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Special pages :
La grève des mineurs aux Etats-Unis
Auteur·e(s) | Alix Guillain |
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Écriture | juin 1922 |
On sait que depuis le 1er avril, près de 700 000 mineurs sont en grève aux Etats-Unis. C'est avec la grande grève de l'acier de 1910, la plus formidable mouvement ouvrier qui se soit jamais produit aux Etats-Unis. En effet, à une exception près — celle des mines du Kentucky, où quelques milliers de mineurs sont encore tenus par un contrat qui n'expirera que le mois prochain — tous les mineurs organisés des Etats-Unis ont cessé le travail. Et ce sont à la fois les exploitations d'anthracite et celles de charbon bitumineux qui sont paralysées. En d'autres termes, 80 % des mineurs de toute l'Amérique du Nord sont en bataille.
Les mineurs se trouvent devant une offensive du gros patronat, en l'espèce du Trust de l'acier, qui uni aux chemins de fer de l'Est des Etats-Unis, contrôle 95 % de la production minière. Une poignée de gros capitalistes (25 hommes en tout !) veut imposer sa volonté à près d'un million d'ouvriers et les réduire à des salaires de famine. Il ne s'agit rien moins que de réduire les salaires des ouvriers de 20 à 40 %. Or, au taux actuel, et alors que les statistiques ont établi qu'il faut à une famille un minimum de 1 600 dollars par an pour vivre (j'entends pour suffire aux besoins les plus élémentaire de l'existence), un mineur ne gagne, aux Etats-Unis, en moyenne, que 1 000 dollars par an !
Cela ne laisse aucun doute : les patrons ont voulu la grève. Depuis deux ans, ils sont en guerre ouverte avec les syndicats et déploient toute leur énergie à généraliser le système de l'open shop et à briser les organisations ouvrières.
Sous le couvert de patriotisme, les gros industriels ont conçu un plan baptisé du beau nom de « plan américain », qui, se prévalant d'idées « démocratiques », demande au nom de la liberté individuelle que les fabricants aient le droit d'embaucher et d'organiser les ouvriers non organisés et des jaunes dans leurs fabriques.
Au début du mois d'avril, le New-York Herald qui, certes, n'est pas suspect de sympathie pour les ouvriers, écrivait : « Les patrons ne regrettent pas que la grève ait éclaté. Au contraire, ils sont heureux de cette occasion de mesurer leurs forces à celle des ouvriers », et il ajoute que les patrons étaient décidés à ne céder en rien.
Il est caractéristique, d'ailleurs, de la mentalité de ces rois du charbon, qu'ils ont refusé catégoriquement d'entrer en pourparlers avec les délégués des United Mine Workers of America (Fédération des Mineurs d'Amérique).
Mais, et je crois avoir déjà expliqué le fait dans l'Humanité, les ouvriers ne résistent pas seulement aux patrons pour une question de salaires. Ils revendiquent leur droit au travail. Ils demandent qu'on leur assure un minimum de 30 heures de travail par semaine, ou, en d'autres termes, des semaines de cinq journées de travail, à raison de six heures par jour.
Les mines de charbon, en Amérique, sont en effet si mal administrées qu'on est obligé de les fermer un nombre considérable de jours par an. C'est ainsi qu'en 1920 les ouvriers furent obligés de chômer pendant quatre-vingt-quatre jours, et en 1921 pendant cent trente-huit jours ! En demandant des semaines de trente heures, les ouvriers ne s'assurent encore qu'un revenu de 1 400 dollars par an, ce qui est encore loin de leur procurer ce qu'il faut pour vivre décemment et ne pas être comme le dit Stolberg dans son article intitulé : « La tragédie du charbon » et paru dans la Nation du 22 mars : « harcelés par les dettes, la misère et la faim ».
C'est donc non seulement une question de salaires qui pousse les grévistes, c'est aussi une idée. Ils luttent pour le droit au travail. Et c'est précisément ce qui, là-bas, hélas ! comme, en Allemagne, comme en France, comme en Angleterre et en Italie, effraie les chefs syndicaux. En effet, Lewis, président de la Fédération des Mineurs, fait tout ce qu'il peut pour limiter les revendications des mineurs au domaine économique. Il essaye de leur montrer le danger qu'il y a à formuler, devant l'opinion publique, ce qu'il appelle un véritable programme socialiste. Mais les ouvriers ne se laissent pas faire. Guidés par un des leurs, le camarade Farrington, ils vont, de l'avant, et enfreignent les ordres du Comité exécutif de la grève. Ils prétendent avec raison, qu'en exigeant que les mines travaillent toute l'année, ils augmenteront la production et par conséquent travailleront pour le bien public, car l'augmentation de la production ne peut qu'entraîner la diminution du prix du charbon. Et ainsi est déjoué à l'avance l'argument fallacieux dont se servent les patrons, qui, par le moyen de la presse à leur solde, essayent de faire croire que c'est l'augmentation des salaires qui entraîne le renchérissement du charbon. On sait d'ailleurs, — les statistiques l'établissent, — que les patrons ont tout intérêt à diminuer le rendement des mines, car leurs bénéfices augmentent en proportion inverse du nombre de tonnes produit.
Devant une situation aussi paradoxale, une réorganisation de toute l'exploitation minière s'impose. C'est ce que les ouvriers ont tenté. Aussi sont-ils d'accord avec le Parti socialiste pour demander la nationalisation des mines. On sait qu'il s'est même trouvé un sénateur, le sénateur Borah, pour soutenir le point de vue des mineurs. Le sénateur Borah, pacifiste notoire, est certainement un honnête homme dans toute l'acception du mot, mais il ne nous en voudra pas si nous voyons ailleurs que dans le libéralisme démocratique et bourgeois les forces qui régénéreront le monde. Les faits que nous rapporte John Dorsey, dans son article du numéro du mois de mai du Labor Herald, intitulé : The Miners in Battle (les Mineurs en bataille), nous mettent bien plus d'espoir au cœur que les plus beaux, fussent même les plus courageux, discours au Sénat.
Nous apprenons en effet que toutes les organisations où travaillent encore des mineurs non organisés cessent l'une après l'autre le travail. Malgré les formidables forces de police que le gouvernement américain a placées aux abords de ces mines, Bill Feeney, l'un des organisateurs les plus doués de la grève, qui s'était déjà signalé pour son activité pendant la grande grève de l'acier, est arrivé à faire entrer dans la Fédération des Mineurs (U. M. W. A.) des dizaines de milliers de mineurs non organisés, par semaine.
Feeney est chargé d'organiser la grève dans le 5e district de la Fédération, qui se trouve en Pennsylvanie occidentale. Six semaines déjà avant la grève, il avait envoyé des camarades de la Fédération, sur le dévouement duquel il pouvait compter, dans la région de Connellsville, région de l'industrie du coke, où les ouvriers s'étaient jusqu'ici obstinément refusés à se syndiquer. Les compagnies, qui prévoyaient la grève et une grande augmentation de travail pour elles, embauchaient des quantités d'ouvriers. Elles crurent pouvoir engager sans danger des hommes qui « désertaient » aussi leur syndicat. Mais elles eurent affaire à des organisateurs expérimentés qui surent travailler dans le district. Et la grève avait à peine éclaté que des milliers d'ouvriers les quittaient pour rejoindre la Fédération
Cet exode des ouvriers non organisés a d'autant plus d'importance que la Pennsylvanie occidentale est aussi le centre des grandes aciéries, qui se trouvent par là dépourvues de leur source directe de charbon et sont obligées de fermer l'une après l'autre.
Peu à peu, tout le 5e district fut gagné, et l'on y compte aujourd'hui à peu près 35 000 nouvelles recrues pour la grève. Tous les jours, de nouvelles organisations locales se créent. On put même compter qu'en une journée, huit organisations furent fondées, dans le même hall où les ouvriers venaient par milliers pour élire leurs officiers et jurer le serment de fidélité. Michael Gold, dans le Liberator du mois de mai, décrit avec une belle émotion l'impression poignante qui se dégage de ces réunions, où des masses énormes d'ouvriers, dans leur belle tenue de travailleurs, lèvent la main d'un même mouvement et jurent d'une voix grave de ne « jamais déserter leur union, de ne jamais trahir leurs frères ». L'un de ces hommes raconta à Michael Gold qu'il avait déjà chômé 14 mois, mais qu'il faisait la grève tout de même, bien qu'il eût dix enfants ! « Nous avons vécu toute l'année sous une tente, disait ce brave. C'est pour la vieille surtout que c'est dur ; mais elle ne dit rien : elle est habituée à lutter avec moi. Dieu merci, aucun de mes enfants n'était assez âgé pour faire la guerre. Je les aurais fouettés jusqu'au sang s'ils avaient voulu partir. Il y a bien assez à faire ici, je vous assure. Je me suis battu un jour avec un flic : cela m'a valu quatre semaines d'hôpital ; lui, dieu merci, il en a eu neuf ! Un jour, J'ai vu un peloton de gendarmes à cheval renverser un groupe d'enfants de mineurs. J'ai vu ces petits saigner, je les ai entendus crier ! Je vous le dis, moi, y a assez à faire ici ! »
Et ce n'est pas seulement la Virginie occidentale, ce sont à peu près tous les districts où travaillent encore des mineurs non organisés qui sont gagnés à la cause. Partout, dans la Pennsylvanie centrale, dans la Virginie occidentale, se multiplient les meetings qui enrôlent de nouveaux grévistes.
Devant la formidable extension prise par la grève, devant la fermeté de ces hommes qui sont décidés à tenir tête aux patrons, pendant des mois s'il le faut, on comprend de mieux en mieux la grande puissance qu'il y a dans ces masses devenues conscientes d'elles-mêmes. Si une grève comme celle-ci n'arrive pas à ses fins et que l'armée du président Harding, munie de tous les instruments les plus raffinés, tels que gaz asphyxiants, tanks, etc., ait raison des mineurs avant que la grande industrie ne soit obligée de capituler faute de combustibles, elle n'en aura pas moins été une menace formidable pour l'ordre capitaliste. L'échec d'une expérience faite sur une si grande échelle prouverait alors aux prolétaires qu'il ne leur reste plus qu'à tirer la conclusion qui s'impose : lever une formidable Armée Rouge, organisée et disciplinée, qui soit à même d'écraser l'Armée des Blancs.