La question noire (James, 1943)

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Note : Johnson était le pseudonyme de CLR James, Forest celui de Raya Dunayevskaya. Le Workers Party, dont Max Shachtman était l'un des dirigeants les plus connus, avait scissionné en 1940 du Socialist Workers Party, section étasunienne de la IVe Internationale.

Introduction du bulletin du secrétariat international de la IVe Internationale :

La résolution suivante fut présentée par la minorité Johnson-Forest, du Workers Party des Etats-Unis, à son Congrès de 1944. Elle intéresse une question d'une grande importance pour la construction du Parti révolutionnaire aux Etats-Unis, et la révolution prolétarienne dans ce pays. Le S.I. qui attribue un intérêt particulier à la discussion des problèmes concrets de la révolution américaine et qui a salué très chaleureusement les thèses que le Socialist Workers Party a adoptées sur cette question, lors de sa dernière conférence, souhaite que cette résolution ouvre une discussion féconde dans l'Internationale, qui s'étendra aussi sur d'autres aspects de la grande révolution socialiste américaine à venir.

I - Le développement historique des Nègres dans la société américaine[modifier le wikicode]

L'historique de la question nègre et du mouvement révolutionnaire américain, en général, ainsi que celui du mouvement trotskyste, en particulier, rend actuellement nécessaire l'examen, même bref, du rôle des nègres dans le développement politique de la société américaine.

En 1776, les masses nègres ne jouaient aucun rôle primordial et la révolution aurait eu le développement général qu'elle a eu effectivement, même si pas un nègre n'avait vécu aux Etats-Unis. Cependant, dès que commença la lutte révolutionnaire, les nègres obligèrent la bour­geoisie révolutionnaires à comprendre les droits des nègres dans les droits de l'homme. Les nègres eux-mêmes jouèrent un rôle important dans la lutte militaire de la révolution.

Entre 1800 et 1830, les nègres, désappointés par les résultats de la révolution, firent l'expérience d'une série de révoltes. Vers 1831, la démocratie petite bourgeoise américaine entra dans une période d'agitation débordante d'égalitarisme humanitaire. Désappointés par leurs défaites des années 1800 à 1830, les esclaves nègres du Sud, aidés par les Nègres libres du Nord, cherchèrent à acquérir leur liberté par une lutte de masses. Grâce à cette action spontanée, le mouvement petit bourgeois pour les droits de l'homme fut rapidement dominé par la lutte pour l'abolition de l'esclavage ; le lien qui existait entre la bourgeoisie nordiste et les planteurs sudistes dut beaucoup plus fort en 1860 que celui qui reliait la bourgeoisie coloniale et la bourgeoisie anglaise en 1776. La bourgeoisie nordiste usa de tous les moyens en son pouvoir pour éviter le choc révolutionnaire. L'agitation de la petite bourgeoisie, stimulée, maintenue et renforcée pendant des années par le refus des masses esclaves d'accepter leur situation, fut le facteur subjectif le plus important pour déployer dans la conscience du peuple l'idée de l'irrépressibilité du conflit. Pendant la guerre civile, l'action révolutionnaire des masses nègres du Sud joua un rôle décisif dans la victoire nordiste.

Dans le mouvement agraire du Sud des années 1890, les fermiers et les semi-prolétaires nègres, organisés d'une manière autonome à concurrence d'un million deux cent cinquante mille dans l'Alliance nationale des fermiers de couleur, constituèrent une aile active et puissante du mouvement populiste. Ils furent des partisans actifs de la scission avec le Parti Républicain et de la constitution d'un troisième parti ayant des buts sociaux aussi bien qu'économiques.

L'importance des Nègres, en tant que force révolutionnaire, s'est développée en même temps que l'économie américaine. Parallèlement s'est développé le préjugé racial contre les Nègres. Entre 1830 et 1860 les planteurs sudistes ont cultivé la théorie de l'infériorité noire à un degré dépassant de très loin celui des temps les plus reculés de l'esclavage ; ils étaient poussés à agir ainsi par les divergences croissantes qui se développaient entre la démocratie bourgeoisie en pleine croissance et les besoins de l'économie esclavagiste. Afin de vaincre la menace terrible que constitue l'unité des blancs et des noirs en particulier celle préconisée par le Populisme, la « plantocratie » sudiste éleva la conscience raciale à la hauteur d'un principe. Tout le pays fut imprégné de cette idée. Ainsi, au fur et à mesure qu'ils sont de plus en plus intégrés dans la production, intégration qui devient de jour en jour un processus sociale, les Nègres deviennent plus conscients que jamais qu'ils sont exclus des privilèges démocratiques en tant que groupe racial séparé de la communauté. Ce double phénomène est la clé de l'analyse marxiste de la question nègre aux Etats-Unis.

En même temps, dans l'ensemble du pays, comme dans le monde en général, les droits démocratiques deviennent de plus en plus un brûlant problème politique à cause des attaques généralisées de la société bourgeoise en déclin contre les principes de la démocratie en général. Simultanément, l'ascension du mouvement ouvrier accroit la conscience du fait que la classe des travailleurs est une force sociale dans la réorganisation de la société. Ainsi, le Nègre dans sa lutte plus que centenaire pour les droits démocratiques se trouve placé en face de la conscience subjective de lui-même en tant que minorité raciale opprimée et la conscience objective des travailleurs en tant que rempart de la lutte démocratique en général dans ce pays.

C'est à la lumière de cette contradiction que nous devons étudier le développement parmi les Nègres de la compréhension de ce qu'est l'oppression nationale et de ce que doivent être, à l'époque actuelle, les efforts pour s'en libérer.

Le nationalisme nègre : première phase[modifier le wikicode]

La première réaction des masses noires à la consolidation du bloc sudiste fut la politique de Booker T. Washington, qui conseilla la soumission, l'apprentissage dans l'industrie, et le développement des entreprises nègres. Pendant un moment, les Nègres du Sud semblèrent accepter de programme. Mais en réalité naquit alors une haine furieuse mais contenue envers les blancs du fait de l'oppression, et en particulier de l'humiliation raciale à laquelle les Nègres étaient alors soumis. L'appréciation de ce fait est fondamentale pour comprendre un tant soit peu le problème nègre.

Pendant la première guerre mondiale, les besoins de l'industrie nordiste amenèrent vers le Nord des milliers de Nègres. Le ressentiment tacite éclata alors ouvertement, s'organisa et s'égara dans le Garveyisme. Ainsi, une explosion essentiellement nationaliste eut lieu au moment même où les Nègres s'intégraient dans la société américaine et où ils pouvaient par cela même s'exprimer librement. Sa première signification fut d'endiguer la force puissante de protestation sociale qui couvait dans le cœur des Nègres. La seconde réside dans le fait qu'elle se constitua précisément parce que les nègres avaient fait un progrès économique et social.

Les Nègres et les organisations ouvrières[modifier le wikicode]

Les Nègres, grâce à la place qu'ils occupent en tant que section la plus opprimée du prolétariat et grâce à leur sens de l'oppression nationale, se sont toujours montrés prêts, dans l'ensemble, à se joindre aux organisations ouvrières. L'exclusion des Nègres de l'A.F.L. Correspondait à une période de collaboration de classe pratiquée par la direction de l'A.F.L. Quand le I.W.W. Brandit le drapeau du syndicalisme militant parmi les sections les plus opprimées et les plus exploitées de la population laborieuse, les ouvriers nègres répondirent aussi bien en tant que membres qu'en tant qu'organisateurs. De plus. l'I.W.W, donna aux Nègres l'idée d'un programme social pour la régénération de la société avec laquelle les Nègres ont toujours été d'accord.

En 1932, les Nègres, de même que le reste du mouvement ouvrier, suivirent le programme du New Deal avec ses grandes promesses d'un ordre nouveau américain. Mais le gouvernement de Roosevelt, bien qu'ayant nécessairement compris les Nègres dans son programme social pour les chô­meurs, ne fit rien pour réaliser ses vagues promesses pour l'amélioration du sort des Nègres opprimés.

Le C.I.O., étant surtout une organisation des industries lourdes, fut obligé d'organiser les Nègres des grandes indus­tries comme les aciéries et l'industrie automobile, ou bien de ne rien organiser du tout. Les masses nègres, en dépit de quelques hésitations, répondirent magnifiquement, et aujourd'hui elles constituent des groupes puissants et progressistes dans plusieurs syndicats du C.I.O.

Cette participation au mouvement syndical actif est indubi­tablement d'une grande signification, non seulement pour la classe ouvrière en général, mais pour le peuple nègre. Cepen­dant, la lutte principale des masses nègres des Etats-Unis a été et, jusqu'à l'accomplissement du socialisme, continuera à être leur lutte pour les droits démocratiques en tant que mino­rité nationale opprimée. Leur entrée dans les rangs des orga­nisations ouvrières n'amoindrit pas leur sens de l'oppression nationale. Au contraire, elle l'accroît et, en plein accord avec le rôle qu'elles Jouèrent dans les crises révolutionnaires passées et dans le développement des antagonismes de la société amé­ricaine, cette action autonome des masses nègres joue déjà un rôle lié à celui du prolétariat américain qui constitue un des éléments les plus importants de la lutte cour le socia­lisme.

Le nationalisme nègre : seconde phase ![modifier le wikicode]

La tumultueuse situation mondiale, l'étouffement de la démocratie par l'impérialisme anglo-américain et les revendi­cations croissantes des travailleurs organisés des États-Unis pour l'extension de plus en plus grande des droits démocra­tiques, ces revendications stimulèrent chez le peuple nègre, au commencement de la deuxième guerre mondiale, un désir plus intense que jamais de lutter pour l'égalité. Poussé par les nécessités de la guerre, le gouvernement de Roosevelt appela le peuple américain à faire de grands sacrifices néces­saires à la guerre, au nom de la démocratie. En même temps, cependant, les besoins spéciaux et les pratiques de la société sudiste et de l'industrie en général fortifièrent, grâce au pré­jugé racial maintenant bien établi dans la société américaine, toute interdiction à l'extension des droits démocratiques au peuple nègre. Au contraire, les persécutions et les discrimi­nations de la première guerre mondiale ont été intensifiées. Les attaques violentes et les humiliations auxquelles les nègres on! été soumis, dans l'armée en particulier, ont soulevé l'indignation des masses nègres à un haut degré.

Les nègres ont répondu par une offensive généralisée dans tout le pays. Cette offensive, qui a pour but surtout l'obten­tion du droit d'entrée dans l'Industrie et aussi dans les syndi­cats de Jim Crow, s'est exprimée non seulement par des mou­vements de masses mais par une détermination croissante de lutter d'une manière individuelle et souvent terroriste contre toute manifestation de supériorité de la part des blancs. Les jeunes nègres en particulier marchent maintenant dans les rues de beaucoup de villes avec la détermination de se défendre. Et dans des États comme la Virginie, les Carollnes et le Tennessee, leur attitude dans les tramways, leur soumission pleine de ressentiment aux vieilles lois de Jim Crow a créé un degré de tension sociale inconnue dans ces réglons depuis deux générations. Ceci a été une des causes essentielles qui a contribué à créer les éruptions racistes qui ont eut lieu dans différentes régions du pays, L'Attorney general des Etats-Unis a fait la proposition fantastique et sans précédent d'interdire aux nègres de venir dans les cités nordistes et a expri­mé publiquement ses craintes de rixes racistes imminentes. Il est caractéristique de la banqueroute de la bourgeoisie, face à l'offensive massive des noirs.

Le caractère et le haut degré de développement de l'offen­sive généralisée des nègres a son expression caractéristique à Harlem. Harlem est la concentration nègre urbaine la plus vaste de tout le pays. C'est l'endroit où les nègres se sentent le plus en sûreté, les plus libres et partant le plus capables l'exprimer leur ressentiment. C'est donc précisément à Har­lem qu'apparaissent le plus violemment les sentiments natio­nalistes nègres et les protestations sociales les plus profondes. En 1935 les nègres de Harlem firent une manifestation spon­tanée contre leurs conditions sociales en général et en parti­culier contre le fait qu'ils n'étaient pas employés dans les magasins de Harlem. Les manifestations marquèrent le début d'un mouvement qui amena des corrections substantielles à cette injustice. En 1941 la communauté de Harlem organisa et mena à la victoire une manifestation contre le refus d'employer des nègres comme conducteurs d'autobus. Des actions semblables ou des tentatives d'actions prirent place sur tout le territoire, sauf dans la partie la plus profonde du Sud.

Les nègres ne se satisfont pas de manifestations locales ou simplement régionales. Hautement significative est l'expres­sion organisée de leur l'es sentiment. En 1940, le conseiller Powell, réalisant la nécessité de donner une expression orga­nisée a l'échelle nationale de ce ressentiment, essaya de con­voquer une conférence nationale des leaders nègres à New York. Le mouvement ne se matérialisa pas, mais vers 1941, la pression des masses nègres força la formation d'une organisation ayant pour but de marcher sur Washington et de faire une protestation violente à l'État contre l'oppression nationale des Nègres.

Les dirigeants nègres petits bourgeois vivent leurs organi­sations du N.A.A.C.P. et de l'Urban League rejetées toutes deux par les masses nègres comme incapables de satisfaire leurs revendications. Ils tremblèrent devant cette poussée puissante des masses nègres prêtes à affronter l'État capita­liste avec un esprit conscient de l'injustice dont elles sont victimes. Dans les personnes de A. Philip Randolph et de Walter White, Ils se hâtèrent de se mettre à la tête du mouvement et de le diri­ger immédiatement vers le gouvernement Roosevelt qui se transforma lui-même en dirigeant du peuple nègre sous les dehors de la Commission pour des pratiques justes dans l'emploi (F.E.P.C.). Les masses nègres attendirent patiemment que la F.E.P.C. résolve leurs problèmes dans l'industrie et, dans l'État capitaliste, améliore la situation des nègres dans l'armée. Du fait de l'incapacité du gouvernement Roosevelt et de la F.E.P.C à améliorer l'injustice dont elles souffraient, les masses nègres se décidèrent à prendre leur propre sort entre leurs mains. L'expression la plus caractéristique de ce senti­ment fut la manifestation de Harlem à laquelle participèrent plusieurs milliers de personnes, regardée avec sympathie par la grande majorité des habitants de Harlem et des nègres de tout le territoire américain. Exami­née dans son ensemble elle peut être considérée comme une des manifestations les plus caractéristiques depuis le mou­vement de Garvey de l'indépendance protestataire sur le plan social de la part des Nègres. Elle ne concernait pas seulement l'habitat misérable, l'insuffisance des terrains de jeux ou la pauvreté croissante.

La manifestation de Harlem, de même que la grève des mi­neurs, représente une étape significative dans le développe­ment de la lutte contre la société capitaliste. La grève des mineurs n'était pas seulement causée par l'Injustice immé­diate dont souffraient les mineurs mais par le degré de déve­loppement atteint par le prolétariat américain dans son en­semble. Les mineurs firent ce que des millions d'Américains voulaient faire. La manifestation de Harlem est également une indication des sentiments de la grande majorité des nègres de ce pays. Ces deux manifestations sont, dans leur force et dans leur faiblesse, les deux plus importants indi­ces du ressentiment croissant des masses contre la société existante : c'est-à-dire la société capitaliste, ressentiment résul­tant de la guerre.

En même temps, les leaders nègres petit bourgeois ont pro­duit un manifeste politique qui, en dépit de toutes ses fai­blesses prouve que le peuple nègre, dans l'ensemble, a adopté une attitude critique, en tant que Nègres, - vis-à-vis à la fols du Parti Républicain et du Parti Démocrate. Les Nègres qui protes­tent dans la rue et les petits bourgeois timides et hésitants ont atteint aujourd'hui un niveau tel dans leur évolution que comme toujours dans le passé, le prochain pas historique qui leur reste à faire est l'unité avec la classe révolutionnaire : c'est-à-dire aujourd'hui le prolétariat américain. Dans la me­sure où les Nègres sont plus intégrés dans l'industrie et les syndicats, leur conscience de race opprimée et leur ressenti­ment contre cette oppression deviennent de plus en plus grands, et non moindres.

Le double développement du peuple nègre pendant ces der­nières années pose des problèmes exceptionnels et offre des occasions exceptionnelles au prolétariat américain et partant au part! révolutionnaire.

Le prolétariat américain et la question nègre aujourd'hui[modifier le wikicode]

Le prolétariat américain est la classe dont le rôle objectif à l'étape présente est de résoudre les problèmes fondamentaux de la société américaine. Toute analyse théorique du pro­blème nègre contemporain doit donc commencer par le lien croissant qui doit exister entre la lutte des nègres et les luttes générales du prolétariat, en tant que dirigeant des classes opprimées de la société américaine,

  1. A l'étape présente du capitalisme américain le grand danger pour les masses est le fascisme. Les événements de Detroit et d'ailleurs ont démontré que les éléments fascistes exploitent jusqu'à la dernière limite le problème nègre aux États-Unis afin de semer la confusion, de désorganiser et de diviser les grandes masses populaires et de dérouter le leader naturel de la lutte contre le fascisme : la classe ouvrière orga­nisée.
  2. La bourgeoisie américaine, qu'elle soit démocrate ou républicaine, est parfaitement au courant de la nature perma­nente de la crise agricole et a déjà prouvé sa détermination de corrompre les paysans en vue de la maintenir contre les organisations ouvrières. Cependant, les ouvriers agricoles et tout le prolétariat paysan sont inséparables dans le cadre de la société capitaliste. La solution du problème agraire aux États-Unis réside dans le prolétariat et toute solution est liée automatiquement à la situation sociale générale de millions de nègres des États sudistes.
  3. Le Sud présente le problème le plus grave de la démo­cratie aux États-Unis. Les reliquats économiques de l'escla­vage, une paysannerie nombreuse et sans propriété, le déve­loppement sur une grande échelle, surtout des industries extractives, le transfert de l'industrie textile du Nord, un mou­vement ouvrier qui se développe de plus en plus ; tout cela est pénétré d'un système de castes comparable à rien d'autre dans le monde moderne. Pour faire tenir ensemble ces éléments divers et contradictoires, il existe une superstructure politique avec les formes extérieures de la démocratie bourgeoise. Ce conglo­mérat extraordinaire de forces explosives est situé, non pas comme aux Indes, à des milliers de kilomètres de la métro­pole, mais au cœur même de la démocratie bourgeoise la plus avancée du monde.
    Armés de la théorie de Trotski sur la révolution permanente que nous devons appliquer dans notre pays, aussi bien que dans les autres pays, le parti Bolchevik doit être capable de prévoir le « télescopage » de la révolution industrielle, agri­cole et sociale dans le Sud. Ces contradictions se développent à un moment où le fascisme, l'ennemi de la démocratie et le défenseur le plus éloquent de la domination raciale, fait l'expérience de défaites éclatantes aux prix de grands sacrifices de la part du peuple américain. L'hypocrisie gros­sière qu'il comporte a pénétré profondément dans l'esprit des nègres du Sud. La familiarité avec cette situation et l'accepta­tion comparative par les masses, en particulier les mas­ses nègres, dans le passé, ne doit pas affaiblir notre compré­hension du potentiel dynamique que la situation représente.
    Il est possible qu'avant que les forces économiques et poli­tiques générales du Sud aient atteint leur point d'explosion, les masses nègres puissent par leurs actions indépendantes de masses poser toutes les questions purement en termes d'égalité des droits nègres. Quelle que soit l'allure du dévelop­pement généra! ou les formes qu'il peut prendre, nous devons nous attendre à ce que dans le cours de la prochaine période, la période de la crise sociale en Amérique, le prolétariat amé­ricain, dans l'ensemble, se trouve placé en face de ce problème.
  4. Même aujourd'hui, dans les luttes quotidiennes pour les droits démocratiques, les propriétaires et les industriels sudistes se sont révélés être les ennemis irréductibles, non seulement de la classe ouvrière, mais des droits démocratiques du peuple américain dans son ensemble. De larges sections de la société américaine, en particulier les travailleurs organisés et la majorité des Nègres du Nord sont maintenant pleinement cons­cients de cela et sont également conscients que la base de la puissance politique sudiste est la dégradation économique et raciale des Nègres du Sud.

Des quatre points ci-dessus, certaines conclusions d'une extrême importance pour le prolétariat américain peuvent être tirées. En Amérique, comme dans tout autre pays, une lutte fondamentale existe entre le prolétariat et la bourgeoisie pour le contrôle des sources économiques de la puissance sociale et politique. Mais dans tous les pays cette lutte revêt des formes historiques spéciales. C'est la tâche du parti révo­lutionnaire, tout d'abord, de s'éclairer lui-même afin d'être capa­ble d'éclairer le prolétariat sur le rôle crucial du problème nègre dans la défense de ses propres positions et la reconstruc­tion de la société américaine.

La question nègre en tant que question nationale[modifier le wikicode]

Ces 14 millions de nègres des Etats-Unis sont soumis à toutes les variétés concevables de l'oppression économique et de la discrimination sociale et politique. Ces tortures sont, dans une large mesure, sanctifiées par la loi et pratiquées sans aucune honte par tous les organes gouvernementaux. Les nègres, toutefois, sont et ont été pendant plusieurs siècles et dans tous les sens du mot Américains. Ils ne sont pas séparés de leurs oppresseurs par des différences de culture, des diffé­rences de religion, de langage, comme les habitants de l'Inde ou de l'Afrique. Ils ne sont pas même régionalement séparés du reste de la communauté comme les groupes nationaux de Russie, d'Espagne ou de Yougoslavie.

Les nègres sont en majorité des prolétaires ou des semi-prolétaires et, partant, la lutte des nègres est fondamentale­ment une question de classe.

Les nègres ne constituent pas une nation, mais à cause de leur situation spéciale, leur groupement isolé du reste de la population, l'oppression économique, sociale et politique dont ils sont victimes, la différence de couleur qui les singularise si facilement du reste de la communauté, leur problème devient le problème d'une minorité nationale. La question nègre fait partie de la question nationale mais non pas la question « nationale ». Cette minorité nationale est plus faci­lement distincte du reste de la communauté par ses caracté­ristiques raciales. Mais la question nègre est une question de race et non de « race ».

L'opposition qui existe entre leur situation et les privilèges dont jouissent ceux qui les entourent a toujours fait des nègres la section de la société américaine la plus réceptive aux idées révolutionnaires et aux solutions radicales des problèmes sociaux. Les luttes de la classe ouvrière blanche contre la loi objective du capitalisme et pour des buts subjectifs concrets, à la veille même de la révolution, ne peut se manifester entièrement en termes concrets et positifs. Les nègres, au contraire, luttent et continueront à lutter objectivement contre le capital, mais à rencontre des travailleurs blancs, ils luttent pour des droits démocratiques très concrets et objectifs qu'ils voient autour d'eux.

Mais toute l'histoire des États-Unis et celle du rôle des nègres dans l'économie et la société américaine sont une preuve cons­tante du fait qu'il est impossible aux nègres de conquérir l'égalité sous le régime capita­liste américain.

Le développement de la société capitaliste américaine et le rôle que les nègres y jouent sont tels que la lutte des noirs pour ses droits démocratiques met les nègres presque immé­diatement face à face avec le capitalisme et avec l'État. Le soutien des marxistes de la lutte des nègres pour les droits démocratiques ne constitue pas une concession de leur part. Aux États-Unis aujourd'hui cette lutte constitue une part directe de la lutte pour le socialisme.

La lutte nationale et la lutte pour le socialisme[modifier le wikicode]

Tous les problèmes sérieux issus de la question nègre tour­nent autour du lien qui existe entre les actions indépendantes des masses nègres pour les droits démocratiques et la lutte de la classe ouvrière pour le socialisme.

Au IIe Congrès de l'Internationale Communiste, les thèses de Lénine distinguent comme exemples de la question nationale et coloniale la question irlandaise et la question des nègres d'Amérique. Lénine basait ses appréciations sur une étude serrée de la situation économique des nègres aux États-Unis et de la Révolte Irlandaise en 1916.

Tout le développement historique de la lutte des nègres aux États-Unis et ses rapports avec la lutte des classes révolution­naires prouve que l'analyse léniniste de la question nègre comme partie de la question nationale constitue la méthode juste avec laquelle on doit aborder ce problème. Il est donc nécessaire d'avoir une conception précise et claire de l'appli­cation de cette méthode. L'exemple le meilleur en est l'appré­ciation de Lénine de la Révolte Irlandaise pendant la pre­mière guerre mondiale.

Lénine souhaite illustrer la lutte spécifiquement nationaliste de la Révolte Irlandaise dans ses relations avec la lutte socia­liste du prolétariat britannique contre l'impérialisme britan­nique. Il se sert de l'expérience de la Révolution Russe de 1905 qui prit place exclusivement dans le cadre des limites nationales de la Russie. Il utilise également non pas les luttes des minorités nationales opprimées, mais la lutte de la petite bourgeoisie des paysans et des autres groupes non prolétariens, intermédiaires entre les classes, en rapport avec la lutte du prolétariat russe. Nous avons ainsi une illustration concrète de l'application de la méthode à des groupes et des classes superficiellement divers mais fondamentalement semblables.

a.

La révolution russe de 1905 a été une révolution démocratique bourgeoise. Elle a consisté en une série de batailles livrées par toutes les classes, groupes et éléments mécontents de la population. Parmi eux, il y avait des masses aux préjugés les plus barbares, luttant pour les objectifs les plus vagues et les plus fantastiques, il y avait des groupuscules qui recevaient de l'argent japonais, il y avait des spéculateurs et des aventuriers, etc. Objectivement, le mouvement des masses ébranlait le tsarisme et frayait la voie à la démocratie, et c'est pourquoi les ouvriers conscients étaient à sa tête.


Aux États-Unis, la révolution socialiste consistera en une série de batailles auxquelles les classes, groupes et éléments mécontents de tous les types participeront selon leur propre voie et formeront une force qui contribuera aux grandes luttes ultimes qui seront guidés par le prolétariat.

b.

La révolution socialiste en Europe ne peut pas être autre chose que l'explosion de la lutte de masse des opprimés et mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bourgeoisie et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement - sans cette participation, la lutte de masse n'est pas possible, aucune révolution n'est possible - et, tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais, objectivement, ils s'attaqueront au capital, et l'avant-garde consciente de la révolution, le prolétariat avancé, qui exprimera cette vérité objective d'une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité, pourra l'unir et l'orienter, conquérir le pouvoir, s'emparer des banques, exproprier les trusts haïs de tous (bien que pour des raisons différentes !)


Aux États-Unis, la révolution sociale est impossible sans les luttes indépendantes des masses nègres, quels que soient les pré­jugés, les fantaisies réactionnaires, la faiblesse et les erreurs de ces luttes. La composition prolétarienne du peuple nègre et la croissance du mouvement ouvrier offrent des possibilités au peuple nègre de perdre ces préjugés.

c.

La lutte des nations opprimées en Europe, capable d'en arriver à des insurrections et à des combats de rues, à la violation de la discipline de fer de l'armée et à l'état de siège, « aggravera la crise révolutionnaire en Europe » infiniment plus qu'un soulèvement de bien plus grande envergure dans une colonie lointaine. A force égale, le coup porté au pouvoir de la bourgeoisie impérialiste anglaise par l'insurrection en Irlande a une importance politique cent fois plus grande que s'il avait été porté en Asie ou en Afrique.


Les coups portés par une minorité nationale opprimée aussi liée à la structure sociale des États-Unis que l'est la mino­rité nègre, renferment une signification politique d'une plus grande importance dans ce pays qu'un coup porté par tout autre section de la population excepté le prolétariat organisé lui-même.

d.

La dialectique de l'histoire fait que les petites nations, impuissantes en tant que facteur indépendant dans la lutte contre l'impérialisme, jouent le rôle d'un des ferments, d'un des bacilles, qui favorisent l'entrée en scène de la force véritablement capable de lutter contre l'impérialisme, à savoir : le prolétariat socialiste.


Aux États-Unis, les nègres sont indubitablement dénués du pouvoir de réaliser leur émancipation complète ou même subs­tantielle en tant que facteur indépendant dans la lutte contre le capitalisme américain. Mais le rôle historique des nègres aux États-Unis est tel, et leur relation avec le prolétariat amé­ricain est telle que leurs luttes indépendantes constituent le stimulant le plus fort dans la société américaine pour faire reconnaître au prolétariat américain quelles sont ses réelles responsabilités vis-à-vis du processus national, dans son en­semble et quelle force il représente contre l'Impérialisme américain. La situation idéale serait que la lutte du groupe minoritaire soit organisée et conduite par le prolétariat. Mais faire de cela la condition sine qua non du soutien de la lutte des groupes non-prolétariens, semi-prolétariens ou sans conscience de classe est une répudiation de toute la théorie et de la pratique marxistes. Ainsi, il est absolument faux de con­clure que la lutte indépendante des masses nègres pour leurs droits démocratiques doit être considérée seulement comme une étape préliminaire vers la reconnaissance par les nègres que la vraie lutte est la lutte pour le socialisme.

Le mouvement marxiste et la question nègre.[modifier le wikicode]

Le mouvement marxiste aux États-Unis n'a pas réussi, à quelques exceptions près, à comprendre le fait que la question nègre fait partie de la question nationale. Ceci n'est pas surprenant car il a témoigné peu d'intérêt aux nègres, sauf lors­qu'il était stimulé directement et avec insistance par le mouvement international.

Le mouvement socialiste de Debs considérait tout appel au peuple nègre comme contraire à l'esprit du socialisme. Randolph a fait appel aux nègres pour qu'ils deviennent socialistes, mais se montre lui-même incapable d'appréhender le mouvement nationaliste du Garveyisme qui prévalait à l'époque. Le parti communiste presque jusqu'en 1928 était incapable de compren­dre et la signification de la question nègre aux Etats-Unis et la méthode de travail nécessaire pour l'aborder. Ce ne fut que grâce à l'Intervention radicale de l'I.C., quel que fût le but qu'elle poursuivait, que le parti communiste en 1929 commença à aborder sérieusement la question nègre. En dépit de nombreuses exagérations, le tournant vers ce problème fut sain et efficace, mais il fut sérieusement handicapé par l'adoption d'une politique de soutien à l'auto-détermination de la Ceinture Noire. En 1936 avec le nouveau tournant de l'I.C. vers le social patriotisme, le travail du parti communiste parmi les nègres commença à se détériorer progressivement. Le mouvement trotskyste depuis ses origines, de 1928 à 1938, témoigna encore moins d'intérêt à la question nègre que le parti communiste, et, cette fois encore, ce fut sous l'influence de l'organisation internatio­nale que le mouvement marxiste américain s'intéressa activement à la question nègre.

Trotski et la question nègre[modifier le wikicode]

Trotski commença à prendre un intérêt spécial à la question nègre dès qu'il s'attaqua lui-même aux problèmes américains du point de vue de la constitution d'une organisation trotskyste révolutionnaire. Depuis ce temps-là il ne cessa de mettre l'accent sur l'importance de cette question. Bien que non ordon­nées et dans une certaine mesure accidentelles, ces discussions et ces conversations sont organisées grâce à la manière très homogène dont les questions y sont traitées et réunies toutes ensemble, elles constituent un exemple remarquable d'analyse marxiste pour tout travail nègre aux Etats-Unis. Dans toute résolution sur la question nègre à l'époque actuelle, il est nécessaire de résumer brièvement les idées de Trotski.

Sur la question de l'auto-détermination, Trotski pensait que les différences qui existent entre les Indes, la Catalogne, la Pologne, etc. et la situation des nègres aux États-Unis n'étaient pas décisives. En d'autres termes, la question nègre faisait partie pour lui de la question nationale. Il s'opposait fermement à tous ceux qui dans la IVe Internationale reje­taient tout de go le principe de l'auto-détermination pour les nègres des États-Unis. Dans une discussion datant de 1939, Trotski déclarait qu'il ne proposait pas que le parti invoquât le mot d'ordre de l'auto-détermination pour les nègres améri­cains, mais il insista sur le fait que le parti devait se déclarer prêt à lutter avec les nègres sur le mot d'ordre de l'auto-détermination, à quelque moment que ceux-ci la revendiquent. Trotski insistait sur le fait que si les nègres décidaient, sous la poussée d'événements historiques imprévus (par exemple une période de fascisme aux États-Unis) de lutter pour l'auto-détermination, la lutte serait de toute façon progressive, pour la raison bien simple que cette auto-détermination ne pourrait être obtenue qu'à travers une guerre contre le capitalisme américain.

Les idées de Trotski sur la question nègre sont contenues très clairement, quoique incomplètement, dans une discussion datant de 1939[1]. En abordant le travail nègre, Trotski se basait sur les senti­ments des masses nègres réelles aux U.S.A. et le fait que leur oppression en tant que nègres est si forte qu'ils la ressentent à chaque instant.

De tous ceux qui souffrent de l'oppression et de la discrimination, les nègres furent de tout temps les plus opprimés et les plus discriminés au sein même du milieu le plus dyna­mique de la classe ouvrière. Le parti devrait dire aux éléments conscients parmi les nègres qu'ils ont été convoqués par le processus historique pour prendre leur place à l'avant-garde de la lutte de la classe ouvrière pour le socialisme. Trotski disait aussi que si le parti était incapable de se tracer une voie pour atteindre cette couche de la société, dans laquelle il donnait aux nègres une place très importante, cela signifierait qu'il s'avoue lui-même incapable d'aller vers la révolution.

Bien que conscient du rôle des nègres dans l'avant-garde, Trotski, toutefois mettait toujours l'accent sur la conscience que devaient avoir les nègres d'être une minorité opprimée à l'échelle nationale. Chaque fois que cela était possible, il insistait sur la conclusion politique qui devait être tirée de la situation politique spéciale des nègres sous le capitalisme américain pendant 300 ans. Il prévoyait sauvent des révoltes violentes parmi les nègres à l'occasion desquelles ils se venge­raient de toute l'oppression et de toutes les humiliations dont ils ont souffert.

Trotski s'intéressa beaucoup au mouvement de Garvey en tant qu'expression des sentiments spontanés des masses nègres, sontanéité qui le préoccupait essentiellement. Il recomman­dait spécialement au parti d'étudier l'attitude des nègres pen­dant la guerre civile pour comprendre la question nègre aujourd'hui. Il recommandait l'étude du mouvement de Garvey en tant qu'indication indispensable pour le parti s'il voulait trouver la voie qui mène vers les masses noires. Il approuvait l'idée d'une organisation indépendante de masse du peuple nègre, formée grâce à l'instrument du parti. La manière géné­rale dont il abordait ie problème nègre peut se caractériser par le fait suivant : il pensait que dans certaines occasions le parti révolutionnaire pouvait retirer son propre candidat aux élections pour le congrès et soutenir un démocrate nègre présenté par une communauté nègre soucieuse d'avoir son propre représentant. Dans toutes ces idées Trotski ne fait qu'appliquer à la lutte concrète le principe fondamental com­pris dans le droit de l'auto-détermination.

Aucune tâche n'est plus urgente que la collection et la publi­cation des textes et des idées de Trotski sur la question nègre aux États-Unis, ainsi que leur étude sérieuse par tous les mem­bres du parti et leur divulgation sous une forme organisée parmi le prolétariat et les masses nègres.

II - Le Workers Party et le travail nègre dans le mouvement ouvrier organisé[modifier le wikicode]

Le problème du parti se divise donc en deux parties : 1°) les luttes du prolétariat américain pour le socialisme et sus relations avec la lutte des nègres pour les droits démocratiques ; 2°) les luttes indépendantes des nègres pour les droits démocratiques et leur rapport avec la lutte du prolétariat pour le socialisme. Sous aucun prétexte ces deux éléments séparés ne peuvent être confondus et traités ensemble.

Le Workers Party aborde le travail nègre dans les orga­nisations ouvrières en basant son action sur la crise sociale et sur la préparation du prolétariat à la révolution socialiste. Aujourd'hui une des plus grandes faiblesses subjectives du prolétariat américain vient du fait qu'il n'est pas conscient de l'opposition qui existe entre le travail et le capital dans la direction du pays. Ceci étant, om s'ensuit que les autres classes, éléments et groupes opprimés et mécontents n'ont pas encore appris à considérer la classe ouvrière comme possédant la solution radicale ou même « réformiste » à leur problème. Les classes n'apprennent de telles leçons que par des expériences massives à l'échelle nationale, ce n'est qu'aux dernières étapes de la révolution que la paysannerie russe apprit que le prolé­tariat était son leader. Déjà, une action indépendante des masses nègres du Nord éveille enfin les organisations ouvrières et les amènent à la conscience du fait qu'elles doivent aborder le problème nègre non seulement comme syndical mais comme un problème social et national, ce nouveau processus aide a clarifier et à définir les tâches du parti,

Le parti continue, comme il l'a fait dans le passé, à faire de l'agitation pour l'égalité des droits et l'abolition des lois de Jim Crow dans tous les aspects de la vie industrielle et syndicale. Le parti enregistre avec une grande satisfaction les progrès remarquables faits par le C.I.O. dans son apprécia­tion du problème nègre en tant que problème syndical. Le parti lutte contre le Klan et les autres éléments anti-nègres dans les syndicats, mais ne laisse pas les émeutes contre les nègres qui eurent lieu à Detroit, Mobile et ailleurs masquer les progrès dans ce domaine.

Le parti, cependant, va au-delà du simple syndicalisme progressiste. Il place devant le mouvement syndical le grave danger que l'existence même d'une question nègre dans le pays pose pour le mouvement syndical et le pays dans son ensemble.

Le parti prévient le mouvement ouvrier que les éléments fascistes et profascistes, dans leurs efforts pour abattre les organisations ouvrières, ne manqueront pas d'utiliser la ten­sion raciale croissante dans le pays, comme les Nazis ont uti­lisé l'antisémitisme en Allemagne.

Le Parti prévient le mouvement ouvrier que le chômage qui vient créera de graves dangers pour le mouvement ouvrier, en particulier en développant les antagonismes qui existent entre les travailleurs blancs et noirs. Le Parti fait ressortir la situation dangereuse dans le Sud et l'activité réactionnaire et antiouvrière des démocrates sudistes et la base qu'a cette activité dans la dégradation sociale des nègres. Le Parti pro­pose donc au mouvement ouvrier l'adoption de son programme transitoire pour un Labor Party[2] comme moyen principal à l'étape présente pour mettre en échec ce danger. Le parti demande hardiment au mouvement ouvrier qu'il sente la néces­sité de démontrer aux nègres que les organisations ouvrières reconnaissent leur responsabilité de résoudre les problèmes nègres par des mesures radicales. Le monde du travail amè­nera ainsi à lui la force militante de la vaste majorité des Nègres opprimés et. accroîtra ainsi sa force sociale et politi­que dans le pays.

Une telle prise en charge de la cause nègre attirera l'attention de tous les autres groupes opprimés dans la société vers le rôle des organisations ouvrières. Elle donnera aux organisa­tions ouvrières une grande confiance en elles-mêmes. Elle crée­ra un sentiment puissant de bonne volonté et de respect envers le prolétariat américain parmi les grandes masses d'Europe, d'Afrique et d'Asie. La propagande du Parti dans ce domaine doit être audacieuse, complète et puissante dans son insistance sur les dangers pour la société et la honte conti­nuelle que constitue le problème nègre, la nécessité d'une solu­tion prolétarienne et les bienfaits directs et indirects qui sui­vront les premiers pas décisifs qu'aura fait le monde du tra­vail dans ce domaine.

Le parti, dans son agitation quotidienne attire l'attention du mouvement syndical sur le danger concret représenté par­les mouvements soudains qui éclatèrent il y a quelques mois et qui, tôt ou tard, recommenceront avec une violence sûrement redoublée. Le parti demande instamment au mouvement syn­dical d'en placer la responsabilité sur les ennemis des Nègres. Il demande instamment aux syndicats de reconnaître que l'esprit d'agressivité du peuple nègre est le résultat de leur oppression interminable. Les organisations ouvrières ne doivent pas décourager mais doivent stimuler cette activité comme étant la plus sûre défense de la démocratie non seulement pour les nègres mais pour les organisations ouvrières elles-mêmes et les classes opprimées.

Le parti demande au mouvement ouvrier de prendre la tête de cette activité et de la lier à la lutte pour la reconstruction de la société, aux ouvriers blancs qui se plaignent des « excès » des nègres, le parti démontrera la grande importance de la lutte des masses nègres et reléguera ces plaintes à la sphère subordonnée qui doit être la leur.

Avant tout, il doit montrer que dans les conflits entre les nègres et les blancs dans la communauté nègre, le mouve­ment ouvrier doit éviter d'apparaître d'une manière ou d'une autre comme « gardien de la paix » soucieux uniquement de restaurer le statu quo. Ce n'est qu'en aidant le mouvement nègre à agir dans des voies efficaces et en mettant en avant d'une manière efficace un programme à la fols immédiat et général pour les nègres en général que le mouvement ouvrier sera effectivement capable d'agir en cas de crise et d'éviter les multiples dangers de la seule action pacifiste dans ce domaine. Dans toutes les manifestations nègres de résistance les organisations ouvrières doivent jouer un rôle dirigeant et actif. Le parti doit sans cesse enseigner au mouvement ouvrier que la meilleure façon de s'assurer que la résistance des nègres est dirigée contre le capital et ses alliés est de l'encourager, de l'organiser et de le soutenir jusqu'au bout.

Le parti se souviendra que la propagande et l'agitation dans ce domaine est d'une importance spéciale, car elle n'est menée par aucun autre groupe. Dans la présente période critique, alors que nombreux sont ceux qui sont poussés à penser au-delà de leurs intérêts immédiats, la question nègre forme un moyen particulièrement précieux d'éducation des ouvriers avancés dans les principes généraux du socialisme et de la lutte révolution­naire des masses. Le parti montrera que parce que les nègres ont persisté dans leur lutte, et grâce à l'attitude sympathique du mouvement ouvrier due au grand nombre de nègres qu'il renferme dans ses rangs, la lutte des nègres à Détroit s'est développée selon sa propre logique. Ceci est le résultat d'une alliance politique aux élections récentes entre les organisations ouvrières et la communauté nègre dans son ensemble. En dépit de l'échec des élections, cette combinaison est une des étapes les plus importantes jamais atteintes dans la lutte des masses ouvrières et des masses nègres pour s'émanciper des maux et des injustices de la société capitaliste. C'est en suivant cette voie et en faisant des efforts actifs des deux côtés que le parti doit chercher, selon sa force, à diriger les luttes qui se déve­loppent. Les organisations ouvrières doivent chercher à gagner, pour leur propre avantage, la conscience et l'organisation radicales croissantes qui accompagnent l'intégration des nègres dans les fonctions sociales de la société capitaliste.

Le Workers Party et le travail nègre parmi les Nègres - La lutte des Nègres pour les droits démocratiques et le socialisme[modifier le wikicode]

Le parti fait une propagande puissante et persévérante auprès des Nègres pour leur faire comprendre que la direc­tion des organisations ouvrières est nécessaire et indispensa­ble au succès de leur lutte pour les droits démocratiques.

En particulier, dans cette période de crise, il leur indique le socialisme comme seule solution à leurs problèmes. Il ana­lyse les racines économiques de l'oppression raciale. Il dénonce, avant tout, le rôle de la concurrence entre les membres de la classe ouvrière, qui détruit la solidarité blanche et noire. Il préconise une direction nationale ouvrière sans laquelle l'accomplissement des droits démocratiques est impossible. Il souligne la nature de classe fondamentale de l'oppression ra­ciale et l'unité objective des opprimés dans la lutte pour le socialisme.

En même temps le parti, avec une très grande conscience de la signification des luttes de masses indépendantes des nègres, considère que son principal travail d'agitation parmi les nègres est la stimulation et l'encouragement de ces luttes de masses. Se basant sur les principes les plus fondamentaux du marxisme, le parti reconnaît que c'est seulement sur la base de l'approfondissement et de l'élargissement continuel de sa lutte indépendante de masses que le peuple nègre sera en définitive amené à reconnaître que la classe ouvrière organisée est la vraie alliée de ses luttes et que ses luttes font partie de la lutte pour le socialisme.

Le parti, en stimulant les luttes indépendantes du peuple nègre, lui apprend le marxisme dans les seuls mots dans les­quels il l'apprendra : les mots de ses propres désirs et expériences. Ainsi, à l'étape présente du développement capitaliste en Amérique, le parti cherche où il est possible et opportun de concentrer l'attention des masses nègres sur la responsabilité du gouvernement pour leur condition d'oppri­més. Il apprend ainsi aux nègres d'une manière permanente que l'Etat est le comité exécutif de la classe dirigeante et sur cette base il cherche à les mobiliser dans leurs propres voies et selon leurs propres désirs instinctifs, contre l'État capita­liste et son rôle dominant dans la société contemporaine.

Le parti apporte le marxisme aux nègres en leur montrant que l'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travail­leurs eux-mêmes. Il démontre aux nègres que l'émancipation des nègres ne peut avoir lieu sans la lutte vigoureuse et le sacrifice des nègres eux-mêmes. Il condamne vigoureusement la distorsion de la vérité marxiste qui déclare ou sous-entend que les nègres par leur action indépendante ne peuvent arriver à une première étape sans la direction des organisations ouvrières.

Le parti veille à stimuler et encourager toute tendance instinctive à l'organisation indépendante et à la lutte militante des masses nègres objectivement dirigées contre le capitalisme américain. L'histoire du peuple nègre a démontré qu'il était capable de créer et d'organiser de telles luttes. Et c'est sur la base de l'analyse et de la critique de ces efforts créateurs que le parti cherche à guider et à corriger. Ce n'est que par ce moyen qu'il peut aider à la direction des efforts des masse nègres dans les voies les plus puissantes et les plus profitables pour atteindre leur propre but et celles qui sont les plus capables de développer la lutte générale pour le socia­lisme.

Le parti encourage les masses du peuple nègre à chercher l'aide des organisations ouvrières dans l'organisation de leur propre défense et à toutes les étapes de leur lutte pour les droits démocratiques. Mais, dans son agitation, il les encourage à agir ainsi dans le but spécifique, le premier de tous, d'ob­tenir satisfaction à leurs propres revendications démocrati­ques. Sous aucun prétexte il, ne doit submerger le but spécifique de cette alliance dans l'esprit du peuple nègre sous des termes généraux de lutte pour le socialisme. La recon­naissance par les masses du peuple nègre que les organisations ouvrières sont leurs alliée dans leurs luttes pour les droits démocratiques peut être un plus grand pas en avant vers le socialisme que l'acceptation par quelques nègres des principes théoriques du marxisme. C'est par la reconnais­sance générale par les masses de l'alliance entre la lutte des nègres pour leurs droits démocratiques et les organisations ouvrières que nait la possibilité de gagner à nous, non pas un ou deux, mais des douzaines de militants nègres au parti révolutionnaire.

Le prolétariat nègre[modifier le wikicode]

Le rôle du prolétariat nègre fait partie du développement général du mouvement syndical et ouvrier dans son ensemble. Le parti doit être sur ses gardes pour analyser toutes les poli­tiques qui peuvent empêcher le prolétariat nègre dans le mou­vement ouvrier de se considérer comme étant le premier et au premier rang dans la lutte de la classe ouvrière pour les droits ouvriers et pour le socialisme. L'oppression des nègres en tant que minorité nationale prépare spécialement le prolétariat nègre dans le mouvement ouvrier à avoir une place au cœur de l'avant-garde pour le socialisme.

Le prolétariat nègre, cependant, a un rôle spécial à jouer dans la lutte de la communauté nègre pour ses droits démo­cratiques. Le parti doit stimuler le prolétariat nègre à l'inté­rieur de la communauté nègre afin qu'il prenne la tête de la lutte pour les droits démocratiques, en accord avec le rôle des travailleurs dans la société moderne. La communauté nègre et les organisations nègres doivent être stimulées pour utiliser le prolétariat nègre comme représentants auprès du mouve­ment ouvrier organisé dans leurs revendications pour l'assis­tance et l'organisation de la lutte pour les droits démocrati­ques nègres. Le lien dans la lutte pour les droits démocrati­ques nègres réside entre la communauté nègre dans son en­semble et les organisations ouvrières et non entre le proléta­riat nègre seulement et le prolétariat blanc.

A l'étape présente le parti doit conduire jusqu'à la limite de ses ressources une propagande et une agitation vigoureuse et constante selon les orientations exposées ci-dessus. La situation actuelle offre un champ fertile pour un tel travail parmi les masses nègres. L'expérience du parti avec son agitation à la manifestation de Harlem a déjà montré la réceptivité des masses nègres et des éléments prolétariens nègres à une agitation de ce genre.

Le parti est certain de recueillir des résultats concrets car à l'étape présente il n'y a pas une seule organisation ouvrière ou radicale qui considère la manifestation mili­tante des nègres comme autre chose que, au mieux, justifiée par des nécessités malheureuses. Ceci signifie que le parti sera écouté avec attention par les masses nègres.

Le parti a besoin d'analyser soigneusement et de tirer les leçons de tels mouvements comme celui de Harlem. Ce n'est qu'ainsi qu'il sera capable de guider les Nègres et le proléta­riat, de préparer de futurs mouvements conjointement avec eux, et étudier conjointement avec eux le développement révolutionnaire des masses américaines. Toute crise « mineure » dans un état capitaliste, dit Lénine, renferme pour nous en miniature les éléments et les germes de batailles qui doivent inévitablement avoir lieu sur une large échelle dans une époque de grande crise.

La manifestation de Harlem ne fut pas une grève « mi­neure ». Ce fut, comme cela a été démontré, une manifestation organisée, une protestation nationaliste nègre, à une étape beaucoup plus avancée que le Garveyisme, englobant comme participants actifs ou comme sympathisants des dizaines de milliers de personnes. Le jour de la manifestation on pouvait voir d'un côté les masses populaires et de l'autre « maintenant l'ordre » la municipalité locale (La Guardia), la Social-Démo­cratie (Crosswaithe), le Stalinisme (Max Yergan et Hope Stevens), la petite bourgeoisie nègre (Walter White et Grangen). Dewey annonça qu'il tenait en réserve les forces armées de l'État. Ces dernières formaient un groupe unique tandis que les masses se ruaient sur eux.

Le parti doit résolument prendre sa place parmi les masses protestataires et expliquer patiemment l'unité de ceux qui sont rangées en face d'elles. Le parti ne doit pas se borner à expli­quer pourquoi les masses font de telles actions. Il corrige les exagérations et les erreurs des masses, mais comme quel­qu'un qui en fait partie, en prenant part à la lutte avec elles et en cherchant à accroître et à diriger leur colère justifiée dans des voies plus constructives. Selon la tradition marxiste il subordonne tout au fait que les masses ont refusé passive­ment d'endurer l'injustice et ont violemment exprimé leur haine. Le parti propage ces idées et condamne l'attitude juri­dique, explicative ou celles des travailleurs sociaux. Ce n'est que sur cette base que le parti, qui est plus certain alors de gagner l'oreille des masses, peut les aider à comprendre leurs erreurs et les aider à organiser des manifestations plus grandes, plus puis­santes et plus efficaces, susceptibles en évoluant de devenir des mouvements actifs à l'échelle nationale.

Le parti et les mouvements nationalistes nègres[modifier le wikicode]

Le parti engage une guerre sans merci contre les mouve­ments nationalistes nègres tels que les organisations garveyistes et pro-japonaises, etc. Il dénonce leurs propositions fantastiques et réactionnaires pour l'émancipation nègre. Il explique en détail l'impossibilité de leur réalisation et, de plus, prend la peine d'expliquer que, même si celles-ci étaient réali­sées, cela ne serait d'aucun bénéfice pour les grandes masses du peuple nègre. Le parti saisit cette occasion d'analyser et de dénoncer l'impérialisme japonais et l'oppression des masses japonaises. Ainsi, avec les mots de la vie et des intérêts des nègres, il construit un sentiment de solidarité des opprimées à l'échelle internationale.

En même temps, cependant, il doit soigneusement étudier ces mouvements pour différencier les dirigeants nationalistes nègres de leur base sincère mais égarée. Il explique aux masses que le désir de voir le Japon victorieux est en réalité un désir de destruction de la force apparemment inébranlable de leur propre oppresseur, l'impérialisme américain. La défaite imminente du Japon brisera bien des espoirs d'aide directe ou indirecte au « peuple de couleur », qu'aurait apportée une victoire japonaise. Les mouvements nationaux, cependant, même avant la défaite du Japon ont utilise le Garveyisme et le sentiment pro-japonais uniquement comme base idéologique pour une politique dirigée vers le renforcement du nationalisme nègre aux Etats-Unis. Les mouvements qui cherchent à « faire sortir les Juifs de Harlem ou du quartier sud » ont une solide base de classe. Ils constituent les réactions du nègre revanchard qui cherche un secours économique et quelques remèdes à son orgueil de race humilié. Que ces sentiments puissent être exploités par des idiots fanatiques, des Nègres antisémites ou Nègres affairistes, cela ne saurait changer leur base fonda­mentalement progressive. Cet aspect progressif ne peut en aucune façon être confondu avec l'insatisfaction de la petite bourgeoisie blanche démoralisée qui cherche un refuge dans le fascisme. La réaction américaine peut financer et financera probablement ou encouragera quelques-uns de ces mouvements (Bilbo et Back to Africa) afin d'alimenter la malveillance. Mais les Nègres sont des prolétaires, des semi-prolétaires et des paysans dans leur composition sociale. Le cours géné­ral de l'histoire américaine est tel que tout mouvement fasciste d'étendue nationale (aussi déguisé soit-il) sera obligé d'attaquer la lutte des Nègres pour l'égalité. Mais la lutte pour l'égalité est la force conductrice principale du mouvement de masse nègre.

Le parti, tout en attaquent énergiquement les mouvements nationalistes, ne le fait pas de la même façon que s'il s'agis­sait d'un mouvement fasciste. Il les attaque sur la base d'un programme pour une lutte nègre comme cela a été indiqué préalablement. C'est l'absence d'un programme et d'une action complète pour les droits nègres et la lutte nègre mise en avant par les organisations ouvrières, c'est la présentation sectaire de la doctrine de lutte nègre comme une lutte de classe qui donne de la force aux nationalistes. La faillite des programmes « magiques » des natio­nalistes pour le salut dans toutes les parties du monde est si évidente que leur force principale, à Harlem par exemple, ne vient pas de leurs programmes, mais du rôle actif qu'ils ont joué dans les protes­tations et les manifestations pour améliorer le sort des Nègres ici en Amérique.

Le parti et la petite bourgeoisie nègre[modifier le wikicode]

Un examen économique de l'Amérique, démontrera combien fragiles sont les bases économiques de la petite bourgeoisie nègre. La petite bourgeoisie nègre est, dans sa majorité, un groupe pitoyablement disproportionné d'intellectuels, de per­sonnel domestique bien payé, d'artistes, etc. La société bour­geoise les a rigidement exclus, non seulement du contact social avec les blancs, mais également des positions et des occasions de prendre une part de la plus-value, et d'obtenir un niveau de distinction, qui lient tant de fonctionnaires petits-bourgeois blancs à la société bourgeoise. Ils peuvent faire du mal comme dans le Comité pour une Marche sur Washington, mais leur inca­pacité à retenir les masses nègres lorsque celles-ci veulent bouger, a été démontrée durant la dernière période. Une influence comme celle que la bourgeoisie nationaliste indienne, par exemple, a exercé sur les masses indiennes ne pourra jamais être exercée par la petite bourgeoisie nègre sur les Nègres. Le parti observe que l'instinct des masses nègres pour l'action directe n'a pas prêté attention à la N.A.A.C.P. ou à l'Urban League. Mais le parti garde l'œil ouvert pour entrer dans les nouvelles orga­nisations que les Nègres forment aujourd'hui à profusion, même si parfois ils le font pour des buts limités.

Le parti attaque sans cesse les dirigeants petits bourgeois nègres, mais s'attache à le faire, non pas sur des bases géné­rales, mais parce qu'ils ne mènent pas une lutte militante pour les droits démocratiques et trahissent la lutte à chaque occasion. Sa manière de les attaquer est voisine de celle qu'il emploie vis-à-vis de la direction de la social démocratie.

Les Nègres et le Labor Party[modifier le wikicode]

Le parti doit mener une agitation parmi les nègres, en fa­veur d'un Labor Party indépendant. Le fait que le peuple nègre a effectué cas dernières années un changement rapide dans son attitude vis-à-vis des organisations ouvrières est un signe du rôle spécial qu'il joue dans la société américaine et de sa conscience sociale mûrissante. Si les organisations ouvrières mettent en avant un programme d'action en vue de la forma­tion d'un Labor Party indépendant, l'histoire passée des Nè­gres et les indications actuelles montrent que le mouvement nègre sera fort en sa faveur et aura peut-être la force d'un ouragan. Selon toute probabilité, les Nègres joueront un rôle dans l'aile gauche de l'organisation. Mais ici aussi la situation des nègres en tant que minorité particulièrement opprimée doit être prise en considération. Un Labor Party indépendant aux États-Unis, comme dans beaucoup de pays européens, consistera certai­nement en une fédération de différents groupes, dont la base, la force conductrice et la direction seraient fournies par le mouvement syndical.

Le Labor Party indépendant ne tolérera aucune distinction de couleur dans ses rangs. Des organisations locales non syndicales de tous les types chercheront à s'y affilier. Les Nègres devraient être encouragés à se joindre à de telles organisations affiliées. Mais le parti doit faire une agitation vigoureuse parmi les organisations militantes nègres luttant pour les droits démocratiques des Nègres, non seulement pour qu'elles se joignent à l'agitation pour le Labor Party indépendant mais aussi pour qu'elles prennent une part active à sa forma­tion.

A l'étape présente de la crise capitaliste aux États-Unis, ce travail particulier du parti offre-des moyens exceptionnels pour la formation d'un pont entre la lutte indépendante des masses nègres et le problème général de la reconstruction de la société. Les organisations nègres devraient, elles-mêmes, être encou­ragées à formuler des revendications pour leurs propres droits démocratiques et le parti doit insister sur le fait que ni le parti démocrate ni le parti républicain ne sont le type d'or­ganisation capable de donner aux organisations nègres l'occa­sion ds se battre pour ces droits dans un cadre plus large. En même temps, même à la plus nationaliste des organisa­tions nègres, le parti doit poser la question de la formation d'un programme, non seulement pour les droits démocratiques nègres, mais pour le pays tout entier. Les organisations nègres ne doivent regarder ni vers l'impérialisme européen en Afrique, ni vers l'impérialisme japonais, mais vers des alliés en puis­sance dans ce pays, et apporter leur contribution à l'élaboration de ce type d'ordre social dans lequel les nègres trouveraient enfin l'égalité. Ceci doit être présenté de telle façon que les organisations nègres doivent se faire un devoir d'y parvenir. C'est par ce moyen que les nègres, sur la base de leurs pro­pres préoccupations nationalistes, sont amenés à considérer leurs propres problèmes, en relation avec le problème fonda­mental de l'ordre social dans son ensemble. Le parti saisira cette occasion de présenter son propre programme transitoire aux nègres et de le reconsidérer pour eux à la lumière de leur désir intense de solution non seulement immédiate, mais géné­rale à la dégradation dont ils ont souffert depuis tant de siècles. La composition prolétarienne du peuple nègre est telle, ce peuple est si hostile a l'ordre social existant, à cause de l'avi­lissement spécial auquel cet ordre le soumet, que l'organisation politique qui sait comment utiliser ses préoccupations, peut trouver les voies et les moyens pour mener à bien cette propagande pour le socialisme, qui doit toujours constituer l'apogée de l'effort révolutionnaire, particulièrement dans cette période. En partant de la base des luttes indépendantes pour les droits démocratiques et sans jamais cesser de leur prêter attention, le parti trouvera dans les contradictions croissantes de l'ordre social la possibilité d'unir à des niveaux toujours plus hauts de développement le mouvement objectif du prolétariat amé­ricainvers la direction de la nation et le mouvement des masses nègres vers le prolétariat américain.

Le chauvinisme nègre[modifier le wikicode]

L'histoire des Nègres aux États-Unis est l'histoire de leur conscience de race croissante, de leur désir croissant de dé­fendre leur passé de race nègre en tant que race. Ceci est l'inévitable résultat de leur position dans la société américaine, du développement de cette société elle-même, et ceci n'est pas seulement un processus puissant, mais encore habituel et fami­lier à toutes tes luttes de groupes nationalement opprimés. Ce phénomène n'est pas moindre en cas de développement social des groupes opprimés et oppresseurs. Au contraire, il s'accroît en fonction directe du développement du capitalisme et des possibilités de libération. Ceci fut reconnu par le Socialist Workers Party à son Congrès de 1939, lorsqu'il adopta une résolution commençant ainsi :

La conscience politique qui s'éveille chez les nègres n'est pas sans prendre tout naturellement la forme du désir d'une action incontrôlée par les blancs. Les nègres ont longtemps senti et sentent même encore aujourd'hui la nécessité de créer leurs propres organisations avec leurs propres dirigeants et affirmer ainsi, non seulement en théorie, mais dans la. pratique, leur désir d'avoir une égalité complète avec les autres citoyens américains. Un tel désir est légitime et même lorsqu'il prend la forme d'un chauvinisme assez agressif, il doit être bienvenu. Le chauvinisme noir en Amérique aujourd'hui est tout simple­ment l'excès naturel du désir d'égalité, alors que le chauvi­nisme américain blanc, expression de la domination raciale est essentiellement réactionnaire.

Ce développement est si clair qu'aujourd'hui même la bourgeoisie le reconnaît. Dans un An American Dilemma de Gurman Myrdal, malgré son attitude humanitariste petite-bourgeoise, il apparaît du moins que l'auteur a fait une étude sérieuse, complète, et qui à beaucoup d'égards fait autorité sur la question nègre. Une de ses conclusions est que « les Nègres commencent à former une nation consciente d'elle-même dans la nation » définissant chaque jour plus clairement ses griefs fondamentaux contre l'Amérique blanche ». Un tel mouvement avec de telles racines historiques doit inévitablement amener des exagérations, des excès, des courants idéologiques que l'on peut seulement qualifier de chauvinisme. Ce courant a indubi­tablement des dangers. Le marxisme a démontré théorique­ment et pratiquement que le seul moyen de le surmonter est de reconnaître la tendance fondamentalement progressive de ce courant et de distinguer nettement entre le chauvinisme des opprimés et le chauvinisme des oppresseurs. Le devoir du parti est non seulement de diriger les aspirations légitimes des masses nègres, mais également d'éduquer les organisations ouvrières dans leur ensemble vis-à-vis de la légitimité de leurs sentiments et de la contribution importante qu'ils peuvent apporter à la lutte pour le socialisme. En dépit des difficultés apparentes, une politique audacieuse et confiante de la part de notre parti a toutes les chances de succès. La raison en est simple. Tandis qu'en Europe, les mouvements nationalistes ont eu généralement pour but la séparation de leur oppresseur, aux États-Unis, la conscience de race et le chauvinisme des Nègres représentent fondamentalement une consolidation de leur force, dans le but de s'intégrer à la société américaine.

La question nègre en tant que question internationale[modifier le wikicode]

La question nègre, c'est-à-dire la question de l'esclavage aux États-Unis pendant le 19e siècle a excité l'intérêt et la sym­pathie agissante du prolétariat international. L'émancipation des esclaves nègres et la guerre civile sont indissolublement liées à la formation de la l'Internationale, La IIIe Internatio­nale reconnaissait cet aspect de la question nègre lorsque, dans sa Résolution sur la question nègre au IVe Congrès, non seule­ment elle réitéra le soutien du Comintern aux luttes révolutionnaires noires, mais elle créa une section spéciale justifiée par l'importance du rôle que les nègres des Etats-Unis pourraient jouer dans l'émancipation des nègres du monde entier et surtout en Afrique. Aujourd'hui le processus du développe­ment historique et de la désintégration capitaliste a élevé le problème nègre aux États-Unis à un degré plus élevé dans ses relations internationales. Ce n'est pas seulement chez les masses britanniques que la question nègre occupe une place de choix en tant que témoignage de la démocratie américaine, mais dans le monde entier et particulièrement dans les pays orientaux, la situation et la lutte du peuple nègre des États-Unis sont devenues un des critères grâce auxquels les natio­nalités opprimées pèsent les possibilités de leurs propres éman­cipation.

Les Nègres américains eux-mêmes reconnaissent que le rôle et le sort de l'Inde, de la Chine et de la Birmanie dans leurs luttes émancipatrices sont liés à leurs propres luttes. La presse nègre a voué plusieurs pages aux luttes des peuples orientaux et le « Courrier de Pittsburgh » a deux rubriques hebdomadaires régulières, l'une d'un Indien, l'autre d'un Chinois. Les organi­sations nègres, dans leur manifeste commun aux deux Congrès Républicain et Démocrate de 1944, ont fait de « l'égalité de la Chine avec toutes les nations alliées » une de leurs reven­dications essentielles. C'est le rôle de la IVe Internationale de développer et de clarifier ces efforts instinctifs des peuples vers l'internationalisme. Avec le plus grand sérieux, le parti doit reconnaître et exposer les racines historiques de ce déve­loppement et le diriger vers l'éducation et l'organisation du prolétariat international et de ses alliés actuels dans les luttes pour le socialisme mondial.

Programme d'action[modifier le wikicode]

I. Le premier point est l'éducation systématique du parti sur la question nègre. Dans la période dans laquelle nous entrons, la période des soulèvements mondiaux et des crises raciales en Amérique, les membres du parti doivent d'abord sur cette question difficile et compliquée avoir une claire orientation théorique. Dans la New International et dans les bulletins intérieurs, il doit y avoir une série d'études bien documentées sur les Nègres dans l'histoire des États-Unis De telles études n'existent pas aux États-Unis, sauf quelques débuts d'études par les staliniens. Il est impossible au parti de progresser un tant soit peu dans le travail nègre sans quelque préparation. Pour l'instant signalons quelques points qui mériteraient d'être immédiatement considérés :

  1. Les nègres dans la guerre civile. La guerre civile est l'axe théorique de l'analyse des États-Unis au même degré que la Révolution Française l'est pour l'Europe moderne. Et au centre de la guerre civile est la question de l'esclavage, c'est-à-dire la question nègre.
  2. Les nègres dans le mouvement ouvrier organisé, leur développement historique dans ce mouvement, et la relation de cette communauté nègre avec ces luttes.
  3. Les organisations nègres dans le passé récent et à l'heure actuelle, en particulier le mouvement de Garvey en tant que mouvement des masses nègres, le plus important que l'histoire américaine connaisse.
  4. Les nègres dans l'agriculture sudiste.
  5. Le développement social nègre et les luttes politiques en Afrique et en Amérique.
  6. L'expérience concrète du Workers Party dans le travail nègre. Ces études, pour la plupart, concernent tout d'abord des faits positifs, mais elles sont aussi sujettes à interprétation. Elles constituent pratiquement un terrain vierge, non seulement pour le parti, mais pour tous les marxistes des États-Unis. Elles sont donc et seront pendant longtemps des sujets de discussion. C'est au travers de la discussion de ces problèmes que le parti éduquera ses membres et leur donnera la possi­bilité de représenter le marxisme parmi les Nègres et dans les rangs des organisations ouvrières. C'est par ce moyen aussi que le parti sera capable d'influencer et de diriger l'intérêt toujours en éveil d'un peuple nationalement opprimé pour tout ce qui touche à l'oppression nationale, aussi impopulaires et éloignées du sens commun ordinaire que soient par ailleurs les idées générales d'un groupe révolutionnaire.

Comme prémices, il est nécessaire de publier les paroles et les observations de Trotski sur la question nègre.

II. Le Comité national doit, en accord avec la tradition au mouvement bolchevique, organiser un rayon spécial nègre s'occupant du travail général parmi les nègres. Ce travail ne doit en aucune façon être subordonné au travail parmi les Nègres dans les organisations ouvrières, travail qui appartient plus spécifiquement au rayon syndical. Le travail des deux rayons doit être coordonné. Le rayon nègre devra être responsable d'une rubrique spéciale dans le journal sur la question nègre, et devra inviter les sympathisants en dehors du parti, à participer à son travail théorique.

  1. Bulletin Intérieur du S.W.P., n° 9, juin 1939
  2. Comme dans les écrits de Trotski sur cette question, nous n'avons pas traduit l'expression « Labor Party » dont le sens est évidemment particulier et qui n'a pas de véritable équivalent en français. L'expression française qui s'en rapprocherait le plus serait « parti ouvrier ». (Note de la MIA, 2011)