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L'opposition le danger de guerre et les problèmes de la défense
(Discours prononcé à l'assemblée plénière du comité central et de la commission centrale de contrôle, 1er Août 1927.)[modifier le wikicode]
Le Présidium de la Commission Centrale de Contrôle qui examina en Juin 1927 la question de l'exclusion de Trotsky et de Zinoviev du Comité Central du Parti, n'adopta aucune décision à ce sujet. La question n'avait pas encore été suffisamment « préparée ». L'art principal de la stratégie stalinienne consiste à savoir doser prudemment les coups portés au Parti. L'Opposition continua d'être traquée sans répit au cours de Juin- Juillet. La question de l'élimination des Oppositionnels des institutions supérieures du Parti fut remise à l'Assemblée plénière du Comité Central et de la Commission Centrale de Contrôle qui siégea fin Juillet-début d'Août. Lors de ce Plenum, le problème du danger de guerre fut volontairement mêlé à celui de l'Opposition pour empreindre la lutte ultérieure du caractère le plus envenimé. Pourtant le Plenum lui-même ne se décida pas encore à exclure Trotsky et Zinoviev du Comité Central. La fraction stalinienne avait besoin de gagner quelques semaines pour mener l'agitation coutre l'Opposition en la présentant comme « l’alliée » de Chamberlain.
Nous publions plus bas le discours prononcé par l'auteur de ce livre, le 1er Août 1927, sur le danger de guerre et les problèmes de la défense.
Trotsky. — Vous m'avez accordé 45 minutes. Je parlerai en me résumant rigoureusement, étant donné l'étendue du domaine que nous examinons en ce montent. Vos thèses affirment que l'Opposition aurait une certaine façon trotskyste d'aborder les questions de la guerre et du « défaitisme ». Voici une invention de plus ! L'article 13 de vos thèses est entièrement consacré à cette absurdité. En ce qui concerne l'ensemble de l'Opposition, elle n'est nullement responsable des divergences de vues tout à fait secondaires que j'eus sur ce point dans le passé avec Lénine. En ce qui me concerne personnellement, je puis répondre ici à cette insinuation stupide. Alors que la guerre impérialiste durait encore, j'ai écrit au sujet de celle-ci et de la lutte à mener contre elle, des appels au prolétariat mondial au nom du premier Conseil des Commissaires du Peuple et du Comité Central du Parti. C'est par moi que furent écrites la partie du programme de notre Parti qui a trait à la guerre, la résolution principale sur le même sujet du VIIIe Congrès du Parti, les résolutions de toute une série de Congrès des Soviets, le manifeste du Ier Congrès de l'Internationale Communiste consacré en grande partie au même problème, et le manifeste-programme du IIe Congrès de l'Internationale Communiste réservant une grande place à la guerre, à ses conséquences et à ses perspectives. C'est moi qui écrivis les thèses du IIIe Congrès de l'Internationale Communiste sur la situation internationale et les perspectives de la révolution et de la guerre.
Je fus chargé par le Comité Central du Parti de présenter au IVe Congrès un rapport sur les perspectives de la révolution internationale et de la guerre. Au Ve Congrès de l'Internationale Communiste (1924) j'écrivis un manifeste à l'occasion du dixième anniversaire de la guerre impérialiste. Il n'y eut au Comité Central aucune divergence de vues au sujet de tous ces documents ; ils furent acceptés non seulement sans discussion, mais presque sans amendements. Je demande alors comment il se fait que la « déviation » dont je suis accusé ne se soit jamais fait sentir dans le travail assez intensif que j'ai accompli à l'Internationale Communiste ? Mais voilà, il se trouve que lorsque j'ai repoussé en 1926 « le défaitisme économique », mot d'ordre stupide et ignare destiné par Molotov aux ouvriers anglais, j'aurais rompu avec le léninisme. Pourquoi alors, après ma critique, Molotov a-t-il mis son absurde mot d'ordre en poche ?
Molotov. — Il n'y a eu aucun mot d'ordre.
Trotsky. — C'est bien ce que je dis : il y a eu des sottises et non pas un mot d'ordre. C'est précisément ce que je dis. (Rires.) Pourquoi a-t-il fallu, exagérer à l'extrême d'anciennes divergences, d'ailleurs liquidées depuis longtemps ? Pourquoi ? Pour dissimuler et camoufler les divergences réelles, véritables, d'aujourd'hui. Peut-on poser sérieusement la question de la lutte révolutionnaire contre la guerre et de la véritable défense de l'U. R. S. S. en se guidant en même temps sur le Comité Anglo-Russe ? Peut-on diriger les masses ouvrières vers la grève générale et l'insurrection au cours de la guerre et simultanément vers le bloc avec les Purcell, les Hicks et autres traîtres ? Je le demande : notre esprit de défense sera-t-il bolchevik ou trade-unioniste ? Voilà comment la question se pose !
Je rappellerai tout d'abord ce que les chefs actuels ont enseigné sur ce point au prolétariat de Moscou au cours de toute l'année passée. C'est là le point essentiel. Je lis textuellement les directives du Comité de Moscou : « Le Comité Anglo-Russe peut, doit et jouera sans aucun doute un rôle énorme dans la lu1e contre les interventions de toute sorte dirigées contre l'U. R. S. S. Il (le Comité Anglo-Russe) deviendra le centre organisant les forces internationales du prolétariat en lu1e contre toutes les tentatives (le la bourgeoisie internationale de provoquer une nouvelle guerre »
Molotov a dit ici : « Par l'intermédiaire du Comité Anglo-Russe nous désagrégions Amsterdam. » Il n'a donc rien compris, même maintenant. Vous avez désagrégé les ouvriers de Moscou comme ceux du monde entier en les trompant sur le point de savoir qui était leur ami et qui était leur ennemi.
Skrypnik. — Quel ton !
Trotsky. — Le ton correspond à l'importance de la question.
Vous avez rendu de la cohésion à Amsterdam tout en vous affaiblissant vous-mêmes. Le Conseil général est maintenant plus unanime que jamais — contre nous !
Il faut pourtant dire que les directives scandaleuses du Comité de Moscou que je viens de lire, expriment beaucoup plus complètement, plus clairement et plus honnêtement que les trucs scolastiques de Boukharine le véritable point de vue de ceux qui étaient pour le maintien du Comité Anglo-Russe.
Le Comité de Moscou enseignait aux ouvriers de cette ville, et le Bureau Politique à ceux de l'Union Soviétique, qu'en cas de danger de guerre, notre classe ouvrière pourrait s'accrocher à la corde du Comité Anglo- Russe. C'est ainsi que la question se posait au point de vue politique. Mais cette corde se trouva être une corde pourrie. Le numéro de la Pravda, de Samedi, parle d'un « front unique de traîtres » du Conseil Général.
Arthur Cook, lui-même, le benjamin chéri de Tomsky, se tait. « Silence tout à fait incompréhensible ! » s'exclame la Pravda.
C'est là votre refrain éternel : « Tout à fait incompréhensible ! »
Vous avez commencé par miser sur le groupe Chang-Kai-Check, c'est-à- dire Purcell et Hicks, et vous avez ensuite mis vos espoirs dans le « fidèle Wan-Tin-Weï », autrement dit Arthur Cook. Mais Cook a trahi, comme Wan-Tin-Wei avait trahi deux jours après que Boukharine l'eut enregistré parmi les fidèles.
Vous avez livré le mouvement de la minorité pieds et poings liés à ces messieurs du Conseil Général : vous ne savez pas et vous ne voulez pas opposer dans ce mouvement les vrais révolutionnaires aux réformistes qui s'y collent. Vous avez repoussé un cordage mince, mais solide, pour en prendre un plus gros mais entièrement pourri. Quand on passe sur une passerelle étroite, peu sûre, un point d'appui restreint, mais certain, peut offrir le salut. Mais malheur si l'on s'accroche à une planche vermoulue qui cède sous le pied : la chute est alors inévitable. Votre politique actuelle dans tout le domaine international est celle des planches pourries. Vous vous êtes successivement accrochés à Chang- Kaï-Check, à Feng-You-Siang, à Ten-Chan-Tchi, à Wan-Tin-Weï, à Purcell, à Hicks, et à Cook. Chacune de ces planches s'est rompue au moment précis où elle était le plus nécessaire. Et chaque fois vous avez commencé par dire : « C'est tout à fait incompréhensible », comme le fait l'article de fond de la Pravda au sujet de Cook pour ajouter le lendemain : « Nous l'avions toujours prévu. »
Comment les choses se passèrent-elles en Chine ?[modifier le wikicode]
Examinons dans son ensemble toute la ligne de conduite suivie dans la tactique ou plutôt dans la stratégie en Chine.
Le Kouo-Min-Tang est le Parti de la bourgeoisie libérale pendant la Révolution, de la bourgeoisie libérale qui entraîne derrière soi les ouvriers et les paysans, puis les trahit.
Conformément à vos directives, le Parti Communiste reste dans le Kouo- Min-Tang malgré toutes les trahisons et il se soumet à la discipline bourgeoise de celui-ci.
L'ensemble du Kouo-Min-Tang entre dans l'Internationale Communiste et ne se soumet pas à la discipline de cette dernière : il ne fait que profiter de son nom et de son autorité pour tromper les ouvriers et les paysans chinois.
Le Kouo-Min-Tang couvre les généraux agrariens qui tiennent en leurs mains les soldats-paysans.
À la fin d'Octobre dernier, Moscou exigea que la révolution agraire ne s'étende pas, pour ne pas effrayer les propriétaires fonciers commandant l'armée. Celle-ci devint de ce fait une société d'assurance mutuelle des hobereaux, petits et grands.
Les seigneurs n'ont aucune objection au fait de qualifier leur campagne militaire de nationale et révolutionnaire, pourvu que le pouvoir et la terre restent entre leurs mains. Le prolétariat qui constitue une force révolutionnaire jeune, puissante, nullement inférieure à celle de notre prolétariat en 1905, est chassé jusqu'à ce qu'il se mette aux ordres du Kouo-Min-Tang.
Moscou donne le conseil suivant aux libéraux chinois : « Promulguez une loi sur l'organisation d'un minimum de milices ouvrières. » Et cela se passe en Mars 1927 ! Pourquoi donne-t-on aux sphères supérieures ce conseil : « Donnez un minimum d'armement » et non pas ce mot d'ordre à la base :
« Armez-vous au maximum. » Pourquoi un minimum et non pas un maximum ? Pour ne pas « effrayer » la bourgeoisie, pour ne pas provoquer la guerre civile. Mais celle-ci est venue inévitablement : elle s'est trouvée être infiniment plus cruelle ; elle a surpris les ouvriers sans armes et les a noyés dans le sang.
Moscou est intervenu contre la création de Soviets « à l'arrière de l'armée » (comme si la Révolution était l'arrière), pour ne pas désorganiser l'arrière de ces mêmes généraux qui, deux jours après, massacraient les ouvriers et les paysans.
Avons-nous renforcé la bourgeoisie et les propriétaires fonciers, en forçant les communistes à se soumettre au Kouo-Min-Tang et en
couvrant celui-ci de l'autorité de l'Internationale Communiste ? Oui, nous les avons renforcés !
Avons-nous affaibli les paysans, en freinant le développement de la Révolution agraire et des Soviets? Oui, nous les avons affaiblis !
Avons-nous diminué les forces des ouvriers par le mot d'ordre, non, plutôt par le conseil respectueux, donné aux sphères supérieures bourgeoises : « minimum d'armement » et « pas de Soviets ! » Oui, nous les avons diminuées. Est-il étonnant que nous ayons subi une défaite après avoir fait tout ce qui était possible pour rendre la victoire plus difficile ! Vorochilov a donné l'explication la plus juste, la plus consciencieuse et la plus franche de toute cette politique :
« La Révolution paysanne, dit-il, aurait pu entraver la marche des généraux vers le Nord s. Vous avez freiné la Révolution dans l'intérêt d'une campagne militaire. C'est justement ainsi que Chang-Kai-Check envisageait lui aussi les choses.
L'expansion de la Révolution, voyez-vous, aurait pu rendre plus difficile la campagne du général « national ». Mais la Révolution elle-même est une véritable marche des opprimés contre les oppresseurs. Pour aider l'expédition du général, vous avez ralenti la Révolution, et porté le désordre dans son sein. Par là même, la campagne des généraux s'est retournée non seulement contre les ouvriers et les paysans, mais aussi (et justement pour cette raison) contre la Révolution nationale.
Si nous avions assuré en temps voulu une autonomie complète au Parti Communiste, si nous l'avions aidé à s'armer de sa presse et d'une tactique juste, si nous lui avions donné comme mots d'ordre : « armement maximum des ouvriers », « expansion de la guerre paysanne à la campagne », le Parti Communiste aurait grandi non pas chaque jour, mais chaque heure ; ses cadres se seraient trempés dans la flamme de la lutte révolutionnaire. Il fallait lancer le mot d'ordre des Soviets dès les premiers jours du mouvement de masse. Il aurait fallu, partout où la moindre possibilité s'en présentait, passer à l'instauration effective des Soviets. Il fallait entraîner les soldats dans ceux-ci. La Révolution agraire aurait apporté le désordre dans les armées pseudo-révolutionnaires, mais elle aurait en même temps contaminé les troupes contre- révolutionnaires de l'ennemi. Ce n'est que sur cette base, Révolution agraire et Soviets, qu’il eût été possible de forger : graduellement une armée véritablement révolutionnaire, autrement dit une armée ouvrière et paysanne.
Camarades ! Nous avons entendu ici un discours de Vorochilov, parlant non pas comme Commissaire du Peuple à la Guerre et à la Marine, mais en tant que membre du Bureau Politique. Et je dis : « Ce discours est en lui-même une catastrophe. Il vaut une bataille perdue. »
(Exclamations sur les bancs de l'Opposition : « C'est juste ! »)
Trotsky. — Pendant le dernier Plenum du Comité Exécutif de l'Internationale Communiste, qui s'est tenu en Mai, lorsqu'après avoir enfin enregistré le passage de Chang-Kai-Check dans le camp de la réaction, vous misiez sur Wan-Tin-Wei et ensuite sur "Ten-Chan-Tchi, j'écrivis une lettre au Comité Exécutif de l'Internationale Communiste. Cela se passait le 28 Mai : « La faillite de cette politique est absolument inévitable. » Qu'est-ce que je proposais ? Je lis textuellement ce que j'écrivais le 28 Mai : « Le Plénum aurait agi justement en faisant une croix sur la résolution Boukharine et en y substituant une autre conçue en quelques lignes :
1° Les paysans et les ouvriers n'ont pas à avoir confiance dans les chefs du Kouo-Min-Tang de gauche, mais à instaurer leurs Soviets en s'unissant aux soldats ;
2° les Soviets doivent armer les ouvriers et les paysans avancés ;
3° le Parti Communiste doit assurer son autonomie complète, créer sa presse quotidienne, diriger la création des Soviets ;
4° les terres des propriétaires fonciers doivent être Confisquées immédiatement ;
5° la bureaucratie réactionnaire doit être abolie sans délai ;
6° les généraux traîtres et les contre-révolutionnaires en général doivent être châtiés sur place ;
7° il faut se diriger dans l'ensemble vers l'établissement d'une dictature révolutionnaire à travers les Conseils de députés ouvriers et paysans ». Et maintenant comparez : « Pas de guerre civile dans les villages, n'effrayons pas les compagnons de route », « n'irritons pas les généraux », « minimum d'armement aux ouvriers », etc. Et c'est cela du bolchevisme ! Et dire que notre attitude est qualifiée par les thèses du Bureau Politique... de menchévique ! Après avoir retourné votre position sens dessus-dessous, vous vous êtes fermement décidés à appeler noir ce qui est blanc. Seulement, il y a pour vous un malheur : le menchevisme international, de Berlin à New-York, approuve la politique chinoise Staline-Boukharine et, en pleine connaissance de cause, se solidarise avec votre ligne de conduite politique dans la question chinoise.
Comprenez bien : il ne s'agit nullement de trahisons individuelles de militants chinois du Kouo-Min-Tang, de condottières chinois de droite ou de gauche, de fonctionnaires syndicaux anglais, de communistes chinois ou anglais. Quand on voyage en chemin de fer il semble que ce soit le paysage qui se déplace.
Tout le malheur consiste eu ce que vous avez eu confiance en ceux qui n'auraient pas dû vous l'inspirez, que vous avez sous-estimé l'éducation révolutionnaire des masses, qui exige avant tout qu'on leur inocule la méfiance envers les réformistes et les vagues centristes de « gauche », ainsi qu'envers tout esprit du juste milieu en général. La vertu cardinale du bolchévisme est de posséder cette méfiance à un degré suprême.
Les Partis jeunes doivent encore, pour le moment, l'acquérir et se l'assimiler. Tandis que vous, vous avez agi et agissez dans un sens diamétralement opposé. Vous inoculez aux jeunes Partis l'espoir que la bourgeoisie libérale évoluera plus à gauche, et la confiance dans les politiciens libéraux ouvriers des trade-unions. Vous entravez l'éducation des bolcheviks anglais et chinois. Voilà d'où viennent ces « trahisons », qui chaque fois vous prenne à l'improviste.
Sur le " Centrisme " et la politique des planches pourries[modifier le wikicode]
L'Opposition vous avait avertis que, sous votre direction, le Parti Communiste chinois irait inévitablement vers une politique menchévique; cela valut aux oppositionnels les pires insultes. Maintenant, nous vous avertissons avec certitude que le Parti Communiste anglais, sous l'influence de la politique que vous lui imposez, s'empoisonne fatalement par le centrisme et le collaborationnisme. Si vous ne changez pas radicalement de cours, les conséquences pour le Parti Communiste, anglais ne seront pas meilleures qu'elles ne le furent pour le Parti chinois. Il en est d'ailleurs de même pour toute l'Internationale Communiste.
Il faut enfin comprendre que le centrisme Boukharine-Staline ne résiste pas à l'épreuve des événements. Les plus grands événements de l'histoire humaine sont la Révolution et la guerre. Nous avons mis à l'épreuve la politique centriste dans la Révolution chinoise. Celle-ci exigea que des conclusions bien parachevées soient déduites de directives empreintes d'un esprit de juste milieu. Le Parti Communiste chinois fut obligé de tirer ces conclusions. Voilà pourquoi il est venu — et il ne pouvait en être autrement — au menchevisme.
La faillite inouïe de votre direction en Chine exige que vous renonciez enfin à une politique qui vous oblige dans les circonstances les plus difficiles à vous raccrocher à des planches pourries.
La plus grande épreuve de l'histoire après la Révolution, c'est la guerre. Nous le disons d'avance : en présence des événements de la guerre, la politique stalinienne et boukharinienne, politique de zigzags, de restrictions mentales, d'équivoques, politique de centrisme, ne peut pas prévaloir. Cela se rapporte à toute la Direction de l'Internationale Communiste. À présent, l'unique examen que subissent les dirigeants des Partis Communistes frères, consiste eu une réponse à la question : « Êtes-vous prêts à voter nuit et jour contre le « trotskysme ? » La guerre les mettra en présence d'exigences comportant autrement plus de responsabilités. Pourtant la politique pratiquée envers le Kouo-Min-Tang et le Comité Anglo-Russe a visiblement déplacé leur attention vers les sphères supérieures d'Amsterdam et de la social-démocratie.
On aura beau ergoter : la ligne de conduite du Comité Anglo-russe fut celle de l'espoir en la planche pourrie de la bureaucratie d'Amsterdam, dont le Conseil Général des Trade-Unions constitue actuellement la partie la plus pourrie encore. En cas de guerre, vous vous heurterez à un « imprévu » après l'autre. Les planches pourries se briseront sous vos pieds.
La guerre provoquera une différenciation brutale parmi les dirigeants actuels de l'Internationale Communiste. Une certaine partie d'entre eux adoptera l'attitude d'Amsterdam, reprenant le mot d'ordre : « Nous voulons défendre sérieusement L’U. R. S. S., nous ne voulons pas être une poignée de fanatiques. » L'autre partie des communistes européens (nous croyons fermement que ce sera la majorité), prendra la position de Lénine, celle de Liebknecht, celle que nous défendons.
Il n'y aura plus de place pour l'attitude intermédiaire de Staline. Voilà pourquoi, permettez-moi de vous le dire en toute franchise, les bavardages sur la poignée d'oppositionnels, sur les généraux sans armée, etc., nous semblent simplement ridicules. Les bolcheviks ont déjà entendu cela plus d'une fois en 1914 et en 1917. Nous voyons trop clairement ce que sera demain et nous le préparons. Jamais encore autant que inébranlable en sa position ni tant d'unanimité.
Zinoviev, Kamenev. — C'est tout à fait juste ![1]
Trotsky. — Au point de vue de la politique intérieure, le lent glissement du centrisme ne trouvera pas davantage de place en présence de la guerre. Toutes les discussions se condenseront, les contradictions entre les classes s'accentueront, présenteront leur côté tranchant. Il faudra alors donner des réponses claires et précises.
De quoi avons-nous besoin en temps de guerre : « d’unité révolutionnaire » ou « d’union sacrée » ? La bourgeoisie a inventé pour les périodes de guerre ou de danger de guerre, une situation politique spéciale qualifiée « d’armistice civil » ou « d’union sacrée ». Le sens de cette conception strictement bourgeoise consiste en ce que les divergences et les querelles de tous les partis bourgeois, y compris la Social-démocratie, ainsi que les discussions au sein des partis eux-mêmes, doivent soi- disant faire silence pendant la guerre, afin de mieux étourdir et tromper les masses.
« L'Union sacrée » est la forme suprême du complot des dirigeants contre les dirigés. Inutile d'ajouter que si notre Parti n'a rien à dissimuler, au point de vue politique, à la classe ouvrière en temps de paix, il en est à plus forte raison de même en temps de guerre, quand la clarté et la pureté de la ligne de conduite politique, la profondeur de la liaison avec les masses constitue une question de vie ou de mort. Voilà pourquoi, bien que notre Parti ait un caractère infiniment plus centralisé que n'importe quel parti bourgeois, nous nous sommes permis de discuter en toute âpreté en pleine guerre civile, et de trancher, au moyen de la démocratie au sein du Parti, toutes les questions fondamentales de la direction politique. Ce fut là une des dépenses indispensables, au moyen de laquelle le Parti élabora, renforça une ligne de conduite juste, et consolida son unité révolutionnaire. Il y a, ou pour parler plus exactement, il y eut jusqu'à hier des camarades qui pensaient qu'après la mort de Lénine, une direction absolument juste de notre Parti était à ce point assurée qu'elle n'avait plus besoin d'être contrôlée par le Parti.
Nous croyons, au contraire, et maintenant plus que jamais, qu'au cours de toute l'histoire de notre Parti, la direction doit être modifiée et contrôlée. Nous avons besoin non pas d'une « union sacrée » hypocrite, mais d'une unité révolutionnaire honnête !
La politique centriste intermédiaire ne peut se maintenir en temps de guerre. Elle devra pencher soit à droite, soit à gauche, autrement dit soit vers la voie de Thermidor, soit vers celle de l'Opposition. (Bruit.)
Peut-on vaincre en cas de guerre en suivant la voie thermidorienne ? Si l'on examine les choses d'un point de vue général, une pareille victoire est possible. Il faudrait : 1° abolir le Monopole du commerce extérieur. Donner au koulak la possibilité d'exporter et d'importer deux fois plus. Lui permettre d'écraser sous son poids le paysan moyen. Obliger le paysan pauvre à comprendre qu'il ne lui reste pas d'autre issue que de passer au koulak. Relever et consolider l'importance de la bureaucratie et de l'administration. Repousser les revendications ouvrières en les présentant comme étant de l' « esprit corporatif ». Restreindre la part des ouvriers dans les Soviets au point de vue politique ; rétablir les décrets promulgués l'année dernière au sujet des élections et les étendre graduellement au profit des propriétaires. Telle serait la voie de Thermidor. Son vrai nom est le retour par étapes au capitalisme.
Il y aurait alors dans le commandement de l'armée, des koulaks parmi les gradés inférieurs et des intellectuels bourgeois dans les postes supérieurs. La victoire obtenue par cette voie signifierait que le glissement vers l'ornière bourgeoise s'accélérerait. Est-il possible d'obtenir la victoire en suivant la route révolutionnaire du prolétariat ? Oui. Il y a même plus. Toute l'ambiance mondiale affirme qu'en cas de guerre c'est justement en adoptant ce chemin que le succès est le plus assuré.
Mais il faut pour cela en premier lieu en finir avec le crépuscule politique dans lequel tous les chats sont gris. Le koulak est à droite : c'est un ennemi. Les ouvriers agricoles, les paysans pauvres sont à gauche : ce sont des amis. Il faut aller, par l'intermédiaire du paysan pauvre, vers le paysan moyen. Il faut créer une ambiance politique dans laquelle la bourgeoisie et la bureaucratie ne pourraient plus pousser du coude les ouvriers, en leur disant : « Nous ne sommes plus en 1918 ! »
Il faut que la classe ouvrière puisse se dire : « En 1927, non seulement j'ai plus à manger, mais au point de vue politique je suis plus maître de l'État qu'en 1918. » Ce n'est qu'au bout de cette route que la victoire non seulement est possible, mais qu'elle est le plus sûrement garantie, car c'est seulement en suivant ce chemin que nous aurons l'appui des masses populaires de Pologne, de Roumanie et de toute l'Europe.
Le succès peut-il être obtenu par le cours centriste de Staline, oscillant entre les deux camps, promettant de commencer par réchauffer le koulak, d'adopter son fils, de chérir son petit-fils, passant ensuite avec hésitation à la création de groupes de paysans pauvres, changeant chaque année les instructions électorales, c'est-à-dire la constitution soviétique, d'abord en faveur du koulak, ensuite contre lui, puis de nouveau pour lui, comme ce fut le cas dans le Caucase septentrional ? Le cours qui se guide sur Chang-Kai-Check et Wan-Tin-Weï, sur Purcell et Cook, sur les traîtres du sommet, tout en déroutant les militants à la base ? Le cours qui dicta à notre Bureau Politique l'incroyable directive du 20 Octobre 1926 au sujet de la Chine, enjoignant de ne point introduire la guerre civile dans les campagnes chinoises pour ne pas repousser les « compagnons de route » — la bourgeoisie, les propriétaires fonciers et les généraux — ou l'autre directive demandant à la bourgeoisie libérale de donner un minimum (!!!) d'armement aux ouvriers. Ce cours irrite et refroidit les uns et ne conquiert pas les autres. Il fait perdre « l'ami » Wan-Tin-Wei et déroute les communistes. Ce cours signifie que l'on s'accroche continuellement à des planches pourries.
En temps de paix, un pareil cours peut durer un temps indéfini. En cas de guerre ou de révolution, le centrisme doit donner brusquement de la bande vers la droite ou vers la gauche.
Il se désagrège déjà en ailes droite et gauche qui, inévitablement, grandissent au détriment du centre. Inéluctablement ce processus s'accélérera ; si la guerre nous était imposée, elle lui donnerait un caractère fiévreux. Le centre stalinien fondra fatalement. Dans ces circonstances, le Parti plus que jamais aurait besoin de l'Opposition pour redresser sa ligne de conduite, ne pas rompre en même temps son unité révolutionnaire, et ne pas éparpiller les cadres du Parti, son capital principal. En effet, la majorité des cadres prolétariens réellement bolcheviks est capable, en face d'une politique juste, suivant une ligne de conduite claire, en présence de circonstances extérieures impérieuses, de renouveler la politique et d'adopter en toute conscience, et non pas pour la forme, un cours ferme, réellement révolutionnaire. C'est simplement à cela que nous voulons arriver.
Quant au mensonge sur le caractère conditionnel de notre esprit de défense, sur les deux partis, quant au mensonge plus infect encore sur l'insurrectionnalisme, nous le rejetons à la face des calomniateurs !
Une voix de l’Opposition, — C'est juste !
Trotsky. — Mais la critique que fait l'Opposition ne diminue-t-elle pas l'autorité de L’U. R. S. S. dans le mouvement ouvrier mondial ?
La façon même de poser la question n'est pas nôtre. C'est celle des gens d'Église, des prêtres, des dignitaires et des généraux quand ils posent la question de l'autorité. L'Église catholique exige des croyants que la sienne soit reconnue sans murmures. Le révolutionnaire soutient tout en critiquant ; moins son droit à la critique est contesté, plus il est dévoué pour lutter en faveur de ce à quoi il a participé directement en créant et en renforçant. La critique des erreurs de Staline peut évidemment faire baisser l'autorité stalinienne gonflée qui « n'admet pas de murmures ». Mais ce n'est pas là-dessus que se basent la Révolution et la République. Une critique franche, la vraie réparation des erreurs montreront au prolétariat mondial tout entier la force intérieure du régime qui, en face des circonstances les plus pénibles, porte en soi-même des garanties lui permettant de trouver la voie juste. Dans ce sens la critique de l'Opposition et les conséquences qu'elle entraîne déjà et qu'elle entraînera demain encore dans une bien plus large mesure, relèvent en dernière analyse l'autorité de la Révolution d'Octobre et la renforcent par la confiance, non pas aveugle, mais révolutionnaire, du prolétariat international ; elles augmentent par là même notre capacité de défense dans le domaine international.
Le projet de résolution présenté par le Bureau Politique dit : « La préparation de la guerre contre L’U. R. S. S. signifie simplement le renouvellement sur une base plus large de la lutte de classes entre la bourgeoisie impérialiste et le prolétariat triomphant. »
Est-ce juste ? Absolument. Il est même absurde de poser cette question. Mais la résolution ajoute : « Celui qui, comme l'Opposition le fait dans notre Parti, met en doute ce caractère de la guerre... » etc.
L'Opposition met-elle en doute ce sens général de classe de la guerre ? Absurdité I Elle ne le met nullement en doute.
Seuls ceux-là qui, après s'être embrouillés eux-mêmes, cherchent à embrouiller les autres, peuvent affirmer le contraire. Est-ce que cela signifie pourtant que le sens général de classe, qui pour nous tous est indiscutable, couvre toute erreur, tout glissement ? Non, cela ne le signifie pas. Non, tout n'est pas de la sorte à l'abri. Si l'on admet d'avance et une fois pour toutes que la direction considérée est l'unique concevable, qu'elle est la direction-née, alors toute critique d'une direction commettant des erreurs peut être présentée comme niant la défense de la patrie socialiste et faisant appel à l'insurrectionnalisme. Une semblable attitude est tout simplement la négation du Parti. Alors, d'après vous, le Parti ne serait bon que pour la défense et il faudrait lui montrer en dehors de lui-même comment exercer cette défense. Encore une fois, plus simplement et plus brièvement : Nous, Opposition, contestons-nous la défense de la patrie socialiste ? Nullement.
Nous espérons non seulement la défendre, mais apprendre encore à le faire à certains autres. Mettons-nous en doute la capacité de Staline de fixer une ligne de conduite juste pour défendre la patrie socialiste ? Oui, nous la contestons et nous la contestons au plus haut point.
Dans un article récent de la Pravda, Staline pose la question suivante : « Est-ce que vraiment l'Opposition serait contre la victoire de l'U. R. S. S. dans les batailles futures contre l'impérialisme ? « Pardon, répétez un peu :
« Est-ce que vraiment l'Opposition serait contre la victoire de l’U. R. S. S. dans les batailles futures contre l'impérialisme ? »
Laissons de côté l'arrogance de la question. Nous ne reviendrons pas pour l'instant aux termes, rigoureusement pesés, par lesquels Lénine caractérisa les méthodes staliniennes: brutalité et déloyauté. Prenons la question telle qu'elle est posée et donnons-lui une réponse. Seuls des gardes Blancs peuvent être « contre la victoire de L’U. R. S. S. dans la guerre future contre l'impérialisme. » L'Opposition est pour le triomphe de l'U. R. S. S. ; elle l'a prouvé et elle le prouvera autant que d'autres par des actes. Mais pour Staline il ne s'agit pas de cela. Au fond il a en vue une autre question qu'il n'ose pas exprimer. C'est celle-ci : « Est-ce que vraiment l'Opposition pense que la direction de Staline n'est pas capable d'assurer la victoire de L’U. R.S.S. ? » Et bien oui, elle le pense.
Zinoviev. — C'est juste.
Trotsky. — L'Opposition pense que la direction de Staline rend la victoire plus difficile.
Molotov. — Et où est le Parti ?
Trotsky. — Le Parti, vous l'avez étranglé. L'Opposition pense que la direction de Staline rend la victoire plus difficile.
Elle avait affirmé : cela au sujet de la Révolution chinoise.
Ses avertissements se sont vus confirmés d'une façon effroyable par les événements. Il faut changer de politique sans attendre qu'il se produise une confirmation aussi catastrophique à l'intérieur. Chaque oppositionnel réel — je ne parle pas des pseudo oppositionnels, — occupera en cas de guerre au front ou à l'arrière le poste que lui confiera le Parti et il remplira son devoir jusqu'au bout. Mais pas un seul oppositionnel ne renoncera à son droit et à son devoir, à la veille de la guerre ou pendant celle-ci, de lutter pour le redressement du cours du Parti (comme cela s'est toujours passé dans le Parti), car c'est en cela que consiste la condition la plus importante du succès. Je me résume : Pour la patrie socialiste? Oui ! Pour le cours stalinien ? Non ! Deux mots au
sujet de l'armée. Tous les facteurs de l'économie, de la politique, de la culture se combinent dans la défense du pays. Mais il y a un instrument spécial, immédiat, de la défense, c'est l'armée. Le rôle de celle-ci a un caractère décisif. Le domaine militaire est celui qui reflète le plus brutalement les aspects du régime, non seulement les aspects forts, mais les faibles aussi, tous les déplacements de la politique, toutes ses fautes et ses erreurs de calcul. Il est en même temps plus facile dans ce domaine que dans tout autre de se laisser tromper par les apparences, l'apparat, le bluff. Plus d'une fois déjà dans l'histoire le régime fut contrôlé à travers l'armée.
Il vaut mieux ici exagérer dans le sens de la critique que dans celui d'une confiance béate. Certains militants de l'armée, sous l'impression d'une menace possible de guerre, ont échangé récemment leurs opinions sur l'état de nos forces armées.
Chacun d'entre eux n'est pas moins dévoué à la cause de la République socialiste que n'importe lequel de ceux qui sont ici présents. Le résultat de leur discussion est exposé sous la forme d'un document contenant le programme des modifications nécessaires pour augmenter le niveau révolutionnaire et la capacité combattive de l'armée. Je remettrai un exemplaire de ce document au Bureau Politique du Comité Central par l'intermédiaire de Rykov.
- ↑ Ainsi qu'on le sait, Zinoviev et Kamenev ne résistèrent pas longtemps