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Special pages :
La Capitulation de Staline
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 11 mars 1939 |
Les premières informations sur le discours de Staline au congrès qui se tient actuellement à Moscou du soi-disant parti « communiste » de l’Union soviétique, montrent que Staline s’est empressé de tirer pour sa part les leçons des événements espagnols dans le sens d’un nouveau tournant vers la réaction.
[En Espagne, Staline a subi une défaite moins directe, mais non moins profonde que celle d’Azana ou Negrin. Il s’agit en outre d’infiniment plus que d’une défaite purement militaire, voire d’une guerre perdue. Toute la politique des « républicains » était déterminée par Moscou. Les rapports que le gouvernement républicain a établis avec les ouvriers et les paysans n’étaient rien d’autre que la traduction dans le langage du temps de guerre des rapports entre l’oligarchie du Kremlin et les peuples d’Union soviétique. Les méthodes du gouvernement Azana-Negrin n’étaient rien d’autre qu’un concentré des méthodes du G.P.U. de Moscou. La tendance fondamentale de cette politique consistait à substituer la bureaucratie au peuple et la police politique à la bureaucratie.
Du fait des conditions de guerre, les tendances du bonapartisme de Moscou ont non seulement revêtu leur expression suprême en Espagne, mais elles y ont vite été mises à l’épreuve. D’où l’importance des événements d’Espagne du point de vue international et particulièrement du point de vue des Soviétiques. Staline est incapable de conduire une guerre et, quand il est obligé de le faire, il n’est pas capable d’aboutir à autre chose que des défaites.]
Dans son discours au congrès, Staline rompt ouvertement avec l’idée de « l’alliance des démocraties pour résister aux agresseurs fascistes ». Ceux qui cherchent une guerre internationale, ce ne sont maintenant ni Mussolini ni Hitler, mais les deux principales démocraties d’Europe, la Grande-Bretagne et la France qui, selon les termes de l’orateur, veulent entraîner l’Allemagne et l’U.R.S.S. dans un conflit armé sous le prétexte d’une attaque de l’Allemagne contre l’Ukraine. Le fascisme ? Il n’y est pour rien. Il ne peut être question, selon Staline, d’une attaque de Hitler contre l’Ukraine, et il n’existe pas le moindre fondement pour un conflit militaire avec Hitler. L’abandon de la politique de l' « alliance des démocraties » est complété immédiatement : on rampe de façon humiliante devant Hitler et on lui cire ses bottes. Voilà Staline !
En Tchécoslovaquie, la capitulation des « démocraties » devant le fascisme a trouvé son expression dans le changement de gouvernement. En U.R.S.S., grâce aux multiples avantages du régime totalitaire, Staline est son propre Benes et son propre général Syrový Il change les « principes » de sa politique précisément afin de n’être pas lui-même remplacé. La clique bonapartiste veut vivre et gouverner. Tout le reste est pour elle question de « technique ».
En réalité, les méthodes politiques de Staline ne se distinguent en rien des méthodes de Hitler. Mais, dans la sphère de la politique internationale, la différence des résultats saute aux yeux. En un bref laps de temps, Hitler a récupéré le territoire de la Sarre, culbuté le traité de Versailles, fait main basse sur l’Autriche et le pays des Sudètes, soumis à sa domination la Tchécoslovaquie et à son influence un certain nombre d’autres États de second ou de troisième rang.
Au cours des mêmes années, Staline n’a connu sur l’arène internationale que défaites et humiliations (Chine, Tchécoslovaquie, Espagne). Chercher l’explication de cette différence dans les qualités personnelles de Hitler et de Staline serait trop superficiel. Hitler est indubitablement plus perspicace et plus audacieux que Staline ; cependant, cela n’est pas décisif. Ce qui compte, ce sont les conditions sociales générales des deux pays.
[Il est de mode maintenant dans les cercles superficiellement avancés de mettre dans le même sac les régimes de l’Allemagne et de l’U.R.S.S. C’est dénué de sens. En Allemagne, en dépit de toutes les « réglementations » de l’État, il existe un régime de propriété privée des moyens de production. En Union soviétique, l’industrie est nationalisée et l’agriculture collectivisée. Nous connaissons toutes les monstruosités sociales que la bureaucratie a fait naître sur la terre de la révolution d’Octobre. Il reste le fait d’une économie planifiée sur la base de la propriété d’État et de la collectivisation des moyens de production. Cette économie étatisée a ses propres lois lesquelles s’accommodent de moins en moins du despotisme, de l’ignorance et des vols de la bureaucratie stalinienne.]
Le capitalisme de monopole, dans le monde entier et particulièrement en Allemagne, se trouve dans une crise sans issue. Le fascisme lui-même est l’expression de cette crise. Mais, dans le cadre du capitalisme de monopole, le régime de Hitler est pour l’Allemagne le seul possible. L’énigme des succès de Hitler s’explique par le fait que, par son régime policier, il donne leur expression suprême aux tendances de l’impérialisme. Au contraire, le régime de Staline est entré en contradiction irréductible avec les tendances de la société soviétique à l’agonie. Bien sûr, les succès de Hitler sont fragiles, instables, limités par les capacités de la société bourgeoise à l’agonie.
Hitler approchera bientôt de son apogée, s’il n’y est pas déjà, pour rouler ensuite à l’abîme. Mais ce moment n’est pas encore arrivé. Hitler continue à exploiter la force dynamique de l’impérialisme en lutte pour son existence. Au contraire, les contradictions entre le régime bonapartiste de Staline et les nécessités de l’économie et de la culture ont atteint une tension intolérable. La lutte du Kremlin pour son auto-conservation n’a fait qu’approfondir et exacerber les contradictions, aboutissant à une guerre civile incessante à l’intérieur et, sur l’arène internationale, aux défaites qui en sont la conséquence.
Que représente le discours de Staline? C’est un anneau dans la chaîne d’une nouvelle politique en voie de formation, s’appuyant sur des accords préliminaires déjà conclus avec Hitler? Ou est-il seulement un ballon d’essai, une offre unilatérale de la main et du cœur? Le plus vraisemblablement, la réalité est plus proche de la seconde variante que de la première.
Vainqueur, Hitler n’est pas encore pressé de fixer une fois pour toutes ses amitiés ou ses inimitiés. Au contraire, il a grand intérêt à ce que l’Union soviétique et les démocraties occidentales s’accusent l’une l’autre de « provoquer la guerre ». Par son offensive, Hitler a en tout cas déjà obtenu quelque chose : Staline qui, hier encore, était I’ «Alexandre Nevsky » des démocraties occidentales, tourne aujourd’hui ses regards vers Berlin et confesse humblement les fautes qu’il a commises.
Quelle leçon ! Au cours des trois dernières années, Staline a dénoncé tous les compagnons de Lénine comme des agents de Hitler. Il a exterminé la fleur de l’état-major, fusillé, destitué, déporté environ trente mille officiers, tous sous la même accusation d’être agents de Hitler ou de ses alliés. Après avoir démantelé le parti et décapité l’armée, Staline pose maintenant sa candidature au rôle de… principal agent de Hitler. Laissons les filous de l’Internationale communiste mentir et s’en tirer comme ils peuvent. Les faits sont si clairs et si convaincants que personne ne réussira plus à tromper l’opinion publique de la classe ouvrière internationale avec des phrases charlatanesques. Avant la chute de Staline, l’I.C. sera en pièces. Et pour que les deux arrivent, il ne faudra pas attendre des années.
[P.-S. Après l’entrée de Hitler à Prague, des rumeurs ont circulé du retour de Staline dans le cercle des démocraties. Il est impossible de considérer cela comme exclu. Mais il n’est pas non plus exclu que Hitler soit entré à Prague avec, en mains, la preuve que Staline s’était séparé des « démocraties ». Le fait que Hitler ait abandonné à la Hongrie l’Ukraine subcarpathique, qui ne lui appartient pas, constitue une renonciation très démonstrative à ses plans d’une Grande Ukraine. La question de savoir si cela durera longtemps est une autre question.
En tout cas, on doit considérer comme vraisemblable que Staline connaissait d’avance le sort de l’Ukraine subcarpathique et que c’est pourquoi il a démenti avec tant d’assurance l’existence d’un danger pour l’Ukraine soviétique. La création d’une frontière commune entre la Pologne et la Hongrie peut aussi être interprétée comme un geste de « bonne volonté » vis-à-vis de l’U.R.S.S. Que cela doive durer, c’est encore une autre question.
Au rythme actuel de développement des antagonismes mondiaux, la situation peut changer demain de façon radicale. Mais il semble bien aujourd’hui que Staline se prépare à jouer avec Hitler.]