout sera confisqué.

Ainsi, le pouvoir des riches serait suffisamment miné, on. aurait assez de moyens pour les besoins de l’État ouvrier et tous les revenus seraient plus ou moins égalisés.

Dans la période révolutionnaire, des contributions imposées aux riches sont aussi admissibles ; par exemple un payement obligatoire et unique sur ordre des organisations soviétistes. Il n est naturellement pas bon qu'un soviet impose la bourgeoisie d'une manière, un autre d'une autre et un troisième d'une troisième manière ; c'est aussi contraire au but que la multiplicité des systèmes dans les impositions locales.

On doit donc s'efforcer d’unifier tout l’appareil fiscal d’après un certain plan applicable à toute la République des soviets. Tant que cela n'est pas le cas, les contributions sont aussi admissibles. « Dans le royaume des aveugles, les borgnes sont rois », dit le proverbe. On doit seulement se souvenir que le devoir du parti, le devoir des soviets, le devoir de la classe ouvrière et des paysans pauvres consiste à unifier et à centraliser le régime fiscal pour faire de l'ordre ici aussi, pour chasser la bourgeoisie, d'après un plan, de ses retranchements économiques.

On doit cependant remarquer que l'importance de l'argent en général diminue d’autant plus que le travail d’organisation de la production d'après les nouveaux principes ouvriers progresse. En fait : Autrefois, quand régnaient les entreprises privées, ces entreprises se vendaient mutuellement leurs marchandises. Maintenant, ces entreprises s'unissent tôt ou tard et se transforment en différentes divisions de la production sociale. Les produits ne peuvent pas être répartis entre elles par l’entremise du commerce libre, mais d'après un plan élaboré par les organes ouvriers de répartition. Il se produit ici ce qui arrive dans les entreprises combinées des capitalistes.

On nomme entreprises combinées, des entreprises qui englobent différentes branches d’industries. En Amérique il y a des entreprises qui englobent des fabriques métallurgiques, des mines de charbon, de fer et des sociétés de bateaux à vapeur. Une partie de l'entreprise livre à l'autre ses produits ou transporte les produits terminés. Comme toutes ces branches d'industries particulières ne sont que des parties d'une entreprise, on comprend qu'une partie ne vende pas son produit à l’autre, mais que ces produits soient répartis sur l’ordre d’un bureau central, commun à toutes les branches diverses de l'entreprise. Prenons un autre exemple : Dans une usine un demi-produit passe d’une division à une autre et cependant, il n'y a, au sein de l’usine, ni achat ni vente. Il en sera de même pour toute la production.

Quand les principales branches d'industrie s'organisent, cela signifie qu’elles se transforment en une immense entreprise commerciale avec une administration ouvrière. Entre toutes les parties de cette entreprise existe une juste répartition des moyens de production nécessaires : combustible, matières premières, demi-produits, matériaux de secours, etc. Mais cela signifie que l’argent perd sa valeur. Il a une importance quand la production n’est pas organisée ; plus elle est organisée, plus le rôle de l’argent diminue et sa nécessité finit par disparaître.

Qu’en est-il, nous demande-t-on, du salaire des ouvriers ? C’est la même histoire. Plus la production est organisée dans les mains de la classe ouvrière, moins les travailleurs sociaux seront payés en argent et davantage en nature, c’est-à-dire en produits. Nous avons déjà parlé de communautés de consommation et de carnets de travail. Les produits dont les ouvriers ont besoin seront livrés par les entrepôts collectifs, sans argent, simplement contre le certificat de travail, qui est l'inscription dans le carnet de travail. On ne peut naturellement pas introduire ce système d’un coup. Il s’écoule beaucoup de temps jusqu’à ce que tout puisse être organisé, ordonné et réalisé. C’est un travail nouveau, réalisé nulle part dans le monde, et par conséquent particulièrement difficile. Mais il est clair que plus les ouvriers se rendent maîtres de la production et de la répartition des produits, plus aussi diminue la nécessité de l’argent, plus tard l'argent disparaîtra insensiblement.

L'échange entre la ville et la campagne commence aussi de se réaliser sans argent : les organisations industrielles urbaines livrent aux villages des produits manufacturés, des marchandises de fer, etc. ; les organisations campagnardes livrent du pain à la ville, Ici aussi l’importance de l'argent est d’autant moindre que les organisations urbaines et campagnardes des ouvriers et des petits paysans sont plus étroitement unies.

Maintenant le gouvernement ouvrier emploie de l’argent et il en emploie beaucoup précisément parce que l'organisation de la production et de la répartition est à son début et que l'argent joue encore un très grand rôle. Les finances — les dépenses et les recettes de l'État — ont donc une énorme importance. C'est pourquoi la question des impôts est si actuelle ; ils sont nécessaires à tout prix ; l'argent superflu de la bourgeoisie urbaine et campagnarde doit à tout prix être confisqué, les contributions sont de temps en temps nécessaires.

Mais avec le temps, le système fiscal disparaîtra aussi. Déjà maintenant, à mesure que la production est nationalisée, le profit disparait des mains du capitaliste. Les propriétaires fonciers sont anéantis, l'imposition des revenus des biens seigneuriaux, de ce qu’on appelle la rente foncière, est abolie. Les maisons sont prises aux propriétaires, ici aussi disparaît la source des impositions. Le superflu des riches est confisqué ; les riches perdent leur soutien et tous deviennent insensiblement des travailleurs au service de l'organisation prolétarienne d’État. (Plus tard, quand le communisme sera réalisé intégralement, quand l’État lui-même disparaîtra, tous se transformeront, comme nous lavons vu, en camarades semblables et tout souvenir de l'ancienne division en bourgeois et ouvriers disparaîtra.)

S'il en est ainsi, il est compréhensible qu'il soit beaucoup plus simple de payer moins d'abord plutôt que de donner de gros salaires et d'opérer plus tard un prélèvement sous forme d’impôt sur ces gros salaires. Il n'y a aucun profit de dépenser des forces et de l’argent à ce travail inutile.

D'un autre côté, nous avons vu que l'argent ne joue aucun rôle quand la production et la répartition sont organisées complètement. On n'aura donc plus besoin d'aucune perception d'argent. L'argent cesse au fond d’être utile. Il cesse donc aussi d'être nécessaire au gouvernement. L'économie financière disparaît.

Nous le répétons, nous sommes encore bien éloignés de ce moment. Il ne peut en être question pour un avenir rapproché. Nous devons maintenant nous occuper de récolter des moyens financiers, mais déjà nous devons prendre des mesures qui nous conduiront à la suppression complète du système financier. La société se transforme en une immense coopérative du travail. qui produit et repartit ses produits sans l'aide de la monnaie d’or ou d'argent. La puissance de l’argent approche de sa fin.

XVI. Aucune relation commerciale entre les bourgeois et les impérialistes étrangers (Nationalisation du commerce extérieur)[modifier le wikicode]

Chaque pays vit au milieu d’autres pays et dépend deux extraordinairement. Il est très difficile de vivre sans les échanges commerciaux internationaux : Un pays produit davantage d'une certaine marchandise, un autre d’une autre, L'Allemagne bloquée, apprend à ses propres dépens combien il est difficile de vivre sans importations des autres pays. Mais si l'on avait entouré l'Angleterre, par exemple, d’un cercle aussi étroit, il y a longtemps qu'elle serait perdue, L’industrie russe nationalisée par la classe ouvrière ne peut vivre non plus sans recevoir quelques marchandises de l’extérieur. D’un autre côté, l’étranger, en particulier l'Allemagne, a un extraordinaire besoin de matières premières. Nous ne devons pas oublier un instant que nous vivons au sein des empires pillards du capital, il n'y a donc rien d'étonnant que ces empires pillards s'efforcent d'obtenir tout ce qui leur est nécessaire par leurs moyens de voleurs. D'autre part, la bourgeoisie russe qui rencontre tant d’entraves en Russie serait, trop heureuse d'entrer en relations avec les impérialistes étrangers. Il n'y a pas de doute que les bourgeois étrangers pourraient payer les spéculateurs russes encore plus cher que nos bourgeois indigènes, patriotes et bien Russes. Le spéculateur ravitaille ceux qui payent le plus. Il est naturel que ce ne serait pas le salut de la république socialiste des soviets de laisser à nos bourgeois la liberté d'exporter toutes les marchandises à l'étranger et de laisser aux pillards étrangers la liberté d'arranger ici à volonté leurs chères affaires.

Autrefois, quand on parlait de la question du commerce extérieur, on discutait pour savoir s'il était utile de frapper les marchandises étrangères d'un fort droit de douane ou si l'on devait au contraire complètement abolir ces taxes. Dans les dernières années du régime capitaliste, les industriels ont mené avec ardeur une politique protectionniste. Les syndicats capitalistes en reçurent un plus grand bénéfice : A l’intérieur du pays ils avaient le monopole du marché, ils n'avaient point de concurrents, les murailles douanières barraient la voie aux étrangers. A l'aide des hauts tarifs douaniers les syndicats, les gros requins du capital, pillèrent leurs compatriotes sans aucune vergogne. Ils allèrent si loin, en exploitant ce droit de piller leurs concitoyens, qu'ils commencèrent à exporter les marchandises à de très bas prix à l’étranger dans le seul but de débusquer leurs concurrents, les syndicats étrangers. On comprend que ces bas prix n'existaient que pendant un moment. Dès que les concurrents étaient chassés, les prix commençaient à monter aussi sur le marché nouvellement conquis. Pour employer une telle tactique, ils avaient précisément besoin des droits de douane. Lorsqu'ils parlaient de la protection de l'industrie, les syndicats réclamaient en réalité un moyen d'attaque, un moyen de conquête économique de marchés étrangers. Comme il arrive dans tous ces cas, les trompeurs professionnels du peuple se drapèrent dans des phrases sur la protection des soi-disant intérêts du peuple. Quelques socialistes, voyant cela, élevèrent le mot d'ordre du libre commerce des peuples. Cela signifiait que tout serait laissé à la lutte économique libre des diverses bourgeoisies. Mais ce mot d’ordre reposait sur le vide parce qu'il ne rimait à rien. Quel syndicat renonce au profit ? S'il retire ce profit à l’aide des hauts tarifs douaniers qui le préservent de la concurrence étrangère, comment ce syndicat renoncerait-il à ces tarifs douaniers ? On doit d’abord renverser ce syndicat ; il faut d'abord la révolution socialiste, — c'est ainsi que répondent à cette question les vrais socialistes, — dans notre langue, les communistes bolcheviks. La révolution socialiste est l'établissement d’un régime où tout est aux mains de la classe ouvrière organisée en un État. Nous avons vu le dommage qu'a causé le commerce privé à l'intérieur du pays. Le commerce libre avec les autres pays ne cause pas un moindre dommage. Ce serait un non-sens de rétablir le commerce extérieur après avoir détruit le commerce libre à l'intérieur du pays. Du point de vue de la classe ouvrière, le système de l'imposition des capitalistes étrangers est une même absurdité. Il y a une troisième issue ; cette issue consiste dans la nationalisation du commerce extérieur par l’État prolétarien.

Qu’est-ce que cela signifie ? Personne, qui vit en Russie, n’a le droit de conclure des affaires avec les capitalistes étrangers. Si quelqu’un est attrapé, il peut s’attendre à une peine ou à la prison. L'État ouvrier et paysan dirige tout le commerce extérieur. Il conclut tous les contrats d'après les besoins. On offre par exemple des machines américaines en échange d’une marchandise ou d’une certaine somme d'argent, mais les Allemands offrent les mêmes machines pour un autre prix et sous d'autres conditions. Les organisations ouvrières (le gouvernement, les conseils) examinent si l’on doit faire cet achat et chez qui il est le plus avantageux de le faire. On achète où c’est le plus avantageux. La population reçoit les produits achetés sans qu'on ait gagné sur l’opération. Car ce ne sont pas les capitalistes qui dépouillent la classe ouvrière qui ont conclu l'affaire, mais les ouvriers eux-mêmes. De cette manière, la domination du capital est aussi chassée de cette redoute. Les ouvriers doivent prendre en mains le commerce extérieur (ils le font et l’ont déjà fait) et l’organiser de façon qu'aucun spéculateur, qu’aucun maraudeur ne puisse échapper aux patrouilles ouvrières.

Il est compréhensible qu’un tribunal sans pitié doive être institué contre les capitalistes et les contrebandiers. Il faut une fois pour toutes les déshabituer de tout escamotage. Lu vie économique est maintenant l'œuvre des niasses ouvrières Ce n’est qu’en fortifiant davantage un tel régime que la classe ouvrière pourra finalement se libérer de tous les usages du satané régime capitaliste.

XVII. Avec la libération économique, la libération spirituelle (L'Eglise et l’Ecole dans la République des soviets)[modifier le wikicode]

La classe ouvrière et son parti — le parti des communistes bolchéviki — ne cherchent pas seulement l’émancipation économique des masses travailleuses, mais aussi leur émancipation spirituelle. La libération économique progresse d'autant mieux que les prolétaires et les domestiques arrachent plus rapidement de leur esprit les mensonges que messieurs les propriétaires fonciers et les fabricants bourgeois y ont inculqués. Nous avons déjà vu combien les classes dirigeantes sont habiles pour prendre dans leurs filets les classes laborieuses, de tous côtés, à l’aide de leurs journaux, de leurs revues, de leurs feuilles, de leurs prêtres et même de leurs écoles, qu’ils ont transformées d’un moyen d'instruction en un moyen de corruption de la conscience du peuple.

Un moyen de corruption de la conscience du peuple est la croyance à Dieu et au diable, aux esprits bons et mauvais (les anges et les saints), la religion. Une quantité d’hommes sont habitués à croire à tout cela ; quand on prouve régulièrement et qu’on comprend comment la religion est née et pourquoi messieurs les bourgeois la défendent avec une telle ardeur, la réelle signification de la religion devient claire pour nous, c’est un poison avec lequel on a empoisonné et on empoisonne le peuple. On comprend aussi pourquoi le parti des communistes est un adversaire décidé de la religion.

La science moderne a prouvé que la première religion fut la vénération des ancêtres morts et que cette vénération commença lorsque, dans l'ancienne société humaine, ceux qu’on appelait les anciens de la race, les vieillards les plus riches, les plus expérimentés et les plus sages, qui avaient déjà le pouvoir violent sur les autres membres de la société, commencèrent à devenir célèbres. Au début de l’histoire de l'humanité, lorsque les hommes vivaient encore comme des troupeaux de demi-singes, ils étaient égaux. Peu après, les anciens prirent la première place et se mirent à commander aux autres. On commença de les vénérer ; la vénération des âmes des riches décédés — tel est le fondement de la religion. Ces « saints », ces petits dieux se transformèrent plus tard en un dieu sévère qui punit et grâcie, juge et domine. Recherchons pourquoi les hommes trouvèrent une telle explication de tout ce qui arrive dans le monde. La chose s'explique par le fait que l'homme ramène toujours les choses qui lui sont peu connues, à celles qui lui sont bien connues. Il les mesure au taux de ce qui est près et compréhensible. Un savant donnait cet exemple : Une petite fille qui fut élevée à la campagne où l'on s’occupait d'élevage de poules, avait continuellement à faire avec des œufs. Des œufs étaient continuellement devant ses yeux et lorsqu’elle vit pour la première fois le ciel semé d'étoiles, elle commença à raconter qu’une quantité d'œufs étaient répandus dans le ciel. On peut donner une foule de semblables exemples. C'est ici la même histoire. L'homme remarque que les uns obéissent et que les autres commandent. Il observa constamment l'image suivante : Le plus vieux (plus tard le prince) entouré de serviteurs, l'homme le plus expérimenté et le plus sage, le plus fort et le plus riche, dirige et règne ; tous les autres agissent comme il veut : ils lui obéissent Ce régime qu'on pouvait observer chaque jour, à chaque heure, donna l’idée que tout ce qui arrivait dans le monde devait s’expliquer d'après le même type. Dans le monde il y a aussi un maître et des sujets. Le monde entier est organisé ainsi. Sur le monde règne un maitre grand, fort et sévère, duquel tout dépend et qui punit sévèrement le désobéissant. Ce maître du monde est Dieu. Ainsi donc la pensée d’un Dieu dans le ciel naquit lorsque sur la terre la puissance des anciens de la race se distingua de la société égalitaire primitive.

Un détail est intéressant : l'expression de Dieu, dans la langue russe, prouve une telle origine de la religion. Que signifie le mot « Bog » (Dieu) ? D’où vient-il ? De la même racine que le mot « bogaty » (riche). Dieu est fort, puissant, riche. Comment appelle-t-on encore Dieu ? « Seigneur ». Que signifie « Seigneur » ? Il signifie maître en opposition à esclave. Dans les prières on dit « Nous, tes esclaves... » Dieu est aussi appelé « Souverain du Ciel ». Toutes les autres dénominations de Dieu signifient la même chose : « Maître », « Tout miséricordieux , etc Le mot « Souverain » signifie du reste une personne qui domine sur beaucoup, qui possède une réserve passable de tous les biens Qu'est donc Dieu ? C’est un prétendu maître, riche, puissant, un possesseur d’esclaves, un « Souverain du ciel », un juge, — en un mot, une exacte copie, une reproduction du pouvoir terrestre des anciens, et plus tard, des princes. Lorsque les Hébreux furent dominés par leurs princes qui les punissaient et les torturaient de toutes manières, se développa l’enseignement d’un Dieu courroucé et sévère. C’était le Dieu de l'Ancien Testament ; c’est un vieillard cruel qui punit sans pitié ses sujets. Examinons maintenant le Dieu orthodoxe.

Son enseignement prit naissance à Byzance, dans un pays ou le régime monarchique absolu servait de type. A la tête se trouve le monarque absolu et autour de lui les ministres ; ensuite les hauts fonctionnaires, plus bas encore, tout un réseau de divers petits fonctionnaires-écorcheurs. La religion orthodoxe est une exacte copie de cette institution. Au haut siège, le « Souverain du ciel ». Autour de lui, les grands saints (par exemple, Nicolas le thaumaturge, la sainte vierge, une personne dans le genre de l’impératrice, la femme du St-Esprit), ce sont les ministres. Encore plus bas, toute une échelle d’anges et de saints qui sont répartis en hiérarchie, comme les fonctionnaires dans une monarchie absolue. Ce sont ceux qu’on appelle les « anges et les grades d’anges » : les Chérubins, Séraphins et divers autres « grades ». Ces « grades » prouvent déjà que nous avons à faire a des fonctionnaires (car les fonctionnaires ont aussi différents grades). Ces « grades » sont dessinés sur les saintes images de telle sorte que ceux qui occupent un rang plus élevé sont plus richement habillés, ont de plus grandes couronnes de rayons, possèdent davantage de « décorations » — de nouveau comme sur cette terre pécheresse. Dans un système monarchique absolu, les fonctionnaires se font graisser la patte ; sans cela, ils ne font rien, C est pourquoi on doit aussi brûler des cierges au saint, sans quoi il se fâche et ne transmet aucune supplique à la plus haute autorité — Dieu. Dans le régime monarchique absolu, il y a certains fonctionnaires qui, moyennant « gratification », jouent le rôle spécial d'intercesseurs. Il y a ici aussi des saints spéciaux, intercesseurs \ en particulier des femmes. Par exemple la sainte vierge — c'est, peut-on dire, une « avocate » de métier. Du reste, elle ne fait pas tout cela pour rien ; on doit, plus qu’aux autres, lui construire diverses églises, encadrer sa sainte image, la décorer de pierres précieuses, etc.

La croyance en Dieu est donc un reflet des horribles conditions terrestres, c’est la croyance à l'esclavage qui, soi-disant, n existe pas seulement sur la terre, mais encore dans tout l'univers. On comprend que rien de tout cela n’est réel. On comprend aussi que ces contes entravent le développement de l’humanité. L'humanité ne se développe que lorsqu'elle trouve une explication naturelle à tout phénomène. Mais lorsque, au lieu d'une explication, on s'en remet à Dieu, aux saints, au diable et aux esprits des bois, il ne peut rien sortir de sensé. Prenons quelques exemples :

Quelques hommes religieux croient que lorsque le tonnerre gronde, c'est le prophète Élie qui fait sa promenade. C'est pourquoi ils enlèvent leur bonnet et se signent quand ils entendent le tonnerre. En réalité cette force de l’électricité que le tonnerre révèle, est très bien connue de la science. Avec son aide nous mettons en mouvement les tramways, qui transportent tout ce que nous voulons. Et il s'ensuit que si nous le voulions, nous pourrions transporter du fumier avec le prophète Élie ; notre Élie serait donc un parfait charretier ! Supposons que nous croyions au prophète Élie ; nous n'aurions pas vu les tramways plus que nos propres oreilles. Grâce à la religion, nous serions restés dans la barbarie, Un autre exemple : Une guerre éclate, des millions d'hommes périssent, des océans de sang sont répandus. On doit trouver une explication à cela. Ceux qui ne croient pas en Dieu examinent comment et pourquoi la guerre a éclaté. Ils voient que la guerre a été fomentée par les tsars et les présidents, la grosse bourgeoisie et les propriétaires fonciers ; ils voient qu'elle est menée dans des buts bas de pillage. En conséquence, ils disent aux ouvriers de tous les pays : Saisissez les armes contre vos propres exploiteurs, renversez le capital de son trône ! » L'homme religieux pense tout autrement.

Il juge de la manière suivante (et gémit comme une vieille femme) : « Le Seigneur nous punit de nos péchés. O, Père, Seigneur du ciel, tu nous punis avec justice, nous pécheurs ». Et lorsqu'il est très religieux et orthodoxe par dessus le marché, il commence avec zèle de manger certains mets au lieu d’autres, à des jours déterminés (cela s'appelle le jeûne), de frapper de son front le sol de pierre (cela s’appelle « s'humilier jusqu'à terre devant les saints »), et de faire encore mille autres absurdités. Le juif religieux, le mahométan-tartare, le bouddhiste chinois, en un mot tous ceux qui croient en Dieu, font de semblables absurdités. On voit donc que les vrais croyants ne sont capables d'aucune lutte. De cette manière la religion maintient le peuple non seulement dans la barbarie, mais dans l'esclavage. L'homme religieux est enclin à croire que l'on doit tout supporter sans murmure, parce que tout vient « de Dieu », qu'on doit obéir à l'autorité et tout souffrir. (« Dans l'autre monde on sera cent fois récompensé. »). Il n'y a donc rien d’étonnant que dans la société capitaliste, les classes dominantes considèrent la religion comme un moyen très utile de corrompre l’esprit du peuple.

Au commencement de cette brochure, nous avons vu que la bourgeoisie se maintient non seulement à l’aide des baïonnettes, mais aussi en embrumant l’intelligence de ses esclaves. Nous avons vu, d’autre part, que la bourgeoisie organise la conscience de ses sujets et l’empoisonne intentionnellement. Une organisation spéciale sert ce but, c’est l’Église, l'organisation étatiste de l’Église. Dans presque tous les pays capitalistes, l’Église est une institution d’État, comme la police ; le prêtre est un fonctionnaire d’État comme le bourreau, le gendarme et l'huissier. Il reçoit un salaire de la couronne pour le poison qu'il répand dans les masses populaires. C’est précisément ce qui est le plus dangereux. Les prêtres seuls ne pourraient pas se maintenir, s'ils n'avaient pas une si énorme, si forte et si puissante organisation sur le type de l’État bourgeois criminel. Ils feraient vite banqueroute. L’État bourgeois soutient donc complètement et par tous le^ moyens, son administration ecclésiastique qui, en retour, soutient le pouvoir de la bourgeoisie avec une ardeur de feu. Au temps des tsars les prêtres russes ne se contentaient pas de duper les masses, ils employaient aussi la confession pour découvrir les pensées hostiles au gouvernement, ils espionnaient, grâce à leurs « Sacrements ».Le gouvernement n’entretenait pas seulement les prêtres, il punissait de la prison, du bannissement et de différentes autres manières les soi-disants « blasphémateurs » de l’Église orthodoxe

Le programme des communistes à l'égard de la religion et de l'Église est déterminé par tout cela. On doit combattre la religion. mais non par la violence, par la persuasion. L'Église cependant doit être séparée de l’État. Cela signifie que les prêtres peuvent rester, mais ils doivent être entretenus par ceux qui veulent consommer leur poison ou par ceux qui ont à cœur leur existence. Il y a un poison qu'on appelle l’opium. Lorsqu'on fume de l’opium, on fait de beaux rêves : on se croit au paradis. Mais son influence se manifeste par la destruction de la santé : l'homme devient insensiblement un idiot muet. Il en est de même de la religion. Il y a des hommes qui veulent fumer de l’opium. Il serait cependant absurde que l’État entretienne à ses frais, c'est-a-dire aux frais de tout le peuple, des fumeries d'opium et des gens spéciaux qui les servent. On doit donc agir de la manière suivante à l'égard de l’Église (et cela est déjà réalisé) : On doit retirer toute subvention de l’État aux prêtres, aux évêques, aux métropolitains, aux patriarches, aux abbés et à tout le reste de cette société. Les croyants peuvent, s'ils le veulent, les nourrir à leurs frais d'esturgeons et de saumons, dont les saints pères sont particulièrement friands.

D'autre part, la liberté de croyance doit être garantie. La règle suivante doit être suivie : « La religion est affaire privée ». Cela ne veut pas dire qu'on ne doive pas combattre la religion par la persuasion, cela signifie que l’État ne doit soutenir aucune organisation ecclésiastique.

Le programme des communistes bolchéviki est maintenant réalisé en Russie. Les prêtres de tout acabit ont perdu les salaires de l’État. C'est pourquoi ils sont à moitié fous de rage et ont damné deux fois le gouvernement actuel, le gouvernement des ouvriers et mis tous les communistes au ban de l’Église.

Remarquez une chose : Au temps des tsars, ils connaissaient très bien le texte de la Sainte Écriture : « Il n'y a aucune puissance qui ne vienne de Dieu », et « Obéissez à l'autorité ». Ils aspergeaient volontiers les bourreaux d’eau bénite. Pourquoi ont-ils oublié ce texte maintenant que le pouvoir est aux mains des ouvriers ? Ce pouvoir de Dieu ne s'étendrait-il pas au communisme ? De quoi s'agit -il donc ? Tout est très simple, Le gouvernement des soviets est le premier gouvernement russe qui toucha les prêtres à la poche. C’est le point le plus sensible des prêtres. Les prêtres sont maintenant dans la situation de la « bourgeoisie opprimée ». Ils travaillent illégalement et dans les « sphères célestes » contre la classe ouvrière. Mais les temps ont changé et les grandes masses du peuple travailleur ne se laissent plus aussi facilement duper qu'autrefois. En cela consiste la grande signification éducative de la Révolution. Elle libère de l’esclavage économique, elle libère aussi de l’esclavage spirituel.

Il y a encore une question qui touche à l'éducation spirituelle des masses, c'est la question de l’École.

Au temps de la domination de la bourgeoisie, l'école servait davantage l’œuvre d’éducation des masses dans le sens de l'obéissance à la bourgeoisie que dans le sens d’une éducation véritable. Tous les livres d'école, tous les moyens d'enseignement étaient pénétrés de l'esprit d'esclavage. Les manuels d histoire en particulier ; on ne faisait rien que d’y mentir ; on y décrivait les actions héroïques des tsars et de tous les vauriens couronnés. Les prêtres jouaient, en outre, un rôle incroyable dans l’École. Avant tout, il fallait préparer l'enfant à devenir, non un citoyen, mais un sujet obéissant, un esclave prêt à tuer son prochain quand ce serait utile, quand il s'élèverait contre la puissance du capital. Les écoles elles-mêmes étaient divisées en catégories. Les unes pour la plèbe, les autres pour la bourgeoisie. Les Gymnases et les Universités étaient pour la bourgeoisie. Les rejetons de la bourgeoisie y apprenaient diverses sciences dans l’espoir de savoir, plus tard, dominer la plèbe et la soumettre. L’École élémentaire était pour la plèbe. Les prêtres y travaillaient avec le plus d'ardeur. Les devoirs de cette école, dans laquelle on inculquait beaucoup plus de mensonges ecclésiastiques que de connaissances, consistaient à préparer des hommes qui supportent, obéissent à la bourgeoisie et se soumettent sans murmurer. L'entrée dans les écoles moyennes et plus encore dans les écoles supérieures (les Universités, les hautes écoles techniques spéciales et tous les autres établissements d'instruction) était fermée au simple peuple. Le monopole de l’instruction était ainsi créé. Le riche, ou celui qui était soutenu par les riches, pouvait à peu près seul étudier. L'« Intelligence » exploitait habilement sa situation et on comprend qu'elle se soit opposée aux ouvriers, au moment de la Révolution d'octobre ; elle flairait la perte de ses privilèges et de sa situation privilégiée le jour où tous pourraient s’instruire, où la possibilité serait donnée au peuple d'acquérir des connaissances.

Il faut d'abord proclamer l'instruction générale et obligatoire. Pour transformer la vie d'après de nouveaux principes, il est nécessaire que l’homme s’habitue à un travail utile dès son enfance. On doit donc faire connaître les diverses industries aux écoliers dans les écoles. Les portes des hautes écoles doivent être ouvertes à tous. Les prêtres doivent être chassés de toutes les écoles : Ils peuvent duper les enfants s’ils le veulent, n’importe où. dans leur maison, mais pas dans les établissements publics. L’École doit être laïque, non ecclésiastique. Les organes du pouvoir ouvrier exercent le contrôle de l’École dans chaque endroit, et ne doivent pas lésiner pour l’œuvre d’éducation du peuple, pour pourvoir les enfants, les jeunes gens et les jeunes filles de tout ce qui est nécessaire pour des études fructueuses.

Dans quelques villages et quelques villes de provinces des instituteurs ignares, avec l'aide des sangsues (ou plus exactement, les sangsues avec l'aide de ces ignares) font de la propagande, racontant que les bolchéviki détruisent toute la science, veulent opprimer toute instruction, etc. C’est, naturellement, le plus insolent mensonge. Les communistes veulent agir autrement. Ils veulent libérer la science du joug du capital. Ils veulent rendre la science accessible au peuple travailleur ; ils veulent détruire le monopole (le droit exclusif) des riches sur l'instruction. La situation est telle. Il n'y a rien d'étonnant que les riches craignent de perdre un de leurs appuis. Si chaque ouvrier possède les connaissances d'un ingénieur, la situation du capitaliste et du riche ingénieur est ébranlée. Il ne peut plus être fier, il y en a beaucoup qui sont semblables à lui. Aucune destruction de l’œuvre des ouvriers, aucun sabotage de la part des anciens serviteurs du capital ne sera plus possible. Les dignes bourgeois redoutent précisément cela.

Le mot d'ordre du capital est : Culture pour les riches, asservissement spirituel des pauvres. Le mot d'ordre du parti de la classe ouvrière, du parti des communistes est : Culture pour tous, émancipation de l'esprit de l'oppression du capital !

XVIII. Le peuple armé veille sur ses conquêtes (L'armée dans la République des soviets)[modifier le wikicode]

« Le fusil dans les mains de l'ouvrier est la meilleure garantie et la meilleure assurance de la liberté », disait un des fondateurs du communisme scientifique, Friedrich Engels.

Maintenant la réalité a démontré combien cette affirmation était juste. Elle est complètement confirmée par l'expérience de la grande révolution de 1917.

Il y a peu de temps encore que quelques camarades de gauche réclamaient le désarmement. Ils disaient : La bourgeoisie construit partout une flotte colossale, une flotte sous-marine, une flotte maritime et aérienne. Les grandes armées grandissent d'une façon insensée, des forteresses surnaturelles sont construites, des canons géants, des moyens de destruction, tels que les automobiles blindées et les tanks. Il faut détruire tout ce système de violence. Nous devons réclamer le désarmement général.

Nous, bolchéviki, ne posions pas la question ainsi. Nous disions, notre mot d'ordre est : Désarmement de la bourgeoisie, armement — armement général et obligatoire — de la classe ouvrière. Il est vraiment ridicule de persuader la bourgeoisie de briser la puissance armée qu'elle a en mains (formée des ouvriers et des pauvres paysans rendus fous par elle). Cette machine mortelle de la violence ne peut être détruite que par la violence. Elle ne mettra bas les armes que lorsque d'autres armes l'y obligeront. Tel est le sens de l'insurrection armée contre la bourgeoisie. Pour la bourgeoisie, l'armée est d’une part un moyen de lutte pour le partage du monde, d’autre part, un moyen de lutte contre la classe ouvrière. Le tsar et Kerensky rêvaient de conquérir, à l'aide de l'armée, Constantinople, le détroit des Dardanelles, la Galicie et beaucoup d'autres friandises. En même temps, le tsar et Kerensky (c'est-a-dire les propriétaires fonciers et la bourgeoisie) étranglaient 1a. classe ouvrière et les petits paysans. Dans les mains des gros propriétaires, l’armée était un moyen de partager le monde et d'opprimer les pauvres. C’était la vieille armée.

Comment la bourgeoisie a-t-elle pu faire des ouvriers et des paysans (la majorité de l'armée, des soldats, est constituée par eux) un instrument contre les ouvriers et les paysans ? Comment le tsar et Kerensky ont-ils pu le faire ? Comment Guillaume, Hindenburg et la bourgeoisie allemande, qui font de leurs ouvriers les bourreaux de la révolution russe, finlandaise, ukrainienne et allemande ont-ils pu faire cela jusqu'à ce jour ? Pourquoi les matelots allemands qui finalement se soulevèrent contre ces actes de violence ont-ils été fusillés de la main de semblables matelots allemands ? Pourquoi la bourgeoisie anglaise étouffe-t-elle la révolution irlandaise de la main des soldats anglais (qui sont aussi des ouvriers) dans un pays que les puissants banquiers anglais oppriment et foulent aux pieds.

On doit répondre à cette question comme à celle par laquelle nous demandions comment messieurs les bourgeois pouvaient maintenir leur puissance. Nous avons vu que cela est possible par la merveilleuse organisation de la classe bourgeoise. Le pouvoir de la bourgeoisie, dans l'armée, repose sur deux principes : 1° sur le corps des officiers formé de nobles et de bourgeois ; 2° sur le drill et sur le crime spirituel, c’est-à-dire sur le maniement de l'âme du soldat par les bourgeois. Le corps des officiers porte en général le signe d'un caractère de classe bien défini. Il est merveilleusement dressé, comprend l’art de la guerre et l'art de distribuer les soufflets et d'infliger des peines brutales. Examinez n’importe quel brave officier de garde ou un fat prussien à la physionomie d'un dogue irascible. On remarque que, semblable à un dompteur de cirque, il n'épargne pas les soufflets qu’il distribue aux soldats de droite et de gauche, et qu'il a appris (il a du étudier beaucoup, longtemps et avec persévérance) comment ont tient ce troupeau d'hommes dans la crainte et l'obéissance.

On comprend que de tels messieurs qui sortent du milieu des bourgeois, de la noblesse, des rejetons des propriétaires fonciers et des capitalistes mènent l'armée dans un sens bien déterminé.

Examinons maintenant les soldats. Ce sont des gens sans éducation, qui ne sont pas unis mais dispersés, qui ne peuvent donc opposer aucune résistance et dont l'âme est déjà empoisonnée par les prêtres et l'école. On 1es répartit immédiatement dans les casernes et le dressage commence. Intimidation, insufflation des idées hostiles au peuple, le continuel système de la crainte et des punitions, séduction à l'aide de distinctions pour les crimes (par exemple pour avoir massacré des grévistes), tout cela fait de l'homme un demi idiot, une poupée qui obéit aveuglément à ses ennemis mortels.

On comprend que l'armée qui était fondée sur les principes impérialistes, l'armée que Kerensky poussa à la bataille pour la conquête de Constantinople devait complètement se décomposer dans la révolution. Pourquoi ? Parce que les soldats ont vu qu'on les avait organisés, drillés et jetés dans le combat, pour servir la soif de gain criminelle de la bourgeoisie. Ils virent que pendant trois ans ils avaient vécu dans les tranchées, dans une lutte à mort, qu’ils étaient affamés, morts, assassinés dans l’intérêt des coffres-forts. Il est naturel que la désorganisation ait conduit la vieille armée à sa dislocation et à sa ruine après que la révolution eut brisé l'ancienne discipline, sans avoir encore la force d'en rétablir une nouvelle.

Cette maladie était inévitable. Les imbéciles menchéviks et socialistes-révolutionnaires en rendirent responsables les bolchéviki : « Ah ! voyez ce que vous avez fait ! Vous avez désorganisé l'armée du tsar ! » Les imbéciles menchéviki et socialistes-révolutionnaires ne voyaient pas que la révolution n'aurait pas pu vaincre si l’armée était restée fidèle au tsar et a ses généraux en février, ou à la bourgeoisie en octobre. La révolte des soldats contre le tsar était déjà la désorganisation de l'armée impériale. Toute révolution détruit ce qui est vieux et pourri ; il faut quelque temps (un temps très dur) jusqu'à ce que sur les ruines de l'ancienne porcherie on commence à construire une belle maison.

Prenons un petit exemple dans un autre domaine. Les vieux ouvriers savent que les paysans, lorsqu'ils devinrent autrefois des ouvriers de fabrique et arrivèrent en ville, se transformèrent d’abord en audacieuses ganaches, en va-nu-pieds, en plèbe d'usine. En un mot, « ouvrier d'usine ou de fabrique » était alors presque une injure. Ces ouvriers étaient réellement maîtres en scandales, en obscénité, en injures et en débauche. Tous les réactionnaires qui craignent tout ce qui est nouveau prêchaient le retour au servage.

Ils disaient : Si la ville se démoralise, si l'on y « devient corrompu », elle a besoin du village et surtout du gourdin paternel du propriétaire foncier. Ainsi la vertu prospérera. Et ils se moquaient méchamment de ceux qui semaient dans la classe ouvrière le sel de la terre. Ils nous disaient, à nous marxistes, disciples du grand communiste Karl Marx : « Regardez quels gens sont vos ouvriers ! Ce sont des porcs et non des hommes ! et vous dites : c’est le sel de la terre ! Un knout, un fouet d’écurie ! ils sauront alors ce que signifie être turbulent et impertinent. »

Beaucoup se laissaient « convaincre » par tout cela. En réalité, les choses étaient telles : lorsque les paysans arrivaient en ville et brisaient avec le village, les vieux fondements campagnards éclataient. A la campagne, on vit d'après d'anciennes mœurs : « Regarde la bouche du vieillard et obéis-lui, même s’il est retombé en enfance depuis longtemps. Assieds- toi tranquillement dans ton potager et ne mets ton nez nulle part ailleurs. Garde-toi plus que du feu de ce qui est nouveau. C’est la sagesse villageoise ». C'était une mauvaise sagesse, mais c’était une bride qui maintenait l’ordre campagnard. Cette sagesse disparut rapidement dans les villes. Tout y était nouveau : hommes nouveaux, rapports nouveaux, une foule de choses nouvelles, de séductions inexplorées. Il n’y a rien d'étonnant que la vieille morale villageoise ait disparu, mais il fallait quelque temps pour en créer une nouvelle. Cette période intermédiaire est la période de décomposition.

Finalement, de cette nouvelle situation naquit une sagesse nouvelle : La solidarité du prolétariat. La fabrique unit les ouvriers. 1 oppression du capital leur apprit la lutte commune. Une morale nouvelle, prolétarienne, infiniment plus haute remplaça la sagesse ancienne, patriarcale, complètement inadéquate. Elle transforma le prolétariat en « sel de la terre », en fit la classe la plus progressiste, la plus révolutionnaire et la plus capable de création. Les communistes avaient raison contre les défenseurs du servage et les propriétaires fonciers.

Les menchéviki et les socialistes-révolutionnaires prennent, à égard de l'armée, le rôle de défenseurs du servage. Ils se lamentent de toute manière sur la désorganisation de l’armée et en rendent responsables les bolchéviki. Et comme les défenseurs du servage conseillaient le retour à la campagne, au perron seigneurial sous le knout, les menchéviki et les socialistes-révolutionnaires conseillent la vieille discipline, au service de la Constituante, sur la base du retour au capitalisme et à d’autres bonnes choses. Mais nous, communistes, regardons en avant. Nous savons que les choses anciennes sont tombées en pourriture, mais elles devaient nécessairement pourrir, sans cela les ouvriers et les petits paysans n’auraient pas pu prendre en mains le pouvoir de l’État. Quelque chose de neuf et de plus grand arrive. L'armée rouge du socialisme remplace la vieille armée.

Tant que le pouvoir est aux mains de la bourgeoisie, la « patrie » est la patrie des banquiers, des boutiquiers, des spéculateurs, des gendarmes, des rois, des présidents et la classe ouvrière n'est nullement intéressée à la sauvegarde de cette vulgaire machine à profits. Son devoir prolétarien est le devoir de la révolte contre elle. Seuls de pauvres laquais et des flatteurs soumis du coffre-fort affirment que pendant la guerre, on ne devait ni faire grève, ni se révolter contre l'État pillard et impérialiste. On comprend que cela soit gênant aux affaires de la guerre On comprend que l'insurrection au sein du pays et plus encore au sein de l'armée, entraîne sa désorganisation. Comment peut-on briser le règne de Guillaume sans désorganiser sa discipline ? C est impossible. Les matelots allemands, les martyrs qui ont été exécutés par les bourreaux de Guillaume entraînaient la désorganisation de l’armée organisée à la mode des bandits. Liebknecht aussi fut poursuivi par .Messieurs les Scheidemänner, les social-traîtres d’Allemagne comme désorganisateur de l'armée. — Tous les révolutionnaires allemands, les bolchéviki allemands, sont traqués par eux, comme des hommes qui « frappent un coup dans le dos de l'héroïque armée », c'est-à-dire de l'œuvre de bandits. Messieurs les menchéviki peuvent tendre la main aux Scheidemänner et aux autres canaille, nauséabondes et putrides ; ce sont gens de la même espèce.

En Russie, ce temps est déjà passé. La Révolution des ouvriers a vaincu. Le temps de la désorganisation est dans le passé. Devant nous est le temps de la création du nouveau. L’armée rouge est formée, non pour le pillage, mais pour la défense du socialisme, non pour la défense de la patrie des spéculateurs, où le capital et le propriétaire foncier avaient tout en mains, mais pour la défense de la patrie socialiste, où tout passe aux mains des travailleurs ; non pour le morcellement de pays étrangers, mais pour le secours à la Révolution communiste internationale.

On comprend que cette armée soit basée sur d’autres principes que l'ancienne. L’armée rouge doit être le peuple armé à côté de la bourgeoisie désarmée, elle doit être l’armée de classe des prolétaires et des pauvres paysans. Elle est dirigée contre la bourgeoisie du monde entier et spécialement contre notre propre bourgeoisie.

C'est pourquoi l'armée ne peut englober aucun élément bourgeois armé. Laisser la bourgeoisie dans l'armée, c'est l’armer, c'est former une garde blanche au sein de l'armée rouge. Elle corromprait facilement toute l’œuvre, deviendrait le point central des trahisons et des révoltes, pourrait passer du côté des troupes impérialistes ennemies, etc. Notre devoir n'est pas d'armer la bourgeoisie, mais de la désarmer, de lui enlever jusqu’à son dernier Browning.

La seconde tâche, qui n’est pas moindre, est la préparation d'un corps d'officiers prolétarien. La classe ouvrière doit se garder de tous côtés des ennemis qui l'attaquent avec impétuosité. La guerre lui est imposée par les impérialistes délirant de rage. Mais on emploie des spécialistes expérimentés dans la guerre actuelle. Le tsar et Kerensky en avaient. La classe ouvrière et les paysans pauvres n'en ont pas. On doit créer ces spécialistes. Dans ce but, on doit utiliser les anciens spécialistes ; ils doivent instruire les prolétaires. Alors la patrie socialiste des soviets aura ses propres officiers, son corps d’officiers. Et, comme pendant la Révolution la classe ouvrière plus expérimentée et plus active entraîna les petits paysans, pendant la guerre contre les despotes impérialistes. les officiers-ouvriers entraînent la masse de l'armée rouge formée de paysans.

L’armée rouge doit être créée sur la base de la préparation militaire générale des ouvriers et des paysans pauvres.

C'est très urgent et impossible à renvoyer. On ne doit perdre aucune minute, aucun instant.

Chaque ouvrier et chaque paysan doit être exercé et son devoir est d'apprendre à manier les armes. Seuls les imbéciles disent : Il y a encore loin jusqu'à nous, jusqu'à ce qu'on nous atteigne, nous avons encore - assez de temps Les fainéants russes jugent souvent ainsi. Le monde entier sait que le proverbe préféré des Russes est : « Ça ira déjà ! » Peut-être avons-nous assez de temps . Mais vois, l'ennemi de classe que les anciens propriétaires fonciers et les capitalistes ont appelé est soudain déjà en place et saisit nos chers au collet. Et quand un brave sous-officier prussien (ou anglais qui sait ?) colle au mur notre compatriote débonnaire pour le fusiller, celui-ci se gratte derrière l’oreille et se dit : « Quel imbécile j'ai été ! »

On doit donc se hâter. Que personne ne pousse son voisin en avant Personne ne doit attendre, mais tous ensemble doivent se mettre à l'œuvre. Le devoir le plus impérieux et le plus important est l'exercice général.

La vieille armée est basée sut l'abrutissement des soldats, parce que des capitalistes et des propriétaires fonciers devaient y dominer des millions de soldats-paysans et ouvriers, dont les intérêts étaient opposés aux intérêts des capitalistes. Le gouvernement capitaliste devait donc faire du soldat un instrument abruti, travaillant contre ses propres intérêts. L'armée rouge des ouvriers et des paysans défend au contraire leurs propres intérêts. Elle ne peut être basée que sur l'intelligence et la conscience de classe des camarades qui entrent dans ses rangs. C'est pourquoi il est nécessaire d'y créer des cours spéciaux, des bibliothèques, des conférences, des meetings et des assemblées. Pendant les heures libres, les soldats de l'armée rouge doivent prendre part à la vie politique avec les ouvriers, aller aux assemblées, vivre avec la classe ouvrière.

Cette condition est une des plus importantes pour créer une inébranlable discipline révolutionnaire ; non une discipline de gourdin, mais la discipline de la conscience de classe d'un révolutionnaire. Si le lien entre l'armée et la classe ouvrière se relâche, l’armée dégénère rapidement et peut facilement se transformer en une bande qui sert celui qui paye le plus. Elle commence alors de se dissoudre et rien ne peut la sauver de cette désorganisation. Au contraire, si les soldats de l'armée rouge restent en rapports vivants avec les ouvriers, s'ils vivent avec eux, ils sont alors ce qu’ils doivent être : l'organe armé des niasses révolutionnaires.

Un des meilleurs moyens, en dehors de ceux déjà mentionnés (conférences, réunions politiques, etc.) pour maintenir les relations avec les masses, est l’emploi des soldats de l’armée rouge pour instruire les ouvriers dans l'usage des fusils, des mitrailleuses, etc. Au lieu de rester couchés, de jouer aux cartes et de « s'entretenir » autrement, au lieu de rester assis stupidement dans les casernes, c’est un travail utile qui les unit tous dans une grande famille révolutionnaire. Ainsi sera créé le peuple en armes, le prolétariat et les paysans pauvres armés qui gardent la grande révolution ouvrière.

XIX. Libération des peuples (La question nationale et la politique internationale)[modifier le wikicode]

Le programme du parti communiste n'est pas seulement le programme de la libération du prolétariat d'un pays. C'est le programme de la libération du prolétariat du monde entier. Car c'est le programme de la révolution internationale. Mais il est en même temps le programme de la libération de tous les petits pays ou peuples opprimés. Les grandes puissances pillardes (Angleterre, Allemagne, Japon, Amérique) ont volé une quantité immense de pays et de peuples. Elles se sont partagé toute la terre. Il n’y a rien d'étonnant que dans tous les pays volés, la classe ouvrière et toutes les masses laborieuses gémissent sous une double oppression : sous l'oppression de leur propre bourgeoisie et sous l’oppression supplémentaire des pillards. La Russie impérialiste avait aussi volé une quantité de pays et de peuples. Cela explique la grandeur de notre empire. Il n'y a rien d’étonnant que la méfiance à l'égard des « Moscovites » en général se soit développée chez beaucoup de peuples étrangers et même dans une certaine partie du prolétariat non Grand-Russien. L'oppression nationale éveilla aussi le sentiment national : dans la partie opprimée du prolétariat, un sentiment de méfiance a l'égard de la nation tyrannique dans son ensemble, sans différence de classes. Dans la partie opprimante du prolétariat — une compréhension insuffisante de la situation du prolétariat doublement opprimé, et de race étrangère Une complète confiance mutuelle des différentes parties du prolétariat les unes envers les autres est cependant nécessaire pour la victoire de la révolution ouvrière sur tout le front. On doit montrer et prouver par des faits, que le prolétariat des nations opprimées a un fidèle allié dans le prolétariat du pays oppresseur. Chez nous, en Russie, les Grands-Russiens étaient la nation dominante, le peuple oppresseur, des Finlandais et des Tartares, des Ukrainiens et des Arméniens, des Géorgiens et des Polonais, des Kirghizes et des Bachkirs et de beaucoup d'autres nations. Il est naturel qu’une fausse idée de tous les Russes se soit développée dans quelques parties, même prolétariennes, de ces peuples. Ils étaient habitués à voir comment la meute impériale les pressait et leur intimait ses ordres et ils pensaient que tous les Russes, y compris les prolétaires russes, agissaient ainsi.

Pour éveiller une confiance fraternelle, mutuelle dans les diverses avant-gardes du prolétariat, le programme des communistes proclame le droit pour les classes ouvrières de chaque nation. à une complète séparation. Cela signifie que l’ouvrier russe qui tient en mains le pouvoir dit aux ouvriers des autres nationalités vivant en Russie : « Camarades ! si vous ne voulez pas former une partie intégrante de notre république des soviets, si vous voulez former une république des soviets séparée, après vous être organisés en soviets, vous pouvez vous séparer de nous. Nous vous reconnaissons complètement ce droit et nous ne vous retiendrons pas un instant par la violence. »

Il est compréhensible que seule une telle tactique puisse créer la confiance dans tout le prolétariat. Représentons-nous ce qui arriverait si les conseils ouvriers grands-russiens voulaient retenir par la force n'importe quelle partie de la classe ouvrière d'autres nationalités, et que celles-ci se défendent les armes, à la main. Ce serait certainement la complète dislocation de tout le mouvement prolétarien et la ruine complète de la révolution. Nous le répétons, on ne doit pas agir ainsi, car le gage de la victoire n’est que dans l'union fraternelle des prolétaires.

Remarquons une chose. Il n’est pas question ici du droit des nations (des ouvriers et des bourgeois ensemble) de disposer d’elles-mêmes, mais du droit des classes ouvrières. La soi-disant volonté des « nations » ne nous est nullement sacrée. Si nous voulions connaître la volonté de la nation, nous devrions en convoquer la Constituante. Pour nous la volonté des masses prolétariennes et demi-prolétariennes est sacrée. C'est pourquoi nous ne parlons pas du droit des nations de disposer d'elles-mêmes, mais du droit des classes ouvrières de chaque nation à la séparation. Pendant la dictature du prolétariat, la question n'est pas tranchée par les Constituantes (« de tout le peuple », « nationales »), mais par les conseils ouvriers. Si, dans n’importe quel coin de la Russie, deux assemblées étaient convoquées en même temps, — la Constituante de la nation en question et le Congrès des soviets. — Si la Constituante se prononçait pour la séparation et le Congrès prolétarien contre, nous défendrions par tous les moyens, les armes y compris, la décision du prolétariat contre la décision de la Constituante.

C'est ainsi que le parti du prolétariat solutionne la question des prolétaires des diverses nations qui vivent dans les frontières du pays. Le parti s'occupe encore d'une plus grosse question de son programme international. Ici, le chemin est clair : Aider la révolution internationale universelle, soutenir la propagande révolutionnaire, les grèves et les révoltes dans les pays impérialistes, aider les insurrections et les révoltes dans leurs colonies.

La « social-démocratie » chauvine est un des gros obstacles à la révolution dans les pays impérialistes (et ils le sont tous, excepté la Russie, où les ouvriers ont cassé le crâne à la domination du capital). Elle lance le mot d'ordre de la défense de la patrie (criminelle) en trompant les grandes masses ouvrières. Elle se lamente sur la désorganisation de l'armée (criminelle). Elle poursuit nos amis, les communistes allemands, autrichiens, français et anglais, qui rejettent avec dédain et indignation les devoirs de la défense de la patrie bourgeoise. La position de la république des soviets est exclusive. C est la seule organisation d’État prolétarienne dans le monde, au milieu des organisations criminelles de la bourgeoisie. C'est pourquoi, elle seule a le droit d'être défendue. Bien plus, on doit la considérer comme moyen de lutte du prolétariat du monde entier contre la bourgeoisie universelle. Le mot d'ordre, le cri de guerre de cette lutte est déjà clair, le mot d'ordre international de la lutte est : République internationale des soviets.

Renversement des gouvernements impérialistes par l'insurrection armée, et organisation d'une République internationale des soviets, tel est le chemin de la dictature internationale de la classe ouvrière.

La meilleure maniére de soutenir la révolution internationale est l'organisation des forces armées de cette révolution. Les ouvriers de tous les pays qui ne sont pas égarés par les social-traitres, leurs mencheviki et leurs socialistes-révolutionnaires (il y en a dans tous les pays) voient dans la révolution ouvrière de Russie et dans le pouvoir des soviets leur propre chose. Pourquoi ? Parce qu’ils voient que le pouvoir des soviets est le pouvoir des ouvriers. La chose serait toute différente si la bourgeoisie renversait le pouvoir des soviets avec le secours des mencheviki et des socialistes révolutionnaires, convoquait la Constituante et organisait ainsi un pouvoir bourgeois, semblable, par exemple, à celui qui existait avant la révolution d'octobre. La classe ouvrière perdrait sa partie, parce qu'elle perdrait son pouvoir. Les paysans retomberaient nécessairement aux mains de la bourgeoisie, les fabriques aux mains des fabricants et le sol aux mains des propriétaires fonciers. La patrie du profit refleurirait et les ouvriers n'auraient aucun intérêt à défendre cette patrie. D’autre part, les ouvriers d’Europe occidentale cesseraient de regarder la Russie bourgeoise comme un phare lumineux qui éclaire leur lutte.

Le développement de la révolution internationale serait suspendu. Au contraire, l'affermissement du pouvoir des soviets, l'organisation de la force armée des ouvriers et des pauvres paysans, l'organisation de la résistance aux bandits internationaux qui se précipitent sur la Russie des soviets comme ennemis de classe, comme la bande des bourreaux de la révolution ouvrière. l'organisation de l'année rouge, tout cela fortifie aussi le mouvement révolutionnaire des pays européens.

Mieux nous sommes organisés, plus les troupes armées des ouvriers et des paysans sont fortes, plus la dictature du prolétariat est puissante en Russie, plus vite aussi se développe la révolution internationale.

Cette révolution éclatera nécessairement, même si les mencheviki allemands, autrichiens, français et anglais gardent leur voie. Les masses ouvrières russes ont rompu avec les social-traîtres. Les masses ouvrières de l'Europe occidentale briseront aussi avec eux (elles le font déjà !). Le mot d'ordre du renversement des patries bourgeoises, des gouvernements de proie et le mot d'ordre de la dictature ouvrière éveillent des sympathies toujours plus grandes. Tôt ou tard la république internationale des soviets sera créée.

La République internationale des soviets libérera de l’oppression des centaines de millions d'habitants des colonies Les puissances « civilisées » criminelles persécutaient et torturaient la population des colonies par un régime sanglant. La civilisation européenne vit sur le corps des petits peuples des pays lointains, .exploités et pillés sans pitié. La dictature du prolétariat seule libère ces peuples. Comme le pouvoir des soviets russe a proclamé son renoncement à la politique coloniale, et l'a prouvé par des actes, à l'égard de la Perse, par exemple, la classe ouvrière européenne, lorsqu’elle aura renversé la domination des banquiers, rendra une entière liberté aux classes opprimées et exploitées. C'est pourquoi le programme de notre parti, qui est le programme de la révolution internationale est aussi le programme de la complète libération de tous les faibles et de tous les opprimés. La grande classe — la classe ouvrière — se fixe aussi de grands devoirs. Elle ne se contente pas de les fixer, elle les accomplit dans la lutte actuelle pénible et héroïque.

Conclusion (Pourquoi sommes-nous communistes ?)[modifier le wikicode]

Notre parti s’appelait jusqu'au dernier congrès, parti socialiste (social-démocrate), Le parti de la classe ouvrière était ainsi nommé dans le monde entier. La guerre provoqua une scission considérable dans les partis socialistes et trois grandes tendances se manifestèrent dans ces partis : l'extrême droite, le centre et l'extrême gauche.

Les socialistes de droite se montrèrent les vrais traîtres de la classe ouvrière. Ils léchèrent (et lèchent encore) les bottes des généraux couvertes du sang des ouvriers, ils soutinrent toutes les infamies et les crimes de leurs gouvernements. Il suffit de rappeler que le socialiste allemand Scheidemann soutint la politique exterminatrice des généraux allemands. Renaudel. Henderson et Bissolati, les leaders du socialisme français, anglais et italien, firent de même. Ce sont les vrais bourreaux de la révolution ouvrière.

Quand les ouvriers allemands vaincront, ils feraient bien de pendre Scheidemann et Guillaume à la même potence. Il y a aussi beaucoup de tels cocos en France, en Angleterre et dans les autres pays. Ils trompent les ouvriers par des phrases sur la défense de la patrie (de la bourgeoisie, de Guillaume !) étranglent la révolution ouvrière chez eux et la punissent en Russie par les baïonnettes de leurs gouvernements, en soutenant ces gouvernements.

La seconde tendance est le centre. Cette tendance murmure contre son gouvernement, mais elle est incapable d’une lutte révolutionnaire. Elle n'ose pas appeler les ouvriers sur la rue. Elle redoute comme le feu une insurrection armée, qui seule pourrait solutionner la question. Les leaders de cette tendance sont : Haase, Kautsky, en Allemagne ; Longuet, en France ; Turati, en Italie ; Mac Donald, en Angleterre.

Enfin, la troisième tendance — l’extrême gauche : En Allemagne : Liebknecht et ses camarades ; en France : Loriot ; en Italie : Serrati ; en Angleterre : Mac Lean, Ce sont les bolchéviks étrangers. Leur tactique, leurs opinions, sont les opinions des bolcheviks.

Voyez maintenant quel embrouillamini se produit, quand tous ces groupes se nomment du même nom. Le socialiste Liebknecht et le socialiste Scheidemann ! qu'ont-ils de commun ? Le bourreau de la révolution, le vulgaire traître et le courageux lutteur de la classe ouvrière — peut-on se représenter une plus grande différence ? !

En Russie où la lutte révolutionnaire et le développement de la révolution d’octobre posa au premier plan la question du socialisme et du renversement du pouvoir bourgeois, la dispute entre les traîtres et les partisans du socialisme se liquida les armes à la main. Les socialistes-révolutionnaires de droite et une partie des menchéviki étaient avec toute la canaille contre-révolutionnaire de l'autre côté de la barricade ; les bolchéviki étaient de ce côté avec les ouvriers et les soldats. Le sang creusa un sillon entre nous. Cela ne s'oublie pas et ne s’oubliera jamais.

Nous devions donc donner à notre parti un autre nom qui nous distinguât des traîtres du socialisme. La distance entre eux et nous était trop grande, nos voies étaient trop différentes.

Devant l'État bourgeois, nous, communistes, ne connaissons qu'un devoir —- le faire sauter, détruire cette association criminelle. Les socialistes prêchaient dans la sauce de la défense nationale, la défense de cette association de capitalistes.

Après la victoire de la classe ouvrière, devant le pouvoir ouvrier des soviets, nous nous sommes prononcés pour sa sauvegarde et sa défense contre ses pires ennemis, contre les impérialistes du monde entier.

Eux, se sont donnés pour tâche, en vrais traîtres des intérêts ouvriers, de faire sauter le pouvoir ouvrier et les soviets. Et pour s’efforcer de remplir leur tâche ils marchent la main dans la main avec la bourgeoisie.

Nous, communistes, allons de l'avant ; quelles que soient les difficultés que nous rencontrons, nous allons au communisme par la dictature du prolétariat. Les traîtres du socialisme haïssent, comme de mauvais bourgeois, cette dictature de tout leur cœur, la décrie à tous les coins de rue et lancent le mot d'ordre : Arrière au capitalisme !

Nous, communistes, disons à la classe ouvrière : Il y a beaucoup d’épines sur notre voie, mais nous devons la poursuivre sans perdre contenance. La grande révolution qui met le monde sans dessus-dessous ne peut progresser facilement ; on ne peut pas la faire en gants blancs, elle sera enfantée dans les douleurs. On doit supporter ces douleurs, passer par ce purgatoire pour se libérer finalement de l’étau de fer, de l'esclavage capitaliste

Les menchéviki, les socialistes-révolutionnaires. les social-démocrates regardent de côté en spectateurs, remarquent les erreurs et les fautes et en tirent la conclusion : retournons en arrière, rendons tout à la bourgeoisie, nous revendiquerons déjà des portions frugales dans notre écurie capitaliste !

Non, nous ne suivons pas le même chemin qu'eux. Ces malheureux nous effraient avec la guerre civile. Pensez-vous que dans les autres pays développés la révolution socialiste se fera toute seule, sans guerre civile ? L'expérience de la Finlande le prouve. Des milliers de camarades finlandais fusillés prouvent assez que la guerre civile sera encore plus exaspérée, plus violente et plus cruelle dans les pays capitalistes développés. On peut prévoir par exemple qu'en Allemagne la guerre de classe sera extraordinairement violente. Déjà maintenant, les officiers allemands fusillent par centaines les soldats et les matelots pour la moindre tentative de révolte.

On ne peut arriver à la production communiste-coopérative que par la guerre civile et une dictature ouvrière de fer.

Défense de l’État bourgeois, aucun pas vers le communisme ! — Tel est le programme du parti socialiste (de la social-démocratie).

Destruction de l’État bourgeois, dictature ouvrière, expropriation des capitalistes, organisation de la production par la classe ouvrière, route libre vers le communisme ! Tel est le programme du parti communiste.

Quand nous nous appelons communistes, nous ne nous isolons pas seulement des social-traitres : les menchéviki, les socialistes-révolutionnaires, les Scheidemänner et autres agents de la bourgeoisie ; nous retournons aussi à l’ancienne appellation du parti révolutionnaire à la tète duquel était Karl Marx. C était le parti communiste, Et l'évangile de la révolution actuelle est jusqu'à nos jours le manifeste communiste de Marx et Engels, Le vieil Engels, une année et demie avant sa mort, protestait contre l’appellation social-démocrate (socialiste). « Elle n’est,— disait-il, — absolument pas appropriée à un parti qui tend au communisme, qui finalement détruit tout État, y compris l’État démocratique ». Que diraient ces nobles vieillards qui brûlaient de haine contre la machine d’État bourgeoise si on leur montrait des socialistes tels que Dan, Tseretelli, Scheidemann ? Ils les stigmatiseraient de mépris comme ils ont toujours stigmatisé les « démocrates » qui, dans les moments révolutionnaires, tragiques et difficiles, tournaient le canon du revolver contre la classe ouvrière.

Beaucoup d’obstacles nous barrent la route. Il y a aussi beaucoup de mauvais dans nos propres rangs ; car beaucoup d'hommes étrangers se sont glissés parmi nous, qui se vendent pour de l'argent et pour pêcher en eau trouble. La classe ouvrière est jeune et inexpérimentée. De tous côtés les pires ennemis assiègent la jeune république des soviets. Nous, communistes, savons cependant que la classe ouvrière s’éduque par ses propres fautes. Nous savons qu'elle purifie ses rangs de toutes les canailles malpropres qui s’y sont glissées. Nous savons qu'un allié fidèle et désiré s'approche : le prolétariat international. Notre parti ne se laissera pas troubler par les plaintes et les cris hystériques de vieilles femmes. Il a écrit sur sa bannière ces paroles d'or que Marx écrivait dans le manifeste communiste :

Aux classes dirigeantes à trembler devant une révolution communiste ! Les prolétaires n'ont rien à y perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner. Prolétaires de tous les pays unissez-vous !

Mai 1918.