La Cinquième Roue

De Marxists-fr
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La soi-disant Association internationale des travailleurs (A.I.T.), représentant les groupements anarcho-syndicalistes de différents pays, s'est réunie à Paris du 8 au 17 décembre. Il est bien connu que la seule section importante de cette Internationale est la C.N.T. espagnole. Toutes les autres organisations (suédoise, portugaise, française, latino-américaine) sont d’une dimension tout à fait insignifiante.

Évidemment, même une petite organisation peut avoir une grande signification si elle a une position révolutionnaire indépendante qui anticipe sur le développement à venir de la lutte de classes. Mais, comme on peut s’en rendre compte à travers le bref compte rendu publié dans le Bulletin d’information de l’A.I.T. (n° 67 de l’édition allemande, Boletin d'Información), le congrès extraordinaire de Paris s’est terminé par la victoire complète de la politique de García Oliver, c’est-à-dire la politique de capitulation devant la bourgeoisie.

Au cours de l’année dernière, quelques publications anarchistes, surtout les françaises, ont modérément critiqué les méthodes d’action de la C.N.T. espagnole. Les bases de cette critique sont tout à fait suffisantes : au lieu de construire le socialisme sans État, les dirigeants de la C.N.T. sont devenus ministres dans un État bourgeois ! Cette circonstance n’a pas cependant empêché le congrès de Paris de l’A.I.T. D’ « approuver la ligne de la C.N.T. ». A leur tour, les leaders de l’anarcho-syndicalisme espagnol ont expliqué au congrès que, s’ils avaient trahi la révolution socialiste afin de sauver la bourgeoisie, c’était seulement à cause de « la solidarité insuffisante du prolétariat international ».

Le congrès n’a rien inventé de nouveau : tous les traîtres réformistes ont toujours fait porter au prolétariat la responsabilité de leur propre trahison. Si les social-patriotes soutiennent leur militarisme « national », ce n’est pas, bien évidemment, parce qu’ils sont les larbins du capitalisme, mais parce que « les masses ne sont pas encore mûres pour un réel internationalisme ». Si les dirigeants syndicaux se conduisent comme des briseurs de grève, c’est parce que les masses « ne sont pas encore mûres » pour lutter.

Le compte rendu ne dit mot d’une critique révolutionnaire à ce congrès de Paris. A cet égard comme à bien d’autres, ces Messieurs les anarchistes imitent totalement les libéraux bourgeois. Pourquoi la racaille serait-elle au courant des divergences qui existent dans les sommets? Cela ne pourrait qu’ébranler l’autorité des ministres anarcho-bourgeois. Il est vraisemblable qu’en réplique à la critique « de gauche » des anarchistes français, ces derniers se seraient vus rappeler leur propre conduite pendant la dernière guerre impérialiste.

Nous avons déjà entendu dire par certains théoriciens anarchistes qu’au cours de circonstances « exceptionnelles », comme la guerre et la révolution, il est nécessaire de renoncer à son propre programme. De tels révolutionnaires ressemblent fort à ces imperméables qui ne prennent l’eau que quand il pleut, c’est-à-dire dans des circonstances « exceptionnelles », mais demeurent parfaitement étanches par temps sec, donnant alors toute satisfaction.

Les décisions du congrès de Paris se situent exactement au même niveau que la politique de García Oliver et des gens de son espèce. Les leaders de l’A.I.T. ont résolu d’en appeler à la IIe, à la IIIe et à l’Internationale d’Amsterdam, et de leur proposer la constitution d’un « front international antifasciste ». Pas un mot de la lutte contre le capitalisme. Les méthodes de cette bataille sont annoncées : « boycottage des produits fascistes », et… « pression sur les gouvernements démocratiques » : les méthodes les plus sûres par lesquelles libérer le prolétariat !

C’est bien évidemment avec l’objectif d’exercer une « pression » que le leader de la IIe Internationale, Léon Blum, est devenu président du Conseil dans la France « démocratique » et a tout fait pour écraser le mouvement révolutionnaire du prolétariat français. Avec Staline, et aidé par García Oliver, Blum a aidé Negrín-Prieto à étrangler la révolution socialiste du prolétariat espagnol. Et, dans toute cette action, Jouhaux a pris une part très importante.

C’est à travers de telles actions que le front uni des trois Internationales pour la lutte contre le prolétariat révolutionnaire a déjà été réalisé depuis longtemps. Dans ce front, les leaders de la C.N.T. ont tenu une place qui n'est pas éminente, mais déjà suffisamment honteuse !

Le congrès de Paris signifie que la trahison des anarchistes espagnols est imposée à l’anarchisme dans le monde entier. Cela trouve son expression particulière dans le fait qu’à partir de maintenant le secrétaire général de l’A.I.T. sera désigné par la C.N.T. espagnole. En d’autres termes, le secrétaire général, à partir de maintenant, sera un fonctionnaire du gouvernement bourgeois espagnol.

Messieurs les théoriciens et demi-théoriciens anarchistes et demi-anarchistes, qu’avez-vous à dire ? A l’exemple des anarcho-syndicalistes espagnols, êtes-vous prêts à jouer le rôle de cinquième roue du carrosse de la démocratie bourgeoise ?

Bien des anarchistes, c'est évident, ne se sentent pas parfaitement à leur aise. Mais, pour surmonter leur malaise, ils changent de conversation. Pourquoi s’occuper, en vérité, de l’Espagne et du congrès de Paris de l’A.I.T., quand on peut parler de Cronstadt ou de Makhno? Thèmes des plus brûlants …

Dans sa décomposition et son déclin, l’Internationale anarchiste ne désire pas, de toute évidence, traîner à la remorque de la IIe et de la IIIe Internationale. Les ouvriers anarchistes honnêtes trouveront d’autant plus vite la IVe.