La tentative d'assassinat de Léon Trotsky

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MEXICO. Le 24 mai, vers 4 heures du matin, environ vingt-cinq hommes aux ordres du Guépéou de Staline franchirent les murs élevés qui entourent la maison de Trotsky à Coyoacán et mitraillèrent le lit où dormaient Trotsky et sa femme Natalia. Robert Sheldon Harte, le secrétaire de garde, membre du Socialist Workers Party, fut enlevé, assassiné, et son corps fut jeté dans un trou peu profond rempli de chaux, Léon et Natatalia Trotsky ne doivent leur vie qu'à leur propre sang-froid devant le danger et à une circonstance heureuse : le fait que les assassins crurent avoir accompli leur tâche.

Trotsky avait énormément travaillé le jour précédant l'attaque, et avait pris un somnifère comme il avait l'habitude de faire dans ces cas-là. Il s'éveilla difficilement, pensant entendre l'explosion de pétards qu'il est d'usage d'employer à Coyoacán les jours de fête. Mais les explosions étaient trop fréquentes et pas tellement éloignées, elles semblaient presque être dans la pièce elle-même. L'odeur âcre de poudre lui fit comprendre qu'il s'agissait en fait de l'attentat qu'il attendait depuis douze ans. Staline avait enfin chargé le Guepéou de corriger ce qu'il caractérisa une fois comme « sa plus grande erreur », l'exil du dirigeant de l'opposition de 1923.

Natalia Trotsky avait déjà sauté du lit. Son mari et elle se rangèrent précipitamment dans un coin de la chambre, Natalia essaya de protéger Trotsky de son corps, mais il insista pour qu'ils s'étendent sur le plancher sans faire un seul geste. Les balles traversèrent deux portes de la chambre criblant le mur juste au-dessus d'eux. Où était donc la police qui stationnait au dehors ? Où étaient les gardes de la maison ? Certainement pieds et poings liés, ou enlevés, ou déjà morts.

La porte de la pièce où Sieva, le petit-fils de Trotsky, dormait, s'ouvrit brusquement, et une bombe incendiaire éclata près d'un petit meuble situé tout près. A la lueur de l'explosion Natalia put distinguer la silhouette sombre d'un des assaillants. Ils ne l'avaient pas vu entrer avant que la bombe éclatât, mais un certain nombre de chargeurs vides épars au milieu de la pièce et cinq ou six coups de feu dans les deux lits vides, prouvèrent que l'assassin était chargé de donner le coup de grâce, de faire cesser le moindre mouvement qui pouvait encore exister après les feux croisés venant de la fenêtre à la française qui donnait sur le patio et de la porte du cabinet de travail de Trotsky. Dans l'obscurité de la pièce, et n'entendant aucun bruit alors que les mitraillettes s'étaient tues, l'assassin prit certainement les plis du lit pour les formes inanimées de Natalia et Léon Trotsky. Il vida son chargeur sur ces formes et s'enfuit.

Les vieux révolutionnaires entendirent alors ce qui fut alors pour eux le son le plus tragique de la nuit, le cri provenait de la pièce voisine le leur petit-fils : « Grand-père ! »

Natalia se fraya un chemin jusqu'à cette pièce. Elle était vide, « Ils l'ont enlevé ! », cria-t-elle. Ce fut le plus douloureux instant

Cependant Sieva s'était éveillé lorsque les assaillants mitraillèrent la porte donnant de sa chambre sur le patio, les balles frappant le mur juste au-dessus de lui. Il sauta du lit rapidement et roula en dessous. Les assassins enfoncèrent la porte et, en passant devant le lit, l'un d'entre eux tira dedans, la balle blessant Sieva au gros orteil. Lorsqu'ils furent partis, Sieva appela, et courut hors de la pièce en pleurant, certain que ses grands-parents étaient morts. Il laissa des taches de sang derrière lui dans le patio et dans la bibliothèque.

Les gardes du corps qui avaient été bloqués dans leurs pièces par les rafales à travers les couloirs inspectèrent maintenant le patio. Les assaillants étaient partis. Ils avaient pris les automobiles et enlevé l'homme de garde Robert Sheldon Harte. Au dehors, les policiers étaient étendus attachés sur le plancher de leur poste.

Comment les assassins entrèrent-ils ?[modifier le wikicode]

D'après les rapports des gardes du corps, les dépositions des policiers de service, et les aveux ultérieurs de quelques-uns des assaillants appréhendés par la police mexicaine, la façon dont les hommes de main de Staline s'arrangèrent pour pénétrer dans la maison est tout à fait claire.

Cinq policiers étaient de service, trois dormaient. J. Rodriguez Gasas, l'officier chargé des détails depuis l'arrivée de Trotsky au Mexique, était couché chez lui au moment de l'attentat, d'après ses déclarations.

Les assaillants, déguisés en policiers, s'approchèrent des deux policiers de service en criant « Vive Almazán ! », et les lièrent tous les cinq sous la menace de leurs revolvers. Ils se rendirent alors aux portes barrées. Ces portes ne sont jamais ouvertes la nuit, sauf en cas de circonstances tout à fait exceptionnelles, et seulement lorsque les gardes du corps, outre celui qui est de service, sont éveillés, à moins qu'auparavant ce dernier ait reconnu le visiteur et ait tout d'abord vérifié qu'il n'y avait rien de suspect.

Harte, membre du groupe de New-York du Socialist Workers Party, était à la maison depuis à peine huit semaines. Il avait été choisi comme garde en raison de la confiance qu'on lui portait et de son désir d'être chargé de tâches difficiles. Ce fut une agréable surprise pour lui d'avoir été choisi. Il était bien connu des camarades de la section de Downtown dont il avait été membre du Comité Exécutif.

Les policiers de garde furent absolument déroutés par le déguisement des assaillants ; il n'est donc pas étonnant qu'un Américain soit trompé dans une affaira semblable. Il est d'ailleurs fort possible que parmi ceux qui sonnèrent à la porte, il se soit trouvé quelqu'un que Bob savait jouir de la confiance des camarades de la maison. L'effet psychologique des policiers en uniforme, joint à quelques mots d'une telle personne : « Bob, ces gens ont un message de la plus grande importance pour Trotsky », pourraient avoir suffisamment impressionné Harte qu'on savait déjà d'une nature plutôt confiante que soupçonneuse. Dans le même sens, il est significatif que l'un des gardes, nouveau aussi dans la maison, ajusta l'un des assaillants, tira le verrou, puis baissa son arme avec indécision. C'est une règle pour les gardes de coopérer de toute manière avec la police mexicaine qui s'est toujours conduite d'une manière on ne peut plus courtoise avec la maison. Il n'est guère possible de répondre par des coups de feu à cette bienveillance.

L'un des policiers attaché au dehors, Ramirez Diaz, rapporta que Bob fut conduit de porte en porte, protestant mais sans résister, ses bras étant tenus par deux des assaillants. En dépit des versions contradictoires de ceux qui avouèrent plus tard, et spécialement des versions contradictoires de la presse stalinienne, Diaz maintint sa déposition. Même après avoir été maintenu en prison durant un mois pour être interroge au sujet de l'attentat, il déclara devant la cour : « Bob ne fut pas maltraité par les assaillants, car il marcha avec eux volontairement, quoique tenu par les bras par deux d'entre eux. » Cette version semble être la plus proche de la réalité.

On doit ajouter qu'il n'est pas exclu que les assaillants aient franchi les murs autrement que par les portes et aient surpris Bob de l'intérieur.

Une fois dans le patio, les assaillants se répartirent. La maison s'avance dans le patio comme le tronc d'un T, la chambre à coucher de Trotsky se trouvant au milieu, entre le bureau de travail d'un côté et la pièce de Sieva de l'autre, cette dernière située à l'extrême pointe du T, Le mur Sud se trouve du côté droit de la barre du T, et du côté gauche sont les pièces des gardes, face au mur Nord. Une partie des assaillants se placèrent entre les pièces des gardes et la maison ; une autre partie à la porte de Sieva et près des fenêtres à la française de la chambre de Trotsky ; d'autres enfin traversèrent la bibliothèque et la salle à manger et enfoncèrent la porte du bureau de travail de Trotsky qui touche la chambre à coucher. Une fois en place ils ouvrirent le feu simultanément, ceux placés sur le côté gauche de la maison mitraillant les portes des pièces où les gardes de repos dormaient.

La fusillade dura de trois à cinq minutes. Quelques-uns des gardes purent riposter, mais apparemment sans résultat, quoiqu'il soit difficile de le savoir étant donné que le Guépéou a comme règle invariable de ne jamais laisser derrière lui ni mort ni blessé qui puissent compromettre les organisations staliniennes.

Les assassins prirent les deux automobiles, une Ford utilisée pour les courses, et une Dodge. Ils laissèrent derrière eux une scie électrique, des échelles de bois, des échelles de cordes, des forets, une bombe défectueuse contenant suffisamment de dynamite pour faire sauter la maison, plusieurs bombes incendiaires, une autre éclatée sur la pelouse, enfin celle qui brûlait à l'entrée de la chambre de Sieva et que Natalia éteignit avec des couvertures, non sans se brûler au bras et à la jambe.

La Ford resta en panne à peu de distance, la Dodge fut retrouvée abandonnée dans l'un des faubourgs de Mexico.

Les instruments que les assassins avaient amenés, ainsi que les uniformes de police, prouvent qu'ils avaient préparé bien à l'avance plusieurs systèmes d'attaque, que, par là même, celle-ci ne reposait pas sur la complicité d'un garde, comme la presse stalinienne le prétendit plus tard. Des événements ultérieurs prouvèrent qu'ils avaient envisagé à fond plusieurs manières de rejeter la responsabilité de l'attentat sur bien des gens sauf sur le vrai responsable, Joseph Staline.

Le mécanisme du Guépéou[modifier le wikicode]

Au sein même de l'Union soviétique, le Guépéou, haï des ouvriers et craint par la population tout entière, se développe sur l'Etat ouvrier comme une excroissance parasitaire gigantesque. C'est l'instrument principal grâce auquel la bureaucratie stalinienne se maintient au pouvoir. Par la vénalité, la corruption, la terreur, les prisons, les pelotons d'exécution, elle opprime et étouffe le peuple, et pourchasse la moindre opposition avec la plus extrême violence.

En dehors de l'Union soviétique, le Guépéou double le Comintern en tant qu'instrument de politique étrangère. Mais c'est une autorité supérieure au Comintern dont il dirige la politique et l'activité. Au Comité central de chaque section de l'Internationale communiste siège au moins un représentant du Guépéou. Celui-ci n'est généralement connu comme tel que par le secrétaire du parti, ou tout au plus 4 un ou deux des membres du C. C., de toute confiance. Les autres ne peuvent deviner son véritable rôle qu'en raison de l'autorité exceptionnelle qu'il exerce.

A l'intérieur de la section, cet agent suprême du Kremlin agit comme bon lui semble. Il étudie les effectifs du parti en commun avec les membres du Comité central qui sont au courant de son rôle. Par des appels au dévouement envers le parti, par franche corruption et spécialement par pression exercée sur ceux qui sont exclus du parti et, par suite, coupés de leurs amis, souvent dépourvus de moyens d'existence et ce, souvent délibérément à cette fin, il met sur pied un appareil guépéoutiste à l'échelle nationale. Cet appareil est composé des membres les plus audacieux, les plus démoralisés, les plus cyniques du Parti communiste. Ils sont prêts à tout. Ils obéissent sans jamais poser la moindre question. Ils disposent de ressources illimitées.

Le Guépéou crée une division de travail en vue de ses crimes. Ses agents directs mettent au point le côté technique de l'affaire. La presse du Parti, ses orateurs et son entourage de sympathisants et d' « Amis » de l'Union soviétique servent de couverture à ces agents, masquant leur activité et divertissant toute investigation concernant leurs crimes. L'attentat contre Léon Trotsky est un exemple classique des méthodes du Guépéou, dans l'entreprise et la réalisation d'un crime important en dehors des frontières de l'U.R.S.S.

La préparation morale[modifier le wikicode]

Depuis l'arrivée de Léon Trotsky au Mexique, la presse stalinienne officielle et la presse contrôlée par les staliniens ont mené campagne contre lui, exigeant continuellement son expulsion sous prétexte qu'il était un « ennemi du Mexique ».

Lorsque le Dr Atl, un journaliste fasciste, joua le rôle d'une personnalité réactionnaire secondaire dans la vie politique mexicaine, la presse stalinienne tenta, par les moyens les plus fantastiques, de l'amalgamer avec Trotsky. Lorsque les compagnies pétrolières furent expropriées, la même presse accusa Trotsky d'être leur « représentant ». Lombardo Toledano, l'avocat qui dirige la bureaucratie de la C. T. M. (Confédération des Travailleurs du Mexique) accusa Trotsky, dans un meeting public, d'organiser la « grève générale » contre le gouvernement Cárdenas — en oubliant évidemment d'expliquer ce qui aurait pu pousser Trotsky à agir ainsi contre le seul gouvernement du monde qui ait bien voulu lui accorder le droit d'asile. Durant la révolte cedilliste, la presse stalinienne accusa Trotsky d'être lié à Cedillo, Avant le pacte Hitler-Staline, la presse stalinienne dénonçait Trotsky comme un agent de l'Allemagne. Après le pacte Hitler-Staline, ils le dénoncèrent comme un agent de l'Angleterre et des Etats-Unis. L'accusation la plus courante contre Trotsky était ses prétendues « interventions » dans la politique mexicaine ; c'est-à-dire, en fait, ses quelques réponses aux calomnies staliniennes. Cette accusation prit une telle importance dans la presse stalinienne durant une certaine période, que le président Cárdenas intervint par une interview accordée à la Prensa, dans laquelle il déclarait que Trotsky était un homme d'honneur et qu'il avait scrupuleusement tenu sa promesse de ne pas intervenir dans la politique mexicaine.

Toutes ces accusations répétées sans cesse, indiquaient clairement qu'on allait tenter d'assassiner Trotsky. Sans répit, dans la presse de la Quatrième Internationale on démontrait que cette activité de la presse stalinienne n'était pas seulement de purs exercices littéraires mais que ses aboiements cachaient, ni plus ni moins, la préparation d'une tentative d'assassinat. Les staliniens répondirent par des sarcasmes sur la « manie de la persécution » de Trotsky.

La préparation physique[modifier le wikicode]

Pendant que cette campagne morale contre Trotsky se poursuivait dans le public, le Guépéou commençait à envoyer quelques-uns de ses hommes au Mexique, spécialement par la voie de l'Ambassade mexicaine à Paris, où Bassols était en fonction. Il y avait parmi eux, par exemple, les exécuteurs notoires du Guépéou en Espagne : Mink, du Parti Communiste américain, et Vidali (connu aussi sous ie nom de Sormenti) de Trieste. Ce dernier est actuellement au Mexique sous le nom de Carlos Contreras.

La préparation physique de l'assassinat commença au moins en janvier dernier, lorsque la guerre s'étendit sur toute l'Europe, et que les élections mexicaines approchèrent. Au milieu des événements gigantesques de la seconde guerre mondiale, Staline espérait que l'assassinat de Trotsky passerait pour ainsi dire inaperçu. Les élections mexicaines fournissaient l'occasion de faire retomber la culpabilité sur les candidats qui combattaient les staliniens (D'où le cri des assaillants « Vive Almazán ! ».

Lorsqu'Hernán Laborde, del Campo et d'autres responsables Turent exclus du Parti Communiste mexicain -en mars, ils furent accusés de « trotskysme », c'est-à-dire de ne pas mener une campagne assez vigoureuse contre Trotsky. Or, jusqu'à cette pérlode ils s'étaient contentés seulement du mot d'ordre « Mort à Trotsky ».

David Alfaro Siqueiros, Luis et Leopoldo Arenal, Antonio Pujol, qui dirigèrent l'assaut de la maison, et David Serrano, membre du Bureau politique du P.C. mexicain, établirent un réseau d'espions à Coyoacán, louant des appartements dans toutes les parties du village, qu'ils n'utilisèrent seulement que quelques jours. Une ancienne femme de Serrano, Julia Barradas de Serrano, avec une autre femme membre du Parti Communiste, louèrent un appartement distant seulement de deux maisons de celle de Trotsky, et commencèrent la tâche de circonvenir la police, avec une persistance qui prouve la régularité avec laquelle elles touchaient leur paye du Guépéou, Elles fournirent quotidiennement un rapport de leur activité à ceux qui étaient plus haut placés. L'un des policiers, qui fut séduit par leurs charmes d'une rare accessibilité, leur donna en souvenir une photo de toutes les consignes de police. Après l'attaque, on trouva dans leur appartement de grossières esquisses de la maison de Trotsky, apparemment des ébauches abandonnées de plans de l'intérieur de la maison.

Le Guépéou tenta d'acheter la maison dont Trotsky n'était au début que locataire, le forçant ainsi, grâce à l'aide opportune d'amis américains, à devenir propriétaire pour la première fois de sa vie.

David Serrano, vétéran de la guerre civile espagnole, qui a toutes les caractéristiques de quelqu'un qui agit comme représentant du Guépéou au Comité central du parti communiste mexicain, s'occupa de trouver les uniformes de policiers.

Le moment approchant, le Guépéou loua même une bicoque abandonnée dans la montagne, acheta de la chaux et fit creuser une fosse dans la cave qui servait de cuisine, fosse dont la police est convaincue qu'elle était destinée à Trotsky et Natalia et dans laquelle fut jeté le corps de Robert Harte.

Un nid d'assassins[modifier le wikicode]

Pour une raison ou une autre, le Guépéou ne réussit pas à établir une cloison étanche entre ses spécialistes de la plume et ses spécialistes de la mitraillette. Luis Arenal, connu en Amérique pour ses précédentes relations avec The New Masses, était un collaborateur régulier de Futuro. La plupart des croquis et dessins attaquant Trotsky sont de lui, sans aucune erreur possible ; David Alfaro Siquieros fut présenté d'une manière élogieuse dans Futuro, le journal de Lombardo Toledano. comme un « artiste d'un grand prestige et de renommée universelle. A travers toute l'Amérique, de New-York à Buenos-Aires, son œuvre de peintre est appréciée. Sa présence ici honore le Mexique. Dans n'importe quel pays du monde, un artiste de cette classe est l'objet de considérations, quelles que soient ses opinions politiques. Au Mexique il n'en est pas de même. Dernièrement, il a été l'objet de mesures policières arbitraires ».

C'est ce même peintre dont les qualités ne furent pas appréciées à leur juste valeur par la police, et qui, portant des lunettes noires, une fausse moustache et un uniforme de policier, dirigea la bande qui mena l'assaut. L'appréciation ci-dessus de Siquieros était apparemment de la plume de Alejandro Carillo, éditeur de El Popular, qui, après l'attaque, menaça de faire emprisonner Trotsky par cette même police pour diffamation.

Deux autres assaillants étaient collaborateurs du magazine de Toledano, Futuro : Félix Guerrero Mejia et Nestor Sanchez Hernandez, ce dernier auteur d'un article attaquant Trotsky.

Il est cependant douteux que les personnages principaux dans la préparation morale de l'attentat, qui sont des dirigeants du Parti communiste mexicain, tel David Serrano, aient participé comme exécuteurs. Encore bien plus éloignés de la participation physique sont des personnages comme l'avocat et orateur « transcendant » Lombardo Toledano, dont le travail consiste à s'occuper des syndicats en tant que couverture pour l'activité du Guépéou, et à défendre la politique stalinienne sans être formellement inscrit au parti. La participation de ces gentlemen déguisés en policiers aurait été une trop grave infraction aux règles admises par le Guépéou. Néanmoins les pages de Futuro, El Popular et La Voz de Mexico sont remplies de signatures de personnages mêlés de près ou de loin à l'attentat.

Le Guépéou intensifie la campagne[modifier le wikicode]

Dans le numéro de mars de Futuro, de Lombardo Toledano, le même mois où fut faite l'épuration dans le Parti communiste mexicain, le même mois durant lequel les espionnes achevaient leur tâche d'une manière bien connue, toutes les calomnies staliniennes furent mises à jour et réunies dans un article attaquant Trotsky.

Cet article, paru sous le titre « La signification du Trotskysme », fut écrit par Oscar Greydt Abelenda, professeur à l' « Université ouvrière » de Mexico contrôlée par les staliniens, et collaborateur de La Voz de Mexico, dans lequel il rendit d'ailleurs compte d'une session secrète du Plénum du comité national du Parti communiste, bien qu'il ne fût pas membre de est organisme. L'article accuse Trotsky :

  1. D'être « l'organisateur direct de l'intervention contre-révolutionnaire étrangère au Mexique ».
  2. D'avoir été récemment « chassé » des « cadres de la Gestapo ».
    1. La liaison de Trotsky avec la Gestapo établie par les « célèbres procès de Moscou» n'ayant jamais été infirmée depuis» ;
    2. le pacte Hitler-Staline ayant « mis en évidence que les services du trotskysme avaient cessé d'être indispensables à la Gestapo ».
  3. De s'être alors placé « comme il fallait s'y attendre » dans les services du « Federal Bureau of Investigation (F.B.I) des Etats-Unis ».

L'article explique ensuite que Trotsky avait été chassé de la Gestapo en raison des « liens qu'il avait établis avec Wall Street ». Trotsky, continue l'article, ayant perdu sa place dans la Gestapo, devait chercher un nouveau patron. « Pour le trotskysme, cela n'est pas nouveau, car, depuis 1924, il s'est trouvé simultanément au service de diverses agences d'espionnage, l'Intelligence Service, par exemple. »

L'article se termine sur la morale stalinienne : « Aujourd'hui, il est tout à fait évident que le trotskysme, en Amérique latine, n'est qu'une agence de pénétration, de confusion, de provocation et d'espionnage au service des impérialismes de Wall Street. »

Bien qu'il y ait plus de deux ans que la commission John Dewey ait démontré que toutes les vieilles calomnies staliniennes contradictoires, et que la macabre exhibition des procès de Moscou n'étaient pas autre chose qu'une monstrueuse machination, les agents du Guépéou continuent à répéter ces vieilles calomnies, comme si les chefs du Guépéou se trouvaient incapables de perfectionner les inventions de Iagoda, liquidé lui-même par la suite.

Lorsque Trotsky désigna Futuro et son éditeur, Lombardo Toledano, comme ayant participé à la campagne de préparation morale, Futuro se récria : « Diffamation. »

Brouillage de la piste sanglante[modifier le wikicode]

Pour qui est tant soit peu au courant de la lutte historique de l'opposition de gauche contre la bureaucratie stalinienne corrompue, il ne fait aucun doute que l'attentat était l'épilogue de Staline aux procès de Moscou, dans lesquels il fit massacrer toute la vieille garde bolchevique. Pour la police, il était seulement question d'identifier les agents du Guépéou impliqués dans cette affaire.

En vue d'égarer la police sur une voie fausse, le Guépéou monta deux alibis :

  1. le parti communiste n'avait rien à voir avec l'attentat ;
  2. Trotsky lui-même avait organisé l'attentat.

Tout permet de penser que le Guépéou projetait de tuer Trotsky, d'enlever son corps, puis de prétendre, soit que Trotsky avait organisé l'attentat - et s'était fait enlever dans le but de camoufler son départ aux Etats-Unis, soit qu'Almazán ou Diego Rivera avaient organisé l'attentat pour déclencher une intervention américaine, soit que tous ces éléments, ennemis des staliniens, quoique de points de vue absolument opposés, avaient organisé l'attentat en liaison avec la Commission Dies. Trotsky leur ayant échappé, ils retournèrent cette défense, soigneusement préparée pour les assassins contre Trotsky lui-même, et tentèrent de le tuer moralement là où l'attentat physique avait échoué.

Le 25 mai, le jour suivant l'attentat, le journal de Toledano, El Popular, s'avançant prudemment, étant donné ses liens avec le Guépéou et son incertitude quant à une découverte possible des assaillants par la police, affirma : a) que l'enquête devait être menée à fond et les coupables punis, « quelle que soit leur affiliation politique » ; b) qu'il s'agissait d'un « attentat contre le Mexique ». La première déclaration était faite pour laver Toledano et consorts au cas où les assaillants seraient pris, la seconde préparait l'accusation « d'un attentat volontaire », au cas où les assaillants échapperaient à la police. La possibilité d'une campagne en ce sens fut préparée en outre par la déclaration selon laquelle certains aspects de l'affaire étaient « obscurs et suspecta ».

Le même jour, J. Rodriguez Casas, chef du service de police, dit à la cuisinière de la maison que, selon son opinion, il s'agissait d'un « attentat volontaire ». Cette version fut répétée ensuite à la police par cette femme. Ce fait ne fut cependant rendu public qu'au bout d'un mois environ. Depuis, d'autres événements ont jeté la suspicion sur le rôle de cette femme.

Ce même jour ou le suivant, autant que cela puisse être déterminé, d'après les aveux de quelques-uns des agents du Guépéou, Harte fut assassiné dans le plus pur style guépéoutiste : une balle derrière la tête, l'autre dans la tempe. Les deux derniers agents du Guépéou qui restèrent avec lui sont, d'après les aveux, Luis Arenal, le collaborateur de The New Masses et son frère Léopoldo.

Pourquoi le Guépéou enleva-t-il et tua-t-il Harte ? Ils auraient pu l'attacher, comme ils l'avaient fait pour les policiers. Etait-ce pour l'empêcher de désigner la personne qui le trompa pour faire ouvrir la porte ? Etait-ce pour empêcher qu'il puisse, par la suite, identifier ses assaillants en cas de découverte policière ?

Le 27 mai, El Nacional publia une histoire très significative : « Trotsky se contredit lui-même », basée sur le fait que l'un des quotidiens avait rapporté que Trotsky et sa femme avaient échappé aux assassins en se jetant à terre, qu'un second quotidien racontait qu'ils s'étaient cachés dans un coin, et qu'un troisième affirmait que Trotsky et sa femme ne couchaient pas toujours dans leur chambre.

Par une remarquable coïncidence, que le mécanisme du Guépéou pourrait seul expliquer, la même histoire apparut, mot pour mot, dans El Popular, de Toledano, le même matin.

Il est clair que les principaux assassins, ceux qui pourraient conduire aux responsables supérieurs liés au Kremlin, ont réussi à quitter le pays. Le Guépéou croyait alors avoir réussi à dérouter la police. On ne sait pas encore très exactement qui est l'agent du Guépéou qui orienta la police dans cette direction. Une bonne part des soupçons se porte sur Bassols, ancien ambassadeur en France, qui est un stalinien bien connu, et qui fait l'objet de commentaires élogieux dans la presse stalinienne.

L'interprétation guépéoutiste d'un « attentat volontaire » commençait alors à être répandue par tous les divers canaux du Parti communiste. Elle fut défendue dans un meeting de masses par un orateur responsable du Parti communiste. On comparaît l'attentat à l'Incendie du Reichstag par les nazis en 1933. (La seule comparaison possible est justement que les nazis rejetèrent l'incendie sur le dos des communistes, exactement comme les staliniens essayent maintenant de faire porter par Trotsky la responsabilité de l'attentat.) Le Parti communiste publia une déclaration selon laquelle l'attentat avait été organisé par « les agents de la Commission Dies », travaillant dans les rangs du parti d'Almazán, et que l'attentat était une « provocation » faisant « partie du programme des compagnies pétrolières ».

Ils salissent le nom de leur victime.[modifier le wikicode]

Au même moment, en contradiction complète avec son accusation d' « attentat volontaire », le Guépéou commença une campagne contre Robert Harte, l'accusant d'être le dirigeant de l'attentat et d'avoir trahi son chef, c'est-à-dire, en fait, d'être vendu au Guépéou.

Mais le journal de Toledano, El Popular, du 25 mai, rapportait, d'après des sources non mentionnées, que :

Le policier Arias déclara que, lorsque les individus habillés en policiers et en soldats pénétrèrent dans !a maison, ils se trouvèrent face à Sheldon, trois d'entre eux s'emparèrent du secrétaire de Trotsky et l'attachèrent pendant qu'il protestait violemment en espagnol. Pour le faire taire, ils le bâillonnèrent et le jetèrent dans l'une des automobiles qu'ils avaient laissées dans la rue.

Cette description de la résistance de Sheldon ne se trouve dans aucun autre rapport sur l'attentat, sauf dans celui de El Popular. Cela démontrerait que Bob avait opposé une résistance désespérée. Toledano, avec sa source d'information de première main, était naturellement fort capable de fournir un rapport exact de tous ces détails.

A partir du 27 mai, tous les procédés imaginables de diffamation furent utilisés contre Harte dans la presse stalinienne. On dit qu'il avait une photo de Staline chaleureusement dédicacée dans son appartement (mensonge du Guépéou, que même un télégramme de démenti de son père ne parvint pas à détruire) ; on dit qu'il n'était pas un Américain, mais un Russe débarqué d'un bateau une semaine ou deux avant son arrivée au Mexique, et que les références, grâce auxquelles il obtint un travail de Trotsky, étaient tellement bonnes que ce dernier ne pensa même pas à les mettre en doute ; que ses bagages portaient encore des étiquettes de Moscou ; que c'était le type même du gangster ; que, pendant l'attentat, il couru-t dans le patio en pyjama ; qu'il avait touché une somme fabuleuse pour sa trahison ; qu'il était impossible de voler les autos de Trotsky sans son aide, car il détenait les clefs de contact (en réalité celles-ci étaient toujours sur les voitures, en cas de nécessité urgente) ; qu'il n'était pas venu au Mexique comme agent des assassins, mais qu'il y fut acheté par eux ; qu'il conduisait lui-même l'une des voitures qui emmenèrent les assassins ; qu'il était très nerveux lorsqu'il partit avec ceux-ci ; qu'il était au contraire très calme et parla familièrement avec l'un d'entre eux qu'il appelait « Felipe »; qu'il avait la confiance totale de Trotsky, et dirigea l' « attentat volontaire »; qu'il était sain et sauf dans la maison de son père, à New-York.

Ces calomnies étaient la chaux vive morale avec laquelle le Guépéou espérait cacher les traces conduisant au cadavre décomposé dans la cabane montagnarde.

En fait, pendant plusieurs jours, les staliniens réussirent à désorienter les recherches de la police. Deux des secrétaires de Trotsky furent gardés, pour « interrogatoire », deux jours en prison. Deux familiers de la maison de Trotsky, dont un réfugié allemand, furent gardés quatre jours à la prison de Guadalupe. Le chauffeur de Diego Rivera fut arrêté. La maison de Frida Kahlo, l'ancienne femme du peintre, fut perquisitionnée. Apparemment le Guépéou faisait de sérieux progrès dans sa campagne d'assassinat moral.

Le tournant de l'enquête[modifier le wikicode]

Le 31 mai, Trotsky fit une déclaration à la presse, affirmant catégoriquement que la police avait orienté ses recherches sur une fausse piste. Il décrivit les méthodes du Guépéou, et désigna Lombardo Toledano et David Siqueiros comme étant susceptibles de « donner quelques éclaircissements sur la préparation de l'attentat ». Dans les cercles gouvernementaux le bruit courut que le président Cárdenas lui-même ordonna un tournant complet dans les recherches de la police, tournant qui apporta un succès total dans la découverte des criminels.

Le Parti communiste qualifia la déclaration de Trotsky d' insulte à la police ». A quel titre Trotsky pouvait-il prétendre lui indiquer comment chercher les criminels ? Le 1er juin, Luis Lombarde Toledano, frère cadet de l'orateur « transcendental », envoya une déclaration à la presse écrite ostensiblement à la main à l'encre verte :

Pour Trotsky la police mexicaine est une police stupide. Elle ne mérite aucun respect. Ce n'est pas l'avis des Mexicains.

Apparemment le Guépéou jugea les coups de Toledano le cadet insuffisants pour faire échec à l'impression que l'article de Trotsky avait produite. Les hommes à tout faire des staliniens se mirent à l'ouvrage. Ils qualifièrent l'attentat de « chantage international ». Ils protestèrent contre l'arrestation de quelques-uns des membres de leur parti. Ils demandèrent l'expulsion de Trotsky. Ils affirmèrent que l'attentat n'avait été prémédité que pour contredire les déclarations du président Cárdenas selon lesquelles il n'y avait pas de Cinquième colonne au Mexique. Ils invoquèrent Almazán, les fauteurs de guerre, les compagnies pétrolières, l'impérialisme, la haine de l'Union soviétique. Ils élaborèrent même quelque chose de clair et d'étincelant : Trotsky est « un instrument des Yankees dans la guerre des nerfs contre le Mexique ».

Harry Block, intime des cercles staliniens les plus élevés du Mexique, éditeur d'un bulletin ronéotypé de nouvelles distribué gratuitement aux Etats-Unis par l' « Université ouvrière » stalinienne, et celui que l'on considère comme l'agent de liaison entre Lombardo Toledano et le vieux carriériste du Guépéou, Oumansky, actuellement ambassadeur de l'U. R. S. S. aux Etats-Unis, écrivit un article jetant le doute sur la réalité de l'attentat. La Nation, aux U. S. A. avec sa déférence habituelle envers les exigences staliniennes dans les circonstances critiques, donna une place de premier ordre à cette information guépéoutiste.

Le parti communiste protesta avec une volubilité excessive contre l'arrestation de deux de ses membres bien connus, David Serrano et Luis Mateos Martinez, déclarant le 7 juin que la police avait opéré ces arrestations « après que Trotsky eut fait des déclarations subversives, antimexicaines et très dangereuses ». Leur protestation verbale ajoutait : « Notre parti se considère comme hors de cause, étant un parti révolutionnaire qui soutient le gouvernement du général Cárdenas ». Par la suite, les staliniens développèrent cet argument profond en déclarant qu'il sautait aux yeux qu'ils ne pouvaient être coupables, « puisque le mouvement marxiste ne croit pas au terrorisme ».

Cependant la question n'était pas de savoir si l'organisation stalinienne est marxiste, mais si le Guépéou avait organisé l'attentat.

La Voz de Mexico, l'hebdomadaire du Parti communiste, parut le 9 juin avec un titre gras en deux lignes, une histoire sur trois colonnes et « Trotsky et sa bande à la porte du Mexique ! ». L'article considérait comme « mal venu qu'un chef de police permette à un Trotsky d'indiquer à la police ce qu'elle doit faire pour découvrir les auteurs de l'attentat ».

La raison de ces imprécations au sujet de l' « inconvenance » de la police à s'informer auprès de Trotsky, relativement à ceux qui avaient mitraillé sa chambre, devint bientôt tout à fait claire.

La police mexicaine résout le problème[modifier le wikicode]

Le 18 juin, la préfecture de police de Mexico annonçait qu'elle avait résolu le problème. Vingt-sept membres du Parti communiste étaient arrêtés. Un certain nombre d'entre eux avaient reconnu leur participation à l'attentat, David Alfaro Siqueiros, l'homme qui « faisait honneur » au Mexique, selon la revue Futuro de L. Toledano, était désigné comme le dirigeant effectif de l'attentat. Les supérieurs dont il recevait les ordres étaient inconnus des guépéoutistes de base pris dans les filets de la police. Haikys, précédemment membre de la légation soviétique au Mexique, et ambassadeur soviétique en Espagne pendant la guerre civile après que Rosenberg eût été « purgé », était suspecté d'être l'un des supérieurs[1]. Carlos Contreras, assassin à gages du Guépéou en Espagne, était rangé dans la même catégorie. Siqueiros, les frères Arenal, Antonio Pujol, tous membres du Parti communiste, avaient fui du Mexique.

La presse stalinienne annonça les arrestations sans mentionner l'affiliation politique des internés, excepté dans le cas de Siqueiros, primitivement « honneur du Mexique » mais à présent « fou », « indiscipliné » et « pédant ». La fausse moustache et les lunettes noires étaient sans aucun doute le signe de son attitude « pédante » lorsqu'il se servait de mitraillettes et de bombes, mais les raisons pour lesquelles on le qualifie « d'indiscipliné » ne sont pas encore claires.

Jour après jour, des aveux supplémentaires furent obtenus, particulièrement de Nestor Sanchez Hernandez, ï'un des collaborateurs de Futuro de Toledano, impliquant d'autres membres du Parti communiste. Les aveux entraînèrent l'arrestation des chauffeurs qui avaient conduit les automobiles. Quelques-uns des uniformes de police furent trouvés chez des membres du Parti communiste, ainsi qu'un revolver volé aux policiers attachés sur le plancher de leur poste de garde.

El Popular, le journal de Toledano, opéra alors un tournant désespéré pour se blanchir de la complicité dans l'attentat, publiant une déclaration « réaffirmant notre attitude dans le cas Trotsky », c'est-à-dire la déclaration du 25 mai dans laquelle ils demandaient, une « enquête » et la condamnation des coupables « quelle que soit leur affiliation politique ».

Le Parti communiste, mis en lumière dans toute sa hideur, sans aucune couverture de responsabilité possible, ne pouvait que cligner des yeux devant la lumière de la plus défavorable publicité qui était son lot depuis la mise à nu de l'assassinat d'Ignace Reiss en Suisse par le Guépéou. Dans le numéro du 23 juin de La Voz de Mexico, il publia une déclaration qui est une réfutation chimiquement pure de lui-même et la preuve la meilleure de l'implication de son appareil dans l'attentat. Notez la tentative de se cacher derrière Bob Harte dont ils avaient recouvert le corps de chaux vive.

Les rouages d'une gigantesque provocation raffinée contre le Parti communiste mexicain et le mouvement ouvrier ont été publiquement mis en lumière. De nombreuses personnes apparaissent impliquées directement ou indirectement (!) parmi lesquelles David Alfaro Siqueiros, désigné comme dirigeant de l'attentat. La responsabilité de l'un des intimes de Léon Trotsky lui-même, son secrétaire Sheldon Harte, est clairement démontrée. Aucun des participants n'est membre du parti (?) ; tous sont des éléments incontrôlables (!!) et des agents provocateurs... L'opinion publique a été surprise par le fait que, malgré les forces considérables des assaillants et les complicités — comme celle de Sheldon — sur lesquelles ils comptaient, ni Trotsky, ni ses collaborateurs, ni ses domestiques n'ont été blessés. Cela renforce l'affirmation que nous avons faite dès le début, selon laquelle la provocation, préparée avec un tel raffinement qu'elle implique même des hommes de paille « communistes», (des hommes de paille avec cependant suffisamment d'os et de cartilages pour manier une mitraillette — J.H.), fut effectuée dans le but de donner une base légale pour attaquer et déclencher la répression contre le parti communiste et les autres forces révolutionnaires du pays. Les services d'espionnage des pays belligérants et les organisations trotskystes qui travaillent au Mexique, toutes remplies de provocateurs et d'espions, comme il est prouvé dans le cas de Sheldon qui, alors que la majorité des gens impliqués dans l'affaire sont aux mains de la police, lui a échappé — (Le Guépéou considérait que la chaux avait suffisamment fait son travail pour que cette affirmation soit de toute tranquillité ; notez aussi le mot « majorité ». Ce mot est lancé pour couvrir les plus éminents agents du Guépéou toujours en fuite. J. H.) pourraient certainement en dire beaucoup plus long au sujet des réels organisateurs de l'attentat contre Léon Trotsky... Nous insistons, une fois de plus, sur le fait qu'il serait salutaire pour le pays que Trotsky, qui a donné prétexte à une monstrueuse provocation contre le Parti communiste et contre le Mexique lui-même, quitte ce pays.

Staline, comme on le sait bien, considéra depuis longtemps que la remise de Trotsky dans ses mains serait bien préférable aux incertitudes des mitraillades de sa chambre à coucher.

Le corps de Robert Harte

L'insistance du Parti communiste sur la complicité de Harte était la meilleure preuve de sa loyauté envers la IVe Internationale. Tôt dans la matinée du 25 juin, cette loyauté fut confirmée de la manière la plus triste et la plus tragique par l'identification de son corps que la police avait découvert en suivant les indications fournies par l'un des staliniens emprisonnés.

Le Guépéou était maintenant complètement démasqué, non seulement en tant qu'organisateur de l'attentat, mais aussi comme l'assassin de Robert Sheldon Harte.

Depuis la découverte du corps de Harte, la presse stalinienne m'en diminua pas pour cela d'un iota sa campagne contre Léon Trotsky. Au contraire, elle chercha à étendre sa campagne aux tribunaux mexicains. El Popular et Futuro intentèrent des procès en diffamation, et la Voz de Mexico annonça son intention d'en faire autant. Chaque numéro de la Voz continue à demander l'expulsion de Trotsky et l'exige maintenant aussi pour ses secrétaires qu'elle déclare être « l'organisme exécutif » de la IVe Internationale. Un avocat, Pavon Flores, membre du comité central du Parti communiste, a été désigné pour défendre les prisonniers Serrano et Martinez. Dans un interrogatoire de Trotsky qui dura six heures devant le juge Trujillo chargé de l'affaire, Flores tenta de faire revivre la théorie de « l'attentat volontaire » et d'insinuer que Harte avait parlé avec Trotsky au sujet de l'attentat la veille de sa réalisation

Lorsque Trotsky répondit à Flores, il répondit à toute la manœuvre du Guepeou : « Ces questions semblent vouloir ressusciter le cadavre de la théorie de l' « attentat volontaire ». Il vaudrait mieux ressusciter le cadavre de mon ami Robert Sheldon Harte. »

Préparation a un second attentat[modifier le wikicode]

Les hurlements continuels de la presse stalinienne ne signifient pas autre chose que la préparation à un second attentat, plus efficacement préparé par le Guépéou. Un second attentat contre Trotsky est absolument certain. Ayant souffert tous les dommages moraux et politiques de la première affaire, Staline doit maintenant montrer qu'il est au moins assez puissant pour que sa volonté soit faite. Là où il a dépensé au moins dix mille dollars pour préparer le premier attentat, il dépensera, cette fois-ci, incomparablement plus. La vie de Trotsky est en danger mortel.

Le Guépéou, sous-produit de la réaction mondiale[modifier le wikicode]

Dans la presse stalinienne, le mot Guépéou apparaît si rarement, qu'il semblerait que les hommes à tout faire de la IIIe Internationale osent rarement s'avouer à eux-mêmes l'existence de cette redoutable Inquisition moderne. Parmi les ouvriers du monde entier, il y a une grande répugnance à croire que sur le corps de l'Etat ouvrier ait pu se développer une organisation aussi horrible que le Guépéou. Cela a prété au Guépéou en dehors de l'Union soviétique une certaine apparence protectrice d'irréalité.

Mais un coup d'œil sur les traces encore fraîches sur les murs de la maison de Trotsky que les balles de mitraillettes frappèrent, est suffisante pour convaincre tout le monde de la brutale réalité de l'organisation terroriste de Staline. Quelques minutes de lecture de la presse stalinienne sera d'autant plus convaincante de la réalité du Guépéou, malgré l'absence de son nom en caractères d'imprimerie.

Le Guépéou est un sous-produit de la réaction mondiale dans une période de guerres et de convulsions fiévreuses, au fur et à mesure que la société approche de l'ère du socialisme. En dernière analyse, le Guépéou est une suppuration du corps pourrissant du capitalisme là où il s'appuie sur l'Union soviétique. Il dirige sa terreur contre la IVe Internationale principalement, parce qu'il sait très bien que la IVe Internationale est la seule force capable de donner à la classe ouvrière mondiale un programme qui mène à la révolution socialiste victorieuse. La destruction du capitalisme entraînera avec elle la destruction du Guépéou et la fin du règne de Staline dans l'Union soviétique. Comme l'autre Inquisition, le Guépéou ne deviendra rien de plus qu'un souvenir de ce sauvage passé préhistorique précédant la période où la structure économique sera organisée de manière rationnelle.

Dans la grande tâche de construction de la société future, Robert Harte est tombé en soldat loyal à l'avant-garde du prolétariat révolutionnaire. Il n'est pas le premier des secrétaires de Trotsky à tomber victime du Guépéou. Il est le huitième. Avant lui sont tombés les héros suivants de la classe ouvrière ; M. Glazman, G. Boutov, I. Blumkin, N. Sermuks, I. Poznansky, R. Klement, E. Wolf. Mais Bob fut le premier de la section américaine de la IVe Internationale à être frappé par les balles du Guépéou. Sur l'une des nouvelles tours fortifiées qui ont été construites en vue d'un prochain attentat du Guépéou de Staline, une plaque a été placée :

A la mémoire

de

Robert Sheldon Harte

(1915-1940)

assassiné par Staline.

  1. Hansen semble faire une confusion entre Leon Haikys, l'un des pseudonyme de Ramón Mercader, lequel n'a jamais été ambassadeur, et Léon Gaikis, qui avait remplacé Rosenberg en Espagne avant d'être lui-même purgé et de mourir en mai 1937. (Note de la MIA)