L’école léniniste de Longjumeau

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Ce que nous dit notre camarade Rappoport de la première école léniniste organisée en France

L’école de Longjumeau fut une riposte à l’École de Capri [1] organisé (1909) par Gorki, Bogdanov et Lounatcharsky et où Lénine y vit une tentative de propager les idées déistes de Bogdanov et refusa d’y donner des leçons. Les organisateurs voulaient en effet introduire dans le marxisme une idéologie « religieuse » [2].

Dès juin 1909 dans une Conférence du Centre bolchéviste, la fraction bolchéviste se dresse contre les représentants de cette idéologie et rompt avec l’école de Capri. La plupart des ouvriers qui en suivaient les cours abandonnent les professeurs et finissent leur éducation politique et économique à Longjumeau [3].

Le Comité central se réunissait alors avenue d’Orléans, 110, au siège de l’imprimerie de l’organe central du Parti, « Le Prolétaire ».

En même temps qu’il menait une implacable guerre d’idées pour arriver l’unification du parti, le C.C. décida de préparer dans le domaine pratique « un nouveau type d’ouvriers social-démocrate ». C’est de là que sortit l’école de Longjumeau.

Comme notre camarade Rappoport y est désigné comme un des professeurs à côté de Lénine, Zinoviév, Kaménév, Riazanov, Semachko, etc. il était intéressant d’aller lui demander de fournir à nos lecteurs quelques précisions sur cette première école « léniniste ». Tout de suite, notre camarade, qui me reçoit avec sa cordialité familière, me raconte ce qu’il a conservé de souvenirs :

« Hélas, je serai bien en peine de retrouver le hangar où se tenaient les cours. J’allais bien chaque semaine à Longjumeau par le tramway qui passe à Bourg-la-Reine, mais il fallait prendre des précautions, moins à cause de la police française que de la police russe qui épiait les faits et gestes des émigrés russes. Si les élèves ouvriers de l’école avaient été repérés, ils n’auraient pu rentrer en Russie et les espoirs que Lénine fondait sur eux pour le développement du Parti auraient été rendus vains.

Et comme Lénine avait raison d’espérer ! Songez que sur la quinzaine d’élèves 8 ou 10 occupent maintenant dans le Parti communiste ou dans la C.G.T. russe des postes très importants.

Où fut préparée l’école ? À Paris, au siège de l’imprimerie du journal. Dans la Commission d’organisation entrèrent des représentants des différentes fractions du Parti social-démocrate russe ainsi que du parti social-démocrate polonais dont les leaders d’alors, Rosa Luxembourg et Tychko, se rapprochaient le plus de la fraction bolcheviste.

Il y avait là Zinoviev (bolchéviste), Varski (parti polonais), Pavlovitch (menchevique) et moi-même au nom des amis de Plékhanov, allié alors à Lénine.

Sur la proposition de Zino[viev], j’assurai la présidence jusqu’à l’ouverture de l’école. Il fallut plusieurs mois pour faire venir les représentant les plus qualifiés des organisations ouvrières de Russie. Je n’ai pu en retenir les noms qui d’ailleurs étaient presque tous des noms d’emprunt, vu l’illégalité stricte dans laquelle ils étaient obligés de vivre. A mon dernier séjour en Russie, Doganov, le secrétaire du Soviet central des Syndicats (C.G.T. russe) me rappela qu’il avait été du nombre de mes élèves à Longjumeau.

C’est le Comité Central qui assura les conditions matérielles de l’École, à l’organisation de laquelle Lénine et Zinoviev consacrèrent de très grands efforts.

Ce que Lénine enseigna ? Avec sa clarté, sa précision, sa fermeté doctrinale sans pareille : trente leçons d’économie politique, dix sur la question agraire, trois sur la théorie et la pratique du socialisme. Moi, je fis une série de conférences sur le mouvement ouvrier international et plus particulièrement sur le mouvement allemand.

À la fin du cours les auditeurs retournèrent en Russie où ils se mirent au travail. Lénine rentra à Paris. Il habitait, comme vous savez, au numéro 10 [4] de la rue Marie-Rose où je discutai plus d’une fois avec lui. Il eut l’occasion depuis de démontrer victorieusement que, du point de vue théorique comme du point de vue pratique, c’était lui qui avait raison ».

André.

  1. L'« École social-démocrate supérieure de propagande et d’agitation » de Capri (près de Naples), était destinée à la formation d’une douzaine de cadres ouvriers du POSDR et fut organisée par Gorki, Alexinsky, Bogdanov et Lounatcharsky en août-novembre 1909. Le même groupe organisa une autre école à Bologne en 1911.
  2. Il s’agit ici des conceptions défendues par les « Constructeurs de Dieu », nom donné aux partisans d’un courant marxiste russe (1907-1910) voulant créer une religion de l’humanité et du progrès socialistes, avec ses propres mythes et ses rites, afin de gagner au socialisme les masses croyantes. Ses principaux représentants étaient Lounatcharsky, Bogdanov, Bazarov et l’écrivain Maxime Gorki.
  3. Il y a ici une confusion de dates et de personnes. L’école de Capri s’est déroulée dans la seconde moitié de l’année 1909 tandis que celle de Longjumeau a eu lieu au printemps-été 1911. La plupart des élèves de l’école de Capri rejoignirent effectivement ensuite Paris où ils suivirent quelques conférences de Lénine au début de l’année 1910, mais ce ne fut pas à Longjumeau et il ne s’agit pas des mêmes militants qui suivirent l’école de formation organisée l’année suivante.
  4. Il s’agit en fait du n°4 de la rue Marie-Rose, dans le 14e Arrondissement, où Lénine résida en 1909-1912