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Special pages :
L’amendement de Stupp
Auteur·e(s) | Karl Marx Friedrich Engels |
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Écriture | 20 juin 1848 |
Neue Rheinische Zeitung n° 21, 21 juin 1848
Cologne, 20 juin
M. Stupp, de Cologne, a déposée un amendement à la loi sur l'immunité parlementaire; cet amendement n'est pas venu en discussion à l'Assemblée ententiste, mais pourrait ne pas être sans intérêt pour les concitoyens colonais de M. Stupp. Nous ne voulons pas vous priver du plaisir sans mélange que procure cette œuvre d'art législative.
Amendement du député Stupp[modifier le wikicode]
§ 1. « Aucun membre de l'Assemblée ne peut être amené à rendre un compte quelconque de ses votes, ou des paroles et des opinions exprimées en sa qualité de député. »
Amendement. « Suppression du mot « paroles » à la troisième ligne. »
Motif. « Il suffit que le député puisse exprimer librement son opinion. L'expression « paroles » peut impliquer des outrages qui fonderaient l'offensé à déposer une plainte civile. Mettre les députés à l'abri de telles plaintes me paraît être en contradiction avec le prestige et l'honneur de l'Assemblée. »
Il suffit que le député n'exprime absolument aucune opinion, mais tambourine en signe de désapprobation et vote. Car pourquoi ne pas supprimer aussi « l'opinion » puisque les opinions doivent être exprimées avec des « paroles » et que ces paroles peuvent être « outrageantes », puisque l'expression « opinion » peut impliquer aussi des opinions outrageantes ?
§ 2. « Aucun membre de l'Assemblée ne peut, pendant la durée de celle-ci, et sans son assentiment, être rendu responsable ni être arrêté pour un acte passible de sanctions, à moins qu'il ne soit arrêté en flagrant délit dans les 24 heures qui suivent. Un tel assentiment est nécessaire lors d'une arrestation pour dettes. »
Amendement. « Suppression de la phrase de conclusion - Un tel assentiment est nécessaire lors d'une arrestation pour dettes. »
Motif. « Il s'agit ici d'une atteinte aux droits privés des citoyens dont la sanction me paraît contestable. Si grand que puisse être l'intérêt pour l'Assemblée de compter dans ses rangs tel ou tel député, j'estime cependant que le respect des droits privés doit prévaloir. »
« Il faut considérer en particulier que nous votons cette loi non pour l'avenir, c'est-à-dire non pour les membres d'une Chambre future, mais pour nous. À supposer qu'il y ait parmi nous des députés qui aient à redouter d'être arrêtés pour dettes, cela ferait certainement mauvaise impression sur nos électeurs, si nous voulions nous protéger contre les poursuites légales de nos créanciers par une loi que nous aurions nous-mêmes votée. »
Ou plutôt, inversement ! Cela fait mauvaise impression sur M. Stupp que les électeurs aient envoyé « parmi nous » des députés qui puissent être arrêtés pour dettes. Quelle chance pour Mirabeau et Fox qu'ils n'aient pas vécu sous la législation Stupp. Une seule difficulté arrête un instant M. Stupp, c'est « l'intérêt pour l'Assemblée de compter dans ses rangs tel ou tel député ». L'intérêt du peuple - qui donc en parlera? Il s'agit ici de l'intérêt d'une « société fermée » qui veut garder dans ses rangs, celui qu'un créancier souhaite en prison. Heurt de deux intérêts importants! M. Stupp pouvait donner à son amendement une rédaction plus pertinente. Pour être élus représentants du peuple, des individus grevés de dettes doivent avoir l'autorisation de leurs créanciers respectifs. Ils sont à tout moment révocables par leurs créanciers. Et en dernière instance, l'Assemblée et le gouvernement sont soumis à la décision suprême des créanciers de l'État.
Deuxième amendement au § 2. « Aucun membre de l'Assemblée ne peut, sans l'assentiment de celle-ci, et pendant la durée de ses séances, être poursuivi d'office ni arrêté pour un acte répréhensible, à moins d'un flagrant délit. »
Motif. « À la première ligne, le mot Assemblée est pris dans le sens de corps constitué, l'expression - durée de celle-ci - ne me paraît donc pas convenir, et je propose « durée des séances de celle-ci ».
À la place d'« acte passible d'une peine », « acte répréhensible » me semble mieux convenir.
Je suis d'avis que nous n'avons pas le droit d'exclure les plaintes civiles concernant des actes répréhensibles, car nous nous permettrions ainsi une atteinte aux droits privés. De là l'adjonction « d'office ».
Si l'adjonction : « ou dans les 24 heures qui suivent, etc... » subsiste, le juge peut arrêter un député durant les 24 heures qui suivent tout délit. »,
Le projet de loi garantit l'immunité parlementaire pendant la durée de l'Assemblée, l'amendement de M. Stupp pendant « la durée des séances », c'est-à-dire pendant 6 heures par jour, 12 heures au maximum. Et quel sagace exposé des motifs. On peut parler de la durée d'une séance, mais la durée d'un Corps constitué ?
Sans l'assentiment de l'Assemblée M. Stupp ne veut exposer aucun député à une poursuite ou une arrestation d'office. Il se permet donc une atteinte au droit criminel. Mais au nom de la plainte civile ! Surtout pas d'atteinte au droit civil, vive le droit civil ! Ce qui n'est pas de la compétence de l'État, doit être de la compétence du citoyen privé ! La plainte civile au-dessus de tout ! La plainte civile est l'idée fixe de M. Stupp. Le droit civil c'est Moïse et les prophètes ! Jurez sur le droit civil, spécialement sur la plainte civile. Peuple, fais preuve de respect devant le Saint des Saints !
Le droit privé n'empiète pas sur le droit public, mais il y a de « graves » empiétements du droit public sur le droit privé. Pourquoi même avoir une Constitution puisque nous possédons le Code civil,des cours de justice et des avocats ?
§ 3. « Toute procédure criminelle contre un membre de l'Assemblée et toute détention est suspendue pour la durée de la séance si l'Assemblée le décide. »
Proposition de modification de la rédaction du § 3 :
« Toute procédure criminelle contre un membre de l'Assemblée et toute arrestation effectuée en conséquence de cette procédure, si elle n'a pas eu lieu en vertu d'un jugement en forme, doit être immédiatement suspendue si l'Assemblée le décide. »
Motif : « Il n'est sans doute pas dans l'esprit du texte de libérer de la maison d'arrêt des députés déjà condamnés par un jugement en forme à une peine de prison. »
« Si l'amendement passe, ceci vaut aussi pour ceux qui sont incarcérés pour dettes. »
L'Assemblée pourrait-elle nourrir le dessein, qui serait de haute trahison, d'amoindrir la « vertu d'un jugement en forme » ou même d'appeler en son sein un homme « incarcéré » pour dettes ? M. Stupp tremble à l'idée de cet attentat contre la plainte civile et la vertu d'un jugement en forme. Toutes les questions concernant la souveraineté du peuple sont maintenant réglées : M. Stupp a proclamé la souveraineté de la plainte civile et du droit civil. Quelle cruauté d'arracher un tel homme à la pratique du droit civil et de le précipiter dans la sphère inférieure du pouvoir législatif ? Le peuple souverain a commis ce « grave » empiétement sur le « droit privé ». M. Stupp intente donc une action civile contre la souveraineté du peuple et le droit public.
Mais le tsar Nicolas peut tranquillement rebrousser chemin. À la première violation de la frontière prussienne, le député Stupp l'affrontera, la « plainte civile » d'une main, et « le jugement en forme » de l'autre. Car, démontre-t-il avec la solennité de mise : La guerre, qu'est-ce que la guerre ? Un grave empiétement sur le droit privé ! Un grave empiétement sur le droit privé !