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Special pages :
L'action communiste en France
Auteur·e(s) | Boris Souvarine |
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Écriture | 22 avril 1920 |
Quand une forte majorité, au dernier Congrès socialiste de la Seine, exprima son adhésion aux principes de l'Internationale communiste, traduits par la résolution du Comité de la 3e Internationale, les réformistes balbutièrent de vagues explications dans le Populaire, pour tenter de diminuer l'importance de leur défaite. « Mouvement superficiel et sans lendemains... Majorité de surprise... » disaient Longuet et Paul Faure, dont la fraction n'est restée majorité à Strasbourg que grâce à l'altération du vote. L'élection récente de la Commission Executive de la Fédération parisienne leur inflige un nouveau démenti. 15 communistes et 8 reconstructeurs élus, échec du secrétaire sortant, Verfeuil, malgré les influences individuelles qui s'exercent habituellement dans un tel scrutin, malgré le passage de Louise Saumoneau dans le camp adverse, quelle meilleure preuve veut-on de l'influence impersonnelle du Comité de la 3e Internationale ? Le terrain gagné par nous est conservé ; nos adhérents sont fidèles à notre fraction parce qu'elle tient un langage net et suit un chemin droit. N'ayant pas capté des adhésions par des artifices de style, les ayant gagnées au contraire par l'énoncé franc d'une doctrine intacte dans sa logique, nous formons un groupement homogène et dont les événements permettront d'apprécier la valeur.
Le Comité de la 3e Internationale ne se dissimule pas l'importance de sa tâche de demain et s'y prépare en entreprenant un sérieux travail doctrinal, qui sera la base de sa propagande. La Commission d'Etudes qu'il a nommée est à la besogne : elle adaptera la plateforme de l'Internationale communiste au milieu français, aux conditions économiques, aux circonstances historiques où les communistes de ce pays auront à réaliser leur programme. Elle approfondira l'étude de questions qui ont été jusqu'ici effleurées seulement : le rôle des communistes dans les syndicats, les attributs respectifs des syndicats et des Conseils ouvriers, le parlementarisme, la socialisation agraire dans une contrée de petite propriété, la forme d'application de la dictature du prolétariat, les modes d'action révolutionnaire.
Grâce aux expériences accomplies par les révolutions de Russie, de Hongrie, d'Autriche et d'Allemagne, les socialistes et syndicalistes communistes français pourront plus aisément réduire leurs désaccords théoriques d'autrefois, et leur action commune déterminera un irrésistible mouvement d'émancipation du prolétariat français. L'Internationale communiste fait œuvre nécessaire en séparant les communistes internationaux des opportunistes internationaux, mais elle fait aussi une œuvre féconde d'unification des forces vraiment révolutionnaires, quelques différentes qu'aient été leurs étiquettes de jadis, aujourd'hui dénuées de signification.
Depuis longtemps, l'heure est passée où les travailleurs communistes de ce pays supportaient la tutelle des bureaucraties syndicale et socialiste, subissaient l'influence de politiciens désireux de jouer aux « hommes d'Etat » dès que leur action leur valait un certain renom. La plupart des anciens leaders du mouvement ouvrier sont actuellement discrédités, en France comme dans les autres pays où sévissait l'opportunisme. Des réputations d'apparence solide s'écroulent chaque jour, à mesure que le prolétariat prend conscience de sa mission révolutionnaire. L'élite des masses ouvrières écarte ses représentants d'un jour, qui ne traduisent plus ses aspirations, sans se soucier de leur prestige d'hier ; et, loin de suivre les suggestions des fonctionnaires chez qui la fonction a tué l'esprit de révolution, elle impose a ses cadres ses directives, tout en entraînant de plus en plus dans l'action politique les forces inertes du prolétariat.
A cet égard, les congrès des divers réseaux de voies ferrées, dont tous les militants ont suivi les travaux avec le plus vif intérêt, sont significatifs. Les fractions minoritaires, qui menaient depuis des mois la lutte contre les dirigeants du mouvement syndical, affirment partout une puissance croissante et même, sur plusieurs réseaux de première importance, une prépondérance indiscutable. Il est à prévoir que la tendance révolutionnaire, dans quelques jours, l'emportera au Congrès de la Fédération des Cheminots, qui, suivant l'expression de Karl Radek, « tient l'Etat à la gorge ». Nos camarades des chemins de fer ne sont pas seuls à poursuivre au sein des organisations ouvrières une lutte courageuse contre les ennemis de l'émancipation intégrale des prolétaires. Dans la Métallurgie comme dans le Bâtiment, dans l'Ameublement comme dans l'Alimentation, chez les mineurs comme chez les postiers, des fractions inspirées d'idéal communiste s'efforcent de faire prévaloir l'esprit de révolution sur l'esprit de réforme. Un immense courant de subversion se dessine et s'étend, qui menace la domination bourgeoise, déjà chancelante sous le poids de ses propres fautes et de ses crimes.
La Révolution, dont nous percevons journellement des prodromes, serait sans lendemain si les communistes français ne savaient organiser ses forces, tracer sa voie, préparer son œuvre. L'organe représentatif du mouvement communiste, le Comité de la 3e Internationale, doit s'adonner à cette mission dont la fécondité apparaîtra aux heures difficiles. La Révolution russe a mis en lumière l'importance primordiale d'une organisation politique incarnant l'idée communiste, a montré le rôle décisif incombant à une telle organisation, dans la lutte contre la réaction sociale, le conservatisme économique, l'opportunisme démocratique. De même que le sort de la Révolution prolétarienne russe est lié à celui du Parti communiste (bolchevik), les destinées de la Révolution en Europe occidentale dépendront de la force des organisations communistes. L'expérience de Hongrie et d'Allemagne confirme celle de Russie : dans les pays où les groupements communistes étaient de formation récente, hâtive, hétérogène, l'élan prolétarien a été brisé par les forces encore considérables de la bourgeoisie et des transfuges de la classe ouvrière.
Si les communistes français, qu'ils viennent des syndicats ou du Parti socialiste, savent faire leur profit des leçons que comporte la lutte héroïque de leurs frères des autres pays, ils feront l'économie de bien des erreurs et de bien des sacrifices.
Boris SOUVARINE.