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La révolution en Russie (Mars 1917)
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 16 mars 1917 |
Première publication : Spartakusbriefe (Lettres de Spartacus) Neudruck, Herausgegeben von der Kommunistischen Partei Deutschlands (Spartakusbund), n° 4, avril 1917, pp. 70-72.
La révolution en Russie
Ce qui se passe actuellement en Russie passera dans l’histoire pour tous les temps comme l’un de ses plus grands événements. Nos enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants parleront de ces jours comme le début d’une nouvelle époque dans l’histoire de l’humanité. Le prolétariat russe s’est révolté contre le plus criminel des régimes, contre le plus méprisé des gouvernements. Le peuple de Petrograd s’est levé contre la plus honteuse et la plus sanglante des guerres. Des troupes de la capitale se sont rassemblées sous la bannière rouge de la rébellion et de la liberté. Les ministres tsaristes sont arrêtés. Les ministres des Romanov, le souverain de la vieille Russie, les organisateurs de l’autocratie de toutes les Russies, ont été placés par le peuple dans une des prisons qui, jusqu’à présent, n’ont ouvert leurs portes de fer que pour les champions du peuple. Ce seul fait donne une véritable évaluation des événements, de leur échelle et de leur puissance. La grandiose avalanche de la révolution va de l’avant – aucune force humaine ne l’arrêtera.
Comme l’annonce le télégraphe, le gouvernement provisoire est composé de représentants de la majorité de la Duma[1], sous la présidence de Rodzianko. Ce gouvernement provisoire – le comité exécutif de la bourgeoisie libérale – n’est ni venu à la révolution et ne l’a ni convoquée, ni conduite. Les Rodzianko et les Milioukov ont été portés au pouvoir par la première grande vague de la recrudescence révolutionnaire. Ce qu’ils craignent le plus, c’est la noyade. Après avoir pris les places toujours chaudes après que les ministres aient été emmenés dans des cellules de prison solitaires, les chefs de la bourgeoisie libérale sont disposés à considérer que la révolution est terminée. Telle est la pensée et l’espoir de toute la bourgeoisie du monde entier. Pour le moment, la révolution n’a fait que commencer. Sa force motrice, ce ne sont pas les gens qui ont choisi Rodzianko et Miliukov. Et la révolution ne trouvera pas sa direction dans le comité exécutif de la Douma du 3 juin.
Les mères faméliques d’enfants affamés levèrent avec indignation leurs mains émaciées vers les fenêtres des palais, et les malédictions de ces femmes du peuple résonnèrent comme la voix d’un tocsin révolutionnaire. C’était le début des événements. Les ouvriers de Petrograd sonnèrent l’alarme ; Des centaines de milliers d’entre-eux se sont déversés des usines sur les routes de la ville, qui savent déjà ce que sont les barricades. Voici la force de la révolution ! Une grève générale a secoué le puissant organisme de la capitale, paralysé le pouvoir de l’État, et conduit le tsar dans l’une de ses tanières dorées. Voici le chemin de la révolution ! Les troupes de la garnison de Petrograd, en tant que détachement le plus proche de l’armée russe, répondirent à l’appel des masses rebelles et rendirent possibles les premières grandes conquêtes du peuple. L’armée révolutionnaire, voilà ceux qui auront le mot décisif dans les événements de la révolution !
Les informations dont nous disposons sont incomplètes. Il y a eu une lutte. Les ministres de la monarchie ne sont pas partis sans combat. Les télégrammes suédois parlent de ponts explosés, de batailles de rue, de soulèvements dans les villes provinciales. La bourgeoisie, avec ses colonel Engelhardt et ses censeurs Gronsky, est restée au pouvoir pour « rétablir l’ordre ». Ce sont là leurs propres paroles. Le premier manifeste du gouvernement provisoire invite les citoyens à rester calmes et à s’engager dans des activités pacifiques. Comme si le travail purificateur du peuple était fini, comme si le balai de fer de la révolution avait déjà complètement balayé la saleté réactionnaire qui s’est accumulée pendant des siècles autour de la dynastie Romanov qui est couverte d’opprobre !
Non, les Rodzianko et les Milioukov ont parlé trop tôt d’ordre, et le calme n’arrivera pas demain dans une Rus' [la vieille Russie] agitée. Le pays se lèvera, couche par couche, tous les opprimés, les appauvris, ceux que le tsarisme et les classes dirigeantes ont volés, dans l’entière étendue sans bornes de la prison des peuples de toutes les Russies. Les événements de Petrograd ne sont que le début.
À la tête des masses populaires russes, le prolétariat révolutionnaire accomplira ses tâches historiques ; elle chassera la réaction monarchiste et aristocratique de tous ses lieux de refuge et tendra sa main au prolétariat de l’Allemagne et de toute l’Europe. Car il faut liquider non seulement le tsarisme, mais aussi la guerre.
La seconde vague de la révolution passe au-dessus des têtes des Rodzianko et des Milioukov qui se préoccupent de la restauration de l’ordre et du compromis avec la monarchie. De ses propres profondeurs, la révolution fera progresser son propre pouvoir – l’organe révolutionnaire du peuple qui marche vers la victoire. Les principales batailles et les principales victimes sont à venir. Et c’est seulement alors qu’une victoire complète et authentique suivra.
Les derniers télégrammes de Londres disent que le Tsar Nikolai veut abdiquer le trône en faveur de son fils. Avec cet accord, la réaction et le libéralisme veulent sauver la monarchie et la dynastie. Il est trop tard. Trop tard. Trop grands sont les crimes, trop monstrueuse la souffrance, et trop grande la portée de la rage du peuple.
Il est trop tard, serviteurs de la monarchie ! Il est trop tard, suppresseurs libéraux ! L’avalanche de la révolution a été mise en mouvement – aucune force humaine ne l’arrêtera.
Léon Trotsky
- ↑ Les télégrammes de la presse américaine ont mélangé le Comité de la Douma et le Gouvernement Provisoire. – LT