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Special pages :
La nouvelle CGT
Auteur·e(s) | Pierre Monatte |
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Écriture | janvier 1948 |
Il faudrait faire vite pour dresser la nouvelle CGT. Le temps presse. Non seulement la troisième tentative insurrectionnelle stalinienne, mais le danger de guerre, mais le danger de Gaulle. Malheureusement, deux conceptions semblent s'affronter.
D'après l'une, la nouvelle Confédération ne doit être rien d'autre que le morceau réformiste de la CGT qui vient de se détacher. La situation est la même qu'en 1922. On recommencera ce qu'on a fait alors et l'on espère réussir de même. Ce n'est pas sans intention que ces jours-ci Bothereau a parlé de la tradition du plan de 1918 et Jouhaux de la communauté française de 1940.
D'après l'autre conception, il s'agit de faire une maison nouvelle avec tous les matériaux disponibles, avec tous les courants syndicaux qui sentent le besoin de se rassembler et de se renforcer mutuellement. Une maison adaptée aux besoins présents, ceux de la lutte journalière comme ceux de la révolution qui vient sur nous. Ce n'est pas avec le jusqu'au-boutisme de 1918 ni avec le collaborationnisme de 1940 qu'il faut renouer, mais avec la véritable tradition syndicaliste française, celle de la CGT d'avant 1914.
Evidemment, c'est en vertu de la première conception que le groupe central de Force ouvrière s'est regardé comme le bureau et la commission administrative de la nouvelle CGT et qu'il y a mis son enseigne. Force ouvrière, cela sonne bien, ne discutons pas, disent quelques camarades. Cela ne sonne pas mal, en effet ; cependant, discutons tout de même. Le bureau de l'Union des cercles syndicalistes (l'UCES) a dit, à mon avis, ce qu'il fallait dire :
Il regrette la décision prise par le groupe central de Force ouvrière de se considérer comme la commission administrative de la centrale en construction, cette décision restreignant singulièrement les contours de la nouvelle organisation, en tendant à écarter des tâches responsables de la reconstruction syndicale ceux des syndicalistes qui ont les premiers engagé une lutte conséquente pour la liberté et la démocratie syndicale.
Depuis, le groupe central de Force ouvrière s'est adjoint trois militants des organisations autonomes. Trois sur une vingtaine, c'est peu. Surtout quand il n'y a personne de la Fédération syndicaliste des postiers ni des syndicats autonomes du métro.
Il paraît qu'on prévoit un sixième secrétaire confédéral, venu des autonomes. Lucot ou Lafond. C'est peu et marqué de trop de réserve.
Encore tout cela n'est-il rien à côté du fait qu'au bout d'un mois l'accord n'est toujours pas réalisé entre les deux Fédérations syndicalistes des postiers et des cheminots et les éléments de Force ouvrière. La Fédération des postiers, sans attendre, était allée frapper à la porte de Force ouvrière. " Attendez un peu, lui a-t-on dit : vous entrerez quand nous aurons mis sur pied notre propre fédération. Alors nous pourrons procéder à une fusion, dont nous vous dirons les conditions. "
On a dit à peu près la même chose à la Fédération syndicaliste des cheminots, et sur un ton qu'Ouradou et Clerc auraient pu teinter d'un peu plus de camaraderie.
Si le groupe central de Force ouvrière avait eu vraiment le souci de constituer vite deux solides Fédérations de postiers et de cheminots, ce n'est pas ainsi qu'il aurait procédé. Au lieu de prendre un mois et plus -- et quel mois ! -, il aurait, dès le premier jour, réuni les militants de la Fédération syndicaliste et ceux des groupes de FO sous la présidence d'un de ses gros bonnets et leur aurait dit : " Vous ne sortirez pas de cette réunion avant de vous être mis d'accord et d'avoir établi un bureau provisoire prêt à faire le grand rassemblement dans votre corporation. Deux fédérations en haut, deux syndicats à la base, c'est vouloir que les syndiqués ne sachent où adhérer. La pagaille dans une période pareille serait une faute impardonnable. "
Cette faute, on l'a commise de gaieté de cœur. Je suppose qu'on avait ses raisons à Force ouvrière. De fortes raisons sans doute. On tient à avoir sa CGT réformiste et non la CGT réformiste et révolutionnaire des syndiqués de tous les courants.
Je répéterai tant qu'il faudra qu'une CGT réformiste ne tiendra pas le coup devant les staliniens, encore moins devant les événements. Ce n'est pas une CGT réformiste, une CGT socialiste, une CGT gouvernementale, une CGT où domineront les fonctionnaires, qu'il faut construire. C'est une CGT lutte de classes, où réformistes et révolutionnaires pourront travailler sans se donner trop de crocs-en-jambe. Elle sera mise à l'épreuve avant trois mois.