Karl Liebknecht et Hugo Haase

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Liebknecht ne fut pas présent à Zimmerwald — il était prisonnier de l'armée des Hohenzollern, avant de se retrouver prisonnier d'Etat - mais son nom fut entendu plus d'une fois à la Conférence. il avait une telle résonance dans cette lutte qui déchirait le Socialisme européen, comme plus tard le Socialisme américain ! Liebknecht était notre appui principal : une preuve, un exemple vivants dans la campagne contre le social-patriotisme des pays de l'Entente. Les sociaux-patriotes français et russes citaient avec effronterie les discours de Liebknecht pour en tirer les preuves des crimes du militarisme germanique et de la pureté des droits de l'Entente. Ils ne faisaient que faire écho à la presse capitaliste.

Je connaissais Karl Liebknecht depuis de nombreuses années, bien que le rencontrant plutôt rarement. Expansif, s'enflammant légèrement, il tranchait nettement sur la faune insignifiante et terne des bureaucrates du Parti. il se distinguait déjà par son physique. Ses lèvres pleines et ses cheveux noirs frisés le faisaient ressembler à un «indigène» bien qu'il fût un pur Allemand. Liebknecht fut toujours à demi-étranger dans la maison de la social-démocratie toujours prête aux compromis. Il ne se livrait pas à des analyses personnelles sur le développement historique, il ne s'occupait pas des prévision théoriques du lendemain, mais son instinct sincère et profondément révolutionnaire le mettait toujours - en dépit des hésitations — sur le droit chemin. Bebel connaissait Liebknecht depuis l'enfance et le traitait comme un adolescent, tout comme Wilhelm Liebknecht avait traité Bebel. Celui-ci supportait, non sans une ironie sympathique, les protestations indignées de Liebknecht contre la politique opportuniste du Parti il pinçait les coins de sa fine bouche, mais ne cédait pas à Karl. Et la parole de Bebel, presque jusqu'à sa mort, avait une importance décisive dans le Parti.

Liebknecht était un révolutionnaire authentique et un internationaliste convaincu. il consacrait une partie importante de son temps et de ses forces à des activités étrangères à la social-démocratie allemande. Il entretenait des relations étroites avec des révolutionnaires russes et polonais. Il était lié d'amitié avec certains. Il aidait les autres. Quelque temps après la mort de sa première femme, il épousa une Russe. Les événements de la Révolution russe le frappèrent de façon extraordinaire. Il ressentait comme nous la victoire de la contre-révolution. il dépensait une bonne partie de son énergie dans une propagande anti-militariste auprès des jeunes. Les hautes instances du Parti regardaient d'un oeil peu favorable cette activité incessante. La Justice s'occupa de Liebknecht. Ce dernier acquit, par ses contacts avec les juges, l'instinct combatif nécessaire, et en outre la possibilité d'observer à fond et de juger le fonctionnaire moyen du Parti. Celui-ci en voulait au dément qui troublait une existence si calme. Liebknecht bouillait et s'indignait, non pour lui-même, mais pour le Parti.

C'est ainsi que la guerre le surprit. Sans aucun doute, elle le dépassa, du moins au début. Durant plusieurs semaines, il chercha son chemin, puis il le trouva et n'en démordit plus. il tomba comme combattant de la guerre civile — entre une barricade et l'autre — ayant donné à la Révolution tout ce qu'il pouvait lui donner. Toute sa personnalité incomparable eut le temps de se développer au maximum pendant la guerre. Sa lutte contre la soldatesque toute-puissante et misérable des Hohenzollern, contre les bas laquais remplis de lâcheté et d'auto-satisfaction, les bureaucrates du parti qui déchaînèrent leur clique contre lui, restera le symbole d'un héroïsme de haute portée morale. Le nom de Karl Liebknecht éveillera inévitablement des échos dans les siècles à venir.

Hugo Haase fut absent à Zimmerwald, en dépit des rumeurs annonçant son arrivée. La Conférence n'y perdit guère, car il est à peu près impossible que Haase ait pu lui donner plus que ne le fit Ledebour.

Il nous faut maintenant parler un peu de Haase. A la tête de l'opposition modérée social-démocrate, Haase devint, pendant la guerre, le «guide», celui que Bebel désigna presque officiellement comme son successeur. Haase était un avocat de Koenigsberg, un provincial, sans grande largeur de vues, sans grand tempérament politique, mais honnêtement dévoué au Parti. En tant qu'orateur, il était sec, pas du tout original, avec un fort accent de Koenigsberg. Il n'était en rien un écrivain. Au début du siècle, il se voua à l'étude de la philosophie kantienne, mais celle-ci n'imprima en lui aucune trace profonde. A l'instar de Liebknecht, Haase était très lié avec des révolutionnaires russes de nombreuses voies illégales passaient par Koenigsberg, qui permettaient de transiter en Russie des émigrés et de la littérature clandestine. Quand, en 1903, la police allemande entreprit une action énergique contre la contrebande révolutionnaire, Haase se montra le plus acharné défenseur des révolutionnaires russes.

Bebel avait un fort penchant pour Haase. L'idéalisme de ce dernier enchantait le vieillard. Haase était dépourvu de tout idéalisme élevé révolutionnaire, mais il avait le sien, plus étroit et plus «terre-à-terre». Par exemple, pour mieux se consacrer aux tâches du Parti, il renonça à son cabinet d'avocat à Koenigsberg — trait qui ne se rencontre pas fréquemment parmi les hauts bureaucrates sociaux-démocrates. Bebel, à la grande perplexité des révolutionnaires russes, recommanda de façon insistante Haase au poste de second président du Comité Central du Parti. Affable et attentionné dans ses relations personnelles, Haase resta jusqu'au bout, en politique, ce qu'il était de nature : un honorable démocrate de province, sans largeur de vues, sans tempérament révolutionnaire. Dans les circonstances critiques, il se gardait bien des décisions bien tranchées, recourant aux demi-mesures et à l'attentisme. Rien d'étonnant que les indépendants le choisirent comme un de leurs chefs. Il conserva ce poste jusqu'à sa mort.