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John Reed (par Souvarine)
Auteur·e(s) | Boris Souvarine |
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Écriture | 11 novembre 1920 |
John Reed est mort à Moscou, abattu en quelques jours par le typhus. Le mouvement communiste américain et le communisme international perdent une de leurs plus belles espérances.
Il était né à Portland (Oregon) le 22 octobre 1887. Pendant ses études, à l'Université d'Harvard, il écrivit de nombreuses poésies, dont il publia une partie en 1917, sous le titre Tamburlaine. En sortant d'Harvard, il se lança dans le journalisme et entra bientôt dans la rédaction de l'American Magazine : il fut vite remarqué et apprécié.
Envoyé au Mexique en pleine guerre civile, par la Metropolitan Magazine, il se passionna pour les événements révolutionnaires et prit le parti du général Villa, dont il suivit la campagne, partageant les souffrances et les privations de son armée Ses articles sur les événements du Mexique le classèrent comme un des plus brillants journalistes des Etats-Unis. Mais, à cette époque, Reed n'avait pas acquis, dans l'ordre politique, économique et social, les connaissances qui lui eussent, donné la maturité du jugement. Ses articles furent pourtant rassemblés et publiés sous le titre Insurgent Mexico, et Reed fut vite réputé comme le meilleur des correspondants de guerre et comme un écrivain de premier ordre.
Dés lors, les plus grands journaux et magazines de New-York lui furent ouverts. Il fut un des journalistes les plus populaires et les plus renommés de l'Amérique. Mais la gloire ne le corrompit point ; il garda intactes son indépendance, la liberté et la hardiesse de son esprit, comme en témoignent ses articles sur la grande grève de la soie de Paterson, en 1913, écrits avec une parfaite probité et un grand talent. Pendant cette grève fameuse, il fit la connaissance des leaders ouvriers, William Haywood, Patrick Quinlan, devint leur ami et le resta fidèlement. Sa sympathie pour les grévistes lui valut d'être arrêté et de passer plusieurs jours en prison. Son ouvrage sur la grève des I.W.W. du Colorado fit sensation.
Quand la guerre impérialiste éclata, John Reed partit pour l'Europe comme correspondant de guerre pour la Metropolitan Magazine. Il visita la France, l'Angleterre, la Suisse, Italie, l'Allemagne, la Belgique. Il rentra à New-York en février 1915 et, un mois plus tard, repartit pour l'Europe, en compagnie du dessinateur connu Boardman Robinson. Les deux amis parcoururent l'Italie, la Serbie, la Roumanie, la Turquie, le Caucase. Il reste de leur voyage un livre vivant et pittoresque, The War in Eastern Europe (la guerre en Europe orientale), publié en 1916.
La guerre avait fait de John Reed un socialiste. Il renonça à sa situation lucrative (il était, disent les journaux américains, un des journalistes « les mieux payés ») et partit pour la Russie, en 1917, à l'annonce de la révolution. C'est par lui, par ses articles du Call, le journal socialiste de New-York, et des Masses, la revue révolutionnaire de Max Eastman, que nous eûmes sous les yeux les premiers récits véridiques, la narration exacte et passionnante des événements de novembre de la révolution bolchevique, dont il fut un des rares témoins étrangers impartiaux. Comme Philips Price, comme Sadoul, il épousa d'enthousiasme la cause du prolétariat.
En apprenant que The Masses et plusieurs collaborateurs, Max Eastman, Floyd Dell, Art Young, Merrill Roggers, et lui-même, étaient poursuivis par le gouvernement américain, pour leurs écrits pacifistes qualifiés ignoblement « délits d'espionnage », Reed revint aux Etats-Unis pour se présenter devant le tribunal. Le procès fut pour les accusés l'occasion d'une propagande retentissante. Reed, par son courage, força même l'admiration du juge, et l'affaire se termina par un acquittement triomphal.
Dès son retour, John Reed entreprit une tournée de conférences en faveur de la révolution bolchevique, tout en écrivant dans le Liberator (qui succéda aux Masses), la New Republic, le Dial, etc., des articles remarquables sur le bolchevisme, que nous lûmes en France avec avidité et dont nous traduisîmes la plupart pour la presse d'extrême gauche. Il fut plusieurs fois arrêté, jeté en prison, et toujours acquitté. Son nom devint célèbre comme celui d'un propagandiste révolutionnaire
Il se jeta dans le mouvement socialiste américain, devint en quelques semaines le leader de la gauche, et fut élu à une majorité jusqu'alors inconnue comme secrétaire international du Parti Socialiste. C'était en 1919, pendant la lutte acharnée que se livraient dans le Parti révolutionnaires et réformistes. Reed, au cours de la Convention de Chicago, dirigea la gauche, qui, après la scission, devint le Communist Labor Party. Il s'attacha à réaliser l'unité de son parti avec le Communist Party, qui s'était formé avant la Convention de Chicago. Il fut le rédacteur principal de la Voice of Labor, et des autres organes communistes successivement supprimés par les raids sauvages de la police yankee.
Quand la répression féroce du gouvernement de Wilson écrasa le mouvement communiste, contraignant les organisations à entrer sous terre, les journaux à devenir clandestins, les militants qui — par miracle — avaient échappé à l'arrestation à se cacher, John Reed fut envoyé en Russie. Il y fut un des plus actifs artisans de l'unité communiste américaine, les pourparlers en vue de réaliser cette unité ayant été poursuivis sous l'égide de l'Internationale Communiste. Il fut arrêté et emprisonné en Finlande alors qu'il voulait rentrer aux Etats-Unis. De retour en Russie, il participa au 2e Congrès de l'Internationale Communiste, puis assista au Congrès des peuples orientaux opprimés, à Bakou.
Avant de quitter New-York, il avait publié un livre remarquable, le premier d'une trilogie : Ten days that shook the World (Dix jours qui ont secoué le monde), l'histoire des premiers pas de la révolution bolchevique. Les deux autres volumes sont malheureusement restés inachevés. Le premier restera comme un document unique pour les futurs historiens de la révolution ; c'est le témoignage sincère, vivant, passionné, d'un spectateur qui vécut le drame. John Reed et sa femme, Louise Bryant, furent arrêtés deux fois par les révolutionnaires et faillirent même être fusillés. Louise Bryant se trouva sur la place du Palais d'Hiver au milieu du combat, et trois hommes tombèrent morts à ses cotés. Courageuse comme son époux, et talentueuse aussi, elle écrivit un livre intéressant : Six Red Months in Russia (Six mois rouges en Russie). Elle avait partagé l'existence aventureuse de John Reed, durant le premier séjour de celui-ci en Russie. Elle le rejoignit, il y a quelques semaines seulement... Une mort foudroyante l'a séparée de son mari — pour toujours.
John Reed a donné sa vie à la révolution russe. Il est mort à 33 ans, dans l'éclat des plus précieuses facultés, d'un talent étincelant, et avant d'avoir pu donner toute sa mesure. Nul doute qu'il eût rendu à la révolution, au communisme, d'inestimables services. Sa perte est un deuil pour le prolétariat mondial. Tous ceux qui l'ont connu pleurent la disparition d'un homme bon, délicat, séduisant, d'un lutteur généreux et courageux, d'un écrivain hors ligne. Les communistes honoreront à jamais sa chère mémoire.
VARINE.