La deuxième série d'exposés sur l'économie politique

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Nous voudrions d'abord établir clairement ce qu'est l'éconornie politique. La réponse à cette question n'est pas aussi évidente qu'on pourrait le croire. Les représentants officiels de l'économie politique, les professeurs bourgeois, sont les moins clairs sur cette question. La question de savoir ce qu'est l'économie politique constitue déjà un énorme point de désaccord entre les marxistes et les économistes bourgeois. Qu”entend-on par économie politique du point de vue marxiste à la différence du point de vue bourgeois ? Parmi les économistes règnent déjà les avis les plus divers quand il s”agit de déterminer de quand date la science de l'économie politique. Le français Adolphe Blanqui écrivait en 1837 que l'antiquité grecque et romaine connaissait déjà l'économie politique. Eugen Dühring repousse le début de la science de l'économie politique à la seconde moitié du XVIII-ème siècle. Lassalle écrivait en 1864 que l'économie politique n'en est qu'à ses débuts comme science établie. Karl Marx désigne son Capital, dont le premier livre paraît en 1867, comme une critique de l'économie politique. Il considérait donc l'économie politique comme quelque chose d'achevé, qu'il critiquait à ce moment-là.

La désignation "Nationalökonomie" [économie nationale] » - en allemand, "Volkswirtschaftslehre [théorie de l'économie d'un peuple] » -- est source d'erreur, car aucun peuple, aucune nation. en soi, ne conduit une économie indépendante, mais en réalité tous les peuples participent ensemble à une économie commune. Les économistes bourgeois acceptent habituellement que le terrain éternel de la vie économique soit le peuple, la nation ; pour l'essentiel, les besoins seraient satisfaits par l'économie même de chaque peuple et seul l'excédent des produits serait remis aux autres peuples. Cette vision n'est pourtant pas exacte. Quelle grande importance revêt l'échange de marchandises dans la vie économique d'un peuple, c' est ce qu`on peut montrer entre autres avec l'industrie du coton. Commencée au XVIII-ème siècle en Angleterre, elle a bientôt rangé le tissage à la main parmi les métiers en voie d'extinction. Les plantations des États du Sud des États-Unis livraient la matière première pour l'industrie du coton en Angleterre. Des esclaves noirs importés d'Afrique étaient utilisés pour le travail pénible dans les plantations. Le commerce des esclaves s'est par la suite si fortement développé que jusqu'à l'année 1864, quatre millions d'esclaves noirs furent introduits en Amérique. Une conséquence du travail esclavagiste fut la guerre civile entre les États du Nord et du Sud des États-Unis. La guerre entraîna une Forte diminution de l'exportation de coton. Avec pour conséquence une crise importante de l'industrie cotonnière anglaise, des licenciements massifs d'ouvriers, détresse et misère. La baisse de l'exportation du coton d'Amérique vers l'Angleterre eut alors pour autre conséquence que les Anglais aménagèrent de grandes plantations de coton en Inde. De ce fait, la surface cultivable pour le riz s'en trouva considérablement diminuée, la culture du riz en grande partie abandonnée, et la population indienne se retrouva privée de son alimentation de base ; cela entraîna la hausse du coût de la vie et la famine en Inde, à tel point qu'un million d'Indiens moururent de faim en 1866. Les pays qui s'étaient habitués à la consommation de biens en coton qu'ils recevaient d'Angleterre en vinrent peu à peu à la fabrication de produits manufacturés à base de coton, qui firent même concurrence aux marchandises anglaises en Inde. Nous voyons, avec cet exemple, qu'il n'existe plus l'économie d'un peuple mais que règne une économie mondiale. Cest pourquoi Karl Marx n`utilise jamais l'expression "économie nationale" mais parle toujours d'économie politique. Ce qui est désigné par économie politique n'est pas la « théorie de "l'économie d'un peuple" mais bien la "théorie de l'éconmie du monde".

Pourquoi devrions-nous étudier l'économie politique comme science particulière ? Tant que les rapports économiques étaient encore évidents et que les relations économiques entre les hommes se réglaient sans difficulté, ces relations n`avaient aucun besoin d'études scientifiques. ll en est devenu autrement avec la naissance de l'économie de type capitaliste. Comme effet secondaire de ce type d'économie apparaissent des crises. Le chômage est également un phénomène permanent de la société actuelle. De même, la perpétuelle et quotidienne oscillation des prix qui, en un rien de temps, sans bouger le petit doigt, fait de l'un un millionnaire, de l'autre un mendiant. Ces phénomènes ne sont pas tombés du ciel, ils ne sont pas immuables. Ils se sont produits au travers d'institutions humaines. Ce sont des oeuvres des hommes, et pourtant la société bourgeoise se tient tout à fait perplexe face à eux, comme s'il s'agissait d'invincibles forces élémentaires. Nous nous trouvons ici devant les conséquences d`un type d'économie anarchique qui a pris le dessus sur la société actuelle. C'est la raison pour laquelle nous devons analyser scientifiquement les rapports de la vie économique. La science doit nous donner la clé de la compréhension des phénomènes de la vie économique. ll est clair qu”une scienoe, dont le but est de donner des explications sur les phénomènes de l`éoonomie capitaliste, ne peut être plus ancienne que oelle-ci, et qu'elle ne peut non plus durer plus longtemps que le capitalisme. La science de l'économie politique ne nous éclaire pas seulement sur les phénomènes de l'économie capitaliste, elle nous dévoile aussi les tendances qui conditionnent le déclin de l'économie capilaliste. D'après cela, on comprend que l'economie politique est une science de classe. Une telle science ne peut guère trouver d'auditoire parmi la classe dominante.

Certains se demanderont ce qu'a å faire la science avec la lutte de classes. ll y a aussi dans nos rangs des gens qui nient le rapport entre la science et la lutte de classes. Ceux-là n'ont pas idée de la teneur de l'économie politique, pas plus que de la teneur des autres sciences. La science de la nature moderne contraste aussi furieusement avec les conceptions catholiques, féodales ou absolutistes, et c'est pourquoi elle a été un moyen cle lutte de la bourgeoisie en plein essor contre le monde catholique-féodal-absolutiste.

Là où les économistes politiques bourgeois se sont arrêtés, Marx a poursuivi. Sa théorie est par conséquent fille de la société bourgeoise, mais celle-ci ne veut pas reconnaître son enfant. C°est pourquoi Marx s'est tourné avec sa théorie vers le prolétariat, et il y a trouvé la compréhension, inaccessible aux savants de la société bourgeoise, du fait de leurs intérêts de classe. Les précurseurs du socialisme actuel, les utopistes, se sont répandus en critiques acérées sur le capitalisme, mais ils ont cru qu'ïls pourraient passer au socialisme s'ils montraient un idéal socialiste aux hommes et les invitaient à le réaliser. Il manquait néanmoins le pont pour que l'humanité puisseatteindre cet idéal. Pour cette raison, les paroles des utopistes sont restées sans écho. Puis Marx est venu et a montré que le socialisme n'est pas uniquement un bel idéal mais aussi la conséquence nécessaire de l'économie capitaliste, et que nous devons donc parvenir au socialisme, dont le chemin, en plus d°être tracé par le développement économique, l'est aussi par le développement politique. Marx a assis notre idéal, le but final socialiste, sur une base scientifique. Mais il nous a également donné un panneau indicateur, qui nous guide à chaque pas dans les conditions présentes du combat politique et économique. L'étude de l'économie politique n'est donc pas seulement nécessaire en tant que fondement de notre idéal futur mais aussi en tant que connaissance des situations présentes. L'économie politique est la science de toutes les sciences ; elle prépare le terrain sur lequel nous marcherons dans l'avenir.