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Special pages :
Leçons de la grève anglaise
Auteur·e(s) | Nikolaï Boukharine |
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Écriture | 8 juin 1926 |
La lutte révolutionnaire internationale
(Extrait de la Conférence de Boukharine, à la Réunion des Militants actifs de Moscou, du 8 juin.)
Camarades, ma conférence s’intitule : « Rapport sur la situation internationale », mais permettez-moi de rétrécir le problème et de me borner surtout à l’analyse des deux événements les plus importants qui se déroutent actuellement devant nous. Avant tout, j’ai en vue les leçons de la grève anglaise et la situation concrète et politique créée par elle d’une part, et les événements de Pologne, d’autre part.
Je m’imposerai encore une restriction. Chez nous, il est admis que le conférencier raconte absolument tout ce qu’il sait au sujet de sa conférence, c’est-à-dire toutes les informations parues dans les journaux, que chacun de nous lit et qu’on est obligé à regret, en raison de la discipline du Parti, d’écouter une fois, de plus à la réunion. (Rires.)
Je ferai donc mon possible pour ne citer que le minimum des informations parues dans les journaux, c’est-à-dire je ne me répéterai qu’en cas de nécessité absolue, convaincu que vous tous (Actifs de l’Organisation de Moscou) lisez au moins les journaux du Parti (Rires), et je vous dirai que l’information dans les journaux a été très complète en ce qui concerne les événements anglais.
Si nous examinons le problème d’un point de vue plus général, il faut reconnaître que la situation internationale se définit actuellement par trois événements importants : 1° par la grève générale en Angleterre, et, après sa liquidation, par la grève des mineurs; 2° par la lutte nationale et révolutionnaire en Chine, qui passe par diverses phases, mais qui ne cesse pas; 3° par les événements de Pologne qu’on peut également dénommer « guerre civile ».
Je pense qu’il n’est pas nécessaire de s’arrêter longtemps sur l’importance mondiale et historique — comme il est admis de s’exprimer chez nous — de ces événements. On comprendra sans peine que l’Angleterre et la Chine se trouvent aux deux pôles des relations économiques, de l’économie mondiale. Pendant que l’Amérique accuse une courbe ascendante — qui progresse toujours — des relations économiques, pendant que notre Union accuse une courbe ascendante des relations sur de nouvelles bases, c’est-à-dire sur la base du régime de la dictature du prolétariat, l’Empire britannique, avec sa métropole hautement industrialisée, avec toute la foule de colonies, protectorats, pays vassaux et tributaires, parmi lesquels la Chine n’occupe pas la dernière place, reste toujours le représentant et l’expression classique du vieux capitalisme. Quoique la Chine ne soit pas une colonie anglaise, au sens propre du mot, elle fait l’objet d’une exploitation coloniale de l’impérialisme anglais et, actuellement, cet énorme Empire britannique est ébranlé de deux côtés : du côté de la Chine et du côté de la métropole, qui représente le centre de l’Empire.
En ce qui concerne la Pologne, elle présente aussi un intérêt, comme type classique des Etats nouvellement constitués d’après-guerre, c’est-à-dire des Etats issus des crises de guerre et d’après-guerre. Nous avons conservé l’habitude de nous représenter la Pologne comme l’ancienne Pologne — un territoire comparativement petit et qui se trouve sous une certaine influence étrangère. — Mais il suffit de regarder la carte politique et géographique pour voir immédiatement que la Pologne actuelle est un grand Etat, dont la naissance est le résultat des crises de guerre et des divers événements d’après-guerre, dont le rôle est assez grand et qui représente, vu sa situation, un des nœuds de la politique internationale actuelle.
De ces points de vue, on peut absolument affirmer que les événements d’Angleterre, de Chine et de Pologne ont une importance capitale et que leur juste appréciation est absolument nécessaire pour notre politique.
Les événements anglais : grève de la classe ouvrière[modifier le wikicode]
J’espère, camarades, que les bases du mouvement ouvrier anglais vous sont connues et je ne dirai que quelques mots à ce sujet.
L’Angleterre était le pays classique de la classe ouvrière la plus conservatrice du monde entier. Pendant très longtemps, la classe ouvrière anglaise fut le support de la bourgeoisie, étant donné le rôle joué par l’Angleterre pour conquérir le monopole exclusif du marché mondial. Ce monopole de l’Angleterre ayant été sapé, il s’ensuivit des transformations sociales à l’intérieur du pays et dans les groupes du mouvement ouvrier anglais, conséquences sur lesquelles il est inutile de m’étendre, parce que, dans nos milieux et parmi les marxistes, cela est devenu un truisme. Je ne m’arrêterai pas non plus — pour ne pas surcharger ma conférence — sur le sort du capitalisme anglais qui, dans un temps très proche, sera obligé de « se développer » du côté de la décadence. Dans notre milieu, il n’existera absolument aucune divergence à ce sujet.
Le capitalisme anglais est l’expression peut-être la plus démonstrative de la pente sur laquelle roule le capitalisme en général. A cette situation sont liés la crise et le chômage permanents en Angleterre, la décadence des branches fondamentales de l’industrie et, en premier lieu, de l’industrie métallurgique et charbonnière. C’est sur ces données que la lutte s’est engagée ; l’évolution de cette lutte vous est parfaitement connue et, pour l’évoquer sommairement, on pourrait se borner, par exemple, aux considérations ci-dessous qui caractérisent les lignes de conduite des forces en lutte.
Mobilisation de la bourgeoisie[modifier le wikicode]
Trahison des chefs réformistes[modifier le wikicode]
La bourgeoisie et le gouvernement prirent leurs précautions en prévision de la lutte.
Ils centralisèrent en un seul point toutes les forces militaires et répressives, organes de propagande, presse bourgeoise et, à la tête, ils créèrent un appareil gouvernemental bien coordonné et travaillant selon un plan, préétabli. Ils organisèrent entre divers organes une telle division du travail qu’elle permit, d’une part, à Baldwin d’agir en qualité de « conciliateur », de « pépère », se trouvant en dehors des classes, et, d’autre part, l’unité de la volonté gouvernementale dirigée contre la classe ouvrière fait pleinement assurée. Le gouvernement et la bourgeoisie se faufilèrent ensuite dans les camps de leurs ennemis de classe, s’assurèrent un service de renseignements très bien informé, et, mieux que cela, une alliance directe avec la tête du Conseil général. Ils établirent ensuite là-dessus toute leur stratégie et, sur cette base, leur tactique de telle façon que tous les moyens, en commençant par la répression mécanique purement militaire et en finissant par l’organisation dans le sein de la classe ouvrière d’un complot contre cette classe, furent mobilisés, préparés et calculés.
Pendant tout ce temps, du côté de la classe ouvrière, les dirigeants responsables et, en premier plan, le Conseil général, ne firent aucune préparation en vue d’une lutte effective. Il ne fut pas même question de la mobilisation des forces dont disposait le Conseil général qui aurait pu ressembler, même de loin, à la mobilisation des forces du camp de la bourgeoisie.
Le Parti communiste et le Mouvement minoritaire, c’est- à-dire la gauche, la véritable opposition au sein des trade-unions, qui agit de concert avec le Parti communiste, préparèrent la mobilisation des forces prolétariennes ; mais il ne fut même pas fait appel à la grande masse de la classe ouvrière anglaise. Pendant ce temps, une partie des dirigeants placés à la tête de ces organisations, représentés par Thomas et Macdonald, par tous ces « conseillers privés » du roi, anciens ministres de S. M., étaient, comme il a été dit plus haut, en relations étroites avec la bourgeoisie et, au moment décisif, ils passèrent ouvertement de son côté. Toute la tactique du Conseil général découle de cette situation stratégique qui, au fond, était une véritable trahison et qu’on ne pourra jamais qualifier autrement.
Caractère politique de la lutte[modifier le wikicode]
Les masses allèrent à la bataille, les masses développèrent une énergie formidable, les masses se levèrent comme un seul homme pour la défense .des mineurs. Cette grève générale que les chefs des syndicats ont déclenchée, sous la pression des masses d’une part et, d’autre part, dans l’espoir qu’il y aurait impossibilité de la réaliser, a tout de suite créé une nouvelle situation politique. Quand, dans un pays comme l’Angleterre, cinq millions d’hommes manifestent — ce chiffre des grévistes a été cité par le journal bourgeois anglais l’Economiste qui n’a pas intérêt à exagérer la force de la pression ouvrière — cela signifie qu’une classe se dresse contre une autre, et quand une classe se dresse contre une autre, ceci constitue un acte très important de lutte politique, parce que la manifestation de millions d’hommes indique que la classe s’est considérablement rapprochée de la solution du conflit, non pas avec un capitaliste, non pas avec un groupe de capitalistes, mais avec le pouvoir d’Etat. Cette situation que la grève générale avait engendrée, ne pouvait être différente. En se plaçant au point de vue du gouvernement et de la bourgeoisie, que fallait il faire dans cette situation ? Il fallait mettre en branle tout l’appareil complet des forces mobilisées du régime bourgeois, ce qu’ils ont fait, en déclarant l’état de siège, en mobilisant la flotte, l’armée, les réserves de police, en mettant en marche la machine des briseurs de grève. Que fallait-il faire, dans cette situation, en se plaçant au point de vue de la classe ouvrière, pour mener la lutte avec espoir de victoire ? Il aurait fallu développer l’énergie des masses, aiguiser la lutte et marcher de l’avant ; marcher de l’avant dans cette lutte, cela veut dire la poser sur des rails politiques, aiguiser les mots d’ordre, ne pas craindre la rencontre avec la machine gouvernementale, ne pas craindre même de poser la question sur la prise du pouvoir. Voilà la situation qui fut créée. Dans cette lutte, le Conseil général, qui s’est trouvé dans la nécessité de suivre les masses, aurait dû s’engager sur la voie révolutionnaire, parce que les rencontres avec le gouvernement, la lutte contre lui dans ces conditions, signifiaient le passage de la lutté sur les rails politiques, qui, tôt ou tard, conduisent à la question du pouvoir. Cela, naturellement, le Conseil général ne le voulait pas, mais il fut obligé de passer, malgré lui, sur les rails de la lutte politique, tout en s’opposant à la poussée des masses. Quand il commença à organiser chez lui les services de distribution de vivres, de distribution d’électricité, d’informations, etc., il s’approchait presque des positions qui, au commencement de l’été 1917, étaient occupées par les
Soviets de Pétersbourg. En organisant ces services, il organisa effectivement le « dédoublement du pouvoir ». D’un côté, le gouvernement organise l’information, distribue des vivres, dirige les masses ; de l’autre côté, tout près de lui, grandit une organisation des masses qui, petit à petit, s’approprie ces mêmes fonctions. Sous la pression des masses, le Conseil général s’est rapproché de ce point, mais il faut souligner qu’il l’a fait contre sa volonté et sous la pression énergique des millions de travailleurs.
Deux formes de trahison[modifier le wikicode]
Plus les contours du passage à la lutte politique se précisent, plus se précisent les problèmes les plus aigus de la lutte des classes, plus précipitamment devraient battre en retraite ceux qui sont des révolutionnaires, tels que, par exemple, le président de notre réunion, le camarade Ouglanoff. (Rires.) De cette situation, découle également la trahison des « chefs » qui se manifeste sous deux formes et que nous devons envisager, clairement, sans aucune illusion.
Dans le Conseil général, il y avait précédemment deux ailes : la droite, avec Thomas en tête et Macdonald, leaders du Labour Party, invités, en qualité d’« intermédiaires de la paix » ; la gauche, avec Purcell à la tête. Thomas, en qualité de conseiller privé du roi, est assermenté. Dans son serment, il a promis d’employer toutes ses forces pour vaincre et annihiler tout ce qui pourra nuire aux intérêts de Sa Majesté. Thomas a souvent trahi la classe ouvrière, et, après le « vendredi noir » en 1921, il déclara, devant le tribunal, qu’il était prêt à briser n’importe quelle grève, si elle devait aider la révolution.
Il est douteux que l’aile gauche ait été directement en relations avec le gouvernement ou indirectement achetée par lui (politiquement et non avec de l’argent), mais, vu leur idéologie fondamentale « contre-révolutionnaire », vu leurs craintes de manifestations révolutionnaires, ces « gauches » se sont trouvés en fait entièrement entre les mains de Thomas et de sa compagnie et ont aidé à la réalisation de leur politique, quoiqu’ils auraient pu avoir la majorité dans le Conseil général et une influence décisive sur ses décisions. Quelques- uns de ces « gauches » se sont trouvés dans une situation « intéressante », comme, par exemple, Hicks, qui parlait « du maudit argent russe ».
Comment apprécier la tactique et, en général, la conduite de tous ces chefs réformistes ? Il me semble qu’en l’occurrence nous avons affaire à deux formes différentes de tactique et de conduite : l’une consciemment de trahison; l’autre de capitulation. Si on recherchait la responsabilité politique des divers groupes, on ne pourrait dire en aucun cas que la responsabilité de l’aile gauche est moindre que celle de l’aile droite. C’est plutôt l’aile gauche qui doit avoir la plus grande responsabilité ; en raison de son « gauchisme », elle avait plus d’influence sur les ouvriers les plus révolutionnaires et, si elle l’avait voulu, elle pouvait avoir la majorité dans le Conseil général. Pour cette raison, nous devons porter nos accusations contre les chefs de la gauche du Conseil général avec autant de force que contre la droite.
Nous devons apprécier ici, comme d’ailleurs dans beaucoup d’autres cas, non les intentions subjectives des diverses personnes, mais leur rôle objectif.
Le rôle objectif de l’aile gauche des trade-unions, qui avait la majorité dans le Conseil général, fut plus nuisible, parce qu’elle s’est inclinée devant la minorité de droite, et elle a plus de responsabilité que le gros actionnaire Mister Thomas.
Les deux lignes : Démobilisation intérieure et extérieure[modifier le wikicode]
On peut encore ajouter que la trahison de ces gens est déterminée par deux lignes de démarcation : premièrement, le refus de faire passer la lutte sur des rails politiques ; deuxièmement, le refus d’accepter l’aide financière du prolétariat international.
Au moment où le gouvernement envoie des troupes, mobilise la flotte, rappelle les policiers, où commencent les arrestations, les menaces de confiscation des biens, etc..., c’est-à- dire quand le gouvernement souligne ouvertement le caractère politique de la grève, ces « gauches » déclarent : « En aucun cas, nous ne pourrons passer sur des rails de lutte politique. » La propagande du refus de lutte politique signifiait la capitulation et la démobilisation complète des forces prolétariennes, parce que la bourgeoisie comprenait très bien ce qui lui restait à faire en cette circonstance. Elle déclara la grève illégale, ramassa toutes les forces dans un seul « poing » et dirigea le coup de ce « poing » contre la classe ouvrière, ne se souciant nullement de cacher le caractère politique de ses actes. Pendant toute la durée de la grève, la presse bourgeoise répéta, sans se lasser :
« Nous luttons pour la constitution démocratique, contre la dictature prochaine des syndicats. » Question pesée avec beaucoup de précision du côté de la bourgeoisie seulement. Les chefs des trade-unions abordèrent cette question, mais d’une tout autre façon. La bourgeoisie développa l’offensive et le Conseil général donna un ordre : « Pas un pas en avant. » Les uns mobilisaient toutes leurs forces, les autres les démobilisaient. Ce fut la ligne d’après laquelle la capitulation et la démobilisation des forces prolétariennes furent faites à l’intérieur du pays.
En même temps, le Conseil général procéda à la démobilisation des forces prolétariennes sur la ligne extérieure. Quand il refusa d’accepter l’argent étranger, ce refus qui exprimait la crainte d’enfreindre la « loyauté » vis-à-vis de l’Etat bourgeois, ne signifiait pas autre chose que la démobilisation des forces prolétariennes sur une échelle internationale. On dit au Conseil général : « Accepte notre aide ! », il répond : « Va-t-en ! » Quand la bourgeoisie s’est trouvée à Londres, sans imprimerie, elle fit imprimer ses journaux à Paris, comprenant très bien qu’il faut bénéficier de la solidarité de sa classe. Quand le prolétariat international vint chez les chefs des trade-unions apporter son aide, ces chefs déclarèrent : « Vous vous êtes trompés de porte. »
Une information qui s’est glissée dans les journaux a mis à jour le mécanisme intérieur de ce refus. Un moment les chefs ont déclaré qu’ils refusaient cet argent parce que, voyez- vous, ce n’est pas « commode » d’accepter; après la publication de certaines données, il ne subsiste aucun doute qu’ils ont reconnu qu’il n’était pas « commode » d’accepter notre aide pour la simple raison que le gouvernement avait ordonné de ne pas l’accepter.
Les chefs ont préféré cacher ce fait aux ouvriers. Ils auraient pu dire ouvertement :
« Nous remercions les ouvriers de l’U. R. S. S. pour leur aide, mais le gouvernement ne laisse pas passer cet argent. » Au lieu de cela, ils ont couvert leur gouvernement bourgeois, impérialiste, en prenant la faute entièrement sur eux, en cachant à la classe ouvrière que le gouvernement avait défendu aux banques de verser au Conseil général l’argent reçu du Comité central pan-russe des syndicats des moyens de communications.
Ces deux lignes de trahison : la ligne de trahison extérieure et la ligne de trahison intérieure ont, en fait, décidé de la défaite de la grève générale.
La grève des mineurs[modifier le wikicode]
Il serait absolument inexact d’apprécier les événements anglais seulement comme une défaite. Avant tout, il ne faut pas perdre de vue, même pour une seconde, que la plus grande grève des mineurs continue toujours. La perspective que la grève se développera davantage n’est pas exclue ; la possibilité qu’elle entraînera, à nouveau, sur de nouvelles bases, les masses ouvrières pour venir en aide aux mineurs n’est pas exclue non plus. Un télégramme reçu aujourd’hui nous informe que le Secrétariat International des Mineurs a décidé de venir en aide aux mineurs anglais en lutte. Si ces « fines mouches réformistes » qui sont à la tète du Secrétariat ont décidé d’aider les mineurs, cela veut dire que les affaires des mineurs sont encore assez solides; s’il existait des symptômes clairs que la grève est vouée à une défaite, les chefs réformistes se seraient enfuis comme les rats d’un navire naufragé. En aucun cas, on ne peut se figurer que la lutte en Angleterre est terminée, que le calme, la tranquillité et l’abondance sont revenus, parce que la grève des mineurs fait chanceler toute la vie économique du pays, parce qu’elle représente jusqu’à présent une arme braquée contre la bourgeoisie. Les mineurs tiennent et tiennent bon. Non seulement, pour l’Internationale Communiste en entier, mais aussi pour tout travailleur du mouvement révolutionnaire, politique ou professionnel, et, en premier lieu, pour chaque communiste, le but principal actuel est l’aide aux mineurs dans la mesure du possible. Chacun sait très bien qu’actuellement il peut y avoir trois perspectives : la grève peut être écrasée, elle peut vaincre, enfin elle peut finir par un compromis. Le but de tous les ouvriers conscients consiste en ceci : que toute leur énergie, que toutes leurs forces soient appliquées au levier qui donne la victoire. Le développement de la grève des mineurs, le désir d’attirer à l’aide des mineurs les autres détachements de la classe ouvrière, est le but pratique et immédiat d’aujourd’hui. Ceci est également la conclusion que nous devons tirer de l’analyse du mouvement anglais.
La grève générale comme moyen de lutte[modifier le wikicode]
Je passe à l’analyse de quelques problèmes liés aux leçons de la grève anglaise et qui étaient, jusqu’à présent, discutables dans notre Parti et dans l’Internationale Communiste, mais qui, actuellement, en vertu de la décision du Comité central de notre Parti et de la décision de l’Internationale Communiste, ne le sont plus. Les thèses acceptées à l’unanimité par le Comité exécutif du Comintern donnent, à ces questions, une réponse nette et ne prêtant pas à double sens.
Avant tout, quelques mots à propos de la grève comme moyen de lutte. Actuellement, en Angleterre, une campagne est menée, très énergiquement, non seulement par la presse bourgeoise, mais aussi par la presse réformiste du Conseil général et autres, qu’on peut caractériser comme une offensive concentrée sur l’idée même de la grève générale. On a mis en marche la grosse artillerie, les pièces de calibre moyen et les simples mitrailleuses, mais le but est le même chez tous : vaincre l’idée de la grève générale et la discréditer aux yeux de la classe ouvrière.
Un des plus importants militants du Parti ouvrier indépendant, Brailsford, dit que le Conseil général n’avait pas besoin de s’agripper à la grève générale parce que, voyez- vous, les trade-unions sont appelées à diriger la lutte économique, mais non pas à faire « l’Histoire ». Puisque les trade-unions ont dépassé la limite de la compétence de leur « département », c’est-à-dire ont cherché à faire l’« Histoire » une histoire désagréable leur est arrivée, suivant l’opinion de Brailsford.
Une autre variante : la grève a dressé des masses énormes contre le Gouvernement, par conséquent elle peut se transformer en insurrection armée, mais il faudrait être fou pour accepter l’insurrection armée ! Ainsi raisonne le chevalier chrétien de l’Ordre de la Jarretière royale, Mister Macdonald.
Enfin, un des chefs des trade-unions apporte les arguments suivants : la lutte des ouvriers pourrait être victorieuse seulement dans le cas où quelques détachements de la classe ouvrière lutteraient contre quelques groupes séparés de la bourgeoisie, tandis que la grève générale est une méthode de lutte qui dresse les masses contre le Pouvoir d’État qui possède toutes les ressources pour écraser le mouvement et il est impossible de s’opposer à une telle force.
A la base de tous ces raisonnements se trouve la peur bleue des Joseph Prudhomme de la lutte révolutionnaire. Quelques-uns d’entre eux constatent cette vérité que la grève générale met face à face les masses ouvrières contre le Gouvernement et tirent de là une conclusion à la Joseph Prudhomme, correspondant à l’état de « diarrhée » dans lequel les chefs réformistes se sont trouvés au moment de la grève générale. Cette conclusion se résume ainsi : seul un fou pourrait penser à la victoire des masses contre le Gouvernement, mais un tel point de vue petit-bourgeois n’est nullement obligatoire pour nous. Nous disons : ce n’est pas la grève générale qui a fait faillite, ce sont les méthodes’ réformistes et la manière de conduire la grève générale qui ont fait faillite. Ce qui, avant, était pour tout communiste un axiome fut ensuite confirmé, une fois de plus, par la marche de la grève anglaise.
Une des leçons de la grève anglaise nous montre que, notamment en Angleterre, en raison des conditions spécifiques de la lutte de la classe ouvrière, la grève générale a une importance beaucoup plus grande que dans n’importe quel autre pays. Il me semble que cela découle de deux circonstances qui se sont très nettement dessinées pendant la dernière lutte.
La première circonstance suit la ligne de structure social- économique de l’Angleterre : un prolétariat énorme englobant la majorité de la population, un pourcentage infime de paysans, un pourcentage énorme des moyens d’organisation dans les trade-unions, avec un Parti Communiste encore relativement faible.
La deuxième circonstance concerne la ligne militaire. En Angleterre, le centre de gravité des forces militaires ne se trouve pas dans l’armée de terre, mais dans la flotte. La flotte joue un rôle moindre dans la guerre civile ou dans les rencontres décisives, parce que la guerre civile a lieu de préférence non sur l’eau, mais sur la terre et la flotte du Gouvernement anglais, pour son malheur, se meut très mal sur terre (Rires).
Cette circonstance joue également un rôle pour l’analyse des diverses méthodes de lutte au point de leur « densité ». Pour cette raison, la grève générale, comme méthode de lutte occupe une place exclusive surtout en Angleterre. Il me semble que ceci a été confirmé avec beaucoup de relief pendant la marche de la grève.
Naturellement, il ne résulte nullement de ce que je dis qu’il ne faut pas faire passer la grève à des formes supérieures de lutte. Je veux dire, seulement, que si nous tenons compte de la relation entre la grève générale et d’autres méthodes de lutte supérieure, la densité de la grève générale sera supérieure, en Angleterre, à celle de n’importe quel autre pays. Plus que dans n’importe quel autre pays, la grève générale en Angleterre constitue les prémisses nécessaires pour la lutte victorieuse de la classe ouvrière. Ceci est, à mon avis, la première conclusion que nous devons tirer et qui s’explique par les particularités spécifiques du mouvement ouvrier anglais et par les conditions spécifiques de la lutte.
Le rôle des syndicats en Angleterre[modifier le wikicode]
La seconde leçon a trait à la question des syndicats. Lénine nous enseignait qu’il faut attirer constamment notre attention sur les syndicats, notamment sur ceux d’Angleterre. Quand il insistait pour que nous étudiions amplement le rôle des syndicats, quand il indiquait le grand rôle que ces organisations peuvent jouer dans le mouvement ouvrier européen, etc., il soulignait les indications concernant l’Angleterre par trois traits. A mon avis, la grève générale et les événements qui la suivent soulignent ce rôle, non par trois, mais par dix traits. Voici les faits : la grève générale fut menée par des syndicats et dirigée, quoique avec trahison, par le Conseil général des Syndicats; en province, elle fut dirigée par des comités d’action et par des comités de grève qui, en majeure partie, étaient des organes de syndicats; la force organisée de la classe ouvrière marchait avant tout, d’après cette ligne. Aucune autre organisation, ni d’après son étendue, ni d’après son rôle, etc., ne peut être comparée avec les syndicats.
Maintenant, camarades, je dois m’arrêter à la troisième leçon de la grève,, au sujet de la; conclusion que je viens de faire (cette conclusion me sera d’une grande utilité pour résoudre les questions discutables) dont je parlerai plus tard sur la grève et son rapport avec le rôle très important des syndicats. Cette leçon consiste en ceci ; la classe ouvrière anglaise s’approche également, sous une forme originale, des questions du pouvoir d’Etat, c’est-à-dire de la révolution : cette forme est tout autre que celle sous laquelle nous avons approché ces questions chez nous et en Allemagne ; elle est toute spéciale et dépend des particularités du mouvement ouvrier anglais. J’ai déjà indiqué que toute la grève fut menée par les syndicats. Dans les cas où le mouvement déborda clairement du cadre de la lutte économique, imposé par force pendant toute la durée de la grève par les chefs du Conseil général, ces débordements s’exprimèrent par toute une série de faits, de mots d’ordre, etc..., des plus significatifs. Dans certaines localités, par exemple, les chefs d’action qui étaient des organes syndicaux étaient en fait à la tête de beaucoup de petites villes, c’est à-dire le pouvoir était entre leurs mains. Prenons maintenant les mots d’ordre. Quand, par exemple, dans certaines localités, on lança ce mot d’ordre : « Tous les pouvoirs aux comités locaux d’action », cela fit ressembler ces organisations syndicales, d’après leurs fonctions, à nos organisations des Soviets pour la période qui précéda immédiatement la lutte pour le pouvoir. Notre Parti communiste lança un mot d’ordre : « A bas le gouvernement Baldwin, qui défend le capitalisme ! », et ensuite un autre mot d’ordre : « Tous les pouvoirs au Conseil général des Syndicats. » Ce mot d’ordre avait été lancé, indéniablement, pour que le mouvement fût centralisé, pour que la direction du mouvement fût unifiée entre les mains du Conseil général, afin d’éviter des actes individuels, désorganisés, etc... De là, est né immédiatement le mot d’ordre : « Tous les pouvoirs au Conseil général des Syndicats. » Mais, à mesure que les événements débordaient les limites de la lutte économique, à mesure que le mouvement professionnel se transformait, pendant la marche de la grève même, en lutte politique de toute la classe ouvrière contre l’appareil gouvernemental de la bourgeoisie, objectivement, ce mot d’ordre se dépassait lui-même et se transformait en un autre analogue : « Tous les pouvoirs aux Soviets. » Dans la mesure où l’élément de duplicité de pouvoir se créait, où le Conseil général, contre son désir, commençait à être entouré des organisations qui ressemblaient aux organes soviétistes de l’époque de lutte immédiate pour le pouvoir, dans une mesure analogue le mot d’ordre : « Tous les pouvoirs au Conseil général des Syndicats » se transformait en mot d’ordre politique.
Pourquoi donc, en Angleterre, s’est-il organisé des comités d’action et non des soviets? Pourquoi n’y eut-il pas de mot d’ordre : « Tous les pouvoirs aux Soviets » ? Parce que la classe ouvrière en Angleterre — ce qui la distingue des autres pays — marche par une autre route. En raison de toute son histoire, de l’importance énorme de ses organisations professionnelles, de ses traditions historiques, le prolétariat anglais a approché la question du pouvoir, non en dehors des syndicats, mais par les syndicats. Il me semble que ce fait est caractéristique au plus haut degré. Vladimir Illitch réclamait de nous une analyse des traits spécifiques, des traits particuliers de chaque période de chaque pays, et non une répétition, à l’emporte-pièce, de ce qui peut servir pour tous les temps et pour toutes les situations. Si nous posons la question de ces traits spécifiques, particuliers du mouvement ouvrier anglais, nous sommes obligés de tirer la conclusion qui est une des plus grandes leçons de la grève générale anglaise, notamment que la classe ouvrière anglaise s’approche de la question du pouvoir par ses syndicats.
Il va de soi que cela ne veut nullement dire que si, par exemple, actuellement, le mouvement ouvrier anglais s’arrêtait et que, dans dix ans, il soit à nouveau régénéré, qu’il referait tout le chemin parcouru, je ne le pense pas et je ne veux pas le dire, mais à un degré de développement déterminé, en présence de conditions données, en présence de traditions et de formes d’organisation bien déterminées, le mouvement ouvrier en Angleterre aborde la question du Pouvoir non en dehors de ses organisations fondamentales, mais par elles.
Cette leçon, nous devons l’enregistrer parce qu’en rapport avec elle, se trouvent quelques conclusions à propos desquelles je parlerai plus loin. Cette question sur les particularités du mouvement ouvrier anglais, certains camarades ne veulent pas la comprendre et il me semble à moi que nous devons la souligner pour pouvoir effectivement comprendre le mouvement ouvrier anglais et les leçons de la grève générale dans leur originalité et leurs particularités. Cette façon d’étudier la question est absolument nécessaire au point de vue de l’analyse léniniste-marxiste.
Je passe à la question du Parti communiste, à son rôle dans la lutte présente et aux conclusions que nous devons tirer de son activité.
Une idée fut émise, dans un des articles parus dans la Pravda, que le mouvement ouvrier anglais possède un appareil d’organisations ayant un caractère de « superconstruction » et que cet « appareil » dans toutes ses formes absolument — dans les trade-unions, dans les partis, y compris le Parti communiste — s’est dévoilé comme un appareil de « freinage révolutionnaire ». Si on exprimait simplement cette idée, on pourrait la définir ainsi : il existe une classe ouvrière anglaise qui marche par le chemin du développement révolutionnaire et qui possède diverses organisations : trade-unions, parti ouvrier, parti ouvrier indépendant, parti communiste, etc..., dont le tout constitue l’appareil. C’est le point de vue général de l’« appareillisme universel », selon lequel tout est appareil. De ce point de vue, le Parti communiste anglais, qui représente une parcelle de l’« appareil », constitue, au même titre que les autres, un élément de « freinage révolutionnaire ». Il me semble que ce point de vue est absolument dénué de fondement, qu’il a été complètement réfuté par les faits. Il ne faut pas nous laisser abuser par des raisonnements théoriques tirés par les cheveux — au contraire, nous ne devons nous tourner que vers l’analyse des faits, et les faits infirment cette théorie. Ce point de vue est, en outre, contradictoire aux décisions anciennes et récentes de l’Internationale Communiste»
Avant tout, est-il bon de mettre dans le même sac le parti ouvrier, les trade-unions, le parti ouvrier indépendant, le parti communiste, etc. ? Est-il juste de faire une salade des partis et des organisations professionnelles afin d’épater les lecteurs russes stupéfaits par la déclaration que tout cela n’est que moyens de « freinage révolutionnaire » ? Je pense que ce procédé est absolument injustifié et je suis certain que personne ne pourrait défendre ce point de vue. Essayez donc de la défendre ! Essayez maintenant de dire qu’on peut fourrer dans le même appareil général Purcell, Thomas et notre Parti communiste. Si quelqu’un avait actuellement l’audace de défendre cette idée, il s’attirerait cette réplique : « Ou vous désirez nous tromper, ou vous ignorez les faits fondamentaux du mouvement ouvrier anglais. »
Notre Parti communiste d’Angleterre a mené une politique qui fut, en général, absolument juste. Etant un parti encore jeune, il s’est trouvé, immédiatement, dans une situation complexe et sérieuse, a été mis en présence de problèmes formidables et s’est sorti de cette situation avec honneur. Pour cette raison, nous le défendrons énergiquement contre tous ceux qui disent qu’il constitue une partie de l’« appareil de freinage révolutionnaire ».
A-t-il commis des erreurs graves ? Je crois que non. Il s’est préparé consciemment à la grève des mineurs ; autant qu’il a pu, il a mobilisé toutes ses forces avec la « minorité » du mouvement pour soutenir cette grève. Pour soutenir les mineurs, il a lancé, au moment opportun, le mot d’ordre de la grève générale ; il a lancé la proposition de passage immédiat de la défense à l’offensive, parce que la « grève générale qui se défend, mais qui n’attaque pas, doit périr ». Il a lancé le mot d’ordre : « A bas le gouvernement de Baldwin, qui défend le capitalisme », et le deuxième mot d’ordre : « Tous les pouvoirs au Conseil général »; n’est-ce pas juste?
Personnellement, je fus très étonné du tact politique énorme avec lequel le Parti communiste anglais a agi. Par exemple, le mot d’ordre : « A bas le gouvernement Baldwin, qui défend le capitalisme » est un mot d’ordre très intelligent. Ce parti ne s’est pas borné à une formule « A bas le gouvernement Baldwin », parce que la classe ouvrière a entrepris cette lutte ayant encore des préjugés énormes en ce qui concerne les classes et parce que les masses considéraient encore le gouvernement comme une entité se trouvant en dehors des classes. Pour cette raison, l’ancienne tradition du mouvement ouvrier conservatif anglais considère encore que le roi est un « petit père », en dehors de toutes les classes qui existent dans les limites de l’Empire britannique. Je ne sais pas si c’est consciemment ou inconsciemment, mais le Parti communiste anglais a habilement répété notre tactique bolchéviste de l’époque des événements qui ont immédiatement succédé à la révolution de février. A cette époque, nous approchâmes avec beaucoup de prudence « les masses qui se trompaient honnêtement », comme le disait Vladimir Illitch. A un moment donné, nous ne disions pas simplement : « A bas le gouvernement provisoire ! » mais nous disions : « A bas les ministres capitalistes ! » Le Parti communiste anglais a agi de façon analogue. C’est précisément parce que la classe ouvrière anglaise a beaucoup de préjugés en ce qui concerne son gouvernement, que le Parti communiste d’Angleterre a dû, à un moment donné, lancer le mot d’ordre : « A bas le gouvernement Baldwin, qui défend le capitaliste. » Ceci fut juste, plein de tact et conforme au but. Il renforça ensuite son action en lançant les mots d’ordres tels que : « Tous les pouvoirs au comité d’action », « Tous les pouvoirs au Conseil général », etc...
« Tous les pouvoirs au Conseil général », ce mot d’ordre, comme nous l’indiquions plus haut, a découlé de la nécessité d’un mouvement centralisé. « Pouvoir » signifiait en l’occurrence direction de tout le prolétariat organisé. Mais, au fur et à mesure que la lutte se dépassait et se transformait en lutte politique, ce mot d’ordre acquit une autre signification, il se rapprocha, de plus en plus, du mot d’ordre analogue : « Tous les pouvoirs aux soviets ».
Dans le domaine de la lutte économique, le Parti a occupé une juste position en se déclarant pour la nationalisation des mines sans compensation ; il a apprécié à sa juste valeur le rapport de la Commission charbonnière royale en le considérant comme une déclaration de guerre à la classe ouvrière. Il appela à la lutte la plus féroce contre ce rapport, il dévoila les traîtres de « gauche » et de « droite » et chercha à organiser un front unique prolétarien sur la base d’un programme de lutte concrète. Toute cette tactique fut édifiée sur la base du passage « de la défensive à l’offensive ». Cela fut une tactique juste. Le mouvement de la minorité marchait avec et sous la conduite du parti. D’après les communications que nous possédons déjà, on voit que les communistes, malgré leur insignifiance numérique, prirent part à presque tous les comités régionaux d’action, que ceux des comités, où les noyaux communistes étaient plus solides, menèrent une politique juste, que partout où la lutte fut active, les communistes occupaient la première place, que les arrestations, parmi les communistes, furent faites dans un grand nombre de cas, etc., etc.
Pendant ces derniers temps, une tendance à médire de ce qui n’est pas conforme avec le point de vue de tel ou tel camarade est née chez nous, sans se donner la peine de se rendre compte de la situation effective. Cette tendance s’est manifestée, avant tout, dans le désir de déclarer le parti communiste anglais « élément de freinage révolutionnaire ».
Je dois m’arrêter encore sur la critique du Parti communiste anglais qui vient de certains éléments ultra-gauches ou de certains membres exclus du Parti communiste allemand.
Le groupe des exclus du parti communiste allemand, Katz, Korsch et autres ont édité des feuilles volantes dans lesquelles il est dit que la grève n’a pas eu de succès parce qu’il y a eu trahison de la part du parti communiste et du Comintern. Dans le clan des ultragauches du camarade Urbahns, un des dirigeants de l’opposition au sein du parti communiste allemand, il est dit que le parti communiste anglais s’est complètement volatilisé, pendant les journées de grève, et que, nulle part, il n’a été vu. Nous aurions pu prescrire des lunettes à ces chers amis, quoique, s’ils sont complètement -aveugles, des lunettes ne leur seraient d’aucune utilité.
Le même camarade Urbahns accuse le parti communiste anglais d’avoir accepté la proposition de la Commission charbonnière royale. Une telle accusation, n’est qu’un mensonge stupide, parce que le parti communiste a effectivement déclaré, le répétant sans cesse, que la proposition de cette Commission, qui a pour but d’empirer la situation des mineurs, constitue une déclaration de guerre à la classe ouvrière.
Quel est le but d’une pareille politique empreinte d’une telle mauvaise foi ? Elle cherche à ouvrir le feu contre le Comintern et indirectement contre notre Parti. Pour tirer sur le Comintern, il faut tirer de côté, et, pour tirer de côté, s’il manque des arguments, on les invente. L’appréciation du Parti communiste d’Angleterre, comme « un appareil de freinage révolutionnaire » contredit avant tout les faits, sans parler de beaucoup d’autres considérations que je ne mentionne pas.
Le fait d’ignorer des syndicats et de chercher de « nouvelles organisations révolutionnaires » en dehors et contre les syndicats nous met en présence encore d’une autre question liée avec les leçons de la grève générale. Dans notre presse, une opinion fut encore émise : si toutes les formes extérieures du mouvement ouvrier anglais ne sont que l’appareil du freinage révolutionnaire, il faut chercher de « nouvelles formes révolutionnaires ». Ce qui veut dire, en somme, qu’au lieu des syndicats professionnels, il faut créer de nouvelles organisations. Cette même pensée géniale fut formulée entre autres par les chefs du parti ouvrier indépendant opportuniste d’Angleterre. Ainsi, l’un d’eux, Witlley, dans l’article « Compte rendu de la grande capitulation », a écrit : « Maintenant que les trade-unions ont permis à leurs ennemis de les lier, une nouvelle forme d’organisation peut devenir nécessaire. » La même pensée, mais sous une forme encore plus accentuée, se rencontre chez beaucoup d’autres « indépendants ». Toutes ces affirmations ont une consonance très « révolutionnaire » : la direction des trade-unions a fait faillite et nous allons à la place de ces syndicats construire de nouvelles organisations révolutionnaires. Comme cela sonne bien et comme c’est simple !
Mais cette question doit être examinée de très près parce que, par elle-même, elle présente une importance capitale. Il peut exister deux lignes de conduite absolument différentes, deux tactiques absolument dissemblables : une qui s’oriente vers l’introduction de nouvelles couches d’ouvriers dans les syndicats, vers la réorganisation de ces syndicats et leur conquête par les éléments révolutionnaires ; l’autre qui consisterait à délaisser ces syndicats, à s’enfuir et à essayer de les remplacer par d’autres nouvelles organisations, etc... Entre ces deux tactiq.ues, il faut choisir sans hésitation, sans savoir où est la droite, où est la gauche.
Cette question, camarades, se pose actuellement devant nous d’une façon catégorique, maintenant que la grève générale est liquidée. Nous ne pouvons pas tourner autour, nous taire, nous abuser ; nous devons donner une réponse claire à cette question, définir avec précision notre ligne de telle façon que chaque ouvrier puisse comprendre quelle est notre opinion à ce sujet.
Une petite remarque préliminaire. Les héros du parti ouvrier indépendant ont avancé le problème des recherches de nouvelles formes d’organisation. On pourrait supposer qu’ils s’occupent du point de vue révolutionnaire. Quels sont les faits ? Actuellement, ils attaquent, comme un seul homme, l’idée de la grève générale. Je vous ai cité de mémoire Brailsford qui, dix jours après la capitulation du Conseil général, a découvert qu’une des causes les plus fondamentales des erreurs commises était d’avoir violé la liberté de la presse, et par là même d’avoir provoqué le ressentiment des journalistes bourgeois ce qui, d’après l’opinion de Brailsford, ne pouvait pas manquer d’avoir des conséquences fâcheuses pour la marche de la grève. Je pourrais également citer d’autres « hérauts » des nouvelles organisations révolutionnaires. Au fond, tout ceci se traduit chez eux par l’abandon de la lutte et de la réalisation la plus hardie du problème, qui consisterait à attirer des millions d’ouvriers dans les syndicats, à conquérir les trade-unions et à prendre la direction des véritables actes révolutionnaires. Les hâbleurs de la « gauche » continueront à bredouiller sur les nouvelles formes et par là même s’éloigneront de la base fondamentale du mouvement qui, en restant captif de la droite, continuera à subir des défaites.
Il est intéressant de noter ce qui suit : depuis la défaite de la grève générale, défaite entièrement provoquée par la trahison des chefs, on remarque, chez une partie de la classe ouvrière déçue, une tendance à quitter les syndicats. L’argumentation de ces ouvriers est facile à comprendre ces salauds de chefs du Conseil général nous ont trahis, avec eux, il n’y a rien à faire, il vaut mieux quitter le syndicat. Une psychologie aussi élémentaire s’est souvent manifestée dans l’histoire du mouvement international, ce n’est pas quelque chose de nouveau. Par exemple, en Allemagne, cette tendance à quitter les syndicats s’est manifestée avec beaucoup de force vers l’année 1923, et vous tous, camarades, qui suivez les travaux du Comintern, vous savez quels efforts énormes il nous a fallu à tous pour paralyser une tendance aussi désastreuse. Vous savez que même l’ancien contingent du Comité Central du Parti communiste allemand a été obligé d’exclure du Parti un certain nombre de personnes qui refusaient de travailler dans des syndicats réformistes et qui étaient partisans d’abandonner ces syndicats. Nous considérons que cette tactique d’abandon, de boycottage des syndicats nous isole de la masse fondamentale de la classe ouvrière. Elle nous isole du milieu où nous devons pénétrer et nous agripper coûte que coûte, y conquérir position par position et non nous détourner, nous enfuir pour construire de « nouvelles organisations », chimériques, quelque part à côté. Notre point de vue a déjà été justifié par beaucoup d’exemples, et nous devons avoir une direction ferme pour la conquête des syndicats qui sont la forme la plus, large du mouvement ouvrier en Europe.
Le Parti communiste anglais, lui-même, dans un des derniers numéros de son organe,
Workers Weckly, a fait paraître un article du camarade Mac Manus contre cette tendance qui est effectivement une tendance de décadence. Cette tendance exprime la mentalité des révolutionnaires ou demi-révolutionnaires qui ont la colonne vertébrale quelque peu brisée et qui ont peur des difficultés de la conquête des syndicats. Si ce problème peut être posé dans n’importe quel pays avec quelque espoir de réussite, en Angleterre, l’appareil énorme du mouvement professionnel, les trade-unions englobant de larges masses, un mouvement ouvrier comparativement ralenti, malgré l’importance considérable des événements, poser la question de cette façon serait absolument injustifié. Aussi faut-il protester catégoriquement contre pareille idée.
Je me permets, camarades, comme suite à ce qui précède, d’aborder le sujet suivant qui nous aidera à éclaircir la situation : souvent, on prétend que le Conseil général a eu son 4 août dans les journées de sa capitulation, c’est-à-dire qu’il a fait faillite de la même façon que la social-démocratie internationale le 4 août 1914. A mon avis, une telle analogie peut être faite; seulement, comme chaque analogie, elle doit être faite avec discernement. Si on l’emploie sans intelligence, sans comprendre son caractère conditionnel, on peut arriver à beaucoup de conclusions fausses.
Quelle est la ressemblance entre l’un et l’autre cas ? Elle est dans ceci, que dans les deux cas il y a faillite de direction. Où est la dissemblance principale (je ne parle pas de beaucoup d’autres dissemblances qui ne sont d’aucun intérêt ici) ? La dissemblance est que, dans le premier cas, il est question de parti politique, dans le second, question de syndicats. Pourquoi faut-il ne pas perdre de vue cette dissemblance ? Parce que, si on la méconnaissait, on pourrait arriver à des conclusions absolument fausses.
Quand arriva la faillite de la social-démocratie internationale, par quoi les communistes ont-ils répondu à cette faillite ? Ils ont répondu par un mot d’ordre qui démasquait les trahisons et qui engageait à sortir du parti social-démocrate, c’est-à-dire par un mot d’ordre de scission directe. C’est ainsi que nous posions la question et ce fut une tactique entièrement juste. A cette époque, se posait devant nous le problème de réunir sous nos drapeaux l’avant-garde des ouvriers pour la formation du Parti communiste, tactique élémentaire pour le développement ultérieur du mouvement ouvrier, juste dans ce sens, qu’il marchera dans le chemin révolutionnaire avec le minimum de dépense de forces. Prenons le second cas : la faillite des dirigeants du mouvement professionnel et leur trahison. Peut-on, mécaniquement, transporter le mot d’ordre de scission d’un parti politique aux syndicats ? En est-il un seul dans notre milieu pour dire : nous devons immédiatement lancer le mot d’ordre de scission des syndicats. Celui-là, excusez l’expression, serait un peu détraqué, parce que c’est précisément ce que cherchent actuellement la bourgeoisie et les chefs réformistes. Eux-mêmes n’ont pas la force pour nous jeter dehors, parce que les masses, même en se trouvant sous l’influence des traditions réformistes, protesteraient. Ces masses diront : quoique communistes, ce sont de bons types, ils défendent opiniâtrement les ouvriers et il ne faut pas les chasser du syndicat. Mais si les communistes (5.000 communistes pour 5.000.000 d’ouvriers en grève) étaient sortis des syndicats, quelle folie aurions- nous commise ! Il est évident que c’eût été se détacher de cette masse sur laquelle et au milieu de laquelle doivent travailler les communistes pour l’élever jusqu’à eux.
La séparation du Parti communiste du parti social-démocrate est un pas nécessaire qui se justifie quand il est nécessaire de créer un levier absolument indépendant, une avant-garde ayant une physionomie politique précise et un appareil d’organisation propre. La création d’un parti révolutionnaire indépendant est une condition principale de lutte victorieuse du prolétariat international. Mais si ce levier est détaché du milieu dans lequel il doit agir, il perd toute sa force. Lénine, dans son livre, Les Maladies infantiles du gauchisme, apprenait aux ultra-gauchistes : « Regardez ce qu’il faut faire, et si vous ne le faites pas, vous vous détacherez des masses et vous ne pourrez pas travailler ; n’ayez pas peur s’il faut patauger dans le fumier, réduisez tous les obstacles et cherchez à réaliser le but prévu. » Vous pouvez lire, dans de livre de Vladimir Illitch, Les Maladies infantiles du gauchisme, qu’il faut être prêt à saper, à ruser, à tout ce qu’on voudra, pourvu qu’on pénètre dans la citadelle du réformisme, dans les syndicats et qu’on les conquière.
Le Comité d’unité anglo-russe[modifier le wikicode]
En relation avec cela, se pose une question concrète à propos de laquelle il existait entre nous un certain nombre de divergences. Ces divergences ont déjà été tranchées par les décisions du Comité Central du Labour Party et du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste.
Cette question est la suivante : que devons-nous faire avec le Comité d’unité anglorusse, étant donnée la situation actuelle ? Un certain nombre de camarades étaient d’avis que la ligne révolutionnaire actuelle consistait à prendre l’initiative de sortir du Comité anglo-russe, c’est-à-dire de détruire ce Comité ; voici leurs principaux arguments :
La direction des Trade unions a fait banqueroute. Nous traitons les leaders du Conseil général de « traîtres », de « capitulards », d’« alliés de la bourgeoisie » et d’autres noms aussi peu flatteurs. Il faut encore ajouter que .ces gens ont repoussé l’aide fraternelle de L’Union Soviétiste. Comment pourrons-nous, après cela, siéger avec eux dans une institution commune, dans le Comité anglo-russe ? Après avoir déclaré que ce sont des traîtres, des capitulards, qu’ils sont responsables de la défaite de la grève générale, qu’ils ont porté un coup au mouvement ouvrier international, comment pouvons-nous nous asseoir à la même table qu’eux ?
Autre variation de cette même fausse argumentation :
Il faut montrer à la classe ouvrière anglaise la nécessité d’une nouvelle orientation. Cela ne doit pas s’exprimer seulement en paroles. Il ne suffit pas de dire : un tel est un traître. Il ne suffit pas de critiquer et de dénoncer, mais il faut encore une certaine action qui ait une assez grande importance démonstrative. Si nous appuyons notre critique par l’acte démonstratif de la sortie du Comité anglo-russe et si nous motivons cette sortie d’une façon suffisamment claire, nous montrons par là à la classe ouvrière anglaise la nécessité d’un véritable tournant. Mais si nous ne le faisons pas, toutes nos critiques ne seront que des phrases vides.
Telle est, en gros, l’argumentation développée par les camarades qui préconisaient la sortie du Comité anglo-russe. Le Comité Central de notre Parti a repoussé ce point de vue. Le Comité Exécutif de l’internationale Communiste a fait de même. Je ne défends donc pas ici mon seul point de vue personnel.
Je crois que cette divergence d’ordre pratique repose sur une certaine différence d’appréciation du mouvement ouvrier. Examinons cette question d’un peu plus près. Est-ce que l’argument de la trahison tient ? Suffit-il de dire que les leaders du Conseil général sont des traîtres pour en tirer cette conclusion qu’il faut se retirer du Comité anglo-russe ? Je pense que non, parce qu’il n’existe aucune espèce de contradiction entre la critique que nous faisons des leaders du Conseil général et de la fraction anglaise du Comité anglorusse et notre refus de sortir de ce Comité. Pourquoi ? Permettez-moi de lier ma réponse à ce que j’ai dit dans la première partie de mon rapport.
Qu’est-ce que le Comité anglo-russe ? C’est, d’une part, un organe du mouvement syndical anglais et du Conseil général des trade-unions, et, d’autre part, un organe du mouvement syndical de l’Union des Républiques Soviétistes. Et si j’ai eu raison de dire que l’on ne doit pas mettre sur le même plan notre tactique de scission, vis-à-vis des partis social-démocrates à notre tactique dans le mouvement syndical, je pense que nous devons tirer la même conclusion pour le Comité anglo-russe. S’il suffisait de constater simplement la trahison des chefs, pour nous décider à sortir du Comité anglo-russe, cet argument vaudrait également en ce qui concerne les syndicats. On pourrait objecter : vous prétendez que les deux ailes du Conseil général sont composées de traîtres et de capitulards et vous dites ensuite : « Restez dans les syndicats. » Peut-on concilier cela ? A mon avis, on peut le concilier. Comme je l’ai dit plusieurs fois, les communistes ne doivent pas répondre à la tactique de trahison de la bureaucratie syndicale par le mot d’ordre : « Quittez les syndicats », mais par le mot d’ordre : « Déplacez les chefs, emparez-vous des syndicats. » Si nous avions devant nous une organisation politique dont nous serions membres, comme par exemple, la social-démocratie en 1914, nous pourrions nous retirer. Mais il s’agit d’une organisation syndicale, c’est pourquoi nous devons adopter une tout autre tactique.
Mais qu’est-ce -que le Comité anglo-russe ? J’ai posé à plusieurs reprises à un certain nombre de camarades la question suivante :
Imaginez qu’un communiste anglais entre dans le Comité anglo-russe, ce qui est parfaitement admis, que devrait-il faire ? Devrait-il se retirer du Comité ? Non, à mon avis. Mais s’il en est ainsi, peut-on se représenter notre parti disant à ses membres : « Retirezvous du Comité », et le parti anglais disant aux siens : « Restez-y » ? Supposons que le communisme anglais doive quitter le Comité anglo-russe. Mais s’il quitte, le Comité anglorusse, doit-il continuer à siéger au Conseil général ? C’est là une absurdité que de sortir du Comité anglo-russe et de rester au Conseil général. Si nous voulons rester un peu logiques, nous devons adopter un point de vue conséquent : si tu sors du Comité anglo-russe, alors sors de toutes les organisations dirigeantes, parce que leurs chefs sont des traîtres. On devrait donc sortir également du Conseil général. Il faudrait quitter aussi les directions locales des syndicats sous prétexte qu’elles sont touchées par la trahison ! Mais qu’en résulterait-il ? Que deviendrait notre tactique de la conquête des syndicats? Elle aboutirait à notre sortie du Conseil général, des directions syndicales locales et de tous les organes sur lesquels pèse un soupçon de trahison. Mais s’il est vrai que notre tactique doit consister principalement à conquérir les syndicats, nous devons nous engager dans une tout autre voie. Le mot d’ordre de la sortie du Comité anglo-russe serait en réalité un encouragement de la tendance néfaste à la sortie des syndicats.
Le point de vue de l’« appareil », le point de vue léniniste[modifier le wikicode]
Dans les divergences ci-dessus indiquées se cachent des divergences au sujet de l’attitude à adopter vis-à-vis du Comité anglo-russe. Je vais m’efforcer de caractériser nettement les points de vue possibles dans cette question.
Selon un certain point de vue, le Comité anglo-russe n’est qu’un « appareil ». C’est une organisation dirigeante, un bloc composé de deux groupes de chefs, d’une part, les leaders syndicaux de l’Union Soviétiste et, d’autre part, les leaders syndicaux des tradeunions anglaises. Dans quel but ce bloc a-t-il été constitué ? Parce que les réformistes anglais sont meilleurs que les réformistes allemands et français ? Mais ils n’ont été meilleurs que jusqu’à un certain temps, puis ensuite, à un moment donné, ils n’ont pas été meilleurs, mais sont devenus pires. C’est alors qu’il faut nous retirer du Comité anglo-russe. Nous ne partageons pas ce point de vue. Il est faux, il est contraire aux faits, il repose sur l’appréciation des qualités personnelles de Purcell et sur l’idée qu’il y a eu un bloc constitué d’une part par les leaders des syndicats russes et, d’autre part, par la « meilleure » partie des réformistes.
Je prétends que lorsque nous avons constitué le Comité anglo-russe nous n’avons pas envisagé cette question de ce point de vue. Nous ne pensions pas que Purcell était meilleur que les réformistes français et allemands, mais que les capitalistes anglais étant actuellement dans une situation difficile, le capitalisme anglais est entré dans une période de déclin constant et ininterrompu et que, par suite de la loi d’airain de l’histoire, il s’ensuivra inévitablement une orientation à gauche des masses ouvrières et que sous la pression de ces masses ouvrières les réformistes anglais, qui ne sont ni meilleurs ni pires que tous les autres réformistes, devront inévitablement adopter un autre point de vue que les autres réformistes.
Tel était le point de vue qui nous guida et qui nous guide encore. Il ne repose pas sur l’appréciation subjective d’un certain nombre de chefs, mais sur l’appréciation objective des conditions dans lesquelles se déroule le mouvement de masse de la classe ouvrière anglaise. C’est à cause de ces masses qui s’orientent à gauche, c’est en vue de leur croissance que nous avons constitué le Comité anglo-russe. Il y avait ici un rapport profond avec toute la tactique communiste du front unique, avec notre tactique de conquête des syndicats dans la lutte pour l’unité syndicale internationale. Tout cela ne reposait pas sur l’appréciation des personnalités qui nagent à la surface du mouvement de masse, mais sur l’appréciation profonde du grand processus historique qui se poursuit à l’intérieur de ce mouvement de masse. Je ne sais pas quel était le point de vue à ce sujet detel ou tel camarade, mais personnellement je ne me suis fait absolument aucune illusion sur Purcell et ses camarades, je n’ai pas le moins du monde espéré qu’ils mèneraient une politique vraiment révolutionnaire.
Au mot d’ordre de la sortie des syndicats, à ce boycottage, les communistes opposent le mot d’ordre du renforcement du travail dans les syndicats pour la conquête des syndicats, pour le remplacement des leaders syndicaux actuels par d’autres leaders. C’est par cette tactique qu’ils continuent à soutenir sur tous les points de la lutte syndicale et en particulier sur celui du Comité anglo-russe. Les communistes disent aux ouvriers anglais : « Nous croyons que votre tâche consiste à renverser le Conseil général et à élire une autre Conseil général, à modifier la composition actuelle du Comité anglo-russe. » Les communistes ne doivent pas répondre à la trahison des membres anglais du Comité anglorusse par le mot d’ordre de la sortie des Russes du Comité, pas plus qu’ils ne doivent lancer ce mot d’ordre pour les Anglais si des communistes faisaient partie de la délégation anglaise au Comité anglo-russe, mais, au contraire, lancer dans les masses de la classe ouvrière anglaise le mot d’ordre consistant à démasquer les leaders du Conseil général et de la délégation anglaise actuelle au sein du Comité anglo-russe. Les communistes doivent demander aux ouvriers de changer la composition du Conseil général et la représentation du Conseil général au sein du Comité anglo-russe.
Peut-on caractériser ce point de vue de tactique opportuniste ? Non, c’est une véritable tactique marxiste, léniniste, la seule possible dans les circonstances actuelles. Les camarades qui ne sont pas d’accord sur cette tactique oublient toute une série d’enseignements que nous devons tirer du mouvement ouvrier international.
Nous parlions tout à l’heure du 4 août. Que disaient à l’époque les opportunistes ? Ils disaient : « Ce sont les masses elles-mêmes qui sont conquises, etc... » Nous leur répondions : « Mes bons messieurs, ne rejetez pas vos fautes et vos crimes sur le dos de la classe ouvrière. Soyez assez aimables pour comprendre que tout dépend du signal qui sera donné par les chefs du mouvement ouvrier. Votre signal a été un signal de crime, et c’est pourquoi vous êtes des criminels. »
Si les communistes donnaient maintenant le signal de la sortie du Comité anglo-russe, on ne peut douter un seul instant que cela serait, objectivement un signal pour la sortie des syndicats. Nous ne pouvons nous engager dans cette voie. Nous pensons que, dans les circonstances actuelles, la tendance de la sortie des syndicats est une tendance extrêmement dangereuse.
Cela n’est pas du tout incompatible avec le fait que les communistes proposent de démasquer les Chefs, pas plus que de qualifier d’épithètes les plus violentes la couche supérieure du Conseil général n’implique la scission du mouvement syndical. Ce n’est, en somme, qu’une contradiction très relative qui est nécessaire pour la conquête des masses par les communistes.
C’est pourquoi nous ne pouvons à aucun prix nous engager dans la voie de la sortie du Comité anglo-russe. Je répète encore une fois : les communistes seraient de tristes opportunistes si, pour se maintenir au sein du Comité anglo-russe, ils consentaient à atténuer leur lutte, à cesser leurs critiques des chefs ou à parler de petites erreurs au lieu de parler de crimes, etc., dans ce cas, nous serions des opportunistes.
Mais, si nous appelons les choses par leur véritable nom, comme l’a fait une organisation, telle que le Conseil central des syndicats de l’Union Soviétiste, qui emploie ordinairement un langage très modéré, mais qui, dans la circonstance, n’a pas craint d’user des épithètes les plus violentes, telles que : traîtres, briseurs de grèves, opportunistes, etc..., comment peut-on, dès lors, manifester la crainte que la classe ouvrière anglaise ne comprendra pas notre appréciation et notre tactique ?
Syndicats et Soviets[modifier le wikicode]
Il existe encore un argument qu’un certain nombre de camarades emploient comme artillerie lourde. Cet argument consiste à dire : en restant au sein du Comité, vous maintenez l’autorité des chefs banqueroutiers. Cet argument fut, autrefois, employé par les « otzovistes » lorsque nous recommandions de ne pas sortir de la Douma. A l’époque, les otzovistes déclaraient : « Vous soutenez ainsi l’autorité de la Douma. » Lorsque le camarade Lénine déclarait qu’il fallait travailler dans les syndicats réactionnaires, on lui répondit : « Vous soutenez ainsi l’autorité des syndicats réactionnaires. » C’est possible, je ne le sais pas, mais alors nous l’avons soutenue de la même manière à peu près que la corde soutient le pendu. Je crois que ce soutien ne leur est pas particulièrement agréable, et, si quelqu’un appelle le processus d’élimination, processus de soutien, qu’il s’en console ; je crois que la politique que nous défendons est la seule juste dans les conditions actuelles. Dans les thèses adoptées par l’Internationale Communiste, il existe un passage qui a provoqué, chez un certain nombre de camarades, quelques doutes et un sourire ironique. Il s’agit de ce qui suit : on dit que la délégation anglaise au Comité anglo-russe est composée de traîtres et qu’il faut, par conséquent, sortir de ce Comité. A cela, les thèses répondent par les arguments que nous avons longuement développés et se servent de la comparaison suivante : au milieu de l’été 1917, il existait chez nous, en Russie, une situation analogue où les Soviets, parmi lesquels siégeaient à l’époque les menchéviks et les socialistes révolutionnaires, nous ont désarmés, ont interdit nos manifestations. Le Soviet de Pétrograd était même en rapports directs avec les contre-révolutionnaires. Les choses allèrent même si loin que, selon notre appréciation de l’époque, les Soviets se transformèrent en un organe contre-révolutionnaire. C’était à l’époque où le camarade Lénine proposa de retirer momentanément le mot d’ordre : « Tout le pouvoir aux Soviets. » Mais avons-nous jamais recommandé de sortir des Soviets ? Jamais. Nous les avons considérés à ce moment pour ce- qu’ils étaient en réalité comme une organisation contre-révolutionnaire. Il y a peut-être ici des camarades qui se rappellent ce qui se passa à Moscou au cours des journées de Juillet, lorsque le Soviet de Moscou interdit nos manifestations, lorsque nous sommes venus sur la Place Rouge et que le public bourgeois faillit nous lyncher et que les soldats vinrent à notre aide. Je me rappelle les luttes que nous avons menées avec les leaders menchéviks du Comité Exécutif, qui étaient volontiers disposés à nous chasser du Comité Exécutif et même des Soviets. Mais, non seulement nous n’avons pas donné le mot d’ordre de la sortie des Soviets, mais nous les avons pénétrés et finalement conquis en luttant de toutes nos forces contre les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires et en menant contre eux, dans les Soviets, une campagne énergique pour les démasquer. Nous devons agir de même dans les syndicats, anglais entre autres, parce que les syndicats se trouvent dans une situation critique, comme je me suis efforcé de vous le montrer et peuvent jouer le rôle de soviets. Il en résulte que notre tactique est confirmée par notre propre expérience.
Théoriquement, un tel point de vue était parfaitement compréhensible : si les Soviets sont devenus un organe contre-révolutionnaire, alors en y restant, vous les soutenez par votre autorité. Vous dites : ils sont ceci et cela; mais vous ne faites rien pour montrer par vos actes que vous combattez ces vauriens et ces canailles.
Mais nous n’avons pas adopté cette tactique et à juste raison et nous avons utilisé notre campagne pour démasquer les chefs comme un instrument de conquête des Soviets.
Nous devons agir de même, dans les syndicats. Mais nous devons nous garder des gestes qui apparaissent extérieurement héroïques, brillants, mais qui ne sont en réalité qu’une démagogie nuisible, parce qu’elle soutient objectivement cette tendance qui est à l’heure actuelle la plus nuisible, à savoir la tendance à la sortie des syndicats.
Je puis terminer par là, camarades, mon analyse des enseignements de la grève générale anglaise. Permettez-moi seulement, en terminant, d’indiquer qu’à Moscou circulent différents bruits concernant un point de vue soi-disant faux du Conseil Central des Syndicats de l’Union Soviétiste. Il existe des gens qui tendent une oreille vers tel bruit, l’autre oreille vers tel autre bruit. Quand les dimensions de leurs oreilles dépassent la normale ils enregistrent un nombre extraordinaire de bruits. Mais nous devons prendre enfin l’habitude de juger non sur des bruits, mais sur des faits. Grâce au Dieu communiste, nous avons devant nous un document du Conseil Central des Syndicats adopté au cours de la séance d’hier du Conseil syndical. Il a paru aujourd’hui dans les journaux et chacun peut, d’après ce document, se rendre compte du point de vue de nos syndicats. Et quiconque utilise ses oreilles, non pour entendre des bruits, mais des choses beaucoup plus solides et possède des yeux pour lire des documents, celui-là y trouvera le point de vue du Conseil syndical formulé avec clarté et précision. Il aboutit en général au point de vue que je défends ici et contient une violente critique des « gauches ». Il recommande aux ouvriers anglais « d’éloigner » les leaders réformistes, préconise la conquête du mouvement syndical anglais par les éléments révolutionnaires et demande la transformation de tous les organes syndicaux y compris le Comité anglo-russe.
En terminant cette partie de mon rapport, je me permets de répéter encore une fois que l’une de nos tâches principales consiste à soutenir la grève des mineurs britanniques et qu’il est nécessaire de prendre toute une série de mesures dans ce domaine. Nous devons le souligner particulièrement parce que l’Internationale Communiste est d’avis que nos partis frères n’ont pas fait tout ce qu’ils auraient pu faire pour soutenir la grève des mineurs et qu’il est nécessaire de renforcer la campagne d’aide et secours aux mineurs britanniques.