La politique du PCR dans les campagnes

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D’importants débats ont lieu à la XIVe Conférence du Parti Communiste russe — Moscou, fin avril — sur la question paysanne et les nouvelles mesures de politique économique prises dans les campagnes. Les agences ont annoncé que des modifications seraient incessamment apportées à la Constitution soviétiste. Les passages suivants, extraits d’un discours de N. BOUKHARINE, prononcé à la séance du 28 avril, nous éclairerons sur leur caractère et leurs fins.

Comment et pourquoi nous laisserons le paysan s’enrichir...[modifier le wikicode]

Des camarades pensent que nous devons délier les mains au paysan même cossu, lui permettre de s’enrichir... Le fait est que nous devons développer la richesse des campagnes pour accroitre le revenu total de l’agriculture, intensifier les échanges, augmenter, par conséquent, les rentrées de l’industrie, augmenter les revenus de l’Etat du prolétariat. Les sommes dont dispose cet Etat doivent être, en ce qui concerne la politique rurale, employées en crédit aux agriculteurs et en premier lieu à soutenir les paysans pauvres et moyens, les coopérations et les communes agricoles.

Je crois que cette formule est assez juste : nous allons à une extension de la Nep dans les campagnes. Nous y allons parce que nous le pouvons, étant enfin maitres de positions dominantes dans ce domaine. Allons-nous miser sur le paysan riche, le koulak ? A mon avis, il faut répondre à cette question par la négative. Nous nous bornerons à développer dans les campagnes des relations économiques de nature capitaliste

Des camarades nous tiennent à peu près ce langage :

« Que parlez-vous de socialisme à la campagne ! Que vous le vouliez ou non, nous verrons se développer des relations capitalistes les plus ordinaires. »

C’est faux. C’est ne pas comprendre la portée de la dictature du prolétariat. Comme si nous n’avions pas notre Comité supérieur de l’Economie, notre système bancaire, notre crédit agricole, autant d’institutions prolétariennes ! Dans les pays bourgeois, après la révolution agraire, les relations capitalistes se sont vite développées. Chez nous la dictature du prolétariat apporte à l’évolution des amendements qui en modifient complètement le caractère.

Quand nous finançons les coopératives, nous travaillons pour le socialisme. Nous nous préparons en ce moment à encourager le cultivateur de condition moyenne et le cultivateur riche; mais nous prenons au même moment diverses mesures qui limitent les tendances à l’exploitation. Nous laisserons pourtant le paysan riche vivre et accumuler.

Pourquoi ? Pour obtenir de lui de quoi financer l’édification des coopératives, et d’abord de celles des paysans de condition moyenne. Il ne s’agit pas de « miser sur le paysan cossu », mais de lui délier les mains afin de mieux soutenir qui et quoi ? — Afin de mieux soutenir l’élément objectivement anticapitaliste des campagnes.

Sur quoi misons-nous, sur quoi comptons-nous dans les campagnes ? Sur le développement de l’économie socialiste ! Or, ce que disait Lénine dans une minute de brochure récemment publiée reste vrai : « Le paysan est économe et actif, le bon paysan moyen est le personnage principal de notre agriculture. » Comment lui venir en aide, sinon en intensifiant les échanges ?

Ce que sera la lutte des classes dans nos campagnes[modifier le wikicode]

Quelle proportion avons-nous de paysans riches ? Environ 3%, pas plus de 4%. Et l’on dit que les fermages à bail se généralisent chez nous ! C’est exagérer beaucoup quoiqu’il soit vrai que le fermage doive bientôt se développer...

[Ici se place la polémique de Boukharine avec I. Larine. Nous n’en citons que les passages présentant un intérêt général pour le lecteur étranger. N. D. L. R.]

Larine a parlé de la nécessité d’intensifier la lutte des classes dans les campagnes, notamment sous la forme innocente d’une plus grande activité des Soviets. Il va de soi que nous devons aux élections de Soviets soutenir avec plus de vigueur nos candidats, déployer plus d’énergie, etc. Mais nous voici loin tout de même de l’intensification de la lutter des classes vers une « deuxième révolution ».

Les relations capitalistes vont-elles se développer dans les campagnes ? Oui. Aurons-nous dans la coopération des éléments capitalistes ? Les s.-r. et les menchéviks vont-ils « naître » de cette situation ? Oui. Mais la coopération des paysans moyens — et non celle des riches — grandira-t-elle si nous la stimulons systématiquement ? Oui. Les coopératives de paysans pauvres que sont les communes agricoles grandiront-elles aussi ? Oui. Ainsi nous aurons la coopération des pauvres, celle des moyens, et probablement, en certains endroits, celle des riches. Cet ensemble de coopératives fera partie de notre système économique, se nouera à nos institutions de crédit, etc. Le koulak, le riche, sera un élément de capitalisme d’Etat, les coopérateurs pauvres et moyens représenteront la coopération socialiste prévue par Lénine. Le tableau sera bigarré. Quels aspects revêtira dans cette situation la lutte des classes ? S’accentuera-t-elle ? Sans doute, au début. Peut-on soutenir pour cela que notre politique bolchévique consiste à forcer la lutte des classes dans les campagnes ? Je ne le pense pas.

Je m’explique. Nous étudions en ce moment une loi sur le travail des journaliers agricoles, loi qui, au lieu de fixer leur journée normale à 8 h., leur laissera la latitude de travailler davantage. Est-ce une mesure de lutte de classe ? La question est complexe. On doit comprendre que chez nous la lutte des classes doit revêtir des formes souvent très différentes de celles qu’elle a dans les pays capitalistes, et que les formes spécifiques de notre lutte des classes nous devons les développer au détriment des anciennes.

Parce que le journalier agricole russe, même salarié par un paysan cossu, même exploité par le koulak, appartient à une classe gouvernante placée d’une certaine façon au-dessus des koulaks. Par notre législation ce salarié peut, de plusieurs façons très particulières, dicter à son patron sa volonté de classe. Nous avons nos contrats, notre législation, notre fisc, noire politique de crédits. Quelle sera notre lutte des classes ? Electorale, autour des Soviets, bien sûr. Et bien autre encore, grâce à des méthodes valables pour toute une période historique dont il convient de se souvenir.

Que faisons-nous quand nous faisons payer au paysan riche plus d’impôts qu’à tout autre et quand nous accordons des crédits au paysan moyen ? Nous faisons en un certain sens une politique de nivellement, nous tâchons de hausser le cultivateur pauvre à la hauteur du moyen et de soutenir le moyen vis-à-vis du riche auquel nous faisons payer davantage... C’est aussi une forme de la lutte des classes.

Des anciennes formes mécaniques et brutales de la lutte des classes, nous passons à d’autres qui ne sont possibles qu’en régime de dictature du prolétariat, voilà le trait particulier de notre politique et de notre actualité. Est-ce à dire que nous sommes prémunis contre les chocs et les conflits ? Nullement. Si par exemple et par malheur nous avions de nouveau la guerre, il pourrait nous arriver de devoir revenir aux « Comités de la pauvreté paysanne » (Kombed) et si le paysan riche s’insurgeait contre nous, de lui répondre par la terreur. Si les couches supérieures de la paysannerie s’affermissant se dressaient contre nous, nous nous servirions de toutes nos armes. Mais ce que nous voulons consciemment, ce qui est notre politique générale, c’est passer de ces formes primitives de la lutte des classes à d’autres, supérieures, et qui ne sont possibles que chez nous : à l’imposition fiscale des riches, au crédit des moyens, au développement technique (électrification, ceci dans un avenir plus éloigné), etc.