La situation en Russie soviétiste et la nouvelle politique économique

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Résolution de la Conférence de l'Exécutif élargi (21 février – 4 mars 1922)

  1. La nouvelle politique, économique est en premier lieu l'expression de la proportion des forces au sein de l'alliance du prolétariat et de la classe paysanne de Russie après leur commune victoire sur la bourgeoisie et les grands propriétaires fonciers. Elle signifie la reconnaissance par le prolétariat de l'inviolabilité de la petite propriété paysanne et de la libre jouissance, par le petit producteur, des produits de son travail. Le prolétariat reconnaît ainsi que la politique appliquée par le gouvernement des soviets pendant la guerre civile (réquisition de tous les moyens de production et de toute la production de l'économie rurale) ne fut que temporaire, dictée par la nécessité de la résistance commune aux grands propriétaires fonciers et à la haute finance, et jusqu'au succès final dans cette lutte ; mais il ne s'agissait nullement d'un système permanent conforme au programme du Parti Communiste ;
  2. La reconnaissance de ce fait est opportune et indispensable. Elle est conforme aux conceptions du parti, formulées avant et après la révolution d'octobre, selon lesquelles la révolution prolétarienne en Russie ne signifie pas l'établissement immédiat d'une société communiste parfaite, mais inaugure seulement une seule période de transition du capitalisme au communisme, pendant laquelle la petite propriété dans l'agriculture, le commerce et l'industrie doit être limitée, mais non expropriée despotiquement. Par opposition à l'expropriation et à la socialisation des grandes propriétés capitalistes, le travail individuel du petit producteur ne peut pas être socialisé de force ;
  3. L'appui prêté à la nouvelle politique du prolétariat par les paysans et qui se traduit par un affermissement politique du pouvoir des soviets, signifie d'autre part que des millions de petits producteurs reconnaissent le régime économique établi par la classe ouvrière, dans lequel le sol et son contenu, la grande industrie, les transports, les crédits, au lieu d'être propriété privée, sont socialisés en totalité ou pour la plus grande partie et gérés par l'Etat soviétiste, c'est-à-dire conformément au programme socialiste de la période de transition ;
  4. La convention passée avec la classe paysanne sur ce point ne s'écarte pas du programme maximum que le P.C.R. s'est donné en commençant sa lutte pour le pouvoir. Dans le combat qu'il soutint contre le gros capital et la grande propriété privée le pouvoir des soviets dépassa sensiblement, par ses mesures pratiques, les buts fixes par son programme. Engels avait jadis prévu cette nécessité en écrivant que la révolution, pour être victorieuse, doit s'avancer aussi loin que possible. Sous l'empire des nécessités le gouvernement des soviets appliqua des méthodes de terreur, tant économiques que politiques, non seulement contre les grands propriétaires mais aussi contre les propriétaires petits et moyens qui penchaient du côté du capitalisme (nationalisation de l'ensemble de la production et du commerce). Cette lutte qui revêtit les aspects d'une guerre civile acharnée, fit naître diverses illusions et suscita aussi une idéologie assez contraire à la théorie et au programme véritables du parti, dont la politique actuelle n'est pas en réalité une innovation, mais un retour à l'ancienne politique communiste ;
  5. La nouvelle politique est aussi — en second lieu — une solution apportée au problème de la reprise des relations économiques internationales par l'Etat prolétarien, tant que l'ordre capitaliste se maintient dans les pays voisins de la Russie, la rentrée de celle-ci dans l'organisme économique international est absolument inévitable ; une politique d'isolement économique eût été un non-sens équivalent à un suicide, et n'eût fait que le jeu des ennemis du prolétariat.

    La victoire de la révolution dans un pays ne signifie nullement la cessation immédiate de la division internationale du travail qui a lieu même en société capitaliste. Au contraire, la révolution socialiste victorieuse a pour devoir d'établir un programme de division du travail plus complet et plus rationnel, afin de mettre en œuvre toutes les ressources naturelles du pays, de souligner les faiblesses de l'organisation capitaliste, et de propager parmi les masses ouvrières l'idée d'une économie socialiste internationale ;
  6. La pénétration du capital étranger en Russie présente cependant un danger d'asservissement de l'économie socialiste en voie de formation au capital puissant qui compte appliquer à l'Etat prolétarien des méthodes d'exploitation coloniale consacrées par une longue expérience. Ce danger, amoindri par la division des groupes capitalistes entre eux, peut être combattu par l'action organisée du prolétariat international contre les magnats de la haute finance et de l'industrie d'Europe et d'Amérique. Mais il ne pourra être complètement écarté que par le développement ultérieur de la révolution socialiste internationale ;
  7. Au fur et a mesure que se développera dans notre pays techniquement arriéré l'action du capital étranger, le relèvement économique de la Russie des soviets progressera d'autant. L'amélioration de sa situation économique et politique lui procurant une plus grande influence internationale, lui permettra d'intervenir dans la crise économique et politique mondiale ;
  8. La période de « communisme de guerre » étant finie, la tache du P.C.R. est de conserver et de consolider, en vertu de l'accord avec la classe paysanne, le pouvoir politique du prolétariat, d'organiser rationnellement les forces économiques de l'Etat ouvrier, — lequel, ayant renoncé à administrer lui même l'ensemble de la production et de la répartition, ne conserve que les positions économiques dominantes, — d'organiser les relations économiques avec le monde capitaliste, sur des bases garantissant autant que possible la Russie contre l'exploitation et contre les possibilités de restauration d'un régime bourgeois ;
  9. La presse contre-révolutionnaire russe et celle du socialisme bourgeois répètent fréquemment que la révolution russe a dépassé Thermidor et que la nouvelle politique économique est une liquidation de la Révolution. Cette assertion n'a pas plus de sens que celle naguère produite par Martov qui dénonçait en la révolution d'octobre un 18 Brumaire. Que les socialistes petits-bourgeois nous expliquent donc le sens d'un Thermidor après Brumaire. A ces pauvretés les communistes opposent un argument irréfutable : la défense du pouvoir des soviets est entre les mains du Parti Communiste qui s'est révélé nécessaire et a prouvé qu'il sait adapter sa tactique aux circonstances en demeurant inébranlablement fidèle à lui-même et à la cause du prolétariat international ;
  10. On ne peut porter, d'un point de vue international, un jugement sur la nouvelle politique économique des soviets sans apprécier la situation générale économique et politique de tous les pays. Cette situation n'est pas susceptible de deux interprétations différentes : la crise économique se poursuit, s'intensifiant tantôt dans un pays, tantôt dans un autre, sapant l'économie bourgeoise. La guerre impérialiste terminée par le traité de Versailles continue en réalité par une guerre économique acharnée. Les conflits politiques s'accentuent et multiplient les heurts des intérêts opposés. Des coalitions se constituent et se disloquent. Des petits Etats formés des dépouilles de l'ancienne Europe n'ont qu'une existence fictive ou rêvent d'aventures. L'intégrité territoriale des Etats vaincus est menacée. La réaction monarchiste prépare ses revanches et se dispose à refaire la carte de l'Europe. C'est en surmontant les plus grandes difficultés que le Parti du prolétariat s'affermit et étend son influence sur les masses ouvrières et paysannes. L'époque de transition du capitalisme au socialisme se révèle aux esprits comme une époque de crises, de guerres, de bouleversements sociaux — ce qui confirma la justesse de la politique du P.C.R, adoptée à cette période de transition pour conduire à la victoire totale du communisme.