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Le Mystère est éclairci
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 18 septembre 1939 |
La guerre, comme la révolution, se distingue par le fait qu’elle balaie d’un seul coup les formules vides et met à nu la réalité. La « défense de la démocratie » est une formule vide. L’invasion de la Pologne est une réalité sanglante.
Il est clair aujourd’hui que, pendant les années où le Comintern menait à grand tapage sa campagne pour une alliance des démocraties contre le fascisme, le Kremlin était en train de préparer une entente militaire avec Hitler contre les prétendues démocraties. Même de parfaits crétins doivent comprendre aujourd’hui que les procès de Moscou qui ont permis d’exterminer la vieille garde bolchevique sous l’accusation de collaboration avec les nazis, n’étaient rien d’autre qu’une couverture de l’alliance de Staline et de Hitler. II n’y a plus de secret. Tandis que les missions militaires britannique et française examinaient avec Vorochilov le meilleur moyen de défendre la Pologne, le même Vorochilov discutait avec les représentants de l’état-major allemand du meilleur moyen de détruire et de partager la Pologne. Le Kremlin n’a pas seulement trompé Chamberlain, Daladier et Beck, mais aussi systématiquement les masses laborieuses d’Union soviétique et du monde entier.
Quelques imbéciles et des snobs m’ont accusé d’avoir été amené par ma « haine » de Staline à faire d’horribles prédictions. Comme si les gens sérieux pouvaient se laisser guider par leurs sentiments personnels dans des questions de portée historique ! Les faits inexorables démontrent que la réalité est plus horrible que toutes les prédictions que j’ai faites. En pénétrant en territoire polonais, les troupes soviétiques savaient d’avance à quel endroit exact elles allaient rencontrer — en tant qu’alliés, pas en tant qu’ennemis — les armées de Hitler. L’opération avait été déterminée dans ses aspects essentiels par les clauses secrètes du pacte germano-soviétique ; les états-majors des deux pays devaient collaborer en permanence ; l’intervention de Staline n’est que le complément symétrique des opérations hitlériennes. Voilà les faits.
Jusqu’à très récemment, le Kremlin, cherchant à gagner l’amitié de Varsovie (en l’occurrence la tromper) disait que le mot d’ordre d’auto-détermination pour l’Ukraine occidentale (la Galicie orientale) était criminel. Les purges et les exécutions en Ukraine soviétique ont été provoquées avant tout par le fait que les révolutionnaires ukrainiens, contrairement à la volonté de Moscou, aspiraient à l’émancipation de la Galicie de l’oppression polonaise. Aujourd’hui, le Kremlin couvre son intervention en Pologne d’une sollicitude repentante pour l’ « émancipation » et l’ « unification » des nations ukrainienne et biélo-russienne. En réalité, l’Ukraine soviétique, plus que toute autre partie de l’Union soviétique, est ligotée férocement par les chaînes de la bureaucratie de Moscou. Les aspirations des différentes parties du peuple ukrainien à l’unité et à l’indépendance sont tout à fait légitimes et revêtent une grande intensité. Mais ces aspirations sont dirigées également contre le Kremlin. Si l’objectif de l’intervention est atteint, le peuple ukrainien sera « unifié », non dans la liberté nationale, mais dans la servitude bureaucratique. De plus, il ne se trouvera pas un seul honnête homme pour approuver « l’émancipation » de huit millions d’Ukrainiens et de Biélorussiens au prix de l’asservissement de millions de Polonais ! Même si le Kremlin organisait par la suite un plébiscite en Galicie orientale sur le modèle de Goebbels, il ne tromperait personne. Car il ne s’agit pas de l’émancipation d’un peuple opprimé, mais de l’agrandissement du territoire sur lequel vont s’exercer oppression et parasitisme bureaucratique.
La presse hitlérienne approuve totalement « l’unification » et l’ « émancipation » des Ukrainiens dans les griffes du Kremlin. Hitler mène ainsi à bien deux tâches. Premièrement, il attire l’Union soviétique dans son orbite militaire. Deuxièmement il effectue un pas préparatoire sur la voie de la réalisation de son programme d’une « Grande Ukraine ». La politique de Hitler est la suivante : l’établissement d’un ordre précis pour ses conquêtes, l’une après l’autre et la création, en vue de chaque nouvelle conquête, d’un nouveau système d’« amitiés ». A l’étape présente, il cède à son ami Staline la Grande Ukraine à titre de dépôt temporaire. A l’étape suivante, il posera la question de savoir qui est le propriétaire de l’Ukraine, Staline ou lui, Hitler.
Il y a des gens qui osent comparer l’alliance Hitler-Staline au traité de Brest-Litovsk. Quelle dérision! Les négociations de Brest-Litovsk ont été menées ouvertement, sous les yeux de l’humanité tout entière. La révolution soviétique, à la fin de 1917 et au début de 1918, n’avait pas un seul bataillon capable de se battre. L’Allemagne des Hohenzollern attaquait la Russie, s’emparant des provinces soviétiques et du matériel militaire. Le jeune gouvernement n’avait pas d’autre possibilité physique que de signer le traité de paix. Cette paix, nous l’avons publiquement définie comme une capitulation d’une révolution désarmée face à un ennemi puissant. Nous n’avons pas célébré le culte des Hohenzollern, mais dénoncé publiquement la paix de Brest-Litovsk comme extorsion et brigandage. Nous n’avons pas trompé les ouvriers et les paysans. Le pacte actuel Hitler-Staline a été conclu malgré l’existence d’une armée de plusieurs millions d’hommes, et son objectif immédiat était de faciliter à Hitler l’écrasement de la Pologne et son partage entre Berlin et Moscou. Où est l’analogie ?
Les propos de Molotov que l’Armée rouge se couvrirait « de gloire » en Pologne, resteront comme une honte ineffaçable pour le Kremlin. L’Armée rouge a reçu l’ordre d’en finir en Pologne avec ceux qui avaient été battus par Hitler. Tel est le rôle honteux et criminel qui a été assigné à l’Armée rouge par les chacals du Kremlin.