L' « Otzovisme »

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Les camarades étrangers qui se sont familiarisés avec le terme russe « menchevik » doivent aussi connaître la signification de l' « otzovisme ».

En 1908, alors que sévissait en Russie la pire des réactions, un groupe d'extrême gauche, formé dans notre parti, se sépara des bolcheviks. Ce groupe nous accusait d'opportunisme et exigeait le rappel des députés social-démocrates de la Douma d'Empire. (Rappel se dit en russe : otzyv.) Ce groupe avait auparavant préconisé le boycottage des élections à la 3e Douma et qualifié de trahison tout essai de parlementarisme révolutionnaire en Russie.

L' « Otzovisme » n'était d'ailleurs pas seulement antiparlementaire. Il naquit et vécut dans l'intervalle de deux révolutions. Montée très haut en 1905, tombée en 1906, la vague révolutionnaire en Russie recommença de monter en 1912, après les événements tragiques des mines d'or de la Lena (où furent mitraillés des grévistes). De 1906[1] à 1911, nous traversâmes une période extrêmement pénible de répressions, de désagrégations du mouvement ouvrier, de développement du menchevisme (alors tendance à la « liquidation » de la révolution), de défaites partielles.

Pendant des années, l'autocratie et la bourgeoisie ne négligèrent aucun effort pour nous anéantir.

Ils accordèrent aux mencheviks une sorte de monopole de la légalité qui permit de justifier contre nous des persécutions incessantes. Pour noyer le mouvement ouvrier dans le sang, ils cherchèrent à provoquer des luttes prématurées qui nous eussent discrédités. Stolypine, la bourgeoisie libérale (cadets), les mencheviks et, plus à gauche, les socialistes-révolutionnaires, formèrent une sorte de conspiration tacite contre les bolcheviks, dont on eût voulu faire une secte desséchée. Notre devoir essentiel fut alors de ne pas perdre le contact avec les masses. Nous dûmes entrer dans toutes les organisations ouvrières légales et illégales, y accomplir tous les jours, parmi les travailleurs, les plus humbles tâches, nous multiplier à la Douma, dans les syndicats légaux ou clandestins, dans les coopératives, dans les clubs, dans les sociétés sportives, dans la presse.

A cette époque, il y eut parmi les « otzovistes » nombre d'excellents et dévoués camarades.

Beaucoup d'entre eux nous sont revenus par la suite. Il n'en est pas moins vrai qu'en ces années de transition où se décidait le sort du bolchevique, les « otzovistes » d'extrême gauche nous ont fait le plus grand tort et ont rendu au menchevisme de signalés services. Par leur impatience révolutionnaire, par des méthodes dont l'emploi eut exposé le Parti aux coups de l'ennemi à l'heure où les masses n'étaient pas prêtes au combat, par des théories de boycottage défendues au moyen de rhétoriques trop faciles, par leur absurde conception d'un petit parti qui pût se substituer au gros des masses ouvrières et « activer » le mouvement, les « otzovistes » furent réellement dangereux pour la révolution.

Nous dûmes combattre sans trêve cette « gauche » néfaste. Nous en arrivâmes à la scission. Après quoi la logique des faits força les « otzovistes » à une certaine coordination de l'union contre nous avec les mencheviks. Mais au fur et à mesure que les nouvelles batailles révolutionnaires se rapprochèrent, l' « otzovisme » s'éteignit, ses meilleurs champions nous revenant. Ceux-là, remis à la raison par les faits, reconnaissaient que notre tactique seule nous avait permis de garder le contact avec les masses et, loin de devenir une secte, de faire nos preuves en qualité de guides des masses laborieuses.

La deuxième révolution russe commença en fait avant la guerre de 1914, qui ne fit que l'accélérer. La force du parti bolchevik lui vint de ce qu'aux heures les plus difficiles de son existence, il avait su maintenir le contact avec les masses.

  1. Corrigé d'après le contexte : Le bulletin communiste indique « de 1900 à 1911 ».