Préfaces et introductions

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Préface à l’édition russe[modifier le wikicode]

Cet ouvrage était achevé dès l’automne 1914, c’est-à-dire au début de la guerre mondiale. La préface a été rédigée en août-septembre de la même année.

L’idée de présenter une critique systématique de l’économie théorique de la bourgeoisie moderne me préoccupait depuis longtemps. C’est dans ce but qu’après avoir réussi à m’évader de la déportation, je me rendis à Vienne. J’y suivis les cours de Böhm-Bawerk, professeur à l’Université de Vienne, à présent décédé. C’est à la bibliothèque universitaire de Vienne que j’étudiai la littérature des théoriciens autrichiens. Mais je ne pus achever mon travail à Vienne, car avant la déclaration de guerre le gouvernement autrichien me fit enfermer dans une forteresse et le manuscrit fut soumis par les gardiens de l’ordre à un examen minutieux. On m’expulsa en Suisse; à la bibliothèque universitaire de Lausanne, j’eus l’occasion d’étudier sur place 1’« Ecole de Lausanne » (Walras), ainsi que les économistes antérieurs, et de remonter jusqu’à la source de la théorie marginaliste. C’est là aussi que je me suis livré à l’étude approfondie des économistes angloaméricains. Mon activité politique me conduisit ensuite à Stockholm, où la Bibliothèque Royale et la Bibliothèque particulière de l’Académie Commerciale me permirent de poursuivre mon étude de l’économie politique moderne. Mon arrestation et mon expulsion en Norvège me conduisirent à la bibliothèque de l’institut Nobel de Christiania; après m’être établi en Amérique, je pus approfondir mieux encore, sur place, la littérature économique américaine à la bibliothèque publique de New York.

A Christiania, le manuscrit demeura longtemps introuvable, et ce n’est que grâce aux efforts énergiques de mon ami, le communiste norvégien Arvid C. Hansen, qu’on put le retrouver et l’expédier en février 1919 en Russie soviétique. Je n’ai fait ici qu’y ajouter quelques observations et quelques notes qui se rapportent principalement à l’école anglo-américaine et aux réalités récentes en général.

Jusqu’à présent on n’a connu dans le camp marxiste que deux sortes de critiques relatives à l’économie politique bourgeoise et moderne : c’était une critique soit exclusivement sociologique, soit exclusivement méthodologique. On constatait par exemple que le système théorique en question s’apparentait à une psychologie de classe déterminée, un point c’est tout. Ou bien on tenait un certain fondement méthodologique, la manière d’aborder le problème, pour erronés; il était donc inutile de faire une critique minutieuse de l’aspect « interne » du système.

Certes, quand on estime que seule la théorie de classe du prolétariat est objectivement juste, il suffit alors, à strictement parler, de découvrir le caractère bourgeois de la théorie en question pour la rejeter. Au fond, c’est d’ailleurs ce qui se passe, car si le marxisme prétend posséder une validité générale, c’est précisément parce qu’il est l’expression théorique de la classe progressive, dont les « prétentions » à la clairvoyance sont bien plus hardies que n’est le mode de penser conservateur et par conséquent plus borné des classes dominantes de la société capitaliste. Toutefois, il est évident que cette justesse doit être démontrée par l’affrontement des idéologies entre elles, par la critique logique des théories qui nous sont hostiles. La caractéristique sociologique d’une théorie ne nous dispense donc nullement du devoir de la combattre sur le terrain de la critique logique proprement dite.

Il en va de même pour la critique de la méthode. Constater que le point de départ des fondements méthodologiques est erroné, renverse évidemment tout l’édifice théorique. Cependant, la controverse idéologique exige que la fausseté de la méthode soit démontrée par l’erreur de conclusions partielles du système, en quoi l’on peut recourir soit aux contradictions internes de tout le système, soit à son imperfection, à son incapacité organique à saisir et à expliquer toute une série de phénomènes qui concernent la discipline en question.

Il en découle que le marxisme doit fournir une critique détaillée des récentes théories, critique qui est aussi bien d’ordre socio- logique que méthodologique, mais qui est aussi une critique de tout le système jusque dans ses moindres ramifications. C’est de cette manière d’ailleurs que Marx a posé la question en face de l’économie politique bourgeoise (voir son ouvrage Théories de la plus-value). Tandis que les marxistes se bornaient généralement à une critique sociologique et méthodologique de l’école autrichienne, la critique des adversaires bourgeois de cette école portait essentiellement sur l’erreur de certaines conclusions particulières. R. Stolzmann fut à peu près le seul à fournir une critique détaillée de Böhm-Bawerk. Dans la mesure où certaines idées fondamentales de cet auteur présentent quelque parenté théorique avec le marxisme, notre critique des « autrichiens » concorde avec celle de Stolzmann. Il m’a paru nécessaire de souligner cette concordance des deux critiques, y compris dans le cas où, avant même de connaître l’ouvrage de Stolzmann, j’étais parvenu aux mêmes conclusions. Toutefois Stolzmann, malgré ses qualités, s’appuie sur une conception entièrement fausse de l’humanité conçue comme une « figure téléologique ». Ce n’est pas sans raison que R. Liefmann, promoteur très important de l’école autrichienne, dont il a approfondi la doctrine et souligné les particularités, se défend contre Stolzmann en attaquant sa téléologie. Ce point de vue téléologique, ainsi que le ton nettement apologétique, mettent Stolzmann dans l’impossibilité de donner à sa critique de l’école autrichienne un cadre théorique correspondant. C’est là un travail que seuls des marxistes peuvent réaliser. Le présent ouvrage représente une tentative orientée dans ce sens.

L’objet de notre critique ne nécessite pas de longues explications. Tout le monde sait que l’adversaire le plus acharné du marxisme, c’est précisément l’école autrichienne.

Il peut paraître étrange que je publie mon livre en un temps où la guerre civile fait rage en

Europe ; mais les marxistes ne se sont jamais engagés à interrompre leur travail théorique, pas même au moment de la plus violente lutte de classe, pour peu que la possibilité physique d’un tel travail leur soit donnée. Une objection beaucoup plus sérieuse consisterait à dire qu’il est pour le moins insensé de réfuter la théorie capitaliste au moment où l’objet et le sujet de cette théorie sont en train de sombrer dans les flammes de la révolution communiste. Mais cette réponse ne serait pas non plus légitime, car la critique du système capitaliste est d’une extrême importance pour comprendre les événements actuels. Et dans la mesure où la critique des théories bourgeoises fraie la voie à cette compréhension elle conserve du même coup sa valeur de connaissance.

Quelques mots encore sur la forme de l’exposé. Je me suis efforcé d’être aussi bref que possible, ce qui est probablement cause de la difficulté relative de l’exposé. D’autre part, j’ai fait grand usage de citations, tant pour les autrichiens que pour les mathématiciens, les Anglo-Saxons, etc. Dans nos milieux marxistes on condamne cette manière d’exposer un sujet comme révélatrice d’une « érudition » purement extérieure. J’ai néanmoins jugé utile de tirer de la littérature historique quelques attestations, propres à introduire le lecteur dans le sujet et à faciliter l’orientation. Il n’est nullement superflu de connaître l’ennemi, d’autant que chez nous on le connaît fort mal. De plus, j’ai donné en notes, in nuce et parallèlement, une critique systématique des autres variétés de la pensée théorique bourgeoise.

Je tiens à exprimer ici ma reconnaissance à mon ami Youri Leonidovitch Piatakov, avec qui j’ai souvent discuté les questions théoriques de l’économie politique et qui m’a donné des avis précieux.

L’opuscule est dédié au camarade N. L (énine).

N. BOUKHARINE.

Moscou, fin février 1919.

Préface à l’édition allemande[modifier le wikicode]

L’ouvrage que nous présentons au lecteur est écrit depuis de longues années. Si l’auteur disposait de loisirs, il ne manquerait pas de remanier le livre, en raison de la littérature parue depuis cette époque. Malheureusement, le temps nécessaire lui fait défaut. Pourtant, il juge utile que ce livre paraisse sur le marché du livre allemand, car c’est le seul ouvrage marxiste qui fournisse une critique systématique de l’orientation fondamentale de la théorie économique bourgeoise. De ce point de vue le livre n’est nullement périmé et conserve à notre avis toute sa valeur théorique. Il fournit à la réflexion du lecteur marxiste les directives essentielles propres à réfuter l’idéologie de la bourgeoisie moderne, et la littérature bourgeoise actuelle peut aisément entrer dans le cadre critique qu’offre le présent ouvrage.

C’est pour cette raison que nous nous sommes décidés à publier le livre en Allemagne.

N. BOUKHARINE.

Moscou, le 12 novembre 1925.

Introduction. L’économie politique bourgeoise après Marx[modifier le wikicode]

  • 1. L’école historique en Allemagne. Caractère sociologique de l’école historique. Caractère logique.
  • 2. L’école autrichienne. Caractère sociologique de l’école autrichienne. Brève caractéristique logique.
  • 3. L’école anglo-américaine.
  • 4. Les précurseurs des « autrichiens ».

Voilà près de trente ans déjà que s’est éteinte à jamais la parole enflammée du grand penseur du XIXe siècle dont les idées ont servi de levier au mouvement prolétarien du monde entier; toute l’évolution économique des dernières décades — la concurrence et la centralisation effrénées du capital, l’élimination de la petite industrie jusque dans les endroits les plus reculés, l’avènement, d’une part, de puissants magnats de l’industrie, rois couronnés d’or, de l’autre l’extension d’une armée prolétarienne, que le mécanisme de la production capitaliste lui-même amène à s’éduquer, à s’unifier et à s’organiser — tout cela confirme pleinement la justesse du système économique de Marx, qui s’était proposé de découvrir la loi économique du mouvement de la société capitaliste actuelle. Le pronostic établi d’abord dans Le Manifeste Communiste, puis, sous une forme plus complète et plus développée, dans Le Capital, s’est vérifié pour les neuf dixièmes. Un des aspects les plus importants de ce pronostic, la théorie de la concentration, est tombé dans le domaine public ; il est devenu une vérité scientifique universellement reconnue. Il est vrai qu’on l’accommode généralement à une sauce théorique différente qui la prive de son unité, si caractéristique de la théorie marxiste. Mais le « romantisme économique », qui n’a vu dans cette théorie que le fruit d’une imagination utopique, a perdu pied ces derniers temps, les tendances découvertes et expliquées par Marx ayant surgi si vite et pris une telle ampleur que l’avance victorieuse de la grande industrie ne pouvait passer inaperçue qu’aux yeux des aveugles. Si, par bonhomie, certains ont pris les sociétés par actions pour une « démocratisation du capital », si leur sentimentalité leur a fait croire que celle-ci était une garantie de paix sociale et de bien-être généralisé (et il faut regretter que cette opinion ait eu ses défenseurs jusque dans les rangs de la classe ouvrière), la « réalité économique » actuelle détruit on ne peut plus brutalement cette idylle petite-bourgeoise. Car le capital par actions est devenu, entre les mains d’une poignée d’usurpateurs, un moyen de répression impitoyable contre la progression du « quatrième état ». A soi seul, cela suffirait à démontrer l’importance du moyen de connaissance que constitue le système théorique de Marx. Mais le caractère du développement capitaliste qui ne se manifeste qu’à présent ne peut être compris lui aussi qu’à l’aide de l’analyse marxiste[1].

Les puissantes sociétés d’entreprises, la création de syndicats, de trusts, d’organisations bancaires sans précédent, la pénétration du capital bancaire dans l’industrie ainsi que l’hégémonie du capital financier sur toute la vie économique et politique des pays capitalistes évolués — tout cela n’est que l’extension des traits déjà observés par Marx. La domination du capital financier ne fait que décupler la rapidité du mouvement de concentration, transformant la production en une production sociale, prête à être soumise au contrôle de la société. Sans doute les savants bourgeois ont-ils récemment déclaré que l’organisation des chefs d’entreprises allait mettre fin à l’anarchie de la production, ainsi qu’aux crises. Hélas ! l’organisme capitaliste continue à être affligé de spasmes périodiques, et seuls des gens tout à fait naïfs croient encore que le capitalisme peut être guéri grâce au ravaudage réformiste. La mission historique de la bourgeoisie est déjà accomplie dans le monde entier et touche à sa fin. Nous entrons dans l’ère des grandes actions prolétariennes ; la lutte a déjà franchi les limites nationales de l’Etat, elle prend de plus en plus l’allure d’une pression de masse sur les classes régnantes et s’oriente à grands pas vers le but final. Le temps approche où la prévision de Marx se réalisera et où sonnera la dernière heure de la propriété capitaliste. Quelle que soit la vigueur avec laquelle les faits témoignent de la justesse des conceptions marxistes, leur succès auprès des savants officiels n’a pas grandi; et a même plutôt diminué. Si, autrefois, dans les pays arriérés, tels que la Russie et partiellement l’Italie, même des professeurs d’Université ont parfois flirté avec Marx, sans toutefois renoncer à de petites et grandes « rectifications » de leur cru, l’évolution sociale actuelle, l’exacerbation des contradictions de classes, ainsi que la consolidation des idéologies bourgeoises de toutes nuances, encouragent tout le monde à reprendre la lutte contre l’idéologie du prolétariat, les « types transitoires » étant éliminés et remplacés par le savant « purement européen », « moderne », revêtu d’un habit théorique à la mode prussienne, autrichienne, voire à la mode angloaméricaines du dernier cri[2].

La bourgeoisie a opposé au système d’airain de Marx deux tendances fondamentales d’économie politique : l’école dite « historique » (Roscher, Hildebrandt, Knies, Schmoller, K. Bücher, etc.) et l’« école autrichienne » (Karl Menger, Böhm-Bawerk et Wieser), qui ont eu ces derniers temps un retentissement considérable. Cependant, les deux tendances traduisent la faillite de l’économie politique bourgeoise, encore que cette faillite s’exprime sous deux formes diamétralement opposées. Tandis que la théorie bourgeoise du premier genre a échoué en adoptant une attitude négative envers toute théorie abstraite en général, la seconde s’est contenté d’élaborer une théorie purement abstraite, ce qui nous vaut une foule de « pseudo-explications » habilement imaginées, mais qui se sont montrées inutilisables sur les points précis où la théorie de Marx est particulièrement inattaquable, c’est-à-dire dans les questions relatives à la dynamique de la société capitaliste actuelle. On sait que l’économie politique classique s’efforçait de formuler les lois générales, c’est-à-dire « abstraites », de la vie économique et Ricardo, représentant le plus éminent de cette école, a fourni des exemples étonnants de cette étude abstraite-déductive. « L’école historique » au contraire est née d’une réaction contre le « cosmopolitisme » et le « perpétualisme » des classiques[3]. Cette différence a de profondes racines économico-sociales. Malgré son « cosmopolitisme », la théorie classique et sa doctrine du libre-échange était fortement « nationale » : elle était le fruit théorique inéluctable de l’industrie anglaise. L’Angleterre, qui par suite de circonstances de toutes sortes, acquit la domination exclusive du marché mondial, ne craignait aucune concurrence et n’avait besoin d’aucune mesure artificielle, c’est-à-dire législative, pour assurer sa victoire sur ses concurrents. Aussi l’industrie anglaise pouvait-elle se dispenser d’invoquer les particularités de la situation anglaise pour justifier les barrières douanières. Les théoriciens de la bourgeoisie anglaise n’avaient donc pas besoin non plus de fixer leur attention sur les particularités spécifiques du capitalisme anglais : tout en exprimant les intérêts du capital anglais, ils parlaient des lois générales du développement économique. Développement économique qui se présentait d’une manière toute différente sur le Continent européen et en Amérique[4].

1. L’école historique en Allemagne. Caractère sociologique de l’école historique. Caractère logique.[modifier le wikicode]

L’Allemagne, berceau de « l’école historique », était un pays essentiellement agraire, arriéré par rapport à l’Angleterre. L’industrie allemande naissante, notamment l’industrie lourde, souffrait très sensiblement de la concurrence anglaise. Si, par conséquent, la bourgeoisie anglaise pouvait se dispenser de mettre l’accent sur ses particularités nationales, la bourgeoisie allemande, au contraire, était obligée de se montrer doublement attentive à cette originalité, à cette autonomie de l’évolution allemande, et de s’en servir pour prouver théoriquement la nécessité des « protections douanières de croissance ». L’intérêt théorique se concentrait en effet sur l’élucidation de ce qui est historiquement concret et nationalement limité; en théorie, on s’employait à choisir et à mettre en relief ces aspects précis de la vie économique. Du point de vue sociologique, l’école historique fut l’expression idéologique de ce processus de croissance de la bourgeoisie allemande, qui, redoutant la concurrence anglaise, recherchait l’appui de l’industrie nationale; aussi mettait-elle en avant les particularités nationales et historiques de l’Allemagne, et par suite, généralisant le procédé, — celles des autres pays. Du point de vue social-génétique, l’école classique et l’école historique sont toutes deux « nationales », l’une comme l’autre étant le produit d’une évolution historiquement et localement limitée; mais du point de vue logique, les classiques sont « cosmopolites », les historiens « nationaux ».

C’est ainsi que le mouvement de protection douanière allemand fut le berceau de l’école historique. Son développement ultérieur engendra des tendances de toutes nuances, dont la principale, celle de Gustav Schmoller (Ecole dite « historique nouvelle » ou « historique-éthique ») se teintait de conservatisme agraire. L’idéalisation de la forme de production transitoire, notamment celle des rapports « patriarcaux » entre propriétaires fonciers et ouvriers agricoles, la peur de la « peste prolétarienne », et le « péril rouge », n’ont cessé de démasquer ces professeurs « objectifs » et de mettre à nu les racines sociales de leur « science pure »[5].

De cette caractéristique sociologique découle par conséquent aussi la caractéristique logique de l’école historique.

Au point de vue logique, l’école « historique » se caractérise avant tout par son attitude négative envers la théorie abstraite. Ce genre d’investigation inspirait aux « historiens » une profonde répulsion; toute possibilité d’une telle entreprise leur semblait douteuse dès l’abord, voire contestable en général; dans l’esprit de ces savants le mot « abstrait » était synonyme d’« absurdité »; certains étendaient leur scepticisme jusqu’au concept essentiel de toute science, celui de « loi ». Tout au plus reconnaissaient-ils les lois dites « empiriques », élaborées au moyen d’études historiques, scientifiques et statistiques[6].

On vit ainsi se former un empirisme étroit, réfractaire à toute généralisation. Les représentants extrémistes de cette école se faisaient un devoir d’accumuler le matériel historique — concret, ajournant à des temps indéterminés le travail de généralisation théorique. Schmoller par exemple, chef reconnu de l’école historique, caractérise ainsi la « jeune génération » : « Ce qui le [c’est-à-dire Roscher, N.B.] distingue de la jeune école historique, c’est que celle-ci est moins portée aux généralisations, qu’elle éprouve un besoin beaucoup plus profond de passer de la collecte de dates poly-historiques à l’étude spécialisée des différentes époques, des divers peuples et de leur situation économique. Elle exige en premier lieu des monographies économiques. Elle préfère expliquer d’abord l’évolution des différentes institutions économiques plutôt que celle de l’économie politique en tant que telle, de l’économie à l’échelle universelle. Elle applique la méthode d’investigation rigoureuse qui est celle de l’Histoire du Droit, s’efforçant de parfaire par des enquêtes personnelles et des voyages la connaissance livresque et d’intégrer à son étude les sciences philosophiques et psychologiques ». (G. Schmoller, Grundriss der Allgemeinen Volkswirtschaftsliche, Leipzig, 1908, p. 119). Cette attitude, hostile par principe à toute méthode abstraite, est toujours de rigueur en Allemagne. Le même Schmoller déclare en 1908 : « Nous en sommes toujours et encore au stade de préparation et de collectage de matériel. »[7]

Le souci du concret va de pair avec une autre originalité de la tendance « historique » : pour elle, la vie économico-sociale ne se sépare en rien des autres aspects de l’existence, surtout pas du droit et des mœurs, bien que les visées mêmes de la connaissance rendent cette distinction indispensable[8]. Cette attitude résulte précisément de l’aversion contre toute espèce d’abstraction. En effet, le processus de vie en société n’est-il pas un flux unitaire, n’y a-t-il pas en réalité une seule, et non pas plusieurs histoires : de l’économie, du droit, des mœurs, etc. ? seule l’abstraction scientifique fragmente la vie, par elle-même unitaire, en mettant artificiellement en relief différentes séries de phénomènes, qu’elle groupe selon des critères déterminés. Logiquement, quiconque est opposé à l’abstraction devrait donc aussi s’interdire de séparer la sphère de l’économie de celle du droit et des mœurs. Il est évident qu’une pareille position serait parfaitement intenable. Bien que la vie sociale constitue une unité, il ne faut pas oublier que sans abstraction, il n’est aucune connaissance possible : le concept même, comme tel, est une abstraction du « concret » ; de même, toute description suppose une certaine sélection de phénomènes selon des critères jugés importants pour telle ou telle raison, si bien que l’abstraction n’est qu’un attribut nécessaire de la capacité de connaître; elle ne devient inadmissible que lorsque, faisant abstraction de caractéristiques concrètes, on rend l’abstrait lui-même parfaitement vide, c’est-à-dire inutilisable pour les besoins de l’entendement. L’entendement exige la division de l’unicité qu’est le processus de la vie. Celui-ci est si complexe par lui-même que pour l’approfondir, il faut le décomposer en plusieurs séries de phénomènes distincts. A quoi aboutirait l’étude de l’économie, par exemple, si l’on avait tenté d’intégrer dans cette étude des éléments qui font en même temps l’objet de la science philologique — sous prétexte que ce sont les mêmes hommes qui président à l’économie et qui sont unis par les liens du langage ? Il est évident que toute science peut utiliser les résultats de n’importe quelle autre, dans la mesure où ces résultats peuvent contribuer à l’étude de l’objet scientifique en question; étant entendu que les éléments étrangers ne peuvent être considérés que sous l’angle de la science en question et ne sont jamais que des auxiliaires de l’investigation, sans plus.

De sorte que des matériaux de genres différents, au lieu de faciliter l’intelligence du sujet, rendent celle-ci plus difficile. Ajoutons que « la réflexion morale-psychologique » des « jeunes historiens » a pris la forme de jugements et d’enseignements moraux. On introduit dans la science, qui a pour tâche de découvrir les relations causales, l’élément éthique qui n’a rien à y voir ; d’où le nom de cette école : « historique-éthique »[9].

L’activité de l’école historique se traduit par bon nombre de travaux historiques-descriptifs : histoire des prix, du travail salarié, du crédit, de la monnaie, etc. Mais cela n’a pas fait avancer d’un pas la théorie du prix et de la valeur, la théorie du salaire, ou de la circulation monétaire. Pourtant, tout le monde est bien obligé de s’apercevoir qu’il s’agit là de deux choses totalement différentes. « La statistique des prix sur les marchés de Hambourg ou de Londres au cours des trente dernières années est une chose — une théorie générale de la valeur et des prix, telle qu’elle se présente dans les travaux de Galiani, Condillac, Ricardo en est une autre. »[10]

C’est précisément la négation de la « théorie générale » qui est la négation de l’économie politique en tant que discipline théorique autonome, sa déclaration de faillite.

D’une manière générale, la science peut poursuivre deux buts : ou elle décrit ce qui existait réellement à une époque et en un lieu donnés, ou elle essaye de déduire des lois des phénomènes, ce qui peut s’exprimer par la formule : étant donné A, B, C, il faut s’attendre à D. Dans le premier cas, la science a un caractère monographique, dans le second nomographique[11].

Il est évident que la théorie de l’économie politique appartient au second type de science ; elle se propose essentiellement des objectifs scientifiques d’ordre nomographique. Mais comme l’école historique dédaigne les lois générales, elle détruit en définitive l’économie politique en tant que science proprement dite, en lui substituant la « description pure » de nature monographique; elle la réduit à l’histoire et à la statistique économique, qui sont des sciences monographiques par excellence. La seule idée juste qu’elle comporte, celle de l’évolution, elle n’a pas su la faire entrer dans le cadre d’une étude théorique, si bien qu’à l’instar du figuier de la Bible elle est demeurée stérile. Son importance positive consiste exclusivement dans la réunion de matériaux qui servent de base à des réflexions théoriques, et sur ce plan les travaux de l’école historique sont très précieux. Les ouvrages de premier ordre publiés par l’Association de Politique Sociale sur les métiers, le commerce de détail, le prolétariat agricole, en témoignent assez[12].

Karl Menger, le père de l’école autrichienne, donne une caractéristique remarquablement juste des « historiens » : Leurs solides connaissances historiques, et un éclectisme minutieux mais incontrôlé, se rejoignant de façon purement extérieure sur le terrain de notre science (par quoi Menger entend la théorie de l’économie politique. N.B.) tel est à la fois le point de départ, mais aussi le point culminant de leur évolution (celle de l’école historique. N.B.)[13].

2. L’école autrichienne. Caractère sociologique de l’école autrichienne. Brève caractéristique logique.[modifier le wikicode]

Toute différente est l’orientation de l’école autrichienne. Sur le plan scientifique, elle s’oppose violemment à l’historicisme. Dans la compétition polémique, particulièrement âpre entre Karl Menger et Schmoller, les nouveaux théoriciens de la bourgeoisie répètent à peu près exactement les erreurs de leurs prédécesseurs; ils jugent eux aussi nécessaire d’observer les « phénomènes typiques », les « lois générales » (des « lois exactes » selon l’expression employée par K. Menger). Après avoir remporté une série de victoires sur les historisants, l’école autrichienne, en la personne de Böhm-Bawerk, s’en prit au marxisme en dénonçant chez lui une prétendue carence théorique totale. La théorie marxiste est « non seulement erronée, elle occupe même, sur le plan de la valeur théorique, une des dernières places parmi toutes les théories de l’intérêt... » — tel est le jugement de Böhm-Bawerk[14].

Rien d’étonnant à ce que la nouvelle tentative des idéologues bourgeois[15] se soit heurtée aussi violemment à l’idéologie du prolétariat. L’âpreté du conflit résulta inévitablement du fait que cette nouvelle tentative d’élaborer une théorie abstraite s’apparente formellement au marxisme, en ce que celui-ci applique la méthode abstraite — alors que par son contenu, elle se situe au pôle opposé du marxisme. Ce qui s’explique à son tour parce que la nouvelle théorie est issue de la dernière couvée de la bourgeoisie — une bourgeoisie dont l’expérience et par conséquent l’idéologie est fort éloignée de celle de la classe ouvrière.

Nous ne donnerons pas ici d’autres caractéristiques relatives à la position logique des autrichiens, car nous y reviendrons par la suite. Contentons-nous d’indiquer leurs traits fondamentaux en matière sociologique.

Dans son dernier ouvrage sur l’origine de « l’esprit capitaliste », Werner Sombart examine les traits qui caractérisent l’entrepreneur[16] , mais il ne trace que la ligne ascendante du développement bourgeois : la psychologie bourgeoise sous son aspect décadent échappe à son attention et à son investigation. On trouve néanmoins chez lui des exemples intéressants de cette psychologie, encore qu’ils n’appartiennent pas précisément à l’époque tout à fait moderne. Voici ce qu’est pour lui la « haute finance » de la France et de l’Angleterre du XVIIe et du XVIIIe siècle : « C’étaient les gens tout à fait riches, d’origine bourgeoise pour la plupart, ayant fait fortune comme fermiers généraux ou créanciers de l’Etat et qui flottaient à la surface, comme le gras du bouillon, mais n’avaient aucun lien avec la vie économique[17]. »

La décadence de « l’esprit capitaliste » dans la Hollande du XVIIIe siècle entraîne le « bourgeois », non pas à se « féodaliser », comme dans d’autres pays, mais à s’engraisser comme on est tenté de dire. Il vit de ses revenus. L’intérêt porté aux entreprises capitalistes quelles qu’elles soient, diminue de plus en plus[18].

Voici un autre exemple : Defoe, écrivain anglais de la seconde moitié du XVIIIe siècle, décrit de la manière suivante le processus de développement qui fait du négociant un rentier : « Pour acquérir sa fortune, il est vrai qu’il (le commerçant. N.B.) devait être actif et travailleur; mais maintenant il n’a plus qu’à prendre une décision, à être paresseux et inactif (to determine to be indolent and inactive). Les rentes d’Etat et la propriété foncière, telles sont les seuls bons placements de ses économies[19]».

Il serait tout à fait faux de penser que cette psychologie ait disparu ; c’est plutôt le contraire qui est vrai. L’évolution capitaliste des dernières dizaines d’années a connu une accumulation rapide de « valeurs en capital ». Par suite du développement des différentes formes de crédit, la plus-value accumulée retombe sur des individus qui n’ont aucun rapport avec la production. Le nombre de ces individus grandit de plus en plus et forme toute une classe sociale —— celle des rentiers. Bien que cette couche de la bourgeoisie ne soit pas une classe sociale au sens propre du terme, mais plutôt un groupe déterminé à l’intérieur de la bourgeoisie capitaliste, il présente cependant certaines marques distinctives qui lui sont propres et relèvent de la « psychologie sociale ». L’extension des sociétés par actions et des banques, la naissance d’un gigantesque commerce boursier, engendre ce groupe social en même temps qu’il l’affermit. Son activité économique s’exerce essentiellement sur le plan de la circulation, notamment celle des titres et valeurs, sur les transactions boursières. Il est significatif qu’au sein même de ce groupe qui vit des revenus de ces valeurs, il existe différentes nuances ; le type extrême est représenté par la couche située non seulement à l’extérieur de la production, mais en dehors même du processus de circulation. Ce sont avant tout les possesseurs de valeurs à intérêt fixe : rentes d’Etat, obligations de toutes sortes, etc.; puis les personnes qui ont investi leur fortune en biens fonciers dont ils tirent des rentes sûres et durables. Ces catégories ne connaissent même pas les aléas du jeu boursier; les possesseurs d’actions, étroitement liés aux vicissitudes de la spéculation, peuvent chaque jour tout perdre ou au contraire se relever très vite, vivant de ce fait la vie du marché, depuis la participation active à la Bourse jusqu’à la lecture des cours de la Bourse et des journaux financiers; par contre, ce lien avec la vie sociale-économique cesse d’exister pour les groupes qui tirent leurs revenus de valeurs à intérêts fixes en sortant du domaine de la circulation. D’autre part : plus le système de crédit est évolué et élastique, plus la possibilité de « s’engraisser », de rester « paresseux et inactif », est grande. Le mécanisme capitaliste s’en charge d’ailleurs lui-même ; comme il rend socialement superflues les fonctions organisatrices d’un grand nombre de chefs d’entreprises (d’homme d’affaires) il élimine du même coup ces « éléments superflus » de la vie économique immédiate; ceux-ci se déposent à la surface de la vie économique comme « le gras sur le bouillon » — pour employer l’expression si imagée de Sombart.

Notons à ce propos que les possesseurs de valeurs à intérêts fixes ne représentent nullement une couche en régression au sein de la bourgeoisie rentière, mais qu’au contraire cette couche est en voie d’accroissement constant. « La bourgeoisie se transforme en une masse de rentiers qui entretiennent avec les grandes institutions financières les mêmes rapports qu’avec l’Etat dont ils acquièrent les bons du Trésor : dans un cas comme dans l’autre on les paye sans qu’ils n’aient à se soucier de rien. Par suite, la bourgeoisie est d’autant plus portée à transférer sa fortune à l’Etat... que celui-ci présente l’avantage manifeste de la sécurité. Sans doute, les actions offrent-elles des chances de bénéfices que ne connaît pas le titre de rente sur l’Etat, mais elles comportent aussi des risques énormes. Notons que la bourgeoisie fait naître chaque année un excédent de capital considérable ; mais même en période de montée de la conjoncture industrielle, les émissions d’actions n’en absorbent qu’une faible partie, l’autre, de loin la plus grande, étant investie en bons d’Etat, dettes communales, hypothèques et autres valeurs à intérêts fixes »[20].

Cette couche bourgeoise est nettement parasitaire; elle présente des traits psychologiques qui l’apparentent tout à fait à la noblesse décadente de la fin de « l’ancien régime » et aux sommets de l’aristocratie financière de la même époque[21]. Le trait le plus saillant de cette couche, qui la distingue aussi bien du prolétariat que de la bourgeoisie d’un autre type est, comme nous l’avons vu, sa séparation d’avec la vie économique : elle ne participe directement ni à l’activité productive, ni au commerce; souvent ses représentants ne détachent même pas eux-mêmes les coupons. Pour désigner de la façon la plus générale le domaine où s’exerce l’activité de ces rentiers, disons que c’est la sphère de l’usage. La vie entière du rentier se fonde sur l’usage, et la psychologie de « l’usage à l’état pur » confère à cette vie son « style » particulier. Le rentier consommateur ne pense que chevaux de course, tapis de luxe, cigares odorants, vins fins. Lui arrive-t-il de parler de travail, il s’agit de « travailler » à cueillir des fleurs ou à se procurer des billets de théâtre[22].

La production, le travail nécessaire à l’obtention de biens matériels, étant en dehors de son champ visuel, reste une chose fortuite. Pas question chez lui d’activité véritable; toute sa mentalité a des teintes passives ; la philosophie, l’esthétique de ces rentiers est de nature purement contemplative; elle est dépourvue d’éléments actifs, si typiques de l’idéologie prolétarienne. C’est que le prolétariat vit dans la sphère de la production, en contact direct avec la « matière » qui, pour lui, se transforme en « matériel », en objet de son travail. Il assiste à l’accroissement gigantesque des forces productives de la société capitaliste, aux nouvelles techniques mécaniques de plus en plus développées qui permettent de jeter sur le marché des quantités toujours plus grandes de marchandises, dont les prix baissent à mesure que progresse et que s’approfondit le processus de perfectionnement technique. Raison pour laquelle le prolétaire est marqué par la psychologie du producteur. Le rentier, au contraire, par celle du consommateur.

Poursuivons. Nous avons vu que la classe sociale en cause est un produit de la décadence de la bourgeoisie, décadence due au fait que la bourgeoisie a déjà perdu ses fonctions socialement utiles. Cette situation originale d’une classe à l’intérieur, ou plutôt à l’extérieur, du processus de production, a donné naissance à un type social particulier qui se distingue en quelque sorte par son caractère asocial. Si, dès le berceau, la bourgeoisie est essentiellement individualiste — car son existence même se fonde sur la cellule économique qui mène, pour sauvegarder son existence autonome, une lutte de concurrence acharnée contre les autres cellules — cet individualisme se renforce encore chez le rentier. Celui-ci ne connaît aucune vie sociale, il vit à l’écart; ses liens sociaux sont rompus, même les tâches générales de la classe sont incapables de souder entre eux les « atomes sociaux ». On voit disparaître non seulement l’intérêt pour les entreprises capitalistes, mais même le souci de tout ce qui est simplement « social ». L’idéologie d’une pareille couche sociale est donc essentiellement individualiste ; c’est sur le plan esthétique que l’individualisme de cette classe s’exprime le mieux : toute manière d’aborder les problèmes sociaux paraît eo ipso « anti-artistique », « grossière », « tendancieuse ».

Toute différente est la manière dont se forme la mentalité du prolétariat, qui a tôt fait de rejeter l’écorce individualiste de sa classe d’origine : celle de la petite bourgeoisie urbaine et agraire. Confiné entre les murs de pierres de la grande cité, concentré sur les lieux du travail commun et de la lutte commune, le prolétariat acquiert vite une psychologie collective et une sensibilité extrême quant aux liens sociaux ; ce n’est qu’au stade de développement le plus précoce, alors que le prolétariat n’est pas encore une classe particulière, qu’il présente des tendances individualistes qui disparaissent ensuite sans laisser de trace. Le prolétariat se développe ainsi dans un sens opposé à celui de la bourgeoisie entière ; tandis que sa psychologie devient collectiviste, l’orientation individualiste est une des marques fondamentales de la bourgeoisie. L’individualisme renforcé — telle est la seconde qualité caractéristique du rentier.

Enfin, le troisième trait caractéristique du rentier, comme d’ailleurs de tout bourgeois, c’est la crainte du prolétariat, la crainte des catastrophes sociales menaçantes. Le rentier est incapable de prévision : sa « philosophie » se réduit à la formule : « profitons de l’instant », carpe diem; son champ visuel se limite au présent; s’il lui arrive de « penser » à l’avenir, c’est uniquement à l’image du présent ; il n’est pas capable de s’imaginer un temps où des gens de son espèce ne toucheraient plus de rentes ; épouvanté, il ferme les yeux devant une telle perspective, fait semblant de tout ignorer et s’efforce de ne pas voir dans le présent les germes de l’avenir ; sa pensée est essentiellement antihistorique. La mentalité du prolétariat, au contraire, n’est en rien conservatrice. La lutte de classe qui s’annonce impose au prolétariat la tâche de surmonter le système social économique existant; non seulement le prolétariat n’a aucun intérêt à voir se perpétuer le statu quo social, mais il a au contraire intérêt à sa destruction; il vit avant tout en prévision de l’avenir; même les tâches actuelles, il les évalue en fonction de l’avenir. Voilà pourquoi sa manière de penser en général, surtout sa pensée scientifique, présente un caractère nettement dynamique, historique. Telle est la troisième antithèse entre la psychologie du rentier et celle du prolétaire.

Ces trois aspects de la « conscience sociale » du rentier, qui dérivent directement de son « être social », marquent également sa conscience au niveau le plus élevé, c’est-à-dire ses idées scientifiques. La psychologie forme toujours la base de la logique ; les sentiments et les dispositions déterminent la démarche générale de la pensée, le jour sous lequel on considère la réalité pour la soumettre au travail de la logique. S’il arrive que dans l’analyse, même très minutieuse, de telle phrase isolée d’une théorie quelconque on ne parvienne pas à découvrir son infrastructure sociale, cette infrastructure apparaît cependant très nettement aussitôt que l’on met en relief les signes distinctifs du système théorique en cause, ses aspects généraux ; on voit alors chaque phrase prendre un sens nouveau, elle devient le maillon indispensable de tout un enchaînement qui traduit l’expérience d’une certaine classe, d’un groupe social donné.

Or, si nous nous penchons sur l’école autrichienne, ou plutôt sur les travaux de Böhm-Bawerk, son représentant le plus éminent, nous voyons que les propriétés psychologiques du rentier que nous venons d’esquisser, trouvent leur équivalent sur le plan logique.

Avant tout, on y voit pour la première fois traitée à fond la question de la consommation. A ses débuts, qui correspondent au règne du capital marchand (mercantilisme), l’économique politique bourgeoise se caractérise par le fait qu’elle considère les phénomènes économiques sous l’angle de l’échange.

« Ce qui répond — dit Marx — à l’horizon bourgeois, où la tête tout entière est occupée de petit trafic, c’est qu’au lieu de voir dans le type du mode de production le fondement du mode de circulation qui lui correspond, on fait la démarche inverse »[23].

Le stade suivant correspond à l’époque où le capital procède à l’organisation de la production; c’est « l’école classique » qui traduit l’idéologie de ces rapports ; elle considère les problèmes économiques précisément du point de vue de la production, par exemple dans les « théories du travail » d’A. Smith et de Ricardo, et c’est sur celle-ci qu’elle reporte l’essentiel de son investigation théorique. Cette attitude, l’économique politique prolétarienne l’hérita des classiques. Le bourgeois rentier au contraire se fixe pour tâche principale la solution du problème de la consommation. C’est en cela aussi que consiste la nouvelle position théorique fondamentale, caractéristique de l’école autrichienne, et des tendances annexes. L’orientation théorique qui se perpétue dans l’école autrichienne existait déjà dans le passé; mais les théories qui se fondaient sur l’analyse de l’usage et de la valeur d’usage des « biens » n’ont pourtant jamais connu un succès comparable à celui de l’école autrichienne. C’est seulement auprès de la science officielle, grâce à l’évolution toute récente, que ces théories ont trouvé dans la psychologie du bourgeois rentier moderne une base solide[24].

L’individualisme sordide trouve également son équivalent parfait dans la méthode « subjective - psychologique » chère à la nouvelle école. Certes, l’individualisme marqua déjà dans le passé les théoriciens de la bourgeoisie, qui eurent de tout temps un faible pour les « robinsonades ». Les représentants des « théories de la valeur-travail » eux-mêmes appuyaient leur position sur des arguments individualistes : leur valeur-travail n’était pas la loi du prix socialement et objectivement déterminée, mais l’évaluation subjective du « sujet économique », qui apprécie le bien diversement, selon que l’effort s’accompagne d’inconvénients plus ou moins grands (chez A. Smith par exemple). C’est seulement chez Marx que la valeur-travail revêt le caractère d’une « loi de la nature », loi qui règle l’échange des marchandises indépendamment de la volonté des agents de l’ordre social moderne. Toutefois, c’est seulement maintenant, c’est-à-dire dans la doctrine de l’école autrichienne, que le psychologisme en matière d’économie politique, c’est-à-dire l’individualisme économique, se trouve motivé et formulé avec une cohérence parfaite[25].

La crainte d’un bouleversement, enfin, se traduit chez les défenseurs de la théorie marginaliste par l’aversion la plus profonde contre tout ce qui est d’ordre historique; leurs catégories économiques sont valables, selon leurs auteurs, pour tous les temps et pour toutes les époques; pas question d’examiner les lois de l’évolution de la production capitaliste moderne, en tant que catégorie historique spécifique, comme le préconise Marx. Des phénomènes comme le profit, le revenu du capital, etc. sont au contraire considérés comme des attributs éternels de la société humaine. Ce qui suffit à indiquer une tentative de justification des conditions présentes. Mais plus les éléments de la connaissance théorique sont faibles, plus les apologistes de l’ordre capitaliste baissent le ton. « Il n’est rien dans la nature de la rente (c’est-à-dire du profit. N.B.) par quoi celle-ci puisse paraître par elle-même injuste ou inique »[26] — tel est le résultat final (et selon nous le but) de la vaste investigation de Böhm-Bawerk.

3. L’école anglo-américaine.[modifier le wikicode]

La théorie « autrichienne » traduit selon nous l’idéologie du bourgeois déjà éliminé du processus de production, celle du bourgeois en voie de dégradation, qui immortalise les particularités de sa mentalité décadente par une théorie stérile sur le plan scientifique, comme nous le montrerons par la suite. Ceci n’est nullement contradictoire avec le fait que la théorie de l’utilité marginale ellemême, telle que l’ont établie les autrichiens, soit en train de céder le pas à l’école « angloaméricaine », encore plus en vogue actuellement et dont J. B. Clark est le plus éminent représentant. L’évolution capitaliste, dans sa phase actuelle, marque une époque d’ultime tension de toutes les forces du monde capitaliste. Le processus économique de transformation du capital en « capital financier »[27] introduit une nouvelle couche de la bourgeoisie dans une sphère de production dont cette bourgeoisie était exclue auparavant (étant donné que le capital bancaire, attiré par l’industrie, prend en main l’organisation de la production), comme par exemple les dirigeants et organisateurs des trusts — types de bourgeois éminemment actifs, dont l’idéologie politique se traduit par l’impérialisme agressif et la philosophie par un pragmatisme actif. Ce type de bourgeois est beaucoup moins individualiste, car il a grandi au milieu d’organismes d’affaires qui représentent au moins un ensemble où la volonté personnelle est plus ou moins reléguée au second rang. Par suite, l’idéologie de ce bourgeois se distingue elle aussi de celle du rentier : elle tient compte de la production, elle va même jusqu’à appliquer la méthode de recherche « social-organique » à l’ensemble de l’économie sociale[28]. L’école américaine est un produit de la bourgeoisie en voie de progrès, nullement celui de la bourgeoisie décadente ; des deux courants qui existent actuellement, celui de l’essor permanent et celui de la décomposition commençante, elle n’exprime que la première ; ce n’est pas sans raison que cette école porte l’empreinte de l’esprit américain, l’esprit du pays dont Sombart, chantre du capitalisme, affirme : « Tous les effets que porte en lui l’esprit capitaliste ont atteint leur niveau le plus élevé aux Etats-Unis d’aujourd’hui. Pour le moment sa vigueur n’y est pas encore entamée. Pour le moment tout y est encore torrent et tourbillon. »[29]

Le rentier représente donc le type marginal du bourgeois et la théorie de l’utilité marginale est l’idéologie de ce type marginal. Du point de vue psychologique c’est par là qu’elle est remarquable, et elle l’est également sous l’angle logique, car il est évident que les Américains sont éclectiques par rapport à elle. Et c’est précisément parce que l’école autrichienne répond à l’idéologie appartenant au type marginal de la bourgeoisie qu’elle constitue l’antithèse parfaite de l’idéologie prolétarienne : objectivisme-subjectivisme, point de vue historique-point de vue non historique, point de vue de la production-point de vue de la consommation : telle est la différence méthodologique, celle des fondements de la théorie de même que celle de toute la construction théorique de Böhm-Bawerk. L’analyse logique de cette différence méthodologique, celle des fondements de la théorie, de même que celle de toute la construction théorique de Böhm, tel est l’objet de notre travail.

4. Les précurseurs des « autrichiens ».[modifier le wikicode]

Quelques mots encore sur les précurseurs de l’école autrichienne.

Dans l’ouvrage de Condillac, Le Commerce et le Gouvernement (1795) se trouvent déjà esquissées les idées fondamentales de la future théorie de l’utilité marginale. Condillac insiste beaucoup sur le caractère « subjectif » de la valeur; celle-ci ne réside pas, d’après lui, dans la loi sociale du prix, mais dans le jugement individuel, fondé d’une part sur l’utilité, d’autre part sur la rareté. Le même auteur se rapproche à tel point de la manière moderne de poser la question qu’il va même jusqu’à distinguer entre le besoin présent et le besoin éloigné[30] , ce qui, dans le passage de la valeur à celle des rentes, tient également, comme on sait, la place principale chez Böhm-Bawerk, représentant principal de l’école autrichienne.

Des idées analogues se rencontrent à peu près à la même époque chez un économiste italien, le Comte Verri[31] , qui, lui aussi, considère la valeur comme un composé d’utilité et de rareté.

En 1831 parut l’ouvrage d’Auguste Walras, père du célèbre Léon Walras : De la nature de la richesse et de l’origine de la valeur, où l’auteur fait dériver la valeur de la rareté des biens utiles et s’emploie à réfuter ceux des économistes qui ne portent leur attention que sur l’utilité des biens qui constituent la « richesse ». En raison de la clarté de son idée fondamentale, cet ouvrage aurait mérité une plus grande attention de la part des promoteurs de la nouvelle orientation.

En 1854, Hermann Gossen fournit un exposé de motifs clair et précis de l’utilité marginale, formulé de manière mathématique dans son ouvrage : Développement des lois relatives aux relations humaines et règles qui en découlent quant à leurs actes. Gossen ne se contenta pas de rechercher de « nouvelles voies », mais sut donner à sa théorie une forme cohérente, approfondie. Bien des thèses attribuées le plus souvent aux autrichiens (K. Menger) se trouvent déjà chez Gossen, parfaitement élaborées, si bien que c’est lui qu’il faut considérer comme le père de la théorie de l’utilité marginale. L’ouvrage de Gossen passa tout à fait inaperçu et l’auteur aurait été voué à l’oubli le plus complet si on ne l’avait redécouvert après 1870.

Plus tard les défenseurs d’idées analogues à celles de Gossen se sont empressés de reconnaître en celui-ci le fondateur de l’école (Gossen lui-même faisait grand cas de son œuvre et se qualifiait de Copernic de l’économie politique).

Vers la même époque les travaux de Stanley Jevons, de Léon Walras et de K. Menger posèrent en Angleterre, en Suisse et en Autriche les fondements solides du nouveau courant. Ce sont aussi ces auteurs qui remirent en honneur l’œuvre de leur prédécesseur oublié[32]. L’importance de Gossen

ressort le mieux de l’hommage que lui rendent Jevons et Walras. Après avoir exposé la théorie de Gossen, voici ce qu’écrit Jevons : « Il ressort de cet exposé que Gossen m’a précédé aussi bien en ce qui concerne les principes généraux que pour la méthode de la théorie économique. Pour autant que je puisse en juger, sa manière de traiter les fondements de la théorie est même plus générale et plus approfondie que la mienne. »

L’appréciation de Walras est identique[33]: « Il s’agit — écrit-il — d’un homme qui passa totalement inaperçu et qui fut un des économistes les plus éminents de tous les temps »[34]. Néanmoins, Gossen ne réussit pas à créer une tendance nouvelle. Celle-ci ne surgit que grâce aux travaux des économistes qui lui succédèrent; ce n’est qu’au début des années 1870-80 que la théorie de l’utilité marginale trouva dans « l’opinion publique » des milieux scientifiques dominants un appui suffisant pour devenir très vite communis doctorum opinio. L’école de Jevons, et surtout celle de Walras, qui insiste sur le caractère et la méthode mathématique en économie politique, a élaboré un cycle d’idées qui se distingue sur quelques points de la théorie autrichienne ; de même, l’école américaine dirigée par Clark. Les « autrichiens », par contre, ont fourni une théorie du subjectivisme (psychologisme) fondée sur l’analyse de la consommation. Böhm-Bawerk est ainsi devenu le porte-parole le plus crasse de la théorie « autrichienne ». Du point de vue de cette école il a fourni une des théories de la valeur les mieux fondées; enfin il a établi, à partir de la théorie de l’utilité marginale, une théorie presque nouvelle de la distribution. Il est le chef reconnu de l’école, qui à vrai dire n’est pas du tout et ne fut jamais autrichienne (ce qui ressort d’ailleurs de notre allusion aux précurseurs), mais qui devint au contraire une arme scientifique aux mains de la bourgeoisie rentière internationale. Seul l’essor de cette bourgeoisie fournit un point d’appui aux « tendances nouvelles »; jusqu’alors il n’y avait que des « isolés » scientifiques. Le développement rapide du capitalisme, le déplacement des groupes sociaux et la multiplication des rentiers, tout cela prépara au cours des dernières décennies du XIXe siècle le terrain socio-psychologique sur lequel les maigres pousses se mirent à fleurir.

Le rentier, le rentier international, trouva en Böhm-Bawerk un guide scientifique et dans sa théorie l’arme scientifique dirigée non tant contre les forces élémentaires du développement capitaliste que contre le mouvement ouvrier de plus en plus menaçant. C’est donc cette nouvelle arme qui fait l’objet de notre critique, en la personne de Böhm-Bawerk.

  1. L’ouvrage de R. Hilferding, Le Capital Financier, est très instructif à cet égard.
  2. Le succès des « nouvelles » théories provient donc du changement qui s’est produit dans la psychologie sociale, et nullement de la perfection logique de ces théories. Une des causes de l’aversion de la bourgeoisie pour la théorie de la valeur-travail consiste certainement dans son aversion pour le socialisme. Böhm-Bawerk en convient partiellement quand il écrit : « Il est vrai que pendant quelques années, et en raison de l’expansion des idées socialistes, la théorie de la valeur-travail a d’abord gagné du terrain, mais ces temps derniers elle en a décidément perdu dans les milieux de la pensée théorique de tous les pays, notamment en faveur de la théorie de « l’utilité marginale » qui se répand de plus en plus largement. » Böhm-Bawerk, Kapital und Kapitalzins, 2e éd., vol. I, p. 444, note.
  3. Ce que Knies entend par cosmopolitisme, c’est l’idée des classiques d’après laquelle les lois économiques sont les mêmes pour chaque pays et chaque peuple ; pour le terme perpétualisme — idée analogue de l’école classique relative aux différentes époques historiques — voir Knies, L’économie politique du point de vue historique, nouvelle éd., 1883, p. 24.
  4. Friedrich List, qui exige une politique protectionniste, peut être considéré comme le premier théoricien de l’école historique. Voir Le système national de l’économie politique, 1841.
  5. Ainsi, Mikhailowsky par exemple, énumère les « actions » du Pr Schmoller : « Il s’efforça de retarder l’introduction de l’assurance- travail étatique, il était opposé à l’application des lois de protection du travail aux ouvriers des entreprises agricoles et artisanales... Il jugeait utile d’appliquer le code pénal aux ouvriers agricoles qui violaient leur contrat de travail, il était contre la capacité juridique des syndicats et des associations ouvrières, il était pour la “loi contre les socialistes” ». Les fondements philosophiques, historiques et théoriques de l’économie du XIXe siècle, Jourjev, 1909, p. 578.
  6. Neumann, l’un des défenseurs les plus modérés de l’école historique pense par exemple qu’« en matière économique la possibilité d’appliquer des lois exactes est exclue ». (« Loi naturelle et loi économique », Revue des sciences sociales, éditée par Schäffle, 1892, 48e année, p. 435.) Voici l’explication que le même auteur donne du terme « typique » : « Ici (c’est-à-dire dans les sciences naturelles, N.B.) ce qui est typique consiste en ce qui donne lieu à une autre reproduction typique et qui peut être étudié à ce titre. Là (dans les sciences sociales, N.B.) le terme « typique » doit être pensé, c’est-à-dire feint. » (Ibid. p. 442.)
  7. G. Schmoller, loc. cit., p. 123.
  8. Schmoller relève trois « idées fondamentales » de l’école historique : « 1) Celle de la théorie de l’évolution... 2) Une attitude morale-psychologique... 3) Une attitude critique envers la science naturelle individualiste comme en vers le socialisme. » (loc. cit. p. 123.)
  9. A ce sujet, H. Dietzel observe très justement : « De même que l’on parle d’une théorie ou d’une histoire économique “éthique”, on pouvait tout aussi bien parler d’une anthropologie, d’une physiologie, etc. “éthique” ». (Economie sociale théorique, p. 31). Comparer aussi E. Sax, L’essence et les tâches de l’économie nationale, Vienne, 1884, p. 53. Léon Walras, lui aussi, raille la « morale » dans la théorie et compare ce procédé à la tentative de « spiritualiser la géométrie ». (Léon Walras, Etudes d’économie sociale, Théorie de la répartition de la richesse sociale, Lausanne-Paris, 1896, p. 40).
  10. Luigi Cossa, Introduzione allo Studio dell’Economica Politica, Milan, 1892, p. 15.
  11. La terminologie est due à A. A. Tchuprov le jeune. Cf. ses Eléments d’une théorie de la statistique, SaintPétersbourg, 1909. Ces termes sont employés dans un sens un peu différent par Rickert et Windelband.
  12. C’est surtout l’artisanat qui a été étudié à fond. Nous en trouvons la raison dans une explication de G. Schmoller : « Seule la conservation d’une... classe moyenne peut... nous préserver en dernière instance d’une évolution qui consistera en une domination alternante des intérêts d’argent et du quatrième état... Elle seule [la réforme sociale, N.B.] maintient l’aristocratie de la culture et de l’esprit à la tête de l’Etat. » (G. Schmoller, Quelques questions fondamentales de politique sociale et de principes d’économie populaire, Leipzig, 1898, pp. 5 et 6.)
  13. Karl Menger, Les erreurs de l’historicisme dans l’économie nationale allemande, Vienne, 1884, Préface, p. IV.
  14. Böhm-Bawerk, Kapital und Kapitalzins, p. 517.
  15. H. Dietzel, qui n’a aucun rapport avec le socialisme, note à ce sujet : « Hohoff a raison de dire que la polémique contre la théorie de la valeur-travail procède non de la raison, mais de la volonté... » (Economie sociale théorique, p. 211). A la même page, il est aussi question des « exercices apologétiques » de Kamorchinsky et de Böhm-Bawerk, pilier des autrichiens.
  16. Werner Sombart, Le bourgeois, Munich et Leipzig, 1915.
  17. Werner Sombart, Le bourgeois, p. 46, souligné par l’auteur.
  18. Ibid. p. 188. Souligné par l’auteur.
  19. Ibid. p. 201. Dernier passage souligné par l’auteur.
  20. Parvus, L’Etat, l’industrie et le socialisme. Ed. von Kaden et Cie, Dresde, pp. 103-104.
  21. On trouvera une caractéristique de ces classes dans l’ouvrage de Sombart, Luxe et capitalisme (Ed. Duncker et Humblot, 1903), notamment pp. 103, 105, etc. Ce qui n’empêche pas Charles Gide d’affirmer que « l’oisiveté n’est qu’une division du travail bien comprise », car « les Anciens déjà trouvaient bon que les citoyens puissent disposer de tous leurs loisirs pour s’occuper des affaires de l’Etat ». Charles Gide, Eléments d’économie politique (cité d’après la traduction russe de Scheinis, Saint-Pétersbourg, 1896, p. 288). Mais l’esclavage aussi, les Anciens le tenaient pour une « institution nécessaire » et « une division du travail bien comprise ». Pour ce qui est de la glorification de l’esclavage, messieurs les économistes bourgeois n’ont donc rien à envier aux « Anciens ».
  22. Les exemples sont les mêmes que ceux par lesquels Böhm-Bawerk illustre sa théorie de la valeur.
  23. Karl Marx, Le Capital, L. II, p. 88. Le rapport entre la théorie et la pratique s’exprime de façon particulièrement nette chez les mercantilistes ; les idéologues les plus éminents étaient aussi les plus éminents praticiens : Gresham par exemple fut conseiller de la reine Elisabeth et mena la lutte directe contre la Hanse ; Thomas Mun fut membre de l’administration de la Compagnie des Indes ; Dudley North fut un des plus gros marchands, se livrant à un commerce international considérable pour l’époque, etc. Voir Oncken, Geschichte der Nationalôkonomie, sur l’échange comme point de départ de l’étude. Cf. K. Pribram, L’idée d’équilibre dans l’ancienne théorie de l’économie politique, Zeitschrift für Volkswirtschaft, Sozialpolitik und Verwaltung, B. XVII, p. 1. On y trouvera également une bibliographie.
  24. Le schéma ci-dessus n’est rien de plus qu’un schéma, c’est-à-dire une construction qui dessine des types à larges traits en négligeant tout l’accessoire. T. R. Kaulla qui, dans son livre sur Le développement historique des théories modernes de la valeur (Tübingen, 1906) essaye de donner entre autres une analyse de la naissance de l’école autrichienne, n’a pas compris la signification des phénomènes que nous venons de relever.
  25. Albert Schatz, L’individualisme économique et social, 1907, p. 3, en note.
  26. Böhm-Bawerk, Positive Theorie des Kapitals, 3‘ éd., p. 574.
  27. Nous employons la terminologie de R. Hilferding, cf. son FinanzKapital, en particulier, pp. 282-284.
  28. Voir chez Schumpeter, l’analyse des Américains du point de vue de l’école autrichienne : La nouvelle théorie économique aux Etats-Unis, dans l’Annuaire de législation d’administration et d’économie de l’Allemagne. Edité par Schmoller, 34' année, 3' cahier, notamment les pp. 10, 13, 15
  29. W. Sombart, Le bourgeois, p. 193. Il ne faut pas oublier que de nombreux milliardaires américains sont des selfmade-men, dont l’esprit n’a pas encore eu le temps de vieillir.
  30. Abbé de Condillac, Le Commerce et le Gouvernement considérés relativement l’un à l’autre. Paris, an III (1795), pp. 6-8.
  31. Voir la traduction française: Comte de Verri, Economie politique ou considérations sur la valeur de l’argent et les moyens d’en faire baisser les intérêts, sur les Banques, la balance de Commerce, l’Agriculture, la Population, les Impôts, etc. Paris, an III (notamment pp. 14-15).
  32. Le livre de Jevons parut en 1871 (Stanley Jevons, Theory of political economy, Londres et New York, 1871). Le livre de Menger parut la même année (K. Menger, Grundsatze der Volkswirtschaftslehre, Vienne, 1871); enfin celui de Walras, Principes d’une théorie mathématique de l’échange, parut dans le Journal des économistes, en 1874.
  33. Voir Léon Walras, Etudes d’économie sociale, Lausanne et Paris, 1896, la partie intitulée « Un économiste inconnu », p. 340.
  34. Ibid. pp. 354-355.