L'Instruction publique, les Sciences et les Arts sous la Commune

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Les conditions difficiles du milieu[modifier le wikicode]

A peine trois jours après la victoire des fédérés, l’un des amis d’Auguste Blanqui, Casimir Waals, pressentant les difficultés auxquelles la Commune allait se heurter, appelait les hommes de bonne volonté au travail de défense et de construction

« A l’œuvre, tous ceux qui sont encore debout! A l’œuvre, tous ceux qui peuvent encore travailler et combattre. Ouvriers qui tenez l’outil, écrivains qui tenez la plume, soldats qui tenez l’épée ! La besogne va être rude, travailleurs! la besogne de paix et de résurrection A la manœuvre, tous, capitaines et matelots, car il y aura encore des tempêtes dans nos villes et des écueils sous les vagues »[1].

S’il est un domaine dans lequel la besogne de résurrection apparaissait comme particulièrement rude, c’est bien dans le domaine culturel, dans l’édification de l’Instruction publique.

Tout était à faire et à refaire. Et d’abord, il fallait courir au plus pressé. Il importait de rendre l’instruction primaire laïque et professionnelle conformément aux résolutions votées par l’Internationale en ses congrès de Lausanne (1867) et de Bruxelles (1868). Il fallait pousser l’éducation politique du peuple et mètre à sa disposition les parcs, les richesses artistiques et scientifiques qui servaient précédemment aux privilégiés de la Fortune. Il fallait organiser, contrôler les établissements d’enseignement supérieurs sur des bases se rapprochant de l’idéal socialiste. Tout cela dans les pires conjonctures, au milieu du désarroi créé par le brusque départ ou le sabotage des hauts fonctionnaires, au son du canon, à la lueur des incendies, sans le concours des éléments sympathiques restés en province, dans une ville isolée du reste du monde et à peine remise d’un siège douloureux, avec des moyens financiers dérisoires, presque nuls.

Dans ces conditions, il ne convient pas d’attendre monts et merveilles de la Commune au point de vue culturel, d’autant plus qu’elle travailla au jour le jour, sans plan d'action, à la remorque des évènements. Il y a lieu aussi de ne pas oublier que la Commune dura en tout et pour tout soixante-douze jour, avec comme préoccupation dominante la lute contre Versailles, si l’on excepte la période d’étonnement, d’atermoiements et d’illusions du début.

Pour apprécier à sa juste valeur l’œuvre culturelle de Ia Commune, il ne faut donc pas seulement envisager les étroites limites qui Iui étaient fixées par le temps et l’espace, il faut considérer que la Commune était en premier lieu « une barricade », elle dut vivre d’abord. La culture ne pouvait venir qu’après.

Le Délégué à l’enseignement et sa méthode[modifier le wikicode]

Le délégué à l’enseignement Edouard Vaillant était un homme très instruit, qui avait passé par l’école centrale de Paris, les universités d’Heidelberg, de Tübingen et de Vienne, qui avait correspondu avec le grand philosophe Ludwig Feuerbach, dont l’influence sur Karl Marx, comme on sait fut très grande. En même temps, Edouard Vaillant était un militant éclectique appartenant à l’Internationale et déjà en rapport avec les principaux blanquistes dont il partageait les vues révolutionnaires. C’était l’homme qu’il fallait à celle place.

En fait, Vaillant ne prit en mains le département de l’Enseignement qu’à la date du 21 avril. Il eut pour l’aider une Commission de six membres siégeant à l’Hôtel de Ville. Tous les services administratifs restaient centralisés rue de Grenelle, à l’ex-ministère de l’Instruction publique. Ce que fit au juste cette Commission, on l’Ignore encore à l’heure actuelle, étant donnée l’insuffisance de la documentation sur la Commune. Aucun de ses membres, notamment le doux poète J.B. Clément, — qui écrivit pourtant par la suite des articles sur Ia Commune dans les journaux socialistes —ne nous a laissé de souvenirs à ce sujet. Mais II n’est pas croyable que Vaillant ait décidé seul et sans en référer à ses camarades au moins, les principales mesures qui parurent à l’officiel sous sa signature. On peut donc en induire que la Commission a délibéré sur les problèmes essentiels. Toutefois en fonction des tâches importantes qu’ils assumaient par ailleurs, les membres de la Commission ne purent bien certainement approfondir les questions fondamentales qui se posaient. C’est pourquoi Vaillant crut devoir susciter largement toutes les initiatives, inaugurant comme l’a écrit Greorges Bourgin, ce qu’on pourrait appeler « la méthode syndicaliste. »

Il encouragea les travaux de l’Éducation nouvelle, société qui se réunissait deux fois par semaine à l’Ecole Turgot, et qui préconisait la laïcisation, l’obligation et la gratuité de l’enseignement pour les deux sexes avec application de la méthode expérimentale. Le 22 avril, Vaillant fit appel à toutes les personnes qui ont étudié la question de l’enseignement intégral et professionnel, afin d’obtenir par écrit leurs suggestions. De cet appel sortit la Commission dite « d’organisation de l’Enseignement », avec les citoyens André, Dacosta, Manier, Ilama et Sanglier. Vaillant voulut aussi réorganiser l’enseignement médical en faisant appel aux intéressés docteurs, officiers de santé, professeurs libres, étudiants. Chacune de ces catégories devait se rassembler séparément et désigner divers mandataires munis de pouvoirs, lesquels arrêteraient un projet de réorganisation. Le 5 mai, Vaillant nomma le citoyen Ernest Molle, commissaire administratif au Museum d’Histoire Naturelle, avec mission de réunir le Directeur et les professeurs pour la reprise des cours, et pour prendre en commun accord toutes mesures garantissant à la fois « les Intérêts du public et ceux de l’établissement ». Enfin, Vaillant encouragea les efforts de la Fédération artistique.

Malheureusement, dans le domaine capital de l’enseignement primaire, Vaillant ne put s’appuyer sur aucune organisation quelconque d’Instituteurs. Ces derniers, qui avaient profité de l’élan révolutionnaire en 1848 pour se grouper sous diverses formes, qui s’étaient constitués en associations dans plusieurs départements, à la veille de la guerre, ne songèrent pas à créer une association corporative capable de les défendre et en même temps d’aider le pouvoir nouveau à débarrasser l’école des immondices cléricales et bourgeoises. Plus de cent instituteurs furent pourtant condamnés par les Conseils de guerre versaillais comme ayant été plus ou moins partisans de la Commune, ce qui laisse à penser qu’un groupement de cette nature aurait pu être mis debout. On s’étonne que Vaillant n’ait pas suscité cette création.

Le manque de compétences[modifier le wikicode]

Pour avoir une Idée d’ensemble du travail de la Commune dans le domaine culturel, il faut examiner successivement les efforts de Vaillant et des municipalités d’arrondissement en faveur de l’enseignement populaire, l’œuvre de la Commune dans le domaine des Beaux-Arts et de la Science, ce qu’elle a tenté dam le sens de l’éducation politique des masses.

Vaillant et la Commission de l’Enseignement étaient sollicités en premier lieu par une tâche essentielle organiser l’enseignement primaire. Des membres qui composèrent la Commission de l’Enseignement à diverses reprises Verdure, Demay, Lefèvre, J-B Clément, J. Miot, Urbain, Courbet, Vallès, Leroy, combien connaissaient la question ? Pas un, fort probablement. Sans doute, Vallès était un ancien « pion ». Verdure et Urbain d’anciens maitres d’école, mais il faut bien le dire, les préoccupations d’ordre politique et journalistique me semblent avoir dominé jusque-là, chez les deux premiers surtout ils n’avaient sûrement pas de vue nette sur ce qu’on pouvait et devait faire. Il y a même gros à parier qu’ils ne connaissaient pas la littérature socialiste touchant la question et qu’ils avaient lu sans y prêter attention les résolutions de l’internationale au sujet de l’instruction intégrale comprenant à la fois la science et l’apprentissage des métiers. La lute contre l’Empire avait tellement absorbé tous les hommes qui, de près ou de loin, jouèrent un rôle sous la commune, que le contenu concret de telles formules leur échappait. Parmi les membres mêmes de la commune, Gustave Lefrançais et Allix étaient sans doute les seuls qui se furent livrés à quelques recherches en ce sens.

On ne doit donc pas s’étonner que Vaillant ait été aux prises avec des difficultés résultant du manque de compétence et on s’explique mieux ainsi son recours à la collaboration, son appel aux bonnes volontés, sa pratique syndicale. Ce recours, cet appui extérieur était d’autant temps plus nécessaire, que la commune mettait à la disposition de Vaillant des ressources insignifiantes. Du 20 mars au 30 avril, 1000 frs seulement ont été affectés à l’enseignement sur les 7 290 000 frs provenant de la Banque de France.

Les efforts de Vaillant en faveur de l’enseignement primaire[modifier le wikicode]

On sait très bien les efforts de Vaillant, pour rendre l’enseignement primaire laïque et professionnel, par ses arrêtés, ses notes et ses circulaires parues à l’Officiel.

Ce fut d’abord l’arrêté du 28 avril qui affirme la nécessité d’organiser dans le plus bref délai l’enseignement primaire et professionnel sur un modèle uniforme dans les divers arrondissements de Paris. Vaillant pousse aussi à la laïcisation partout où elle n’est pas encore effectuée.

L’ancien local des jésuites, rue l’Homond (5ème arrondissement) fut ensuite aménagé en vue d’y établir une école professionnelle pouvant recevoir les enfants à partir de 12 ans. D’autre part, l’ancienne école de dessin de la rue Dupuytren, fermée depuis un moment, fut réouverte et transformée en école professionnelle d’art industriel pour jeunes filles, avec comme directrice la citoyenne Parpollet, professeur de modelage.

Le 14 mai Vaillant demanda aux municipalités la restitution à l’enseignement des locaux encore occupés par du matériel autre que le matériel scolaire. Quelques jours plus tard, il réclama d’elles tous renseignements sur les locaux susceptibles d’être utilisés pour l’enseignement professionnel. Le 11 mai encore, vaillant intima l’ordre aux municipalités de faire disparaître des écoles tous les signes de l’enseignement religieux, telles que crucifix, madones et autres symboles, dont la présence offense la liberté de conscience. Il était spécifié que les objets de cet ordre en métal précieux seraient inventoriés et envoyés à la Monnaie. Mais Vaillant se rendit compte qu’il ne pourrait obtenir une laïcisation véritable des écoles tant qu’il y aurait d’une part des instituteurs congréganistes, d’autres part des inspecteurs de l’ancien régime nourri d’idéologie religieuse.

Le 13 mai, il remit l’inspection des écoles entre les mains des membres de la commission de l’enseignement et de délégués munis d’un pouvoir spécial.

Il réclama en outre des municipalités un état du personnel laïque et congréganiste afin de dénombrer les maîtres rétifs et sans doute de voir dans quelle mesure leur licenciement pouvait s’opérer. Il est visible que Vaillant était guidé par le souci de concilier la poursuite rapide de la laïcisation et le désir de ne pas priver brusquement de maîtres un trop grand nombre d’écoles.

Tout cela ne laissait pas d’inquiéter et, disons le mot, d’impatienter les membres et les partisans de la Commune pour lesquels la laïcisation n’allait pas assez vite. Déjà la section des grandes Carrières (18e arrondissement) de l’Internationale avait voté une motion demandant formellement que la Commune décrète l’instruction primaire laïque et professionnelle obligatoire et gratuite à tous les degrés.

Les Blanquistes, dont la lutte antireligieuse était pour ainsi dire une spécialité, n’étaient pas sans récriminer. C’est pour satisfaire les uns et les autres que Vaillant, à la date du 14 mai, dans une notification aux municipalités, contresigné par le comité de salut public, donna l’ordre de briser toute résistance à l’établissement de l’instruction laïque et d’arrêter les congréganistes, les récalcitrants qui refuseraient de s’incliner. Enfin la Commune elle-même décréta le 18 mai, sur la proposition de la délégation de l’enseignement « ...dans les 48 heures, un État sera dressé de tous les établissements tenus encore, malgré les ordres de la Commune, par les congréganistes.

Les noms des membres de la commune délégués à la municipalité de l’arrondissement où les ordres de la commune relatifs à l’établissement de l’enseignement exclusivement laïque n’auront pas été exécutés seront publiés chaque jour dans l’Officiel. »

Cette mesure vigoureuse arrivait trop tard. La commune n’avait plus que six jours à vivre !

L’œuvre scolaire des municipalités d’arrondissement[modifier le wikicode]

Il nous reste maintenant à examiner l’œuvre scolaire des municipalités. C’est une entreprise assez délicate en l’état de la documentation. Quelques textes nous permettent toutefois de nous rendre compte des efforts poursuivis dans plusieurs arrondissements.

Dans le 3ème, Arnaud, Demay, Dupont et Pindy assurèrent la gratuité des fournitures dès le 18 avril et à partir du 23 avril confèrent à des instituteurs laïques les trois écoles congréganistes des rues Ferdinand Berthou, Neuf Bourg Labbé et de Béarn. Les religieuses de l’école de la rue vieille du temple ayant fui devant la commune, la municipalité du 3ème s’empara du local qu’elles avaient occupé, l’appropria et en fit un orphelinat où 91 enfants des deux sexes purent recevoir de bons soins en même temps qu’une instruction morale et libre. Grâce à cette création, la municipalité pu prendre, dans un appel à insérer à l’Officiel, l’engagement d’élever les enfants des gardes nationaux qui succomberaient dans le souvenir du courage de leur père et dans la haine de l’oppression. À retenir une vue originale afin de ne pas isoler ces enfants du réel de la société, la municipalité se proposait de leur adjoindre des externes.

Dans le quatrième, la municipalité lança le 12 mai une proclamation aux familles pour faire ressortir que l’instruction est à la fois un droit absolu pour l’enfant et un devoir impérieux pour la famille ou à défaut pour la société. L’appel affirme le principe de la neutralité scolaire et fait de la laïcité la conséquence de ce principe. Il annonce que tous les congréganistes ont été écartés des écoles publiques de l’arrondissement et que de fréquentes inspectons permettront de s’assurer que l’enseignement religieux est désormais admis.

Le 8ème arrondissement se distingue grâce à Allix. Tout un travail de statistiques basé sur les cartes de viande permit de se rendre compte jusqu’à quel point sévissait l’absentéisme scolaire. Les écoles anciennes furent maintenues et une école dite nouvelle projetée. Allix nomma une de ses anciennes élèves directrices de cette école. Les cours devaient en être publics afin que les parents et les professeurs puissent y assister à leur gré. Allix fonda une école – asile pour les orphelines et les jeunes personnes sans travail et une école normale de gymnastique. Il se proposait en outre de créer des classes provisoires dans tous les quartiers comme préface aux écoles nouvelles.

Dans le 10e, l’école du Faubourg Saint-Martin fut ouverte le 24 avril, après ça sa laïcisation, à tous les enfants de six à 15 ans sans distinction de nationalité. Son directeur, le citoyen Lourson, licencié en droit, faisait tous les jeudis soir un cours public « de morale rationnelle et de droits politiques ».

Dans le 12e, c’est seulement le 25 avril que la municipalité fit appel au concours de tous les instituteurs laïques pour remplacer les frères et les sœurs des écoles chrétiennes qui avaient abandonné leurs postes. Une note de la municipalité dans le journal officiel dit emphatiquement

« Chacun reconnaîtra que jamais occasion plus solennelle ne nous a été fierté d’inaugurer définitivement l’instruction laïque, gratuite et obligataire. L’ignorance et la justice font place désormais à la lumière et aux droits. »

Il semble bien que les édiles du 12e se soient contentés de servir ces clichés.

Dans le 14e, la municipalité croyait pouvoir affirmer, le 17 mai, qu’en raison de sa surveillance et du peu de sympathie éprouvée à l’égard du personnel religieux, aucun représentant de ce personnel ne trouvait un « repère » dans son arrondissement.

Le 17e avait pour déléguée à l’instruction le citoyen Rama, membre de la commission d’organisation de l’enseignement. Rama ne s’occupe pas d’une « solution théorique et pratique » à donner à la question des écoles congréganistes. Dans un manifeste contresigné par Benoît Malon, s’est adressé aux instituteurs et institutrices. Rama développe les raisons qui militent suivant lui, en faveur de la neutralité religieuse à l’école. Il admettait « que dans tous les temps et dans tous les pays in a abusé, même de la meilleure foi du monde, de l’ignorance et de l’innocence de l’enfant pour lui inculper par exemple, par la contrainte, par l’habitude des préventions, des sentiments d’injustice et de haines qui aboutissent à des désordres sociaux et à des guerres ».

C’est reconnaître le caractère politique de l’école, c’est admettre qu’il a été jusque-là un instrument de ce lavage entre les mains des classes dominantes.

Rama recommande aux maîtres

1-l’emploi exclusif de « la méthode expérimentale ou scientifique, celle qui part toujours de l’observation des faits quelles qu’en soit la nature : physique, Moreau, intellectuelle » ;

2-l’enseignement moral « dégagé de tout principe religieux ou dogmatique » est aussi éloigné de « l’esprit de domination » que « l’esprit de servitude » ;

3-l’éliminaton des pratiques et images religieuses ;

4-la disparition de tout livre « contraire à la méthode scientifique et au sentiment de Concorde ». Cette dernière prescription rapprochée du considérant sur le rôle de l’école dans la préparation psychologique des guerres et des désordres sociaux nous permet d’insérer que Rama avait déjà en vue l’élimination des livres tendancieux, chauvin et autres.

Les journaux dévoués à la Commune reproduisirent tout au long le manifeste du citoyen

Rama. Il fut inséré au Journal Officiel et la Sociale souligna la sympathie qui lui inspirait. La municipalité du 17e ne se contente pas de fixer publiquement les principes sur lesquels devaient s’étayer l’école nouvelle, elle adopta l’orphelinat que dirigeait Ferdinand buisson et qui transférée à Compuis, devait acquérir par la suite, grâce à Robin, une célébrité mondiale. Dans le 20e, la municipalité entra dans une voie neuve en en habillant et en nourrissant les élèves.

L’enfance sous la commune[modifier le wikicode]

On ne saurait séparer artificiellement les efforts de la commune en vue d’instruire l’enfance de ces tentatives touchant les orphelinats et l’utilisation militaire de la jeunesse.

Il faut distinguer ici l’enfance ouvrière de l’enfance bourgeoise.

Les enfants des quartiers riches du centre qui, pendant le siège, avait toujours été privilégiés par rapport aux enfants des quartiers pauvres dans la périphérie, continuèrent à bénéficier de la situation sociale de leurs parents. Comme par le passé, ils purent même fréquenter le guignol jusqu’au jour où les bombes versaillaises, dépassant le rond-point des Champs-Elysées, vinrent tomber devant le cirque. Alors, comme le nota spirituellement un chroniqueur de l’époque, « Polichinelle, le commissaire et même le diable » furent contraints de déménager.

Dans les quartiers ouvriers, pendant que les parents combattaient ou travaillaient, un grand nombre de jeunes apprentis licenciés et d’enfants qui ne fréquentaient pas l’école, livrés à eux-mêmes, traînaient dans les rues. On se demande même comment vivait ceux qui, ayant quitté la maison paternelle, vagabondaient sur le pavé de la capitale. Il est certain que les dures conditions dans lesquelles se trouvait placé la classe ouvrière n’était pas sans influer douloureusement sur toute l’enfance prolétarienne. Toutefois, insouciants comme on l’est à cet étage, gamins et gamines jouaient en plein bombardement. Et quand un obus tombait non loin d’eux, on les voyait parfois se précipiter sur les éclats qu’ils emportaient glorieusement. Une statistique, dressé par Allix, nous apprend que dans le 8ème arrondissement, sur 6251 garçons et filles de 7 à 15 ans, les écoles communales ne recevaient que 3030 élèves, même pas la moitié. Encore est-il bon de doter qu’Allix a compté parmi les 3030 élèves tous les enfants de 3 à 7 ans fréquentant les asiles de l’arrondissement. En tenant compte de ce fait et en oubliant l’âge scolaire commence à 5 ans et non à 7, on arrive à cette conclusion qu’au moins 4000 enfants d’âge scolaire, dans le 1er arrondissement comme le 8ème, où l’on s’occupait beaucoup des écoles, restait en dehors des établissements d’instruction. Il est clair que les mesures prises par plusieurs municipalités contre la mauvaise fréquentation scolaire ne pouvaient constituer qu’un faible palliatif sans distribution de galoches, de vêtements, sans l’institution de cantines, mesures réclamées par la détresse économique des travailleurs.

Du côté des salles d’asile public, un effort fut fait. Le personnel qui avait toujours été au-dessus des besoins s’augmenta à la suite de plusieurs appels. Dans le 8ème arrondissement cité plus haut, on comptait 271 enfants de 3 à 7 ans dans 2 salles d’asile.

Nous avons déjà eu l’occasion de signaler la fondation d’orphelinats sous l’égide des municipalités. On doit, semble-t-il, à l’initiative privée la création de l’orphelinat de la garde nationale, boulevard Victor Hugo (ancien boulevard Haussmann), dans un local aéré et sain contenant 300 lits. Les enfants, garçons et filles, étaient admis tous les jours, de deux heures à quatre heures, sur la présentation d’un certificat « non motivé » du sergent major constatant que le père appartient à une compagnie de la garde nationale.

Le directeur Raymond, désireux de secourir l’enfance malheureuse, faisait appel d’une part à toutes les mères de familles ayant des vêtements, chemises ou souliers d’enfants sans usage, et d’autre part à « toutes les citoyennes de cœur » qui voudrait lui apporter leur concours pour « signer et instruire » les garçons et filles confiés à ses soins.

Bien que ce soit peut-être empiéter sur la parte militaire de l’histoire de la commune, il convient à cette place de mettre en relief la belle conduite de tous ces braves petits prolétaires qui, surexcités par la situation révolutionnaire, aigris par les privations successives, devaient, comme le reconnaîtront plus tard les juges du conseil de guerre, « fournir à l’insurrection un concours très utile »[2].

C’est un fait que le gamin de Paris, ce gavroche si prompt aux polissonneries autant qu’à l’héroïsme, a joué un rôle à toutes les époques de crises révolutionnaires. Et si l’on admet que la profondeur d’une révolution se mesure à l’ardeur des femmes et des enfants, il faut en conclure, étant donné la large participation des enfants et de leur mère, que la commune constitue la plus forte tempête révolutionnaire qui est soufflée sur la capitale.

On ne vit pas seulement des bandes d’enfants ouvriers promener dans les rues de petits drapeaux rouges au champ de la Marseillaise et aux cris de vive la commune !v par milliers, des enfants se précipitèrent au combat des avant-postes où firent le coup de feu sur les barricades. « Il suivait les bataillons retranchés, dans les forts, s’accrochaient aux canons », a noté Lissagaray.

Les journaux du temps[3](3) relatent leurs traits de courage. Cueillons-en quelques-uns V.Thiebaut, 14 ans, accouraient à travers les balles pour donner à boire aux défenseurs du rond-point de Saint-Ouen. Les obus ayant forcé les fédérés à se replier, ceux allaient sacrifier une pièce de vin appartenant à leur bataillon. Mais l’enfant la défonça au péril de sa vie en s’écriant « ils ne boiront toujours par notre vin. » Puis il saisit une carabine, la chargea et tua un officier de gendarmerie, après quoi il sauva un fourgon du bataillon.

Charles Banderiter, 15 ans, s’offrit comme artilleur à la 7ème batterie de la Marseillaise. Son enthousiasme, sa gaieté lui attirèrent l’affection de ses camarades ; la sûreté de son coup d’œil le fit remarquer. Pendant 10 jours et 10 nuits, il ne quitta pas sa pièce et chacun de ses coups portaient. Le 18 avril, à Neuilly, tandis qu’il s’assurait de l’exactitude de son tir, un éclat d’obus l’atteignit à la jambe et lui coupa presque le pied. Il tomba en criant « vive la république ! » Transporté à l’ambulance, il supporta vaillamment ses souffrances. Voilà un autre Bara que la bourgeoisie française se gardera bien de donner en exemple aux petits prolétaires dans ses manuels d’histoire.

Les « tirailleurs Painchaud », qui comprenaient des enfants de 15 ans, se livrèrent à des coups d’audace. On les vit le 16 mai risquer une escapade des plus hardie. Sans ordre et en cachète, ils descendirent des remparts à l’aide d’échelles et s’aventuraient vers dans le bois de Boulogne. Au bout d’une heure, ils rentrèrent, rapportant des chassepots enlevés à des gendarmes qu’ils avaient surpris. Dans les mêmes parages de la porte Maillot, Eugène Vaxivière, 13 ans et demi, plus d’un mois auparavant avait continué de servir malgré sa blessure.

Le 23 mai, quand le comité de salut public annonça que l’ennemi s’était dans la capitale et lança son appel célèbre « tout le monde aux barricades ! », Il trouva un puissant écho parmi l’enfance ouvrière.

Benoît Malon estime à 5000 le nombre des enfants qui, au sombre jour de la semaine sanglante, combattirent ou moururent sur les barricades aux cris de Vive la Commune ! vive la république universelle ! vive le travail ! Cette estimation paraît fortement exagérée à première vue. Mais quand on sait que sur les 20 000 fédérés morts, il y eut bien des enfants, quand on relève 651 enfants arrêtés officiellement, quand on envoie bon nombre de condamnés à la déportation, à l’emprisonnement ou affectés dans des maisons de correction par les conseils de guerre, on se dit que Benoît Malon n’a peut-être pas tellement forcé la note.

Tout un corps de jeunes combattants fut habillé, équipé et armé les 21 et 22 mai. On l’appela le corps des pupilles ou enfants de la Commune. Il était caserné place du Château d’Eau, actuellement place de la République. Ce corps comprenait une centaine de garçons de 10 à 16 ans qui s’étaient enrôlés de leur plein gré et recevait une solde de 15 sous par jour. La majorité semble avoir été composée d’enfants de 14-15 ans. C’étaient des fils d’ouvrier, pour la plupart chétifs. Ils participèrent à la construction et assurent la défense des barricades établies aux abords de la place du Château d’Eau et dans la rue du Faubourg du Temple. Les deux barricades de la rue de l’Entrepôt paraissent avoir été entièrement défendues par eux. Maison par maison, tirant jusqu’à 50 coups de feu, ils défendirent la rue Magnan pour se replier sur la grande barricade du Château d’Eau qui obstruait l’entrée du boulevard Voltaire. Là, ils multiplièrent les actes de bravoure et de témérité. L’un d’eux saisit un guidon et monta sur les pavés, narguant l’ennemi, lui reprochant d’avoir tué son père, Vermorel, Jacquart, Heix Lisbonne dirent à l’enfant de descendre. Il refusa, s’obstinant, jusqu’au moment où une balle versaillaise le foudroya. Un peu plus tard, au même endroit, le vieux Delescluze ne devait pas mourir autrement que ce jeune héros. On vit, là encore, un gamin de 15 ans, d’Auteuil, franchir les pavés et, sous une grêle de balles, ramener aux fédérés le képi d’un lieutenant tué en avant de la barricade.

Le plus enragé tireurs d’une des barricades du Faubourg du Temple fut un enfant dont le tranquille héroïsme est passé à la postérité. La barricade enlevée, tous ses défenseurs sont alignés le long d’un mur pour être fusillés. Alors l’enfant demande à l’officier versaillais quelques minutes de répit, le temps d’aller chez lui, tout près, porter sa montre d’argent et dire adieu à sa mère. L’officier le laisse partir « va-t’en, drôle ! – L’enfant s’en va. – Piège grossier ! »

Et les soldats riaient avec leur officier. Et les mourants mêlaient à ce rire leur râle,

Mais ce rire cessa, car soudain l’enfant, brusquement reparut, fer comme Viala, vint s’adosser au mur et leur dit « me voilà. »

La mort stupide eut honte et l’officier fit grâce[4] (4).

Hélas ! Pour un jeune héros épargné, combien de centaines de petits prolétaires – de « graine d’insurgé », comme disaient les bourreaux galonnés – furent sacrifiés à la vengeance bourgeoise. À défaut des faits qui viennent d’être cités, l’étendue, la cruauté de cette répression attesterait, s’il en était besoin, la part importante prise par l’enfance ouvrière à la défense de la commune.

La haute culture sauvegardée[modifier le wikicode]

Les versaillais, pour « remonter le moral » de leurs troupes mercenaires et pour égarer les travailleurs de province, représentaient la commune comme un gouvernement de barbarie et le Paris de la révolution prolétarienne comme un lieu de ténèbres. Les journaux à leur solde allaient même jusqu’à insinuer que des tableaux provenant du Louvre était vendus à Londres.

En fait, il se peut que des antiquaires londoniens aient mis à profit la situation pour vendre des toiles provenant soi-disant du musée du Louvre, mais ce qu’on est en droit d’affirmer – avec l’administration du Louvre – c’est que les collections de cet établissement sont demeurées intactes, « qu’elles ont été préservées des dangers de la guerre, respectées et protégées ».

Dès le 25 mars, par une note insérée à l’Officiel, le comité central signalait au public qu’il avait fait occuper tant le Louvre que les Tuileries « dans le but de mettre à l’abri et de faire respecter des chefs-d'œuvre et les objets précieux qui le contiennent ». Le même numéro de l’officiel annonce que les Tuileries, fermées depuis le 4 septembre par le gouvernement, seront ouvertes au public ainsi que les musées. Mais c’est seulement le 15 avril que le Louvre fut effectivement réouvert aux artistes et aux gens du peuple. Deux jours après, tous les jardins, parcs et autres lieux publics de promenade fermés jusque-là pour cause de dureté militaire furent aussi mis à la disposition de tous.

Dans ce Paris que les ribauds et les ruraux de Versailles montraient à la province comme se livrant à une orgie sanglante, la parte de l’élite intellectuelle qui n’avait pas quitté la capitale pouvait satisfaire à tous ses besoins culturels. L’Académie des sciences continua de se réunir à partir du 17 avril. Des savants comme Chevreuil et Milnes-Edward purent s’y livrer en toute quiétude à des controverses du plus haut intérêt. Stanislas Meunier y donna lecture de son intéressant mémoire sur le métamorphisme des météorites.

Molié plaça le muséum d’histoire naturelle « sous la sauvegarde des citoyens ». Il fit appel au public pour « prêter aide aux gardiens » et au besoin agir afin de « garantir les intérêts généraux » de l’établissement.

Au collège de France, les cours d’arabe reprirent le 15 avril à raison de deux par semaine. L’École des beaux-arts fonctionnait et/ou ne manqua pas de prévenir les élèves que le concours pour les grands prix de Rome aurait lieu en 1871 comme les années précédentes. Émile Perrin directeur de l’Opéra, n’ayant rien fait pour parer aux difficultés de la situation et ayant accumulé des obstacles afin d’empêcher une représentation nationale au profit des victimes de la lutté des artistes musiciens, fut révoqué par le délégué à l’intérieur Cournet, à la date du 9 mai. En même temps, Cournet, considérant que malgré la crise, l’art et les artistes ne devaient pas « rester en souffrance », nomma Eugène Garnier directeur de l’opéra à titre provisoire et institua une commission composée de A. Regnard, Lefebvre Roncier, R.Pugnot, Edmond Levraud, Seimer et lui-même afin de « veiller aux intérêts de l’art musical ». Le nouveau directeur fut présenté au personnel de l’Opéra par deux délégués de la Commune le 12 mai, jour des bombardements violents sur Asnières, Clichy et Neuilly et des attaques sur Vanves. On y prononça une allocution à cette occasion, Garnier suscita une représentation du personnel à raison d’un délégué par catégorie et lança l’idée d’une association des artistes de l’Opéra analogue à la société du théâtre français.

Du côté du conservatoire de musique, on semble avoir été moins pressés d’agir. C’est seulement le 15 mai, beaucoup trop tard, que la délégation à l’enseignement songea à réformer cet établissement.

Réorganisation et protection des bibliothèques publiques[modifier le wikicode]

C’est surtout du côté des grandes bibliothèques publiques que se remarque l’effort de la commune.

Le 1er avril, le comité de l’intérieur et de la sûreté générale, désirant prouver qu’il entendait « conserver soigneusement aux générations futures tout ce qui se rapporte à la gloire et à la science du passé », délégua à la Bibliothèque nationale « avec pleins pouvoirs » le citoyen Jules Vincent. En réalité, il faut voir là une mesure politique au premier chef. La commune prenait ses précautions presque tous les conservateurs et bibliothécaires de la rue de Richelieu, les Delisle, les Dauban et autres, étaient connus comme de fieffés réactionnaires. La commune craignait que la Bibliothèque nationale ne devînt un foyer contre-révolutionnaire.

Aussitôt nommé, Vincent réuni le personnel de la BN, il fut décidé, d’un commun accord, que sans porter atteinte aux règlements en vigueur dans l’établissement, des mesures seraient prises pour « sauvegarder l’intégrité et la conservation des collections ». Vincent obtînt des fonctionnaires et employés l’engagement « de se renfermer dans les strictes limites de leur rôle » et d’être « fidèle à leurs devoirs processionnels ». Mais cet engagement ne fut pas tenu. Une bonne parte du haut personnel prit du large. Ce fut la gabegie. Tenu pour responsable, Vincent fut relevé de ses fonctions par arrêté de Vaillant en date du 27 avril sur la proposition même de Cournet. La délégation de l’enseignement, à l’encontre de Vincent, était décidée à une « réorganisation radicale de la BN ». Elle fit désigner Elie Reclus comme directeur avec, comme adjoint, le citoyen Guizard. Le 11 mai, Vaillant révoqua d’un seul coup 25 fonctionnaires qui avaient déserté leur poste, parmi lesquels « le sieur Léopold Delisle », chef du département des manuscrits. À l’officiel du 12 mai parut une nouvelle fournée de 28 bibliothécaires, conservateurs ou attachés, relevés de leurs fonctions.

La bibliothèque Mazarine avait été forcée de fermer par suite de la pénurie de personnel. Elle fut réouverte le 8 mai sous la direction de B.Gastineau et les fuyards De Sacy, Philarète Chasles, Jules Sandeau, Moreau, Darembert, Cocheris et Lauredent-Larcher en furent déclarés démissionnaires.

Benjamin Gastineau fut nommé aussi inspecteur des bibliothèques communales. Par arrêté du 12 mai il mit un terme au pillage des bibliothèques publiques par les privilégiés. Il dénonça devant l’opinion ce qui n’avait pas craint de se tailler une bibliothèque dans les Bibliothèque nationale « en empruntant les livres qu’ils rendraient rarement et en privant ainsi les travailleurs des ouvrages les plus nécessaires les plus précieux ». Gastineau supprima d’une façon absolue le prêt de livres à domicile et ordonna à tous ceux qui avaient ainsi emprunté des ouvrages de les rendre dans les huit jours.

La fédération artistique des arts plastiques[modifier le wikicode]

Il y eut sur la commune, parmi les artistes, un mouvement original à base fédéraliste.

Le mouvement des peintres, sculpteurs, graveurs, artistes industriels fut de beaucoup le plus remarquable. Il n’y avait qu’un signe à faire pour rassembler tous les « bohèmes » du Quarter Latin, tous les artistes qui s’étaient plus ou moins mêlés à l’opposition au Second Empire et aux manifestations estudiantines, aux groupements secrets blanquistes et aux sociétés de Libre Pensée. Autorisé par la commune, Gustave Courbet, dans un appel fameux et vibrant que l’Officiel se fit un devoir de reproduire, invita ses confrères à se réunir. Le grand peintre révolutionnaire, ami de Vallès, de Vermorel de P. Denis, disait entre autres :

« Aujourd'hui, j’en appelle aux artistes ; j’en appelle à leur intelligence, à leurs sentiments, à leur reconnaissance. Paris les a nourris comme une mère et leur a donné leur génie. Les artistes, à sept heures, doivent partout leurs efforts (c’est une dette d’honneur concourir à la reconstitution de son état moral et au rétablissement des arts qui sont sa fortune…

La revanche est prise, le génie aura son essor ; car les vrais prussiens n’étaient pas ceux qui nous attaquaient d’abord…

Ah ! Paris, Paris, la grande ville, vient de secouer la poussière de toute féodalité. Les prussiens les plus cruels, les exploiteurs du pauvre, étaient à Versailles. Sa révolution est d’autant plus équitable qu’elle part du peuple. Ses apôtres sont ouvriers, sin Christ a été Proudhon. Depuis 1800 ans, les hommes de cœur mouraient en soupirant, mais le peuple héroïque de Paris vaincra les mystagogues et les tourmenteurs de Versailles. L’homme se gouvernera lui-même, la fédération sera comprise et Paris aura la plus grande part de gloire que jamais l’histoire ait enregistrée… »

Une commission provisoire élabora tout d’abord un programme destiné à être soumise à une assemblée générale des artistes. Cette assemblée se tient le 13 avril dans le grand amphithéâtre de l’École de Médecine. Elle était placée, comme l’écrivit emphatiquement Courbet, « sous le protectorat regard sous le protectorat de la commune ». Ce fut un succès. La salle était pleine et tous les arts plastiques y étaient largement représentés. On comptait plus de 400 personnes, parmi lesquelles fait Feyen Perrin et Héreau comme peintre, Moulin et Delaplanche comme sculpteur, Bertall comme caricaturiste, Michelin pour la gravure. Il y avait beaucoup d’architectes et d’ornemanistes. Courbet – qui devait être élu membre de la Commune quelques jours plus tard – présidait, assisté de Moulins et d’Eugène Pottier. La présence du futur auteur de l’Internationale dans cette assemblée peut paraître étrange, mais il faut savoir que Pottier était un dessinateur industriel de talent, très apprécié, qui avait fondé avant la guerre la chambre syndicale de sa profession, et l’avait fait adhérer en bloc à l’Internationale. C’est au titre de dessinateur que Pottier donna lecture à l’assemblée du rapport rédigé par lui au nom de la commission préparatoire.

Un homme comme Delion[5] (5) qui atribue gratuitement à Pottier la marote de vouloir être « législateur des arts » et qui entrevoit la barbarie comme résultante du socialisme, qualife ce rapport de « simple, clair, ingénieux ». Marquet de Vasselot, peu tendre en général pour les Communards, se demande de son côté si le rapport de instruction n’est pas « l’idéal du rapport rêvé par les artistes »[6]. Ces appréciations fauteuses ont d’autant plus de valeur qu’elles sont postérieures à la commune. En les lisant on comprend pourquoi l’Officiel de la Commune tint à insérer en enter le rapport de Pottier en spécifiant que ce « document, très intéressant, contenait des considérations vraiment élevées sur les besoins et les destinées de l’art contemporain ».

Que demandait Pottier ? Le ralliement de tous les artistes adhérant aux principes de la révolution communaliste dans une vaste fédération prenant pour plate-forme

« La libre expansion de l’art, dégagée de toute tutelle gouvernementale et de tout privilège ; L’égalité des droits entre tous les membres de la fédération.

L’indépendance et la dignité de chaque artiste mise sous le la sauvegarde de tous par la création d’un comité élu au suffrage universel des artistes.»

Ce comité comprenait 47 membres élus pour un an au scrutin de liste et au vote secret par tous les citoyens, justifiant de la qualité d’artiste. Sur ces 47 membres, chaque spécialité se trouvait représentée. Il y avait 16 peintres, des sculpteurs, cinq architectes, 11 graveurs lithographes, des membres de l’art décoratif. La durée du mandat était d’un an, mais afin de laisser un élément de stabilité dans le comité, 15 membres choisis par le comité lui-même restait deux ans en fonction. Pottier, emporté par l’enthousiasme, qualifiait ce comité de « gouvernement du monde des arts par les artistes ». Il faut dire qu’il lui assignait une triple vaste mission 1- la conservation des trésors du passé ; 2- la mise en œuvre et en lumière de tous les éléments du présent ; 3- la régénération de l’avenir par l’enseignement.

Tous les monuments, galeries, collectons et musées publics étaient placés sous la surveillance administrative du comité qui se chargeait d’en dresser les plans, inventaires, catalogues, de les mettre à la disposition du public, d’en signaler les réparations urgentes, d’en nommer ou révoquer les fonctionnaires. Le comité se proposait d’organiser des expositions nationales et internationales, n’admettant que des œuvres représentant des créations originales, repoussant toute exhibition mercantile « tendant à substituer le nom de l’éditeur ou du fabricant à celui du véritable créateur ». Il n’était pas prévu de récompense, mais la Commune devait répartir ses travaux ordinaires entre les artistes désignés par le suffrage universel des exposants. Les travaux extraordinaires étaient attribués à la suite d’un concours.

Le comité entendait surveiller l’enseignement du dessin et du modelage dans les écoles primaires et professionnelles communales. Il désirait favoriser l’introduction des « méthodes attrayantes » et désigner les sujets d’élite dont les études seraient complétées aux frais de la commune. Enfin était envisagé la création d’un organe de la fédération : l’officiel des arts, qui devait être soigneusement expurgé de toute trace mercantile. Pour résoudre les questions litigeuses, des arbitres étaient prévus et le comité s’engageait « par la reproduction populaire des chefs-d'œuvre », par l’image, par l’affiche, à concourir à la « régénération », à « l’inauguration du luxe communal », aux « splendeurs de l’avenir et à la république universelle ». C’était là un vaste et ambitieux programme dépassant évidemment de loin les possibilités de réalisation de la commune.

Les élections à la commission fédérale eurent lieu au Louvre le 17 avril. La liste présentée par la Sociale, journal d’André Léo, passa tout entière. Gustave Courbet, le grand sculpteur Dalou et Boileau fls composèrent le bureau de la commission qui siégea désormais à « l’ex ministère des Beaux-Arts », rue de Rivoli. Elle collabora avec Vaillant, s’occupant entre autres de la réorganisation du musée du Louvre, proposant la suppression de l’emploi d’architectes au musée de Luxembourg comme inutile ville, faisant nommer André Gill, Glück et Chapuis comme conservateurs du musée du Luxembourg, prenant des dispositions pour l’orientation artistique de l’enseignement primaire...

La fédération artistique (art lyrique et dramatique)[modifier le wikicode]

Parallèlement au mouvement des artistes de l’art plastique se développa un mouvement des artistes de l’art lyrique et dramatique.

Une première réunion tenue à l’Alcazar, Faubourg-Poissonnière, le 10 avril, jeta les bases d’une fédération artistique, étant donné, dit le procès-verbal plutôt confus, « qu’au nom de la démocratie et de la fraternité il est bien d’appeler sous le même drapeau les membres d’une même famille ayant les mêmes goûts, les mêmes aspirations et liées en quelque sorte par des relations quotidiennes ». Cette première réunion nomma une commission exécutive provisoire composée des citoyens Paul Burani, auteur dramatique, président, Antonin Louis, secrétaire, Nicole et Fernand, assesseurs. Il est curieux de noter que le secrétaire de la fédération naissante deviendra plus tard le chansonnier de la réaction boulangiste, puis de la réaction nationaliste et en antidreyfusarde. Ce ne fut du reste qu’un secrétaire éphémère, puisque quelques jours plus tard les communications du groupement indiquent comme secrétaire Paul Burani. Il semble bien qu’il y eut des dissentiments entre les membres de la commission exécutive provisoire touchant l’orientation de la fédération. C’est du moins ce qui ressort non pas seulement du changement de bureau, mais d’une note de Burani annonçant que ses camarades s’étaient réunis le 16 avril sous la présidence du citoyen Pacra pour procéder à la « nomination des cadres » de la fédération et pour convoquer une nouvelle assemblée en vue de nommer une commission chargée d’élaborer les statuts d’une « fédération purement sociale ».

L’assemblée du 18 aboutit tout au moins à une résolution d’ordre pratique. Elle demanda à la Commune la libre disposition des salles de spectacles non occupées appartenant à la ville pour organiser des représentations au bénéfice des veuves, blessés, orphelins et nécessiteux de la garde nationale. Elle apportait le concours gratuit de ses membres et laissait à une commission que choisirait la Commune le soin de centraliser les recettes afin d’en répartir le produit entre les victimes des 20 arrondissements.

A la date du 22 avril, la Commune fit droit à la demande de la fédération artistique. Alors, le comité d’organisation des représentations de bienfaisance se mit à l’œuvre. Il précisa dans un communiqué quelles étaient ses vues et, pour inaugurer la série des représentations, il prépara une « grande solennité musicale et dramatique » pour le 7 mai, dans la vaste salle du Châtelet. Son effort ne s’arrêta pas là ; mais il est difficile de démêler, parmi les concerts représentations dramatiques de bienfaisance donnée sous le patronage de la Commune, ce qui revient en propre à la fédération artistique de ce qui doit être attribué à d’autres initiatives.

Ce mouvement des artistes lyriques et dramatiques, quoique s’étayant sur une base moins solide que le mouvement des arts plastiques, méritait pourtant d’être signalé.

Efforts visant à l’éducation politique des masses[modifier le wikicode]

Dans le domaine de l’éducation politique des masses populaires, on note un effort systématique de la Commune afin d’éclairer la province. Cet effort, qui échut à la délégation aux relatons extérieures, ne fut entrepris que fin avril. Pascal Grousset n’ayant pas compris à temps que la délégation devait être surtout un comité de propagande. Des émissaires furent envoyés dans les départements. Un manifeste aux paysans rédigés par André Léo, la future compagne de Benoît Malon, fut répandue en province à plus de 100 000 exemplaires[7].

Pour rehausser le niveau politique des travailleurs de Paris, on ne peut pas dire qu’il y eut un effort conscient et méthodique de la Commune. Ce qui a été fait dans ce sens par les clubs et les journaux doit être portés au compte de l’initiative individuelle ou collective. Toutefois en raison de son origine, de son caractère, des nécessités de la lute révolutionnaire, la Commune prit un certain nombre de mesures d’ordre politique et social qui, porté à la connaissance des masses, ne furent pas sans influer sur leur mentalité. La Commune contribua ainsi, sous une forme démonstrative, indirectement, à l’éducation de la classe ouvrière.

Elle y contribua encore sous une forme plus directe par des appels et proclamation.

Mais c’est surtout en profitant des grands événements, en utilisant ou en provoquant de puissantes manifestations de masse qu’elle donna au peuple de Paris la conscience de sa force et l’élan nécessaire au combat contre Versailles. A ce sujet, on peut dire que la Commune continua dignement la tradition révolutionnaire française.

Ce serait assurément sortir du cadre de cette étude que d’insister sur les grandes fêtes civiques de la Commune, mais il convient de les relater à cette place.

Le dimanche 28 mars, 200 000 parisiens assistèrent à la proclamation solennelle du gouvernement issu de l’insurrection. Ce fut une journée d’enthousiasme débordant. « Jamais depuis la fédération de 1790, prétend Lissagaray, les entrailles de Paris ne furent aussi fortement secouées, »[8]

Le 6 avril leur lieu dans les grandes artères, pour l’édification de tous d’un peuple, les funérailles grandioses des premières victimes des versaillais. Benoît Malon estime qu’à la Bastille la foule recueillie s’élevait bien à 200 000 personnes[9].

Le 29 avril, le défilé imposant et solennel des 10 000 francs-maçons, revêtus de leurs insignes et portant leurs bannières, défilé habilement exploité par la Commune, ne fut pas sans frapper l’imagination populaire.

Enfin le 16 mai, aux applaudissements d’une foule immense, tombait la colonne Vendôme, symbole de la gloire et du carnage militariste.

Conclusion

Telle est dans ses grandes lignes l’œuvre de la Commune sur le plan culturel. Il nous reste à la résumer et à apprécier.

Au point de vue de l’enseignement primaire, Amédée Dunois a fort judicieusement noté « si peu qu’il leur ait été donné de faire, les communards n’en sont pas moins entrés bien avant la démocratie bourgeoise dans la vie d’une réorganisation complète de l’enseignement du peuple. »[10]

C’est là un fait indéniable au milieu du tumulte de la poudre, la Commune a trouvé le moyen de figuier de fixer la quadruple base de l’enseignement populaire obligation, gratuité, laïcité, instruction professionnelle. Elle a fait mieux elle s’est employée à transformer tout de suite ces principes en réalité vivante. Au surplus, Jules ferry, préfet de la Seine, dans une circulaire aux maires d’arrondissement daté de fin mai 1871, a reconnu formellement l’effort de laïcité de la commune.

En période calme la démocrate bourgeoise devait mettre 10 ans à reconnaître l’obligation et la gratuité de l’enseignement primaire. Elle devait laisser passer 15 ans avant de proclamer la laïcité de l’enseignement. Elle attendit 33 ans pour interdire l’enseignement aux congréganistes de tout ordre et de toute nature, tout au moins sur le papier. Aujourd’hui enfin, plus d’un demi-siècle après la commune, nous sommes à même de juger que rien de sérieux n’a été fait pour associer l’atelier à l’école. Cette simple comparaison en dit assez long sur la « valeur réformatrice » de la démocrate bourgeoise et de la démocrate prolétarienne. Au point de vue de la culture supérieure et du développement de l’art, l’étude serrée de la Commune détruit les légendes ineptes forgées par les versaillais.

Ces fédérés soi-disant « plus dévastateurs que les giths, les Vandales et Les Huns, plus barbares que les hordes d’Alaric, de Genséric et d’Attila »[11] , étaient les dignes citoyens de ce Paris où l’art et le génie ont rassemblé les plus éblouissantes merveilles. Ah ! Sans doute, il est facile de jouer sur les mots en portant au compte de la « barbarie ouvrière » les destructions qui sont le fait de la guerre impitoyable entre Versailles et Paris. Mais, heureusement, le journal officiel versaillais est là pour témoigner en faveur de la Commune. Il reconnaît qu’à part les bibliothèques du Louvre du Palais-Royal, dévorées par l’incendie consécutif à la bataille des rues, toutes les grandes bibliothèques parisiennes, le riche dépôt des archives nationales sont restées intactes. Il reconnaît, également que tous les musées ont été respectés par les communeux, parlant du Louvre il écrit : « nos beaux marbres, nos grandes toiles sont préservées. Nous n’avons rien perdu, absolument rien. » Parlant des autres musées, il dit « le musée de Cluny étalera encore ses faïences, ses cristaux, ses armures, ses bijoux, ses meubles…Le Luxembourg nous rend intactes les toiles de l’école française contemporaine. Le musée de Sèvres, transporté dans Paris… a miraculeusement échappé aux communeux. Nous avons perdu les Gobelins, avec les magnifiques tapisseries qu’il contenait, mais les tapisseries de la couronne nous restent. »

Non seulement, comme on l’a vu par ailleurs, la Commune, malgré le péril et les difficultés de l’heure, s’occupa des bibliothèques, des musées et de l’enseignement supérieur, mais encouragea un mouvement artistique original qui laissa des traces profondes. On est frappé comme l’a remarqué Marquet de Vasselot[12] de la similitude qui existe entre les statuts de la société nationale des beaux-arts constitués en 1890 et ceux de la fédération de 1871. Lorsque le sous-secrétaire d’État Turquet, en 1880, créait la société des artistes français, il adoptait une parte du programme tracé par Pothier, tout en réservant les droits de l’État en ce qui concerne le salon officiel.

Il faut marquer enfin fortement que l’art dramatique et la musique sous toutes ses formes ne cessèrent pas d’exercer leur action pendant la Commune. Dominant le bruit des canons, les musiques de divers bataillons de la garde nationale donnèrent des concerts dans les quartiers ouvriers. La tragédienne Agar « hurla » la marseillaise, pour employer l’expression gracieuse du Figaro Fernand Desaulnée fut applaudi dans Soit maudit Bonaparte ! Pièce de sa composition.

Les citoyennes Amiati et Bordas continuèrent d’être chaleureusement bissées et le grand opéra se mit à étudier l’Hymne à la Liberté de Gossec, qui n’avait pas été exécuté depuis 1793. Vaillant écrivait naguère, en parlant de la Commune « dans leurs fonctions la plupart des citoyens qui avaient été délégués firent honneur à leur mandat »[13] (13). On peut appliquer ce jugement de Vaillant à Vaillant lui-même, étant donné l’œuvre constructive tout à fait méritoire accomplie par la délégation d’enseignement. Et si par-delà le travail fourni par cette délégation, on envisage dans toute son ampleur l’œuvre générale de la commune au point de vue culturel, on peut dire qu’eu égard aux conjectures de temps de cette œuvre forme un ensemble impressionnant.

  1. Le Cri du Peuple du 21 mars 1871.
  2. Les procès de la commune, 21e livraison « cimpte rendu du pricès des pupilles de la cimmune ».
  3. La commune, le mot d'ordre, l'Officiel.
  4. Victor Hugo l'année terrible.
  5. Les membre de la commune et du comité central, par Paul Delion, Paris 1871, page 165.
  6. 1871, enquête sur la commune de Paris, Paris, éditon de la revue blanche, page 115.
  7. Voir à ce sujet mon article sur la commune les paysans, bulletin communiste, deuxième année, numéro 21 22, 26 mai 1921.
  8. Une histoire de la Commune de 1871, Paris, page 148
  9. La troisième défaite du prolétariat français, Neuchâtel, 1871, page 231.
  10. La Commune de Paris, textes et documents, Paris, librairie de l'Humanité, page 28.
  11. Le petit moniteur universel du 4 juin 1871 numéro 148.
  12. 1871. Enquête sur la Commune de Paris. Paris. Edition de la revue blanche sans date page 116.
  13. 1871, Enquête sur la Commune de Paris, ouvrage cité page 72.