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La France en période de révolution ?
Le tournant à gauche de l'I.C. a commencé en 1928. En juillet, la "troisième période" était annoncée. Un an plus tard, Molotov assurait que la France, avec l'Allemagne et le Pologne, était entrée dans une période de "très grands événements révolutionnaires". On déduisait tout cela du développement du mouvement de grèves. On ne citait pas de faits; seulement deux ou trois exemples étaient donnés d'après les journaux. Nous avons traité de la question de la dynamique du mouvement ouvrier français sur la base des chiffres et des faits. L'image donnée par Molotov, qui lui étaient soufflée par d'autres (nous supposons que le rôle de souffleurs était joué par Manouilsky et Kuusinen) ne coïncidait nullement avec la réalité. La vague de grèves des deux dernières années avait un caractère très limité même si elle montrait une tendance à la montée en comparaison avec l'année précédente, qui était la plus basse de la décennie. Ce développement limité est d'autant plus remarquable que la France, en 1928-1929, a traversé un incontestable bouleversement industriel, certainement évident dans l'industrie métallurgique où le mouvement gréviste a été le plus faible.
Une des raisons du fait que les ouvriers français n'ont pas utilisé la conjoncture favorable était incontestablement la caractère extrêmement superficiel de la stratégie gréviste de Monmousseau et autres élèves de Lozovsky. Il est devenu clair qu'ils ne connaissaient pas l'état de l'industrie dans leur propre pays. Le résultat est qu'ils caractérisaient des grèves économiques isolées, défensives, surtout dans l'industrie légère comme des politiques révolutionnaires offensives.
C'est là I'essence de notre analyse de la "troisième période" en France. Jusqu'à présent, nous n'avons pas vu un seul article dans lequel notre analyse soit soumise à critique, bien qu'on sente évidemment un puissant besoin d'une telle critique. Il n'y a aucune façon d'expliquer autrement l'apparition dans la Pravda d'un très long article: "Sur la stratégie de grève du généralissime Trotsky" qui contient de la poésie burlesque, des citations de Juvenal et des plaisanteries sans objet, mais pas un mot sur l'analyse factuelle de la lutte de la classe ouvrière française dans la dernière décennie et surtout les deux dernières années. L'article, évidemment de la plume d'un des récents héros de la troisième période est modestement signé "Radovoy" ("l'homme de la base").
L'auteur accuse Trotsky de ne voir que les grèves défensives mais de ne pas reconnaître l'offensive gréviste. Supposons que Trotsky soit coupable de cela. Mais est-ce une raison d'abandonner une lutte offensive dans l'industrie métallurgique dans les conditions les plus favorables et en même temps d'appeler offensive une série de grèves défensives ?
L'auteur accuse Trotsky de ne pas distinguer le capitalisme à l'époque de sa montée du capitalisme à l'époque de son déclin. Admettons qu'il en soit ainsi. Oublions le débat qui s'est déroulé dans l'I.C. au temps de son III° congrès, pendant qu'il y avait encore une vraie discussion d'idées sur le rapport entre la crise du capitalisme en tant que système et ses crises cycliques. Supposons que Trotsky ait oublié tout cela et que Radovoy l'ait absorbé. Cela répond-il à la question de savoir si la France est entré au cours des deux dernières années dans une période d'événements révolutionnaires décisifs ? C'est précisément ce que l'I.C. a affirmé.
Cette question a-t-elle un sens ? Il semble que oui. Mais que dit là-dessus l'auteur de "cet article spirituel" ? Pas un mot. La France et son mouvement ouvrier sont totalement ignorés. A la place, Radovoy dit que Trotsky est "Monsieur Trotsky" qui sert la bourgeoisie. Est-ce tout ? Oui, rien de plus.
Mais un lecteur bien intentionné peut objecter qu'on ne peut pas attendre grand chose du jeune Radovoy et qu'il a encore une chance d'apprendre. Après tout, ce n'est pas lui qui a formulé la politique syndicale en France. Pour cela on a de sérieux stratèges révolutionnaires, éprouvés dans la lutte, par exemple le secrétaire général de l'Internationale Syndicale Rouge, Lozovsky.
Bien, répondrons-nous, et tout cela serait convaincant si.. si seulement Radovoy n'était pas Lozovsky lui-même. La collection d'arguments cyniques et superficiels et de tristes plaisanteries ne peut nous tromper.
Le général commandant, sous un pseudonyme modeste, défend ses propres actes. Il dissimule sous des rimes les calamités qu'il inflige au mouvement ouvrier. Il attaque l'Opposition de gauche avec une brillante et vindicative ironie; il peut, voyez-vous être assis sur un seul sofa. Que Radovoy enquête. Y a-t-il des sofas dans les prisons pleines d'oppositionnels ? Même si l'Opposition de gauche était réellement aussi petite que Lozovsky le proclame, cela ne nous effraierait nullement. Quand, au début de la guerre, les internationalistes révolutionnaires de toute l'Europe se sont rencontrés à Zimmerwald, ils ne remplissaient que quelques voitures. Nous n'avons jamais eu peur d'être en minorité. C'est Lozovsky qui en avait peur pendant la guerre quand il défendait les longuettistes qu'il a essayé de toutes les façons d'unir contre nous. Pendant la Révolution d'Octobre, Lozovsky avait peur que le parti bolchevique soit "isolé" des mencheviks et des socialistes révolutionnaires, et il trahit donc le parti qu'il avait temporairement rejoint et s'unit à ses ennemis dans la période la plus critique. Et maintenant, après que Lozovsky ait joint le pouvoir soviétique victorieux, ses estimations quantitatives sont exactement aussi fiables que ses estimations qualitatives.
Après la victoire, dont il ne fut en rien coupable, Lozovsky mettant des plus là où il avait mis des moins, déclara dans un manifeste triomphant au V° congrès de l'I.C. que le parti socialiste français "n'existe plus". En dépit de toutes nos protestations contre cette légèreté honteuse, il maintint cette affirmation. Quand il devint clair que la social-démocratie internationale existait néanmoins, Lozovskyy avec ses maîtres rampa sur ses quatre membres dans la politique du comité anglo-russe et s'allia avec les briseurs de grève pendant la plus grande grève de la classe ouvrière britannique. Avec quel triomphe - un triomphe sur l'Opposition -, Lozovsky, à un plénum du comité central a-t-il lu le télégramme dans lequel Citrine et Purcell, après avoir écrasé non seulement la grève générale mais aussi la grève des mineurs de charbon, acceptèrent généreusement de parler avec les représentants du conseil central des syndicats soviétiques.
Après la destruction de la révolution chinoise et la désintégration des organisations ouvrières chinoises, Lozovsky, à un plénum du comité central (où il revint comme invité parce que Staline n'avait pas encore décidé de l'admettre comme membre) fit un rapport sur les fantastiques progrès de l'I.S.R. Il dit qu'il y avait trois millions d'ouvriers organisés dans les syndicats chinois. Tout le monde sursauta. Mais Lozovsky ne cligna même pas de l'œil. Il agissait aussi légèrement avec les millions d'ouvriers organisés qu'il le fait avec les rimes pour ses articles colorés. C'est pourquoi l'esprit de Lozovsky sur le sofa où toute l'Opposition peut s'asseoir ne nous submerge nullement. Incontestablement, il y a beaucoup de sofas et autres meubles dans les bureaux de l'I.S.R., mais malheureusement on y manque d'idées. Et ce sont les idées qui gagnent car ce sont les idées qui convainquent les masses.
Mais pourquoi Lozovsky a-t-il utilisé le nom de Radovoy ? Nous entendons là une voix méfiante ou qui doute. Il y a deux raisons : personnelle et politique. Personnellement, Lozovsky préfère ne pas s'exposer aux coups. Aux moments difficiles des conflits d'idées, il préfère un modeste anonymat, de même qu'aux moments décisifs de la lutte révolutionnaire, il incline vers les délibérations solitaires. C'est là sa raison personnelle. Il y a aussi une raison politique. Si Lozovsky avait signé de son nom, chacun se serait dit : est-il possible que, dans les questions du mouvement syndical nous n'ayons réellement personne de meilleur ? Mais en voyant la signature de Radovoy sous l'article, le lecteur bien intentionné peut se dire : il faut admettre que Radovoy est un triste scribouillard, mais nous avons quand même Lozovsky.