La crise de l'Internationale

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Le Congrès qui se réunit actuellement siège après un intervalle de plus de quatre ans, marqués par des événements internationaux de la plus grande importance et par de cruelles erreurs de direction. L'Opposition, constituée par les bolcheviks léninistes, et dont fait partie le soussigné, a maintes fois émis son appréciation sur ces événements et sur ces erreurs, dans une série de documents, d'articles et de discours. Le cours des événements a déjà justifié, et il justifie de plus en plus le point de vue de l'Opposition dans toutes ses considérations fondamentales et essentielles (son jugement sur la défaite de 1923 en Allemagne, ainsi que sur les prévisions du développement futur de la stabilisation ; son appréciation de l'ère démocratique pacifiste et de l'évolution du fascisme et de la social démocratie ; les rapports entre l'Amérique et l'Europe ; le mot d'ordre des Etats Unis soviétiques d'Europe ; les problèmes stratégiques de la Révolution chinoise et du Comité anglo russe ; les questions relatives au développement économique de l'URSS ; celle de la construction du socialisme dans un seul pays, etc.). Il n'est pas possible, ni d'ailleurs nécessaire, en restant dans les limites fixées à cette déclaration, de revenir sur ces questions que nous avons déjà suffisamment mises en lumière. Il suffira de répéter que toutes les erreurs de principe de la direction sont la conséquence du glissement causé par l'abandon de la ligne de conduite marxiste, bolchévique, vers une ligne centriste, qui, jusqu’à ces derniers temps, a dévié de plus en plus à droite. La fausse orientation poursuivie avec acharnement au cours de plusieurs années, est, depuis 1923, indissolublement liée à la dégénérescence du régime intérieur des Partis, régime de fonctionnarisme bureaucratique qui sévit dans l'Internationale Commu­niste et dans toute une série de ses sections, plus particulièrement dans le PC de l'URSS. La bureaucratisation a atteint, au cours de cette période, des proportions absolument inouïes; elle se présente sous des formes menaçant les fondements mêmes du Parti du prolétariat international. L'esprit bureaucratique et l'arbitraire de l'appareil du Parti se manifestent de la façon la plus patente, la plus incontestable, dans le fait que la Direction, appelée à régir les plus grands événements se déroulant dans le monde entier, a évité, pendant plus de quatre ans, de convoquer le Congrès de l'IC ; en même temps, le CE, élu au V° Congrès, a subi un complet remaniement intérieur, entrepris en dehors de tout congrès, dans le but d'éliminer le, noyau directeur désigné au cours du V° Congrès. Les conséquences de cette ligne de conduite erronée, ainsi que les pénibles défaites qu'elle a occasionnées, sont les suivantes : retard dans la croissance de l'IC et dans l'extension de son influence, affaiblissement de la position de l'URSS au point de vue international, ralentissement de l'allure de l'évolution économique et de la construction du socialisme dans le premier État ouvrier.

La tendance des masses à s'orienter vers la gauche, qui commence à se dessiner en Europe, traverse à présent sa première étape et pose devant l'IC des problèmes de la plus haute importance, exigeant un changement radical d'orientation et un nouveau regroupement des forces à l‘intérieur. D'ailleurs, de son côté, la situation politique, et économique de la République des Soviets renforce avec la même acuité ces exigences. Le VI° Congrès se réunit au moment où sous la pression des événements, la brisure de la ligne de conduite suivie par la Direction se manifeste déjà ; la poussée vers la gauche est ébauchée tant dans une série de résolutions et de mesures pratiques adoptées par le Comité Central du PC de l'URSS, que dans certaines décisions du Plenum du CE de l’IC siégeant en Février. Cette poussée incohérente vers la gauche s'est partiellement reflétée dans le projet de programme présenté au VI° Congrès ; c'est précisément pour cela que ce document présente un caractère éclectique; il ne peut en aucune mesure, ni à aucun degré, servir de directive à l'avant garde prolétarienne internationale. Le soussigné a tenté de présenter dans deux vastes études, écrites à l'occasion du VI° Congrès, une appré­ciation du projet de programme, examiné à la lumière des modifications qui se sont produites dans la situation politique internationale (plus parti­culièrement au cours des cinq dernières années), ainsi qu’un jugement sur le dernier changement, d'attitude du Comité Central du PC de l'URSS, sur le dernier Plenum de CE de l'IC, en rapport avec la situation en URSS et dans l'Internationale Communiste. L'un de ces travaux est déjà expédié, l'autre sera adressé an VI° Congrès en même temps que la présente déclaration. Le but de celle ci est de poser devant l'instance suprême de l'Internatio­nale Communiste la question de la réadmission dans le Parti des bolcheviks léninistes (Opposition), en se basant sur un exposé clair et précis de leurs convictions par rapport à la situation actuelle et aux tâches incombant à l'IC.

L'isolement auquel sont réduits les partisans « Plate forme des bolcheviks léninistes (Opposition) », éloignés de la capitale et séparés entre eux par des centaines et des milliers de kilomètres (déportés en Sibérie, en Asie Centrale, etc.), les empêche totalement d'élaborer en commun une déclaration collective. Les lettres adressées aux oppositionnels exilés (aussi bien que les envois recommandés) n'arrivent qu'exceptionnellement : une lettre parvient sur trois ou quatre, et cela après des interruptions d'un, deux ou trois mois ; en face de cette situation, la présente déclaration ne peut forcément porter que mon seul nom. Il est très probable, il est même certain que si ce document avait été soumis à une discussion collective, des modifications essentielles y eussent été, apportées. Pourtant, la correspondance que j'entretiens actuellement avec ceux qui se sentent en affinité d'idées avec moi, si restreinte et si étouffée qu'elle soit, me permet d'affirmer avec une certitude parfaite que, dans ce qu'elle a d'essentiel, cette lettre exprime l'opinion, sinon de la totalité, tout au moins de l'écrasante majorité, des partisans de la plate forme de l'Opposition, et avant tout celle de plusieurs centaines de déportés.

Il est impossible de concevoir une politique juste à l'intérieur de l'URSS sans politique juste de l'IC. Aussi, la question de la ligne de conduite à adopter par l’IC, c'est à dire le choix stratégique de la voie à suivre par la Révolution internationale, domine à nos yeux toutes les autres questions. Mais l'histoire a voulu que la clef de la politique de l'IC soit formée par celle du PC de l'URSS. Il est inutile de parler ici des conditions et des causes qui ont réservé de plein droit à ce Parti le rôle de Parti leader dans l’IC. Ce n'est que grâce à la direction exercée par le PC de l'URSS, que l'IC a acquis, au cours des premières années de son existence, des conquêtes réellement formidables. Mais la politique d'erreurs pratiquée ensuite par les dirigeants du PC de l'URSS, ainsi bureaucratisation du régime intérieur de celui-ci firent que l'influence féconde, exercée par bolchevisme sur l'IC, au point de vue doctrinal politique, s'est vue de plus en plus remplacée éliminée par des « combinaisons », œuvres de fonctionnaires et d'administrateurs. Ceci explique aussi bien l'absence de Congrès pendant quatre ans, que le vote, au dernier Plenum du CE de l'IC, d’une résolution affirmant que « l'Opposition du PC de l’URSS table sur le renversement du pouvoir des Soviets » ; cette affirmation ne discrédite que ceux qui l'ont inspirée au CE et ceux qui l'ont votée; elle ne parvient d'aucune façon à entâcher la valeur révolutionnaire des bolcheviks léninistes (Opposition). La tâche présente est de sauvegarder, on plus exactement, de faire renaître l'influence décisive des idées et de la politique bolcheviques sur les jeunes Partis de l'Internationale Communiste, en les libérant en même temps des commandements des bureaucrates. Cette tâche est indissolublement confondue avec celle des modifications à apporter à l'orientation et au régime intérieur du PC de l’URSS lui même. Nous basant ainsi sur des vues d'avenir internationales, et sur les intérêts essentiels de l'Internationale Communiste, nous concentrons dans la présente déclaration notre attention sur la crise du PC de l'URSS, sur les groupements qui existent au sein de celui ci, et sur les circonstances qui en sont la conséquence, telles qu'elles se présentent, selon nous, devant l'Opposition.

Seul un esprit superficiel manquerait de voir les immenses difficultés objectives qui se dressent, et qui se dresseraient d'ailleurs contre toute direction du PC de l'URSS dans la situation présente. Avant tout, ces difficultés sont dues à des causes fondamentales telles que le caractère petit bourgeois du pays et l'encerclement capitaliste. Les erreurs commises par la direction pendant cinq ans, signifient, en outre, . . . (ici un blanc dans le document NDLR).

Le fait de blâmer les fautes ne détruit pas leur conséquences, qui deviennent à leur tour une condition objective. Toute direction serait obligée de prendre comme point de départ, la situation objective difficile, compliquée au dernier point, par une accumulation obstinée d'erreurs. Cela signifie qu'il n'existe pas de solution simple et rapide. On peut même admettre jusqu'à un certain point qu'une solution allant résolument vers la droite, en élargissant les limites de la NEP et en restreignant celles du monopole du commerce extérieur, donnerait de résultats plus rapides et plus directs qu'une orientation vers la gauche. Seulement, ces résultats conduiraient vers une toute autre voie. Une forte importation des marchandises et des capitaux étrangers, faisant suite à l'abolition ou à la limitation du monopole, la baisse des prix des produits indus­triels, l'extension de l'exportation, etc., tout cela entraînerait, dans la période suivant immédiatement après, une atténuation de la disproportion, une réduction de l'écart des « ciseaux ». une certaine régularisation du marché, l'enrichissement du village, c'est à dire des éléments riches de celui ci, et même une certaine diminution du chômage. Mais ce seraient là des succès obtenus en suivant la voie du capitalisme qui, après quelques brèves étapes, inté­grerait l'URSS dans la chaîne impérialiste. « La Russie N° 2 » se trouverait être à nouveau le chaînon le plus faible de celle ci ; il en résulterait pour elle une vie de semi colonie. Pourtant, avant que la voie à droite n'apparaisse comme étant celle du capi­talisme arriéré et esclavagiste, de l'exploitation odieuse des travailleurs, de nouvelles guerres au service des maîtres de l'impérialisme mondial, les résultats immédiats de la politique de droite pour­raient aux yeux de masses considérables de la popu­lation des campagnes et même des villes, être accep­tés comme une issue de l'impasse dans laquelle se trouve actuellement, l'économie, en face du manque de marchandises, des queues aux portes des boulan­geries, et du chômage croissant. C'est précisément en cela que réside, au point de vue politique, le danger d'orientation à droite : après la pénible expérience de la politique centriste, elle pourrait donner des résultats trompeurs et attrayants, après avoir accompli la première étape de la route menant directement à l'abîme du capitalisme. Il n'existe pas, il ne peut exister de recette de gauche simple permettant de triompher d'un seul coup des difficultés se dressant sur la voie du socialisme. En général, dans les limites d'une seule nation, il est impossible de vaincre entièrement les difficultés provenant du retard de la révolution mondiale. Cela doit être dit clairement, fermement, honnêtement, en marxiste, en léniniste.

Pourtant, il est aussi peu logique de tirer des déductions pessimistes pour l'URSS en se basant sur l'indéfectible dépendance liant la construction du socialisme à la Révolution internationale, que d'arriver à des conclusions du même genre pour la Révolution allemande, parce qu'elle dépend directement des succès de la dictature en URSS. L'idée même, que le pessimisme découle logiquement du fait que notre édification socialiste est fonction des rapports internationaux, est une honte pour un marxiste.

Mais, bien que le sort de la révolution soit fonction de son caractère international, il n'en résulte nullement que le parti de chaque pays soit débarrassé du devoir de faire dans tous les sens le maximum d'efforts. Au contraire, cette obligation ne fait que grandir : en effet, les fautes économiques commises à l'intérieur de l'URSS, non seulement retardent la construction du socialisme dans notre pays, mais frappent de la façon la plus directe la Révolution mondiale. Si, en temps voulu, c'est à dire dès le XII° Congrès[1], l'on s'était assigné comme but de vaincre la disproportion existant dans le domaine économique par une politique juste de répartition des revenus nationaux et par une industrialisation intense, notre position serait maintenant bien plus avantageuse. Certes, même dans ce cas, des difficultés essentielles se dresseraient encore devant nous. Mais dans la lutte mondiale que nous menons. ce sont l'allure et les délais qui importent. Si le développement économique avait une allure plus rapide, si par conséquent les rapports entre les forces des classes à l'intérieur du pays nous étaient, plus favorables, nous pourrions marcher avec infiniment plus d'assurance vers les victoires du prolétariat dans les pays plus avancés. Le cours de gauche n'implique pas en soi la construction par nos propres forces du socialisme tout entier. Il ne peut même pas impliquer le triomphe complet des contradictions existant à l'intérieur du pays, aussi longtemps qu'il en subsiste dans l'ensemble du monde ; mais il peut établir graduellement un règlement plus juste des contrastes internes de classe, plus juste au point de vue du socialisme en construction: en hâtant l'allure de la croissance, grâce à une politique plus juste de la répartition du revenu national, en arrivant à un renforcement plus sérieux et plus systématique des positions dominantes occupées par le prolétariat, en renforçant au point de vue politique une ligne de conduite de classe plus claire et plus ferme, en établissant des liens plus profonds avec l'œuvre de l’IC, en assurant enfin la prévoyance et la direction marxiste dans les problèmes fondamentaux de la Révolution prolétarienne mondiale. L'ensemble de tout cela constitue précisément tout ce qu'il faut, pour vaincre au point de vue international. Le cours de gauche présuppose un plan économique réparti sur plusieurs années, plan profondément médité, plan audacieux, de grande envergure, qui n'oscillerait pas de côté et d'autre sous les coups des manœuvres dues aux changements de conjoncture, manœuvres absolument nécessaires, mais qui ne doivent pas avoir une importance décisive. Le cours de gauche présuppose aussi l'existence d'une direction extrêmement cohérente, capable de remonter le courant, de sauvegarder, dans sa stratégie la ligne de conduite générale, et de la maintenir à travers toutes les sinuosités imposées par la tactique. Or, cela exige de l'optimisme réel en présence des questions de la Révolution prolétarienne internationale, et sur cette assise inébranlable, une foi profonde dans la possibilité de construire avec succès le socialisme dans notre pays. Des circulaires ne peuvent amener qu'un zigzag vers la gauche. Mais il est impossible d'appliquer le cours de gauche à coups de circulaires. Pour réaliser ce cours prolétarien, léniniste, notre Parti, depuis la base jusqu'au faîte, a besoin d'une orientation nouvelle, d'un nouveau regroupement de ses forces. C'est un processus qui doit se développer sérieusement et longuement. Il faut rendre au Parti sa pensée collective libre, sa volonté élastique. Il faut que le Parti cesse d'avoir peur de ses cadres. Il faut que les cadres ne puissent pas et n'osent pas terroriser le Parti. Il faut que le Parti redevienne le Parti. Une politique de droite est possible, entraînant des « victoires » évidentes et relativement rapides... pour le capitalisme. Une politique de gauche est également possible en tant que politique de dictature du prolétariat, de construction du socialisme et de Révolution internationale. Mais ce qui ne peut pas exister en tant que politique durable et victorieuse (et d'autant plus en tant que politique bolchévique), c'est un soi disant « cours de gauche », pratiquant des méthodes de « combinaisons » centristes, étranglant le Parti, et continuant à démolir son aile gauche. A moins que le Parti n'impose sa transformation en cours de gauche, un zigzag du centrisme « gauche » de ce genre fera inévitablement faillite ; cela se produira d'ailleurs bien avant qu'il n'ait pu amener des résultats pratiques de quelque importance. A ce moment, la droite pourra avoir tous les atouts dans son jeu, elle se renforcera immédiatement au détriment du centre actuel, se choisissant peut-être même des chefs dans les rangs de celui ci.

Ceux qui ne pensent que le revirement à gauche exécuté par l'appareil du Parti réduit à néant le péril de droite se trompent radicalement. Jamais, au contraire, ce danger ne fut plus grand, plus menaçant, plus imminent qu'aujourd'hui. La position la plus dangereuse d'une voiture montant une côte très rude est celle où les roues de devant ont déjà franchi le sommet, tandis que l'arrière train, le lourd fardeau et les voyageurs sont encore de l'autre côté de la pente. C'est précisément alors que le maximum d'efforts des chevaux et du conducteur est nécessaire ; c’est alors surtout qu'il faut que les voyageurs eux mêmes poussent aux roues.

Mais malheur à eux s'ils somnolent, ou s'ils hésitent en se serrant les uns contre les autres, tandis que le cocher, se retournant vers l'arrière brandit, en guise de fouet, l'article 58 du Code pénal[2] pour chasser ceux qui, manches retroussées, empoignent les rayons, poussent le véhicule et le soutiennent de leur dos par derrière. C'est justement à ce moment que la voiture peut se précipiter de tout son poids en arrière et rouler sur la pente abrupte. Jamais le péril de droite ne fut aussi grand, aussi menaçant, aussi imminent qu'à présent.

A l'heure actuelle, quelle est la signification de ce péril de droite ? C'est moins le danger d'une contre-révolution bourgeoise complète et agissant ouvertement, que celui d'un Thermidor, c'est à dire d'un coup d'Etat ou d'une poussée contre révolutionnaire partielle, qui, précisément parce qu'elle est inachevée, peut encore assez longtemps se dissimuler sous des formes révolutionnaires, tout en revêtant déjà au fond un caractère nettement bourgeois.

Dans ce cas, le retour de Thermidor à la dictature du prolétariat ne pourrait s'effectuer qu'à travers une nouvelle révolution. Nous avons affirmé à plus d'une reprise (notamment au Plenum du Comité Central en février 1927) que la direction centriste, en pourchassant la gauche, entraîne inévitablement à sa remorque une longue queue de suiveurs venant de la droite du Parti, sortant même des limites de celui ci, et se terminant par des thermidoriens conscients et combatifs. Nous avons prédit que cette queue pesante finirait inéluctablement par pousser la tête, et que ce choc pourrait être le point de départ d'un regroupement profond au sein du Parti, c'est à­-dire de l'affirmation de plus en plus insolente de l'aile droite, d'un déplacement vers la gauche plus brutal et plus audacieux du noyau prolétarien du Parti et d'une agitation convulsive de la fraction centriste de l'appareil perdant peu à peu ses forces. L'insurrection des koulaks en 1927 28 qui se produisit sans effusion de sang et qui eut l'appui de membres du Parti désirant vivre en paix avec toutes les classes, constitue précisément l'un de ces remous où la queue pousse la tête. La Pravda elle même a reconnu maintenant officiellement (dans un article de fond paru le 15 février 1928) qu'il existait dans notre Parti une aile thermidorienne on semi therrmidorienne influente ; en effet, quels autres thermidoriens peut il y avoir dans un parti prolétarien, que ceux qui sont prêts à tout instant à démolir l'Opposition, et qui veulent vivre en paix avec le koulak entraînant avec lui le paysan moyen contre le pouvoir des Soviets ? Nous ne voulons pas dire par là que tons ceux qui appliquent cette poli­tique veulent consciemment en venir à un thermidor. Non, les thermidoriens et à plus forte raison les semi thermidoriens, n'ont en général jamais brillé par une perspicacité historique profonde ; c'est seule­ment cela qui permet à un grand nombre d'entre eux de remplir leur rôle de défenseurs d'une autre classe. Ainsi, le choc de la queue poussant la tête s'est produit, choc sérieux, mais n'ayant cependant, jusqu'à présent que la valeur d'un signal et d'un avertissement. Des regroupements commencent à se former dans le Parti, quoique encore très imprécis et très insuffisants. Une des formes par lesquelles ce processus se manifeste est la transformation de la manœuvre gauchiste exécutée dans les sphères supé­rieures, et qui grandit jusqu'à devenir un zigzag sérieux vers la gauche. Ainsi les deux roues de devant du Parti peut être même seulement l'une d'entre elles semblent déjà avoir atteint le sommet de la côte, mais le chariot tout entier, si pesamment chargé, est encore en pleine montée et cette montée peut devenir pour lui une descente terrible.

Dans ces circonstances si critiques, quel est actuellement le devoir de l'Opposition envers le Parti ? Nous parlons évidemment ici de la vraie Opposition léniniste, et non de ces compagnons de route occasionnels, qui sont toujours prêts à abandonner leurs opinions si on le leur demande avec insistance, pour adhérer à d'autres idées plus faciles à défendre. Pour répondre plus clairement à la question traitant du devoir de l'Opposition, il faut commencer par examiner la pire des éventualités : il faut supposer qu'utilisant d'année en année les erreurs commises par la direction, la désorganisation chronique du marché, la cherté de la vie, le chômage, le tiraillement exercé par l'administration, etc., la queue thermidorienne, koulak, bourgeoise, bureaucratique, tente dans l'avenir, au moment d'un pas difficile, à l'occasion de difficultés plus grandes encore, de pousser sérieusement la tête, c'est à dire qu'elle essaie de passer des formes semi légales de sabotage capitaliste auquel elle a recours actuellement à la guerre civile directe.

Peut on a priori exclure cette éventualité ? Non. Malheureusement non. Surtout si des complications internationales venaient à se produire. Celui qui affirmerait le contraire endormirait traîtreusement le Parti.

Peut on redouter qu'une assez grande partie des piliers du faux monolithisme du Parti à Smolensk, à Artiemovsk, à Chakhty, et même à Léningrad, et même à Moscou, tirent leur épingle du jeu lors d'un moment difficile, ou trahissent directement ? Non seulement on peut le redouter, mais on le doit. Les divulgations récentes ne font à peine que soulever le bord du rideau bureaucratique. Dans ce domaine, le Parti doit être en garde contre de grands dangers.

Peut on s'imaginer, d'autre part, un oppositionnel disant : « Ils ont créé cette situation par leur politique : qu'ils se débrouillent eux mêmes ! » Non, on ne peut concevoir un oppositionnel tenant ce langage, à moins que ce ne soit un agent des gardes blancs, un provocateur pénétrant dans les rangs de l'Opposition dans le dessein de lui nuire. Les oppositionnels combattront pour le Parti, pour la dictature, pour la Révolution d'Octobre, comme il convient à des révolutionnaires dévoués, sans arrière pensée, tels qu'ils se sont affirmés en défendant l'étendard du bolchevisme dans les circonstances historiques les plus pénibles, alors que persécutions et répressions tombaient sur eux dru comme grêle. Les cadres de l'Opposition ont supporté l'épreuve. Si le bureaucratisme et la stupidité de l'appareil du Parti venaient à empêcher les oppositionnels d'occuper leurs places dans les rangs de l'armée régulière au moment d'un péril extrême, ils combattraient l'ennemi de classe en francs tireurs, car un révolutionnaire défend la Révolution au besoin sans en recevoir l'ordre... On pourrait ne pas parler de tout cela si des cris hystériques furieux n'annonçaient pas le défaitisme de l'Opposition misant sur la chute du pouvoir des Soviets.

L'allégation que l'attitude des oppositionnels n'a aucune importance pour la défense de la dictature, à cause de leur faiblesse numérique, apparaît, maintenant surtout, comme ayant fait faillite. Si l'Opposition est si faible, pourquoi l'appareil, la presse, les orateurs officiels, les professeurs des écoles du Parti pendant cinq ans et le Guépeou au cours de la dernière période se sont ils assignés comme tâche principale la lutte contre l'Opposition ? Pourquoi tous les discours, les articles, les circulaires, les instructions, les livres prennent ils cette lutte comme point de départ et gravitent ils autour d'elle ? Mais quelle que soit la valeur de l'influence exercée par l'Opposition, celle que l'on voit et celle qui existe en puissance, celle d'aujourd'hui et celle de demain, une seule chose est incontestable : le Parti de la dictature du prolétariat peut compter sur ce détachement qui lui appartient, en toutes circonstances, complètement et entièrement.

Quoi qu'il en soit, une autre question demeure, qui revêt un caractère d'une actualité, plus brûlante : qu'est ce que l'Opposition peut et doit faire maintenant dans la période présente, période critique de crise ? Nous voulons poser nettement ici toutes les questions afin de ne laisser place à aucune confusion, à aucun malentendu. L'Opposition peut elle soutenir la droite contre les centristes qui formellement détiennent le pouvoir, pour aider au renversement de ces derniers, pour se venger sur eux de l'odieuse persécution subie, de la brutalité, de la déloyauté, de « l'officier wrangélien », de l'article 58, et d'autres affaires laissées obscures à dessein? De semblables combinaisons entre la droite et la gauche ont existé au cours des révolutions. De telles combinaisons ont également ruiné des révolutions. La droite représente dans notre Parti le chaînon auquel s'accrochent secrètement les classes bourgeoises pour entraîner la Révolution dans la voie de Thermidor. Pour l'instant, le centre tente de résister ou de résister à moitié. Il est clair que l'Opposition n'a rien de commun avec un esprit de « combine » aventurier espérant renverser le centre avec l'aide de la droite. L'Opposition appuie chaque pas, même hésitant, vers une ligne de conduite prolétarienne, tout tentative, même indécise, de résister aux éléments thermidoriens. L'Opposition le fait et le fera tout à fait indépendamment du fait que le centre, s'appuyant sur la droite, le désire ou non. L'Opposition ne pose à cela aucune condition d'entente, de concession, etc. Elle tient simplement compte de ce que le zigzag esquissé actuellement par la tactique du centre, suit parallèlement à une certaine, distance la ligne observée par la stratégie de la politique bolchevique. Nous avons déjà dit (et pour la dernière fois dans notre déclaration lue par le camarade Smilga au XV° Congrès) que l'Opposition, même mise hors du Parti, ne se considérait pas comme déliée des devoirs de celui ci, ni de responsabilité qui incombe au Parti dans son ensemble vis à-­vis du pays. Nous ne pouvons que répèter ici entièrement ce que nous disions alors. Cela signifie en particulier que, malgré les persécutions, les exclusions, l'article 58, etc., chaque oppositionnel est prêt à exécuter comme autrefois les missions que le Parti lui confierait, indépendamment de son attitude envers la Direction de celui ci et du régime que cette Direction applique. Pourtant, l'Opposition peut elle, du point de vue politique, se tenir pour responsable devant le Parti du revirement exécuté actuellement, en le qualifiant de cours léniniste juste ? Non, elle ne le peut pas. L'appui accordé par l'Opposition à tout mouvement, même partiel, conduisant à une ligne de conduite prolétarienne, ne sera jamais une approbation au centrisme (même de gauche) comme en expriment les médiocrités du Parti, passant sous silence sa faculté de ne faire les choses qu'à demi, son incohérence, les erreurs qu continue à commettre, ou fermant hypocritement les yeux pour ne pas voir ses théories révisionnistes qui préparent pour demain de nouvelles fautes encore plus lourdes. Tout en soutenant contre la droite chaque pas du centre vers la gauche.

L'opposition doit (et elle le fera) critiquer l'insuffisance complète de ces démarches et l'insécurité de ce revirement, dans la mesure où il conserve le carac­tère de mesures exécutées par ordre, mais n'émanant pas vraiment du Parti. Avec intransigeance, l'Oppo­sition divulguera au Parti les dangers immenses provenant de l'inconséquence, du manque de réflexion politique, des contradictions politiques du cours actuel, persistant à s'appuyer sur le bloc du centre avec la droite contre l'aile gauche. Dans ces condi­tions, l'Opposition peut elle renoncer à sa plate­-forme ? Maintenant moins que jamais. Abjurer ainsi équivaudrait à renoncer au fondement médité, généralisé et systématisé du cours de gauche ; ce serait rendre le meilleur service à la droite dont tous les espoirs et tous les calculs pour arriver à la victoire se basent avec raison sur les zigzags et l'incohérence de l'orientation centriste. La conti­nuation de la lutte pour les idées et les propositions exprimées dans la plate forme sont le seul soutien juste, sérieux et honnête qui puisse être accordé à toute démarche quelque peu progressiste du centre. C'est à cette seule condition qu'on peut nourrir l'espoir de voir le Parti réussir, par une réforme intérieure, à transformer le zigzag centriste gauche de la direction en un véritable cours léniniste.

Cette lutte pour la plate forme de l'Opposition est elle compatible avec l'unité du Parti ? Elle peut se trouver provisoirement incompatible avec cette unité, en face d'un régime bureaucratique, c'est à dire injuste et malsain ; l'exclusion de l'Opposition du Parti l'a démontré. Mais la circulaire lancée par le Comité Central le 3 juin constitue avant tout l'aveu criant (quoique forcé) du caractère malsain et insoutenable du régime qui s'est créé dans notre Parti au cours des cinq dernières années.

Dans un régime sain, la critique la plus rigoureuse des erreurs de principes commises par le Comité Central est parfaitement compatible avec l'unité du Parti et la discipline de fer dans l'action. Quant aux divergences d'opinion (maintenant qu'elles ont déjà subi l'épreuve géante des événements), elles seraient relativement aisées à liquider par le Parti, si celui ci reconquérait ses droits élémentaires ; c'est vers cela que convergent à présent toutes les questions.

La lutte pour les convictions exposées dans la plate forme des bolcheviks léninistes (Opposition) est elle compatible avec le renoncement aux méthodes fractionnelles employées pour défendre ces opinions ? En face d'un régime qui, selon l'expression employée dans la circulaire même du 3 juin, « est atteint du bureaucratisme le plus odieux », toute critique des opinions du Comité Central, du Comité provincial, du Comité de rayon, du secrétaire de cellule, est flétrie du terme d'« esprit fractionnel » et la plupart du temps obligatoirement refoulée dans la voie du travail fractionnel. L'Opposition est entièrement et complètement disposée à ne défendre son point de vue que par les méthodes rigoureusement normales au sein du Parti, en prenant fermement comme base l'ensemble des résolutions du X° Congrès ayant trait à la démocratie dans le Parti et à l'interdiction de constituer des fractions. Pourtant, même maintenant, après les derniers manifestes et circulaires, l'Opposition ne se fait pas d'illusions quant au régime intérieur du Parti. La crédulité bienheureuse qui consiste à prendre les paroles pour des actes, les manifestes contradictoires pour un sûr cours de gauche, ne fut et ne sera jamais considérée comme une qualité par un révolutionnaire prolétarien, surtout s'il a vécu et médité sérieusement l'expérience des cinq dernières années. Jamais encore l'esprit fractionnel n'a autant qu'à présent, après la tentative d'amputer mécaniquement l'Opposition, rongé le Parti. La droite, le groupe tampon, les deux tronçons du faîte de l'Opposition de Léningrad, les bolcheviks léninistes (Opposition), voilà les groupements principaux existant maintenant dans le Parti, sans compter les sous fractions. Le centrisme de la fraction dirigeante, avec son manque de précision, et son incohérence dans les idées et dans la politique, est un véritable bouillon de culture pour l'esprit fractionnel de droite et de gauche.

Des mesures extérieures, des manifestes, des arrestations, ne feront pas sortir de cette situation. Seul un cours juste, élaboré et appliqué par le Parti tout entier, peut triompher de l'esprit de fraction qui le dévore. Ce cours ne sera obtenu que par l'exercice de la critique par le Parti, par l'examen des déviations essentielles et des vices du régime établi au cours des cinq dernières années. Il faut condamner le cours faux pour frayer la voie à celui qui est juste. Quant à l'« autocritique » annoncée dans les manifestes et les articles, elle se réduit jusqu'à présent au fait qu'on laisse le mécontentement de la base s'exprimer contre des fautes secondaires, ou qu'on sacrifie une centaine ou deux de bureaucrates, comme victimes expiatoires. La critique de l'exécution est présentée comme bonne, saine, sérieuse. Celle de la direction est dite destructrice, pernicieuse, oppositionnelle. Si l'autocritique ne dépasse pas ces limites, tout le zigzag centriste à gauche ne sera qu'un avortement et rien de plus. Tirer de cette impasse l'« autocritique » bureaucratique et légalisée, l'amener dans la voie de la démocratie au sein du Parti, c'est jusqu'à présent une besogne à exécuter par le Parti lui même. De la réussite plus ou moins grande de cette œuvre, dépend le succès de la profonde réforme sans laquelle le Parti ne sortira pas de la Révolution de la crise qu'elle traverse. Pour résoudre ce double problème : assainir ses propres rangs et l'Etat soviétique, le Parti a avant tout besoin de clarté dans les idées. L'Opposition a donc pour devoir d'élever la voix dans l'autocritique que certains centristes, bureaucrates très influents, considèrent comme la soupape de sûreté laissant échapper le mécontentement accumulé; elle doit, en réalité, faire partie intégrante du régime de la démocratie dans le Parti. Avant tout, l'Opposition doit aider la masse du Parti (non seulement dans le PC de l'URSS, mais dans l'IC tout entière) à résister aux bureaucrates qui veulent « protéger » de l'autocritique les problèmes fondamentaux de la ligne de conduite politique et de la direction du Parti. L'expérience de la direction économique en URSS celle du mouvement révolutionnaire allemand en 1923 1928, celle de la Révolution chinoise et du Comité anglo russe doivent être contrôlées, mises en lumière, étudiées de toutes parts. En même temps, l'Opposition doit rigoureusement veiller à ce que l'« autocritique » (qui, ultérieurement, se heurtera inévitablement de plus en plus aux obstacles du bureaucratisme) ne suivre une voie dirigée contre le Parti et ne puisse amener de l'eau aux moulins anarcho menchévistes. La politique opportuniste et le régime bureaucratique font naître inéluctablement des réactions malfaisantes dans les masses ouvrières elles­-mêmes. Seule, l'Opposition peut protéger le Parti contre ce mal, ou tout au moins réduire cette réaction au minimum, en faisant renaître, en renforçant la confiance des ouvriers dans le Parti, en balayant impitoyablement toute échappatoire, tout camouflage de l'appareil, en luttant ouvertement pour ses nos d'ordre intégraux, en un mot en suivant fermement la ligne de conduite léniniste.

Tel que nous le posons, l'ensemble de nos principes nous épargne la peine de réfuter à nouveau l'idée qu'on veut nous attribuer en nous faisant dire que le Parti serait devenu thermidorien et que Thermidor, ou le coup d'État contre révolutionnaire serait déjà un fait accompli. L'acharnement vraiment hystérique avec lequel cette idée est propagée, alors qu'elle n'a absolument rien de commun avec notre position, n'est profitable qu'à nos ennemis de classe, elle ne fait que témoigner de l'impuissance de nos adversaires dans la lutte d'idées, née de l'incapacité générale des centristes de saisir et de comprendre la vivante dialectique du processus de l'histoire. Le même résultat est atteint lorsqu'on tente de nous attribuer la conception de l'lC cessant d'être l'avant garde dit prolétariat mondial et devant être remplacée par quelque autre union internationale.

Nous avons déclaré déjà, et nous le répétons, que nous ne pouvons prendre. même une ombre de responsabilité pour ceux qui estiment comme achevé le processus du glissement de la direction du PC, de l'URSS et de l’IC s'écartant de la ligne de classe (processus qui existe incontestablement au cours des dernières années) et qui, pour cette raison, directement ou indirectement tournent le dos à ces organisations. Par là même, nous déclinons toute responsabilité quant à la politique des candidatures oppositionnelles parallèles à celles des PC, politique que nous avons condamnée d'avance et contre laquelle nous avons mis en garde dans une lettre envoyée la l'étranger. Celle ci ayant été publiée dans la Pravda (15 janvier 1928), les assertions persistant à annoncer notre solidarité avec la politique des candidatures parallèles font partie d'une des nombreuses tentatives de tromper son propre Parti, pour justifier dans une certaine mesure l'application de la répression.

Nous basons tous nos calculs sur le fait qu'il existe, au sein du PC de l'URSS de l'IC et de l'URSS, d'énormes forces révolutionnaires intérieures, écrasées par la fausse direction et le pénible régime, mais qui, sous l'effet de l'expérience, de la critique et de la marche de la lutte des classe dans le monde entier, sont parfaitement capables de redresser la ligne suivie par la direction et d'assurer un cours prolétarien juste. Les tentatives faites actuellement par la direction pour échapper aux conséquences de sa propre politique, en suivant la voie de la gauche et non celle de la droite, en répétant et en utilisant en partie les idées et les mots d'ordre de l'Opposition, se font sous la pression imprécise encore du noyau prolétarien du Parti ; elles constituent une des preuves de l'exactitude de notre analyse générale et de nos calculs. De toutes nos forces, nous aiderons les forces intérieures du Parti et de la classe à provoquer un redressement de la politique en ébranlant le moins possible le PC de l'URSS, l'État, ouvrier et l'Internationale. Nous repoussons formellement l'accusation prétendant (tue nos déclarations antérieures sur la cessation du travail fractionnel n'auraient pas été, sincères. Ces déclarations supposaient un minimum de bonne volonté de la part de la majorité, pour établir un régime permettant la défense des points de vue différents, par des méthodes normales, élaborées à travers toute l'histoire du Parti. Il est toujours possible à l'appareil bureaucra­tique tout puissant et luttant pour son inviolabilité et son inamovibilité, de fermer mécaniquement toutes les voies devant les membres du Parti, à l'exception de celles du travail fractionnel. En for­mulant nos déclarations annonçant notre dessein de renoncer aux méthodes fractionnelles, nous nous sommes toujours référés à l'enseignement de Lénine sur le Parti prolétarien, et sur les conditions fonda­mentales d'une existence saine de celui ci. Nous nous basions en particulier sur la décision du 6 dé­cembre 1923 disant que le bureaucratisme pousse les meilleurs membres du Parti dans la voie de l'iso­lement et de l'esprit de fraction. Cette, déclaration n'était pas qu'une pure formalité, elle exprimait l'essence même de la question. Les accusations for­mulées contre 1'Opposition n'étaient que plus dépla­cées et plus indignes, lorsqu'elles disaient que celle ci, même après le XV° Congrès, malgré sa déclaration de soumission aux résolutions du Parti et de cessation du travail fractionnel, aurait en réalité continué. La promesse que nous faisions au Congrès supposait notre maintien dans le Parti, par conséquent, la possibilité de défendre nos opi­nions en restant dans ses rangs. Dans le cas contraire, cet engagement n'eut été qu'une renonciation à toute activité politique en général, l'engagement de cesser de servir le Parti et la Révolution interna­tionale. Des fonctionnaires corrompus jusqu'à la moelle peuvent seuls exiger une pareille abjuration d'un révolutionnaire. De méprisables renégats pou­vaient seuls donner de pareilles promesses. Nous basant sur ces positions au point de vue des principes, nous ne pouvons, par conséquent, avoir rien de commun avec la politique des soi disant léninistes qui rusent avec le Parti, font de la diplomatie dans la lutte de classes, jouent à cache cache avec l'histoire, reconnaissent en apparence leurs erreurs, affirment avoir eu raison, créent le mythe du « trotskysme », le démolissent, tentent de le constituer de nouveau, appliquent en un mot, au Parti, la politique de la « paix de Brest », c'est à dire celle d'une capitulation provisoire, insincère et faite dans l'espoir de la revanche ; cette politique est admissible envers un ennemi de classe, elle devient le fait d'aventuriers lorsqu'elle est pratiquée envers le Parti même. Nous éprouvons de la répugnance envers la philosophie byzantine du repentir par laquelle le souci de l'unité du Parti impliquerait, à l'époque de la dictature prolétarienne, le renoncement aux opinions de principe que la direction actuelle estime inadmissibles pour des raisons de prestige et ose même poursuivre par des moyens d'Etat.

Nous nous considérerions comme des criminels si, pendant cinq ans, nous avions mené notre âpre lutte au sein du Parti au nom de principes assez élastiques pour y renoncer par ordre ou sous la menace de l'exclusion du Parti. Servir le Parti est indissolublement lié à la lutte pour l'établissement d'une ligne de conduite politique juste. Nous vouons donc au mépris tout membre du Parti pour qui la crainte de perdre provisoirement sa carte du Parti pour douloureuse qu'elle soit dépasse le souci de la lutte pour les traditions fondamentales du Parti et pour son avenir.

Les discours annonçant que l'attitude actuelle de l'Opposition (fidèle à ses convictions, luttant pour elles) serait incompatible avec ses déclarations sur l'unité du Parti, ces discours suent la fausseté. Si nous estimions que le cycle de l'évolution du Parti s'est achevé, au XV° Congrès, il n'y aurait alors pas d'autre issue historique que la création d'un second Parti. Mais nous avons déjà dit que nous n'avons rien de commun avec cette appréciation. Si, à l'occasion du stockage des blés, en corrélation avec celui ci, et comme par hasard, il est apparu qu'il existait dans le Parti une fraction influente voulant vivre en paix avec toutes les classes ; si, dans un laps de temps très court, ont surgit les affaires de Chakhty, d'Artiemovsk, de Smolensk, et bien d'autres, tout cela montre que l'inévitable processus de différenciation du Parti, de sa clarification, de son auto épuration est encore à faire ; le noyau prolétarien aura encore suffisamment d'occasions de se convaincre que notre appréciation de la politique du Parti, de sa composition, (les tendances générales de son développement, sont confirmées par des faits d'importance décisive. placés momentanément hors du Parti par un régime mensonger et malsain, nous continuons à vivre avec le Parti, à travailler pour son avenir. Notre ligne de conduite et nos perspectives étant justes, nos méthodes de lutte pour des convictions léninistes ayant le vrai caractère du Parti, aucune force au monde ne pourra nous arracher de celui ci, nous opposer à l'avant garde prolétarienne internationale et à la Révolution communiste. Mais il sera moins possible encore d'y arriver par l'application de l'article 58 qui ne déshonore que ceux qui nous l’ap­pliquent. La contradiction qui nous oblige à demeurer pour la forme en dehors des limites du Parti, tout en combattant pour lui contre ceux qui le désor­ganisent et le minent du dedans, est une contra­diction inévitable, formée par la vie elle même au cours de l'Histoire. On ne peut en sortir par un sophisme de juriste et qu'en aboutissant à un seul lieu : le méprisable lieu du reniement des idées. La contradiction qui nous est imposée n'est qu'un exemple particulier de contradictions plus profondes, plus générales ; elle ne pourra être résolue réellement que par l'emploi des méthodes léninistes envers les problèmes fondamentaux posés devant l'IC et le PC de l’URSS. Jusque là, la. question de l'Opposition, restera la pierre de touche permettant de juger la ligne de conduite et le régime du Parti. Le châtiment appliqué à l'Opposition pour sa critique du Comité Central, critique complètement confirmée par les faits et renforcée par les récentes résolutions et interventions partielles du Comité Central lui­-même, ce châtiment est une des manifestations les plus flagrantes des pires méthodes du régime fonctionnariste et des pires aspects de la direction du Parti. De nouvelles exclusions et des déportations d'oppositionnels continuent encore à terroriser le Parti, malgré les circulaires rassurantes. La question de la réadmission des oppositionnels dans le Parti, du retour des déportés, de la libération des emprisonnés, devient l'épreuve essentielle, le moyen de contrôle infaillible et le premier indice du degré de sérieux et de profondeur de toutes les récentes démarches vers la gauche. Le Parti et la classe ouvrière jugeront, non point d'après les paroles, mais d'après les actes. C'était l'enseignement, de Marx, ce fut celui de Lénine, c'est celui de l'Opposition. Le VI° Congrès de l’IC peut, dans une grande mesure, faciliter le rétablissement de l'unité du Parti en conseillant avec fermeté aux institutions centrales du PC de l'URSS d'abroger immédiatement l'application de l'article 58 à l'Opposition, application basée sur une déloyauté politique grossière, et sur un perfide abus de pouvoir. La réintégration des bolcheviks léninistes (Opposition) dans le Parti est une condition indispensable et inévitable d'un retour à la voie de Lénine. Cela est incontestablement vrai, non seulement pour le PC de l'URSS mais aussi pour toutes les autres sections de l'IC. Tout oppositionnel, en reprenant la place qui lui appartient de droit dans son Parti, dont nous le répétons à nouveau, aucune force, ni aucune résolution ne pourront l'arracher, fera tout ce qu'il pourra pour aider le Parti à sortir de la crise actuelle, et à supprimer l'esprit de fraction. Il ne peut y avoir aucun doute qu'un pareil engagement rencontrera l'appui unanime de tous les bolcheviks léninistes (Opposition).

Alma Ata, 12 juillet 1928.

  1. Le XII° Congrès du Parti Communiste Russe eut lieu en avril 1923. Trotsky y présenta un rapport sur l'industrie, dans lequel il fixa les traits essentiels de la politique économique du prolétariat à l'époque de la Nep. En résumé la thèse principale de ce rapport affirme que la base fondamentale de la dictature du prolétariat est constituée par l'industrie socialisée capable d'aiguiller aussi vers la voie du socialisme l'économie paysanne. Une résolution conforme à ce rapport fut adoptée, présentant, comme tâche primordiale de la politique économique, l'extension de la place occupée par l'industrie dans l'ensemble du système économique, c'est à dire l'industrialisation du pays.

    Pourtant, bientôt, la direction Staline Zinoviev, cédant devant la pression de l'élément petit bourgeois, renonça à réaliser cette résolution du XII° Congrès.

    Les difficultés économiques, de plus en plus accentuées, auxquelles se heurte l'URSS an cours des dernières années, proviennent en partie de l'abandon de l'unique ligne de conduite juste au point de vue économique qui avait été fixée par le XII° Congrès, d'après le rapport de Trotsky.
  2. L'article 58 du Code pénal de l'URSS relatif aux crimes contre révolutionnaires, fut appliqué par Staline dans la répression exercée contre les oppositionnels.