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Special pages :
Lénine est mort
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | avril 1924 |
Lénine est mort. Lénine n'est plus. Les obscures lois qui règlent le travail de la circulation artérielle ont mis un terme à cette existence. L'art médical a été impuissant à opérer le miracle que l'on attendait passionnément de lui, que des millions de cœurs exigeaient.
Combien y a-t-il d'hommes parmi nous qui auraient volontiers donné, sans hésitation, jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour ranimer, pour régénérer l'organisme du grand chef, de Lénine Ilitch, de l'unique, de l'inimitable ? Mais il n'y a pas eu de miracle là où la science était impuissante. Et voici que Lénine n'est plus. Ces mots tombent dans la conscience de façon terrible, comme une roche géante tombe dans la mer. Y peut-on croire ? Peut-on accepter ?
La conscience des travailleurs du monde entier ne voudra pas admettre ce fait, car l'ennemi dispose encore d'une force redoutable ; la route à faire est longue ; le grand travail n'est pas achevé, le plus grand qui ait été entrepris dans l'histoire ; car Lénine est nécessaire à la classe ouvrière mondiale, indispensable comme, peut-être, personne ne l'a jamais été dans l'histoire de l'humanité.
Le second accès de sa maladie, beaucoup plus grave que le premier, a duré plus de dix mois. Le système artériel, selon l'amère expression des docteurs, n'a cessé de “ jouer ” pendant ce temps. Terrible jeu où le débattait la vie d'Ilitch. On pouvait s'attendre à une amélioration et presque à une absolue guérison ; mais on pouvait aussi s'attendre à une catastrophe. Tous nous espérions la convalescence ; ce fut la catastrophe qui se produisit. Le régulateur cérébral de la respiration refusa de servir et éteignit l'organe de la géniale pensée.
Et nous n'avons plus d'Ilitch. Le Parti est orphelin, la classe ouvrière est orpheline. C'est le sentiment que l'on éprouve avant tout, à la nouvelle de la mort du maître, du chef.
Comment irons-nous de l'avant ? Trouverons-nous la route ? N'allons-nous pas nous égarer ? Car Lénine, camarades, n'est plus parmi nous...
Lénine n'est plus, mais nous avons le léninisme. Ce qu'il y avait d'immortel dans Lénine son enseignement, son travail, sa méthode, son exemple vit en nous, dans ce Parti qu'il a créé, dans ce premier des Etats ouvriers, à la tête duquel il s'est trouvé et qu'il a dirigé.
Nos cœurs sont frappés, en ce moment, d'une si profonde affliction parce que, tous, nous sommes les contemporains de Lénine, nous avons travaillé à côté de lui, nous avons étudié à son école. Notre Parti, c'est le léninisme en action ; notre Parti, c'est le chef collectif des travailleurs. En chacun de nous vit une parcelle de Lénine, ce qui constitue le meilleur de chacun de nous.
Comment marcherons nous désormais ? Le flambeau du léninisme à la main. Trouverons-nous la route ? Oui, par la pensée collective, par la volonté collective du Parti, nous la trouverons !
Et demain, et après-demain, et dans huit jours, et dans un mois, nous nous interrogerons encore : est-il possible que Lénine ne soit plus ? Cette mort, longtemps encore, semblera un caprice invraisemblable, impossible, monstrueux, de la nature.
Que ce déchirement cruel que nous ressentons, que chacun de nous ressentira dans son cœur en se rappelant que Lénine n'est plus, soit pour chacun de nous un avertissement de tous les jours : songeons que notre responsabilité est maintenant beaucoup plus grande. Soyons dignes du chef qui nous a instruits !
Dans l'affliction, dans le deuil, serrons les rangs, rapprochons nos cœurs, tenons-nous plus étroitement groupés pour les nouvelles batailles !
Camarades, frères, Lénine n'est plus parmi nous. Adieu, Ilitch ! Adieu, chef !...
Gare de Tiflis, 22 janvier 1924.