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La clé de la situation internationale est en Allemagne
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 26 novembre 1931 |
L'objet des présentes lignes est d'indiquer même à grands traits, la tournure que prend actuellement la situation politique mondiale du fait des contradictions fondamentales du capitalisme décadent, contradictions compliquées et aggravées par une grave crise commerciale, industrielle et financière. Les considérations rapidement ébauchées ci-dessous sont loin d'aborder tous les pays et toutes les questions et feront ultérieurement l'objet d'une étude collective et sérieuse.
1. La révolution espagnole a créé les prémisses politiques générales à la lutte directe du prolétariat pour le pouvoir.
Les traditions syndicalistes du prolétariat espagnol se sont révélées immédiatement comme l'un des principaux obstacles au développement de la révolution. Les événements ont pris l'Internationale communiste à l'improviste. Le Parti communiste, totalement impuissant au début de la révolution, a adopté une position erronée sur toutes les questions fondamentales.
L'expérience espagnole a montré, rappelons-le, que la direction actuelle de l'Internationale communiste est un terrible instrument de désorganisation de la conscience révolutionnaire des ouvriers d'avant-garde. Le retard extraordinaire pris par l'avant-garde prolétarienne sur le développement des événements, la dispersion au niveau politique des luttes héroïques des masses ouvrières, l'assistance mutuelle que se prêtent fait l'anarcho-syndicalisme et la social-démocratie, telles i les principaux facteurs politiques qui ont permis à la bourgeoisie républicaine alliée à la social-démocratie de mettre pied un appareil de répression et, en portant des coups successifs aux masses qui se soulevaient, de concentrer un pou politique important dans les mains du gouvernement.
Cet exemple montre que le fascisme n'est nullement le seul moyen dont dispose la bourgeoisie pour lutter contre les masses révolutionnaires. Le régime qui existe aujourd'hui en Espagne correspond essentiellement à la notion de kerenskysme, c'est-à-dire au dernier (ou à l'avant-dernier) gouvernement de " gauche " que la bourgeoisie puisse mettre en avant dans sa lutte contre la révolution. Un gouvernement de ce type ne signifie pas nécessairement faiblesse et prostration. En l'absence d'un puissant parti révolutionnaire du prolétariat, la combinaison de pseudo-réformes, de phrases de gauche, de gestes encore plus de gauche et de mesures de répression peut rendre à 1a bourgeoisie plus de services réels que le fascisme.
Inutile de dire que la révolution espagnole n'est pas terminée. Elle ne s'est pas acquittée de ses tâches les plus élémentaires (questions agraire, nationale, religieuse) et elle est loin d'avoir épuisé les ressources révolutionnaires des masses populaires. La révolution bourgeoise ne pourra rien donner de plus que ce qu'elle a donné jusqu'à présent. Du point de vue de la révolution prolétarienne, la situation actuelle de l'Espagne peut tout au plus être qualifiée de pré-révolutionnaire. Il est fort probable que le développement prochain de la révolution espagnole traînera plus ou moins en longueur. Par là, le cours de l'histoire ouvre un nouveau crédit au communisme espagnol.
2. La situation en Angleterre peut également être qualifiée, non sans raison, de pré-révolutionnaire, à la seule condition d'admettre qu'entre une situation pré-révolutionnaire et une situation directement révolutionnaire, il peut s'écouler une période de quelques années, avec des flux et des reflux partiels. La situation économique en Angleterre a atteint un degré d'extrême gravité. Mais la superstructure politique dans ce pays ultra-conservateur retarde considérablement sur les changements intervenus au niveau de la base économique. Avant de lancer de nouvelles formes et méthodes politiques, toutes les classes de la nation anglaise essaient encore de fouiller dans les vieux greniers, de retourner les vieux habits de grand-père et de grand-mère, etc. Le fait est qu'en Angleterre il n'existe toujours pas, malgré le terrible déclin national, de parti révolutionnaire important, ni son antipode, le parti fasciste.
C'est ce qui a permis à la bourgeoisie de mobiliser la majorité du peuple sous le drapeau " national ", c'est-à-dire sur le mot d'ordre le plus creux qui soit. Dans la situation actuelle prérévolutionnaire, le conservatisme archi-obtus a acquis une prépondérance politique gigantesque. Il faudra, selon toute vraisemblance, plus d'un mois et, peut-être, plus d'une année, pour que la superstructure politique soit en accord avec la situation économique et internationale réelle du pays.
Il n'y a aucune raison de penser que l'effondrement du bloc " national " - et un tel effondrement est inévitable à plus ou moins court terme - provoquera immédiatement soit la révolution prolétarienne (il ne peut y avoir, évidemment, d'autre révolution en Angleterre), soit le triomphe du " fascisme ".
Au contraire, il est beaucoup plus vraisemblable que sur la voie du dénouement révolutionnaire, l'Angleterre connaîtra une longue période de démagogie radicale, démocratique, sociale et pacifiste, dans le goût de Lloyd George et du Labour Party. Le développement historique de l'Angleterre offrira sans aucun doute encore un répit important au communisme britannique pour qu'il se transforme en parti authentique du prolétariat, lorsque le dénouement s'annoncera tout proche.
Cela n'implique nullement que l'on puisse continuer à perdre son temps en expériences périlleuses et en zigzags centristes.
Dans la situation mondiale actuelle, le temps est la plus précieuse des matières premières.
3. La France que les sages de l'Internationale communiste avait placée, il y a un an et demi ou deux ans, " au premier rang de la montée révolutionnaire ", apparaît en fait comme le pays le plus conservateur d'Europe et peut-être aussi du monde entier. La solidité relative du régime capitaliste France s'explique, dans une large mesure, par son caractère arriéré. La crise s'y est manifestée -moins violemment que dans les autres pays. Dans le domaine financier, Paris tend même à égaler New York. La " prospérité " financière actuelle de la bourgeoisie française trouve sa source immédiate dans pillage organisé à Versailles. Mais la paix de Versailles dissimule la menace principale pour tout le régime de la République française. Il existe une contradiction criante qui conduira inévitablement à une explosion, entre le chiffre de la population, les forces productives et le revenu national de la France d'une part, sa place à l'échelle internationale d'autre part. Pour si tenir son éphémère hégémonie, la France, aussi bien " nationale " que radicale-socialiste, est obligée de s'appuyer dans le monde entier sur les forces les plus réactionnaires, sur les formes d'exploitation les plus archaïques, sur l'immonde clique roumaine, sur le régime corrompu de Pilsudsky, sur la dictature de la junte militaire en Yougoslavie ; elle est obligée de défendre le morcellement de la nation allemande (Allemagne et Autriche) et le corridor polonais en Prusse orientale, d'aider l'intervention japonaise en Mandchourie, d'exciter la clique militaire japonaise contre l'URSS, d'apparaître comme l'ennemi principal du mouvement de libération des peuples coloniaux, etc., etc. La contradiction entre Je rôle de second plan de la France dans l'économie mondiale et ses privilèges et ses prétentions monstrueuses en politique mondiale, apparaîtra chaque jour plus nettement, accumulera les dangers, ébranlera sa stabilité intérieure, suscitera l'inquiétude et le mécontentement des masses populaires et provoquera des changements politiques de plus en plus profonds. Ces processus apparaîtront certainement au grand jour lors des prochaines élections législatives.
Mais d'un autre côté, tout laisse supposer qu'en l'absence d'événements importants hors du pays (la victoire de la révolution en Allemagne ou inversement la victoire du fascisme), les rapports intérieurs en France même évolueront dans la période à venir, de manière relativement " harmonieuse ", ce qui permettra au communisme de mettre à profit une période importante de préparation pour se renforcer jusqu'à l'apparition d'une situation pré-révolutionnaire et révolutionnaire.
5. Aux Etats-Unis qui sont le pays capitaliste le plus puissant, la crise actuelle a mis à nu avec une violence stupéfiante des contradictions sociales effrayantes. Les Etats-Unis sont passés sans transition d'une période de prospérité inouïe qui stupéfia le monde entier par un feu d'artifice de millions et de milliards de dollars, au chômage de millions de personnes, à une période de misère biologique épouvantable pour les travailleurs. Une secousse sociale aussi importante ne peut pas ne pas marquer l'évolution politique du pays. Aujourd'hui, il est encore difficile, au mois pour un observateur de l'extérieur, de déterminer quelle peut être l'importance de la radicalisation des masses ouvrières américaines. On peut supposer que les masses elles-mêmes ont été à ce point surprises par la crise de conjoncture catastrophique, à ce point écrasées et abasourdies par le chômage ou la peur du chômage, qu'elles n'ont pas encore réussi à tirer les conclusions politiques les plus élémentaires du malheur qui s'est abattu sur elles. Pour cela, il faut un certain temps. Mais les conclusions seront tirées. La crise économique gigantesque qui a pris l'aspect d'une crise sociale, se transformera inévitablement en une crise de la conscience politique de la classe ouvrière américaine. Il est tout à fait possible que la radicalisation révolutionnaire de larges couches ouvrières se produise non lorsque la conjoncture sera plus bas, mais au contraire quand on se dirigera vers une reprise économique et un nouvel essor. D'une manière ou d'une autre, la crise actuelle ouvrira une ère nouvelle dans la vie du prolétariat et du peuple américain dans son ensemble. On peut s'attendre à de sérieux bouleversements et à des règlements de comptes au sein des partis dirigeants, à de nouvelles tentatives pour créer un troisième parti, etc. Le mouvement syndical, dès que les premiers symptômes d'un revirement de la conjoncture, ressentira vivement le besoin de s'arracher à l'étau de la bureaucratie corrompue de la Fédération Américaine du Travail. Simultanément le communisme verra s'ouvrir devant lui d'immenses possibilités.
Dans le passé, l'Amérique a déjà connu à plusieurs reprises des explosions violentes de mouvements de masse révolutionnaires ou à demi révolutionnaires. Ces mouvements retombaient chaque fois rapidement soit parce que l'Amérique entrait dans une nouvelle période d'essor économique impétueux, soit parce que les mouvements se caractérisaient par un empirisme grossier et une impuissance théorique. Ces deux phénomènes appartiennent maintenant au passé. Un nouvel essor économique (on ne saurait l'exclure à l'avance) devra s'appuyer non sur un " équilibre " intérieur mais sur l'actuel chaos économique mondial. Le capitalisme américain entrera dans une phase d'impérialisme monstrueux, de course aux armements, d'immixtion dans les affaires du monde entier, de secousses militaires et de conflits. Par ailleurs, les masses radicalisée du prolétariat américain trouvent dans le communisme - ou, plus exactement, trouveront si la politique menée est juste - non plus le vieux mélange d'empirisme, de mysticisme et de charlatanisme, mais une doctrine fondée scientifiquement qui est à la hauteur des événements. Ces changements radicaux laissent prévoir avec certitude que la crise révolutionnaire dans le prolétariat américain, crise inévitable et relativement proche, ne sera plus " un feu de paille ", mais le début d'un véritable incendie révolutionnaire. Le communisme en Amérique peut marcher avec assurance vers son avenir glorieux.
5. L'aventure tsariste en Mandchourie a été à l'origine de la guerre russo-japonaise; et la guerre fut à l'origine de la révolution de 1905. Actuellement l'aventure japonaise en Mandchourie peut amener la révolution au Japon.
Au début du siècle le régime féodal et militaire servait encore avec succès les intérêts du jeune capitalisme japonais. Mais pendant le premier quart du XX* siècle, le développement capitaliste a provoqué une extraordinaire désagrégation des anciennes formes sociales et politiques. Le Japon, depuis cette époque, s'est engagé déjà plusieurs fois sur la voie de la révolution. Mais une classe révolutionnaire puissante, capable de remplir les tâches nées du développement, faisait défaut. L'aventure en Mandchourie peut accélérer l'écroulement révolutionnaire du régime japonais.
La Chine d'aujourd'hui, si affaiblie qu'elle soit par la dictature des cliques du Kuomintang, est profondément différente de la Chine que le Japon, à la suite des puissances européennes, avait violée dans le passé. La Chine n'est pas en mesure de rejeter immédiatement le corps expéditionnaire japonais, mais la conscience nationale et l'activité du peuple chinois ont crû considérablement : des centaines de milliers, des millions de Chinois ont fait leur apprentissage des armes. Ils vont improviser toujours plus de nouvelles armées. Les Japonais se sentiront assiégés. Les chemins de fer serviront beaucoup plus à des objectifs militaires qu'à des objectifs économiques. Il faudra envoyer de plus en plus de troupes. En prenant de l'ampleur, l'expédition en Mandchourie épuisera l'organisme économique du Japon, renforcera le mécontentement intérieur, aggravera les contradictions et par là accélérera la crise révolutionnaire.
6. En Chine la nécessité de se défendre résolument contre l'intervention impérialiste aura également de sérieuses conséquences politiques à l'intérieur du pays. Le régime du Kuomintang est issu du mouvement national révolutionnaire des masses, utilisé à leur profit puis étranglé par les militaristes bourgeois (avec le concours de la bureaucratie stalinienne), C'est précisément pour cette raison que le régime actuel, vacillant et miné par ses contradictions, est incapable de toute initiative militaire révolutionnaire. La nécessité de se défendre contre les envahisseurs japonais se retournera de plus en plus contre le régime du Kuomintang et entretiendra un état d'esprit révolutionnaire parmi les masses. Dans ces conditions, l'avant-garde prolétarienne peut rattraper l'occasion si tragiquement perdue en 1924-1927.
7. Les événements actuels en Mandchourie prouvent en particulier la naïveté totale des messieurs qui exigeaient du gouvernement soviétique qu'il rende purement et simplement la route de la Chine orientale aux Chinois. Cela reviendrait à la remettre délibérément au Japon, entre les mains duquel elle deviendrait un instrument de première importance aussi bien contre la Chine que contre l'URSS. Ce qui retenait jusqu'à présent les cliques militaires du Japon d'intervenir en Mandchourie, et ce qui peut encore les maintenir aujourd'hui dans les limites de la prudence, c'est bien le fait que la route de la Chine orientale est la propriété des Soviets.
8. L'aventure du Japon en Mandchourie ne risque-t-elle pas de déboucher sur une guerre avec l'URSS ? Evidemment ce n'est pas exclu, aussi prudente et raisonnable que soit la politique du gouvernement soviétique. Les contradictions internes du Japon féodal et capitaliste ont manifestement fait perdre l'équilibre à son gouvernement. Les instigateurs (la France) n'ont pas manqué. Et l'expérience historique du tsarisme en Extrême-Orient nous a appris de quoi est capable une monarchie militaro-bureaucratique qui a perdu son équilibre.
La lutte qui s'engage en Extrême-Orient n'est pas une lutte pour une voie ferrée ; c'est le destin de toute la Chine qui est en jeu. Dans cette lutte historique gigantesque, le gouvernement soviétique ne peut rester neutre ; il ne peut avoir la même attitude envers la Chine qu'envers le Japon. Il doit se ranger entièrement et totalement au côté du peuple chinois. Seul le soutien indestructible du gouvernement soviétique à la lutte de libération des peuples opprimés peut protéger efficacement l'Union soviétique des attaques venant de l'Est, de la part du Japon, de l'Angleterre, de la France et des Etats-Unis.
La forme que prendra l'aide du gouvernement soviétique à la lutte du peuple chinois dans la période à venir dépend des circonstances historiques concrètes. Mais il serait tout aussi stupide de livrer de son propre gré la route de l'Orient au Japon que de subordonner toute la politique en Extrême Orient à la question de la route de la Chine orientale. Tout prouve que la conduite de la clique militaire japonaise a sur ce point un caractère consciemment provocateur. Le gouvernement français est directement à l'origine de cette provocation, qui vise à lier les mains de l'Union soviétique en Orient. Le gouvernement soviétique n'en doit montrer que plus de réserve et de perspicacité.
Les conditions fondamentales de l'Orient : immenses territoires, masses innombrables, arriération économique, confèrent à tout processus un caractère lent, traînant, rampant. Aucun danger immédiat ou grave en provenance de l'Extrême-Orient ne menace en tout cas l'existence de l'Union soviétique. D'importants événements vont se produire dans un avenir proche en Europe. Si l'Europe offre de grandes possibilités, elle recèle aussi des dangers très menaçants. Pour l'instant seul le Japon a les mains liées en Extrême-Orient. Il faut que l'Union soviétique y garde les mains libres.
9. La situation en Allemagne se détache nettement sur le fond politique mondial qui, pourtannt, est loin d'être pacifique. Les contradictions économiques et politiques y ont atteint une acuité inouïe. Le dénouement est tout proche. L'heure a sonné où la situation de pré-révolutionnaire doit devenir révolutionnaire ou contre-révolutionnaire. Le tour que prendra le dénouement de la crise allemande réglera pour de très nombreuses années non seulement le destin de l'Allemagne (ce qui en soi est déjà beaucoup), mais aussi le destin de l'Europe et dû monde entier.
La construction du socialisme en URSS, le cours de la révolution espagnole, l'évolution d'une situation prérévolutionnaire en Angleterre, l'avenir de l'impérialisme français, le sort du mouvement révolutionnaire en Inde et en Chine, tout cela se ramène directement à la question : qui, du communisme ou du fascisme, sera vainqueur en Allemagne au cours des prochains mois ?
10. Après les élections au Reichstag de septembre de l'année passée, la direction du Parti communiste allemand affirmait que le fascisme avait atteint son point culminant, et qu'il allait rapidement s'effondrer, faisant place nette à la révolution prolétarienne. L'opposition communiste de gauche (les bolcheviks-léninistes) se moquaient alors de cet optimisme irréfléchi.
Le fascisme est le produit de deux facteurs : une crise sociale aiguë, d'une part, la faiblesse révolutionnaire du prolétariat allemand d'autre part. La faiblesse du prolétariat, à son tour, se décompose en deux éléments : le rôle historique particulier de la social-démocratie, ce représentant toujours puissant du capital dans les rangs du prolétariat, et l'incapacité de la direction centriste du Parti communiste de rassembler les ouvriers sous le drapeau de la révolution.
Le facteur subjectif est pour nous le Parti communiste, car la social-démocratie constitue un obstacle objectif qu'il faut écarter. Le fascisme volerait effectivement en éclats, si le Parti communiste était capable d'unir la classe ouvrière, la transformant ainsi en un puissant aimant révolutionnaire pour l'ensemble des masses opprimées du peuple. Mais les carences politiques du Parti communiste n'ont fait qu'augmenter depuis les élections de septembre : les phrases creuses sur le " social-fascisme ", les coquetteries à l'égard du chauvinisme, contrefaçon du véritable fascisme, pour concurrencer ce dernier sur son propre terrain, l'aventure criminelle du " référendum rouge ", tout cela empêche le parti de devenir le dirigeant du prolétariat et du peuple. Ces derniers mois, il n'a attiré sous son drapeau que des éléments que la crise formidable poussait presque de force dans ses rangs. La social-démocratie, malgré des conditions politiques désastreuses pour elles, a conservé, grâce à l'aide du Parti communiste, la majorité de ses partisans et s'en tire pour l'instant avec des pertes certes importantes mais néanmoins secondaires. Quant au fascisme, il a fait depuis septembre de l'année derniére, un nouveau et gigantesque bond en avant, quoi qu'en puissent dire Thaelmann, Remmele et les autres et conformément aux prévisions des bolcheviks-léninistes. La direction de l'Internationale communiste n'a su ni le prévoir ni l'éviter. Elle ne fait qu'enregistrer les défaites. Ses résolutions et ses autres documents ne sont, hélas, que la photographie du postérieur du processus historique.
11. L'heure de la décision a sonné. Cependant, l'Internationale communiste ne veut pas, ou plus exactement, craint de se rendre compte du véritable caractère de la situation mondiale actuelle. Le Présidium de l'Internationale communiste s'en tire en publiant des feuilles d'agitation creuses. Le parti dirigeant de l'Internationale communiste, le Parti communiste de l'Union soviétique n'a pris aucune position. On dirait que " les chefs du prolétariat mondial " ont avalé leur langue. Ils se réfugient dans le silence. Ils se préparent à s'embusquer et espèrent ainsi attendre que les événements se passent. Ils ont remplacé la politique de Lénine.., par la politique de l'autruche. Nous approchons d'un des moments les plus cruciaux de l'histoire : l'Internationale communiste a déjà commis une série d'erreurs graves mais " partielles " qui ont sapé et ébranlé les forces accumulées pendant ses cinq premières années d'existence ; elle risque aujourd'hui d'accomplir une erreur fondamentale et fatale qui risque de la rayer en tant que facteur révolutionnaire de la carte politique pour toute une période historique.
Que les aveugles et les lâches ne le remarquent pas ! Que les calomniateurs et les journalistes à la solde des staliniens nous accusent de collusion avec la contre-révolution ! Chacun sait que la contre-révolution n'est pas ce qui renforce l'impérialisme mondial, mais ce qui trouble la digestion du fonctionnaire communiste. La calomnie n'effraie pas les bolcheviks-léninistes ; elle ne les arrête pas dans l'accomplissement de leur devoir révolutionnaire. Il ne faut rien passer sous silence, rien atténuer. Il faut dire aux ouvriers d'avant-garde à haute et intelligible voix : après la " troisième période " d'aventurisme et de fanfaronnade, voici la " quatrième période " de panique et de capitulation.
12. Si l'on traduit en langage clair le silence des dirigeants actuels du Parti communiste d'Union soviétique, cela signifie :" Laissez-nous en paix. " Les difficultés intérieures de l'URSS sont très grandes. Les contradictions économiques et sociales non aplanies s'accentuent. La démoralisation de l'appareil, conséquence inévitable d'un régime plébiscitaire, a pris des dimensions menaçantes. Les rapports politiques, principalement les rapports internes au parti et ceux entre l'appareil démoralisé et la masse dispersée, sont tendus à craquer. Toute la sagesse du bureaucrate consiste à attendre et à faire traîner les choses en longueur. La situation en Allemagne est manifestement grosse de bouleversements que l'appareil stalinien appréhende plus que tout. " Laissez-nous en paix ! Laissez-nous nous tirer de nos contradictions internes si exacerbées. Là-bas..., on verra bien. " Voilà l'état d'esprit des sphères dirigeantes de la fraction stalinienne. C'est cela que cache le silence scandaleux des " chefs " au moment où leur devoir révolutionnaire le plus élémentaire exige qu'ils se prononcent clairement et distinctement.
13. Rien d'étonnant à ce que le silence peureux de la direction moscovite ait provoqué la panique des dirigeants berlinois. Aujourd'hui, alors qu'il faut se préparer à conduire les masses aux combats décisifs, la direction du Parti communiste allemand manifeste son désarroi, tergiverse et s'en tire par des phrases creuses. Ces gens-là n'ont pas l'habitude de prendre leurs responsabilités. Aujourd'hui, ils rêvent de démontrer, peu importe de quelle manière, que le " marxisme-léninisme " exige qu'on refuse le combat.
Il ne semble pas que sur ce point on ait déjà trouvé une théorie achevée. Mais elle est dans l'air. Elle se transmet de bouche à oreille, et transparaît dans les articles et les discours. Le sens de cette théorie est le suivant : le fascisme croît irrésistiblement; sa victoire est de toute façon inévitable ; plutôt que de se précipiter " aveuglément " dans la lutte et se faire battre, il vaut mieux reculer prudemment et laisser le fascisme prendre le pouvoir et se compromettre. Et alors, - oh, alors ! - nous nous montrerons.
La prostration et le défaitisme ont succédé à l'aventurisme et à la légèreté, conformément aux lois de la psychologie politique. La victoire des fascistes que l'on déclarait impensable il y a un an, est considérée aujourd'hui comme déjà assurée. Un quelconque Kuusinen, conseillé dans les coulisses par un quelconque Radek, prépare pour Staline une formule stratégique géniale : reculer en temps opportun, retirer les troupes révolutionnaires de la ligne de feu, tendre un piège aux fascistes sous la forme.., du pouvoir gouvernemental.
Si cette théorie était définitivement adoptée par le Parti communiste allemand et déterminait son cours politique dans les mois à venir, ce serait de la part de l'Intemationale communiste une trahison d'une ampleur historique au moins égale à celle de la social-démocratie le 4 août 1914, - avec des conséquences encore plus effroyables.
Le devoir de l'opposition de gauche est de sonner l'alarme : la direction de l'Internationale communiste mène le prolétariat allemand au-devant d'une gigantesque catastrophe : la capitulation panique devant le fascisme.
14. L'arrivée au pouvoir des " nationaux-socialistes " signifierait avant tout l'extermination de l'élite du prolétariat allemand, la destruction de ses organisations, et la perte de sa confiance en ses propres forces et en son avenir. Comme les contradictions et les antagonismes ont atteint en Allemagne un degré extrême de gravité, le travail infernal du fascisme italien apparaîtra comme une expérience bien pâle et presque humanitaire en comparaison des crimes dont le national-socialisme allemand sera capable. Reculer ? - dites-vous, prophètes d'hier de la " troisième période ". Les chefs et les institutions peuvent battre en retraite. Des personnes isolées peuvent se cacher. Mais la classe ouvrière ne saura ni où reculer ni où se cacher face au pouvoir fasciste. En effet, si on admet comme possibles le monstrueux et l'incroyable, c'est-à-dire que le parti se détourne effectivement du combat et livre ainsi le prolétariat à son ennemi mortel, cela ne peut signifier qu'une chose : des combats sauvages éclateront non pas avant l'arrivée des fascistes au pouvoir, mais après, c'est-à-dire dans des conditions cent fois plus favorables au fascisme qu'aujourd'hui. La lutte du prolétariat, trahi par sa propre direction, pris au dépourvu, désorienté et désespéré, contre le régime fasciste se transformerait en une série de terribles convulsions, sanglantes et irréparables. Dix soulèvements prolétariens, dix défaites successives affaibliraient et épuiseraient moins la classe ouvrière allemande que son recul aujourd'hui devant le fascisme, alors que la question de savoir qui doit être le maître en Allemagne n'est pas encore résolue.
15. Le fascisme n'est pas encore au pouvoir. La route du pouvoir ne lui est pas encore ouverte. Les chefs fascistes ont encore peur de risquer le coup : ils comprennent que l'enjeu est élevé, qu'il y va de leur tête. Dans ces conditions, seul un état d'esprit capitulard dans les hautes instances communistes peut leur simplifier et leur faciliter la tâche de façon inespérée.
Aujourd'hui, même les cercles influents de la bourgeoisie redoutent l'expérience fasciste, cal ils ne souhaitent ni bouleversement, ni une longue et terrible guerre civile ; la politique capitularde du communisme officiel, qui ouvre la voie du pouvoir au fascisme, risque de faire basculer du côté du fascisme les classes moyennes, les couches encore hésitantes de la petite bourgeoisie et même des pans entiers du prolétariat.
Il est clair qu'un jour ou l'autre le fascisme triomphant tombera victime des contradictions objectives et de sa propre inconsistance. Mais, dans un avenir plus immédiat, dans les dix ou vingt prochaines années, la victoire du fascisme en Allemagne provoquerait une coupure dans l'héritage révolutionnaire, le naufrage de l'Internationale communiste, le triomphe de l'impérialisme mondial sous ses formes les plus odieuses et les plus sanguinaires.
16. La victoire du fascisme impliquerait forcément une guerre contre l'URSS.
Ce serait une véritable stupidité politique que de penser qu'une fois au pouvoir les nationaux-socialistes allemands se lanceraient d'abord dans une guerre contre la France ou même contre la Pologne. Pendant toute la première période de sa domination, la guerre civile contre le prolétariat allemand liera inévitablement les mains au fascisme dans sa politique extérieure. Hitler aura autant besoin de Pilsudsky que Pilsudsky d'Hitler. Ils deviendront tous deux des instruments de la France. Le bourgeois français redoute actuellement l'arrivée au pouvoir des fascistes allemands comme un saut dans l'inconnu ; mais le jour de la victoire d'Hitler, la réaction française, aussi bien " nationale " que radicale-socialiste, misera entièrement sur le fascisme allemand.
Aucun gouvernement " normal ", parlementaire bourgeois ne peut se risquer actuellement à une guerre contre l'URSS : cette entreprise serait grosse d'immenses complications intérieures. Mais si Hitler arrive au pouvoir, s'il écrase dans un premier temps l'avant-garde des ouvriers allemands, s'il disperse et démoralise pour des années le prolétariat dans son ensemble, le gouvernement fasciste sera le seul gouvernement capable d'entreprendre une guerre contre l'URSS. Il va sans dire qu'il formera un front commun avec la Pologne, la Roumanie, les autres Etats limitrophes et avec le Japon en Extrême-Orient. Dans cette entreprise, le gouvernement d'Hitler apparaîtrait comme le simple exécutant du capital mondial. Clemenceau, Millerand, Lloyd George, Wilson ne pouvaient pas mener directement une guerre contre l'Union soviétique, mais ils ont pu pendant trois ans soutenir les armées de Koltchak, Dénikine et Wrangel. En cas de victoire, Hitler deviendrait le super-Wrangel de la bourgeoisie mondiale.
Il est inutile et même impossible d'essayer maintenant de deviner l'issue de ce duel gigantesque. Mais il est évident que si la guerre de la bourgeoisie mondiale contre les Soviets éclatait après l'arrivée des fascistes au pouvoir en Allemagne, cela impliquerait pour l'URSS un isolement terrible et une lutte à mort dans les conditions les plus pénibles et les plus dangereuses. L'écrasement du prolétariat allemand par les fascistes comporterait déjà au moins pour la moitié l'écrasement de République des Soviets.
17. Mais, avant que la question ne soit portée sur les champ de bataille européens, elle doit se résoudre en Allemagne. C'est pourquoi nous affirmons que la clé de la situation se trouve en Allemagne. Entre les mains de qui ? Pour le moment encore dans les mains du Parti communiste. Il ne l'a pas encore laissée échapper. Mais il peut encore la perdre et sa direction le pousse dans cette voie.
Tous ceux qui prônent un " replis stratégique ", c'est-à-dire la capitulation, tous ceux qui tolèrent une telle propagande sont des traîtres. Les propagandistes du recul devant les fascistes doivent être considérés comme les agents inconscients de l'ennemi dans les rangs du prolétariat.
Le devoir révolutionnaire élémentaire du Parti communiste allemand l'oblige à dire : le fascisme ne peut arriver au pouvoir que par une guerre civile à mort, impitoyable et destructrice. Les ouvriers communistes doivent avant tout comprendre cela. Les ouvriers sociaux-démocrates, sans parti, le prolétariat dans son ensemble doivent le comprendre. Le prolétariat mondial doit le comprendre. L'Armée rouge doit le comprendre à l'avance.
18. La lutte est-elle sans espoir? En 1923, Brandler exagérait terriblement les forces du fascisme et, par là, cherchait à justifier la capitulation. Le mouvement ouvrier mondial a supporté les conséquences de cette stratégie jusqu'à présent. La capitulation historique du Parti communiste allemand et de l'Internationale communiste en 1923 est à l'origine de la croissance du fascisme. Le fascisme allemand représente aujourd'hui une force politique infiniment plus puissante qu'il y a huit ans. Nous avons sans relâche mis en garde contre une sous-estimation du danger fasciste et ce n'est pas nous qui allons nier ce danger maintenant. C'est pourquoi nous pouvons et devons dire aux ouvriers révolutionnaires allemands : vos chefs tombent d'un extrême à l'autre.
Pour l'instant la force principale des fascistes tient à leur nombre. En effet, ils recueillent de nombreuses voix aux élections. Mais le bulletin de vote n'est pas décisif dans la lutte des classes. L'armée principale du fascisme est toujours constituée de la petite bourgeoisie et d'une nouvelle couche moyenne :
le petit peuple des artisans et des commerçants des villes, les fonctionnaires, les employés, le personnel technique, l'intelligentsia, les paysans ruinés. Sur la balance de la statistique électorale, 1000 voix fascistes pèsent aussi lourd que 1000 voix communistes. Mais sur la balance de la lutte révolutionnaire 1000 ouvriers d'une grande entreprise représentent une force cent fois plus grande que celle de 1000 fonctionnaires, employés de ministères, avec leurs femmes et leurs belles-mères. La masse principale des fascistes est composée de poussière humaine.
Dans la révolution russe, les socialistes révolutionnait étaient le parti des grands nombres. Les premiers temps, tous ceux qui n'étaient pas des bourgeois conscients ou des ouvriers conscients votaient pour eux. Même à l'Assemblée constituante, c'est-à-dire après la Révolution d'octobre, les socialistes révolutionnaires avaient encore la majorité. Aussi se considéraient-ils comme un grand parti national. En fait, ils n'étaient qu'un grand zéro national.
Nous n'avons pas l'intention de mettre un signe d'égalité entre les socialistes révolutionnaires russes et les nationaux socialistes allemands. Mais ils ont indiscutablement des traits communs, essentiels pour éclairer notre problème. Les socialistes révolutionnaires étaient le parti des espoirs populaires confus. Les nationaux-socialistes sont le parti du désespoir national. La petite bourgeoisie passe très facilement de l'espoir au désespoir, entraînant derrière elle une partie du prolétariat. La masse principale des nationaux-socialistes, comme des socialistes révolutionnaires est une poussière humaine.
19. Cédant à la panique, nos piètres stratèges oublient le principal : la supériorité sociale et militante du prolétariat. Ses forces ne sont pas usées. Il est non seulement capable de lutter mais aussi de vaincre. Les discussions sur le découragement qui, soi-disant, règne dans les entreprises, reflètent généralement le découragement des observateurs eux-mêmes, c'est-à-dire des fonctionnaires déconcertés du parti. Mais il faut prendre en considération le fait que les ouvriers ne peuvent qu'être troublés par la situation complexe et la confusion qui règne au sommet. Les ouvriers savent qu'un grand combat exige une direction ferme. Ni la force des fascistes, ni la nécessité d'une lutte difficile ne les effraient. C'est le manque de fermeté et l'instabilité de la direction, ses hésitations au moment crucial qui les inquiètent. Il n'y aura plus de traces d'abattement ni de découragement dans les usines dès que le parti élèvera sa voix avec assurance, fermeté et clarté.
20. Il est indiscutable que les fascistes disposent de cadres formés pour le combat et de détachements de choc éprouvés. Il ne faut pas le prendre à la légère : " les officiers " jouent un grand rôle même dans l'armée de la guerre civile. Mais ce ne sont pas les officiers, mais les soldats qui décident du sort de la bataille. Et les soldats de l'armée prolétarienne sont infiniment supérieurs, plus sûrs et plus maîtres d'eux-mêmes que les soldats de l'armée d'Hitler.
Après la prise du pouvoir, le fascisme trouvera facilement ses soldats. Avec l'aide de l'appareil d'Etat, on peut former une armée à partir des fils de la bourgeoisie, des intellectuels, des employés de bureau, des ouvriers démoralisés, des lumpenprolétaires, etc. Le fascisme italien en est un bon exemple. Toutefois, il faut préciser que la milice fasciste italienne n'a pas encore prouvé sa valeur militaire à une échelle historique sérieuse. Pour l'instant, le fascisme allemand n'est pas encore au pouvoir. Il doit le conquérir en affrontant le prolétariat.
Est-il possible que le Parti communiste mette en avant dans ce combat des cadres inférieurs à ceux du fascisme ? Et peut-on admettre même un instant que les ouvriers allemands, qui détiennent les puissants moyens de production et de transport, qui, de par leurs conditions de travail, forment l'armée du fer, du charbon, du rail, de l'électricité, ne prouveront pas au moment décisif leur immense supériorité sur la poussière humaine d'Hitler ?
L'idée que se fait le parti ou la classe du rapport de forces dans le pays est un élément important de leur force. Dans toute guerre l'ennemi essaie d'imposer une image exagérée de ses forces. C'était un des secrets de la stratégie de Napoléon. Hitler, en tout cas, ment aussi bien que Napoléon. Mais ses fanfaronnades ne deviennent un facteur militaire qu'à partir du moment où les communistes y croient. Aujourd'hui il importe avant tout d'apprécier les forces de manière réaliste. Sur qui les nationaux-socialistes peuvent-ils compter dans les usines, les chemins de fer, l'armée, combien ont-ils d'officiers organisés et armés? Une analyse précise de la composition sociale des deux camps, le décompte permanent et attentif des forces, voilà les sources infaillibles de l'optimisme révolutionnaire.
La force des nationaux-socialistes actuellement ne réside pas tant dans leur propre armée que dans la division qui règne au sein de l'armée de leur ennemi mortel. C'est précisément la réalité et la croissance du danger fasciste, c'est son caractère imminent, c'est la conscience de la nécessité d'écarter coûte que coûte ce danger qui poussent les ouvriers s'unir pour se défendre. La concentration des forces prolétariennes se fera d'autant plus vite et avec plus de succès que le pivot de ce processus, c'est-à-dire le Parti communiste, sera plus solide. La clé de la situation est encore entre ses mains. Malheur à lui s'il la laisse échapper ! Ces dernières années, les fonctionnaires de l'Internationale communiste criaient à tout propos, et parfois pour des raisons tout à fait futiles, qu'un danger militaire menaçait directement l'URSS. Aujourd'hui ce danger devient tout à fait réel et concret. Tout ouvrier révolutionnaire doit considérer comme un axiome l'affirmation suivante : la tentative des fascistes pour s'emparer du pouvoir en Allemagne doit entraîner une mobilisation de l'Armée rouge. Pour l'Etat prolétarien il s'agira d'autodéfense révolutionnaire au sens plein du terme. L'Allemagne n'est pas seulement l'Allemagne. Elle est le cœur de l'Europe. Hitler n'est pas seulement Hitler. Il peut devenir un super-Wrangel. Mais l'Armée rouge n'est pas seulement l'Armée rouge. Elle est l'instrument de la révolution prolétarienne mondiale.
26 novembre 1931
P.-S. L'ouvrage Contre le national-communisme, de l'auteur de ces lignes, a rencontré quelques approbations équivoques de la part de la presse sociale-démocrate et démocratique.
Il serait non seulement étrange mais paradoxal qu'au moment où le fascisme allemand a utilisé avec tant de succès les erreurs les plus grossières du communisme allemand, les sociaux-démocrates n'essaient pas d'utiliser la critique franche et violente de ces erreurs.
Il est inutile de préciser que la bureaucratie stalinienne à Moscou et à Berlin s'est emparée des articles de la presse sociale-démocrate et démocratique, consacrés à notre brochure, comme d'un cadeau du ciel : ils ont enfin la " preuve " de notre front unique avec la social-démocratie et la bourgeoisie.
Ces individus qui ont fait la révolution chinoise la main dans la main avec Tchang Kaï-chek, et la grève générale en Angleterre avec Purcell, Citrine et Cook - là il ne s'agit pas d'articles mais de gigantesques événements historiques !- sont obligés de se rabattre avec des cris de joie sur des incidents d'une polémique dans la presse. Mais nous ne craignons pas une confrontation même sur ce terrain. Il faut raisonner et non pousser des glapissements, analyser et non accabler d'injures.
Avant tout nous posons la question suivante : qui a tiré avantage de la participation stupide et criminelle du Parti communiste allemand au référendum fasciste? Les faits ont déjà apporté une réponse irréfutable : les fascistes et eux seuls. C'est pour cette raison que le principal instigateur de cette aventure criminelle en a lâchement renié la paternité : dans un discours prononcé à Moscou devant les permanents du parti, Staline a défendu la participation au référendum, il s'est ressaisi et il a interdit aux journaux non seulement d'imprimer son discours, mais même de le mentionner.
Evidemment, Vorwärts, le Berliner Tageblatt et la Wiener Arbeiterzeitung - cette demière surtout - citent notre brochure avec la plus grande mauvaise foi. Mais peut-on demander à la presse bourgeoise et petite bourgeoise d'être de bonne foi lorsqu'il s'agit des idées révolutionnaires prolétariennes ? Toutefois, nous sommes prêts à négliger les truquages et à examiner franchement les accusations des fonctionnaires staliniens Nous sommes prêts à reconnaître que dans la mesure où la social-démocratie redoute la victoire des fascistes, reflétant par-là l'inquiétude révolutionnaire des ouvriers, elle avait objectivement le droit d'utiliser notre critique de la politique des staliniens qui rend un énorme service aux fascistes. C'est votre politique et non notre brochure qui explique ce " droit ". O sages stratèges ! Vous affirmez que nous avons formé un " front unique " avec Wels et Severing ? Uniquement dans la mesure où vous avez formé un front unique avec Hitler et ses bandes ultra-réactionnaires. Et avec la différence qu'il s'agissait dans votre cas d'une action politique commune, alors que pour nous cela s'est résumé à l'utilisation équivoque par l'adversaire de quelques citations de nos articles.
Quand Socrate posait ce principe philosophique : " Connais-toi toi-même ", il pensait certainement à Thaelmann, Neumann et même à Remmele en personne.