Interventions au 7e Plenum du CEIC

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1. Séance préparatoire (20 novembre) et 1ère séance (22 novembre). Résumés, La CI,

1926, n°128, pp. 1571-1572

2. 2ème séance (23 novembre) Rapport oral de Boukharine sur la situation internationale et les tâches de l’IC, in extenso, La CI, 1926, n°133, pp. 1663-1674.

WH 1262, 1269, 1313, 1326, 1374, 1375 et 1462

3. 10ème séance (début décembre ?) Discours de clôture, in extenso, La CI, 1926, n°141, pp. 1821-1827.

4. 20ème séance (9 décembre) Discours de Boukharine (contre l’opposition), in extenso, La CI, 1927, n°6, pp. 88-94.

5. Annexe : 19ème et 20ème séance ( 9 décembre) Discours résumés de Zinoviev, Trotski et Boukharine, La CI, 1926, n°137, pp. 1733-1736.

VIIe session du Comité exécutif élargi de l’Internationale Communiste Séance préparatoire (Compte rendu télégraphique)[modifier le wikicode]

[1.]

Moscou, le 20 novembre1926.

Ce soir, dans la salle du trône du Palais du Kremlin s’est tenue une séance préparatoire de l’Exécutif élargi, préparatoire à la septième session du Comité Exécutif Elargi de l’Internationale Communiste. Le camarade Boukharine fut chargé de diriger les débats de la session.

Le premier point de l’ordre du jour « Thèses du camarade Boukharine sur la situation internationale et les tâches immédiates de l’I. C. » donna lieu à un débat substantiel. Une commission de rédaction du projet de thèses fut nommée.

Le camarade Staline développa les lignes principales de son rapport sur la situation intérieure dans le Parti communiste russe qu’il doit présenter à la séance de l’Exécutif élargi. L’E. E. approuva le plan du rapport. Le camarade Pepper annonça que les thèses sur la question anglaise dans leur texte définitif seront présentées plus tard. Le camarade Ercoli prévint que les thèses des syndicats seront présentées seulement au plénum de l’E. E. Le camarade Petrow rapporta sur les travaux de la commission chinoise et de la commission coloniale.

L’E. E. approuva l’esquisse du rapport du camarade Kuusinen sur la situation intérieure et les tâches des sections du Komintern.

L’E. E. prit plus tard une résolution pour soutenir le soulèvement révolutionnaire indonésien.

L’ouverture de la séance plénière de l’Exécutif Elargi fut fixée pour le lundi soir, 22 novembre.

[2.]

Moscou, le 22 novembre 1926.

C’est ce soir, à 7 heures, que dans la salle Saint-André du Kremlin s’est ouverte la 7e session de l’Exécutif Elargi de l’Internationale Communiste.

En saluant l’Exécutif Elargi au nom de l’Exécutif de l’I.C., le camarade Boukharine a prononcé la courte allocution suivante :

« Nos premières paroles vont aux héroïques mineurs britanniques qui, abandonnés par la bureaucratie, continuent intrépidement la lutte. Au nom de l’Internationale Communiste et au nom de toute la classe ouvrière du monde entier, nous promettons de soutenir leur lutte par tous les moyens.

Nos paroles vont ensuite au prolétariat et à la paysannerie d’Indonésie qui sont engagés dans une lutte sanglante contre leurs oppresseurs coloniaux.

Nos paroles vont aussi aux héros prolétariens qui languissent dans les cachots des pays capitalistes : en Italie, en Pologne, en Yougoslavie, en Bulgarie, etc., etc..,

Nos paroles vont également à nos camarades morts cette année : le camarade

Dzerjinski, soldat et chef de la Révolution prolétarienne, le camarade Serrati, qui a consacré toute sa vie au prolétariat italien et au prolétariat mondial ; au camarade Tkatschenko, qui a sacrifié sa vie pour la cause du prolétariat et à tous les héros inconnus de notre mouvement. Le parti italien a fait beaucoup, l’an passé, en dépit de la terreur du gouvernement fasciste, il a resserré ses rangs et il s’est consolidé. Il marche en avant et dirige les masses. Le parti britannique est devenu un facteur politique de premier ordre et craint de sa bourgeoisie.

Le P. C. de l’Union Soviétiste a beaucoup réalisé, il est unanime et marche comme un seul homme sur la route du socialisme.

Le parti allemand se consolide.

Le parti tchèque se consolide également.

D’autres partis se trouvent aussi en plein développement.

Nos tâches sont : 1° continuation de la bolchévisation, de la consolidation, de l’affermissement et de l’éducation léniniste des partis communistes ; 2° conquête des masses dans la nouvelle situation ; 3° les grandes tâches de la lutte directe devant lesquelles se trouvent déjà quelques sections comme celles de Chine et de Grande-Bretagne ; enfin, les grandes questions de l’édification dans l’Union Soviétiste.

Malgré toutes les prophéties et tous les hauts cris concernant les crises internes dans l’I. C., cette dernière progresse dans la voie vers la Révolution. C’est la seule force qui guide le prolétariat mondial vers la Révolution. Nous sortirons de cette session de l’Exécutif Elargi de l’I. C. encore plus forts. » (Longs applaudissements.)

La session fut saluée ensuite au nom du P. C. de Chine par le camarade Tan Pin San, qui fut accueilli par une tempête d’applaudissements et au chant de l’Internationale. Il déclara : « Je salue, au nom du Parti communiste du prolétariat et des travailleurs de Chine, la 7e session de l’Exécutif élargi de l’I. C. L’I. C. est l’état-major de la Révolution prolétarienne, c’est le meilleur soutien, également, du mouvement révolutionnaire dans les colonies et dans les demi-colonies. C’est dans l’Union Soviétiste qu’ont été posés les fondements du socialisme et de façon si solide et si ferme qu’ils ne pourront être ébranlés.

Le mouvement national révolutionnaire de Chine groupe les forces de classe fondamentales des ouvriers, des paysans et des masses petites-bourgeoises. Son développement prouve la justesse de la théorie de Lénine. La victoire du mouvement national révolutionnaire en Chine, ne secouera pas seulement de son apathie le prolétariat des pays coloniaux, mais aussi le prolétariat des pays européens » (Tempête d’applaudissements.)

Le représentant du Kuomintang, Chaau Li Tsé, accueilli par de grands applaudissements et au chant de l’Internationale, apporte à la session de l’Exécutif élargi le salut révolutionnaire du Parti Kuomintang. Ce n’est pas la Société des Nations qui sauvera l’humanité, mais 1’I. C. Le Kuomintang considère avec raison la Révolution en Chine, comme une partie intégrante de la Révolution prolétarienne mondiale et il réalise le front unique avec le Parti Communiste de Chine dans la lutte de la Chine opprimée.

Le représentant du Parti Communiste d’Indonésie, le camarade Sémaoen accueilli par une tempête d’applaudissements (les délégués entonnent l’Internationale) déclare :

« Le soulèvement en Indonésie est une véritable guerre civile. Trente pour cent des 55 millions d’habitants d’Indonésie sont prolétarisés. Les salaires misérables ont provoqué un certain nombre de grèves qui ont été étouffées dans le sang par le gouvernement. Il n’y a pas de bourgeoisie nationale en Indonésie. La direction du mouvement national a incombé au Parti Communiste.

Le soulèvement actuel signifie la fin de l’impérialisme hollandais. La victoire de l’armée de Canton a eu une influence formidable sur le mouvement insurrectionnel d’Indonésie. Le mouvement actuel n’est que le début d’un grand nombre de soulèvements qui apporteront nécessairement la libération » (Tempête d’applaudissements)

Le camarade Gallacher (P. C. de Grande-Bretagne) :

« Je vous apporte le salut du P. C. de Grande-Bretagne qui jette maintenant toutes ses forces dans la lutte formidable des mineurs. Malgré la terreur et malgré les mesures de famine prises par le gouvernement britannique et en dépit du sabotage et de la trahison des réformistes, les mineurs continuent héroïquement la lutte.

La lutte des mineurs paralyse l’activité impérialiste en Chine et ébranle l’hégémonie de la Grande-Bretagne. Le capitalisme l’a reconnu, il enlève le masque de la démocratie pour abattre les mineurs par les mesures de terreur les plus brutales.

Il faut que le prolétariat mondial imite l’exemple des ouvriers de l’Union Soviétiste, dont l’aide a renforcé extraordinairement la résistance des mineurs britanniques. Vivent les mineurs britanniques ! » (La session répète ce vivat au milieu de l’enthousiasme général)

Le camarade Boukharine salue la session de l’Exécutif Elargi au nom du C. C du P. C.

de l’U. S.

« Je salue la VIIe session de l’Exécutif Elargi de l’Internationale Communiste au nom du Parti Communiste de l’Union Soviétiste. En dépit de toutes les difficultés, nous allons, dans notre pays, à la victoire du socialisme. Nous avons la ferme confiance que nous vaincrons notre bourgeoisie également sur le terrain économique. Notre foi est la foi dans la force du prolétariat qui a déjà vaincu la bourgeoisie sur le terrain politique. Notre foi est la foi des forts. Nous lutterons, nous vivrons et nous mourrons non seulement pour notre cause, mais aussi pour la cause du prolétariat international. Je déclare au nom du Parti, que nous sommes prêts à tout mettre au service de la Révolution internationale. Notre Etat est la base du mouvement de libération du monde entier, depuis le mouvement du prolétariat qualifié et éduqué de l’Occident jusqu’au mouvement des peuples opprimés d’Asie. Nous avons été, nous sommes et nous serons toujours de garde pour la défense de la Révolution mondiale. Nous sommes prêts à tout faire ce qui dépend de nous pour favoriser la victoire de la Révolution mondiale. Nous avons été, nous sommes et nous serons le Parti International de l’I. C.

Vive l’I. C. ! Vive notre véritable but la Révolution mondiale ! » (Tempête d’applaudissements, on chante l’Internationale)

La session s’occupa ensuite du choix du présidium et du secrétariat.

Au présidium, furent élus Boukharine, Staline, Manouilski (Union Soviétiste) ; Tan Pin San (Chine) ; Zetkin ; Katayama (Japon) ; Roy (Inde) ; Gallacher (Grande-Bretagne) ; Kuusinen (Finlande) ; Bernard (France) ; Maggi (Italie) ; Jilek (Tchécoslovaquie) ; Bogucki (Pologne) ; Bittelmann (Etats-Unis) ; Birch (Grande-Bretagne) ; Kornblum (Scandinavie) ; Thaelmann, Remmelé |Allemagne) ; Bochkovitch, Kolarov (Balkans); Semaoen (Indonésie).

Au secrétariat, furent élus : Humbert-Droz, Murphy, Ercoli Cremet, Smeral, Piatnizki,

Petrov, Kornblum— Gesche, Pepper. Dimitrov.

La session de l’Exécutif Elargi confirma l’ordre du jour proposé et déjà publié et passa à l’élection des commissions suivantes :

Commission politique, composée des membres suivants : Boukharine, Staline, Molotov,

Zetkin, Kuusinen, Bela Kun, Thaelmann. Tan Pin San, etc.

Commission syndicale.

Commission britannique.

Commission chinoise.

Commission agraire.

Après l’élection du présidium, du secrétariat et des commissions, la session de l’E. E.

décida à l’unanimité d’envoyer une adresse aux mineurs britanniques, d’en envoyer une seconde au P. C. de l’U. S., et un manifeste aux masses chinoises en lutte, un second manifeste contre le fascisme en Italie et un troisième en faveur de Sacco et Vanzetti.

Les adresses et les manifestes, une fois lus, furent adoptés avec enthousiasme par l’E. E.

Le camarade Thaelmann lut ensuite une lettre du camarade Zinoviev du 21 novembre, à la session de l’E. E. de l’I. C., et la réponse du présidium à cette lettre.

La lettre du camarade Zinoviev est ainsi conçue :

« A la suite de la décision prise par les sections les plus importantes de l’internationale, je vous prie de me libérer des fonctions de président de l’I. C., ainsi que, pour le moment, de tout travail dans l’Internationale en général. »

A cette lettre, le Bureau a répondu :

« A la suite des décisions prises par les sections de l’Internationale les plus importantes : les partis communistes de l’U. R. S. S., d’Allemagne, de France, d’Amérique, d’Angleterre, de Tchécoslovaquie, de Pologne, d’Italie, ainsi que le Bureau de l’I. C., et après avoir pris connaissance de la lettre de Zinoviev, en date du 21 novembre, la séance plénière du C. E. de l’I. C. décide de relever Zinoviev de ses fonctions de président de l’I. C., ainsi que de ses travaux dans l’Internationale. »

La réponse du présidium à la lettre du camarade Zinoviev fut adoptée à l’unanimité.

Le camarade Kolarov répondit, au nom du présidium, à une allocution du camarade

Vieno, qui salua l’E. E. au nom de la Conférence du Parti de la garnison de Moscou de l’Armée Rouge.

La séance se termina à 11 heures du soir.

Prochaine séance, le 23 novembre, à 6 heures de l’après-midi.

2.

KOLAROV. [qui préside la deuxième séance du 7e Plenum du CEIC, 23 novembre 1926, le soir] – La parole est donnée au camarade Boukharine pour le rapport sur le premier point de l’ordre du jour : « La situation mondiale et les tâches de l’Internationale Communiste ».

Rapport de Boukharine

(Discours « in extenso »)

La situation internationale et les tâches de l’Internationale Communiste[modifier le wikicode]

Camarades, le rapport général, contenant l’analyse de la situation actuelle, avec toutes les statistiques et les données y ayant trait, a déjà été publié sous forme de brochure. C’est pourquoi je considère comme tout à fait superflu de répéter les idées qui y sont développées. Je pense que les camarades en ont déjà pris connaissance, et c’est pourquoi je propose qu’après mon rapport, la discussion s’engage non seulement sur la base de mon rapport oral, mais surtout sur la base de mon rapport imprimé. Ma tâche actuelle consiste à souligner quelques questions essentielles.

Dans mon rapport imprimé, j’ai caractérisé la situation comme étant une situation entre deux vagues de révolution. C’est pourquoi je considère qu’il est utile d’engager de cette tribune une petite ou même, si vous voulez, une grande polémique contre nos adversaires et, en particulier, contre les social-démocrates.

L’appréciation générale de la période actuelle[modifier le wikicode]

Comment la social-démocratie, qui veut être un parti « ouvrier », même entre guillemets, apprécie-t-elle .la situation actuelle ?

D’après elle, nous traversons une période normale de développement capitaliste. L’état dans lequel se trouve le capitalisme est presque ou même tout à fait normal. D’après la socialdémocratie, ce qu’il y a de nouveau dans ce développement, c’est la nouvelle forme d’organisation du capitalisme, tant dans le cadre national que dans le cadre international. Dans toute une série de pays la concurrence fait place au capital organisé, et de fortes organisations se constituent dans le cadre économique mondial. L’expression politique de tous ces processus est représentée, d’après l’opinion de la social-démocratie, par des facteurs tels que la Société des Nations, le mouvement paneuropéen, les conventions et traités entre les différents Etats, etc. Tous ces facteurs sont, paraît-il, d’une telle importance pour l’analyse de la situation actuelle qu’ils entraînent soi-disant une modification fondamentale de l’état de choses. La social-démocratie va jusqu’à prétendre que les thèses marxistes et généralement reconnues, telles que, par exemple, la célèbre thèse générale (et bien connue de tous[)]sur le caractère inévitable des guerres dans le régime capitaliste[)] sont déjà périmées et ne correspondent plus à la réalité. C’est pourquoi les social-démocrates disent que nous allons au-devant d’une nouvelle phase du développement capitaliste. Ce n’est pas dans le ciel, mais sur la terre, que nous avons pour le moment la paix. Les idées de paix se réaliseront rapidement et, précisément, la Société des Nations est un instrument de ces nobles efforts en faveur de la paix. Hilferding et d’autres théoriciens de, la Social-démocratie;l’ont déclaré d’une façon tout à fait nette.

De telles affirmations sont-elles confirmées par la réalité ? Pour nous, ces affirmations, quand on les met en face de la réalité, nous paraissent tout à fait comiques. Du point de vue de la réalité, toute cette théorie n’est qu’un simple bluff. Et, en effet, peut-on comparer la situation actuelle avec la situation d’avant-guerre ? Peut-on prétendre que le capitalisme traverse une période normale et se développe dans des conditions « normales » ? A mon avis, c’est le contraire que l’on peut justement prétendre et le seul fait de l’existence de l’Union Soviétiste suffit pour montrer que le capitalisme se développe dans des conditions anormales. Le seul fait de l’existence de nos républiques prolétariennes est déjà l’expression de la situation anormale dans laquelle se trouve actuellement le capitalisme.

Nous assistons actuellement à un événement d’une importance aussi considérable que la révolution en Asie Orientale, dont le début est la grande révolution en Chine. Est-ce là l’expression d’un développement « normal » du .capitalisme ? Est-ce là un événement de peu d’importance ? Est-ce là un facteur insignifiant ? Naturellement non. Ce facteur a une importance historique si formidable qu’il suffit à lui seul pour que l’on ne puisse considérer comme normale la situation actuelle du capitalisme. Le déclin de l’Angleterre, les antagonismes qui se poursuivent à l’intérieur du régime capitaliste ne sont pas non plus des choses de peu d’importance. Ce sont des faits de la plus grande importance, que l’on ne doit pas sous-estimer. Si l’on considère ces événements du point de vue des contradictions du capitalisme et des événements de politique extérieure qui se poursuivent entre les différents Etats, on se demande si l’on peut prétendre que les contradictions se sont atténuées. En, aucun cas. Qui a essayé de le démontrer ? Qui a jamais essayé d’en apporter la preuve ? Nous prétendons que les contradictions se sont aggravées depuis la guerre, qu’elles sont réapparues en reproduction élargie, à un niveau plus élevé. Les facteurs les plus considérables sont l’instauration de 1a dictature du prolétariat dans l’ancien Empire des tsars et la révolution chinoise. Ces deux facteurs montrent clairement que l’ancienne base du régime capitaliste n’existe plus. Et, en effet, nous voyons actuellement à quelle .tentative on se livre pour sauver le capitalisme, à l’aide de méthodes extraordinaires d’exploitation extrêmement aggravée, dans les pays où n’existe encore aucune situation révolutionnaire immédiate et où la courbe du développement capitaliste monte même provisoirement.

L’absence de l’ensemble des conditions qui constituaient autrefois la base du capitalisme se manifeste, par conséquent, dans une lutte aggravée contre la classe ouvrière, étant donné que ce n’est que par ce moyen que la bourgeoisie peut encore espérer sauver le régime capitaliste.

Pour ou contre la stabilisation du capitalisme?[modifier le wikicode]

La question fondamentale suivante se pose donc devant les partis ouvriers : pour ou contre la stabilisation du capitalisme ? Et cette question est, en quelque sorte, la ligne de démarcation à l’intérieur de la classe ouvrière, la social-démocratie étant pour la stabilisation, alors que nous sommes contre. Cette ligne fondamentale est déterminée par toute une série d’autres conditions tactiques. C’est ainsi que, par exemple, la social-démocratie est contre l’Union Soviétiste. Pourquoi ? Parce que l’existence de l’Union Soviétiste: est un facteur qui, objectivement, menace la stabilisation du capitalisme; L’Union Soviétiste est le facteur destructif dans les cadres de l’économie capitaliste mondiale et de tout le système des Etats capitalistes. Naturellement le capitalisme se sert de l’Union Soviétiste pour l’échange des marchandises, mais ce fait a une importance qui comporte deux degrés : tous Ies traités de commerce, toutes les reconnaissances officielles de l’Union Soviétiste, ce sont là des phénomènes de second degré. Ce n’est pas cela le plus important, et ce n’est pas cela qui détermine la: politique mondiale. La bourgeoisie Ie comprend à merveille.

D’une façon générale, la social-démocratie est contre la révolution en Asie Orientale.

Même d’une social-démocratie aussi gauche relativement que la social-démocratie autrichienne, même du parti d’Otto Bauer, on peut dire qu’il est hostile ou semi-hostile, ou est neutre vis-àvis de la révolution en Asie Orientale, Pourquoi ? Parce que la révolution en Asie Orientale est un formidable facteur destructif qui entrave la stabilisation capitaliste. La social-démocratie est contre tous les « désordres » en Europe occidentale et contre tout « désordre » en général. Elle est très hostile à la grève anglaise. Elle était naturellement contre la grève générale en Angleterre et particulièrement contre la continuation, de cette grève qui aurait été une menace pour l’ordre « normal ».

La social-démocratie lutte, sous telle ou telle forme, contre tous les facteurs destructifs ou négatifs vis-à-vis de la stabilisation du capitalisme, qu’il s’agisse de la révolution en Asie orientale, de l’Union Soviétiste ou d’une grande grève politique ou économique en Europe. Réciproquement, tout facteur qui favorise la stabilisation du capitalisme bénéficie de l’appui de la social-démocratie. Pourquoi cela ? La, social-démocratie de tous les pays soutient, par exemple, une organisation de banditisme, telle que la Société des Nations, parce que celle-ci est à ses yeux le meilleur moyen de supprimer les contradictions à l’intérieur du capitalisme et de faire progresser, tout au moins pour quelque temps, la stabilisation du capitalisme. La socialdémocratie considère la Société des Nations comme un instrument de paix qu’il faut soutenir. Elle la considère essentiellement comme un instrument de stabilisation et, par conséquent, comme un instrument de paix. C’est ce qui explique pourquoi la social-démocratie soutient également le mouvement paneuropéen et préconise « une juste répartition » des colonies. Les conclusions que nous devons en tirer sont à peu près les suivantes :

La trahison que la social-démocratie commet dans la période actuelle, au cours-des derniers mois, est beaucoup plus grave que la trahison qu’elle a commise en août 1914. La claire compréhension de ce fait n’a pas encore suffisamment pénétré même dans nos rangs ; on peut dire de même, que le prolétariat, dans son ensemble, ne l’a pas encore compris. C’est pourquoi notre tâche consiste en tout premier lieu à expliquer ce fait au prolétariat. Pourquoi la trahison de la social-démocratie est-elle plus grave que celle qu’elle a commise en août 1914 ? C’est très simple. En août 1914, la social-démocratie défendait le principe de la défense nationale capitaliste. Pas davantage. A l’époque, la situation était une situation extraordinaire. Les social-démocrates déclarèrent que l’ennemi ravageait leur « patrie ». Ils n’en étaient pas moins, prétendaient-ils, des internationalistes. D’après eux, cet internationalisme n’était pas du tout en contradiction avec ce qu’ils appelaient les « facteurs nationaux ». Nous connaissons parfaitement toute cette histoire. Mais, aujourd’hui, la socialdémocratie ne défend plus seulement le capitalisme dans le cadre national, comme ce fût le cas pendant la guerre. Aujourd’hui, elle défend le capitalisme en tant que système économique mondial. (Applaudissements.) Cela n’apparaît pas au premier abord, mais c’est d’autant plus dangereux, et nous devons faire des efforts d’autant plus grands pour dénoncer cette maudite idéologie. Or, nous ne pourrons y arriver sans, un travail énergique.

La « paix » social-démocrate, coulisse pour la préparation de nouvelles guerres[modifier le wikicode]

La social-démocratie mêle la question de la stabilisation capitaliste avec le problème de la paix. Ce problème se pose précisément maintenant devant nous d’une façon particulièrement sérieuse. Examinons quel est l’état d’esprit de l’ouvrier moyen et 1a psychologie des masses prolétariennes. Quelle est cette psychologie? Ces masses ont fait la guerre. Mais, maintenant, sept ans après, la fin de la guerre, la situation s’est relativement améliorée, et ces masses disent : « Nous vous en prions, laissez-nous la paix ! Nous sommes contre la guerre, nous sommes contre toute violation de la paix, c’est tout ce que nous voulons ! » Cette psychologie des masses populaires est tout à fait compréhensible. C’est une sorte de réaction contre l’état d’esprit militariste qui a régné pendant la guerre et la social-démocratie sait l’utiliser à merveille. Comment cela ? Elle pose la question ainsi : « Qui trouble la paix ? Voyez la Société des Nations, c’est un instrument de paix ! Et voilà ces maudits « Russes », qui viennent déranger cet instrument de paix.[ »] Ou encore : [« ]Regardez du côté de l’Orient, Là-bas, il y a la révolution. Les « Russes », c’est-à-dire l’Union Soviétiste « excitent » les peuples de l’Asie orientale contre les Etats civilisés. Nous, c’est-à-dire la social-démocratie, nous nous efforçons de faire servir à la cause de la paix le mouvement paneuropéen, les cercles pacifistes et la Société des Nations. Nous nous efforçons de toutes nos forces de réaliser la paix. Mais l’Union Soviétiste nous en empêche, de même que les peuples de l’Asie orientale. Les communistes veulent porter partout « l’incendie » et « souffler sur le feu », selon l’expression de Kautsky. Au début, ils ont essayé de « piller » l’Europe occidentale, mais ils n’y ont pas réussi ; actuellement, ils s’efforcent d’« incendier » et de « piller » l’Orient. Ce sont eux les véritables ennemis de la paix, ce sont eux qui constituent l’obstacle qu’il s’agit d’écarter.[ »]

Tel est .le langage que parle la social-démocratie, telle est son « idéologie » empoisonnée.

Nos partis doivent détruire cette idéologie et combattre une telle position du problème de la paix, qui correspond au bavardage sur l’ultra-impérialisme au mouvement paneuropéen, etc. Dénoncez la « paix » social-démocrate, car elle n’est qu’une coulisse pour la préparation de guerres encore plus formidables, plus effroyables que toutes celles que l’histoire a connues jusqu’ici. I1 est inutile de motiver plus en deuil cette thèse.

A mon avis, nous n’avons pas su encore dénoncer complètement cette façon de poser la question et agir dans ce sens au sein du prolétariat. C’est pourquoi, je le répète encore une fois, 1a « paix » social-démocrate n’est qu’une coulisse pour la préparation de nouvelles guerres effroyables.

D’autre part, notre mouvement révolutionnaire, nos insurrections, nos grèves ainsi que notre travail d’édification socialiste dans l’Union Soviétiste, et même d’une façon générale l’existence de l’Union Soviétiste, constituent la meilleure garantie d’une paix véritable. C’est cette thèse populaire, cette vérité presque banale qu’il s’agit d’expliquer complètement à l’ensemble du prolétariat. Ce que nous devons dire et ce qui correspond parfaitement à la réalité, c’est ce qui suit : les partis communistes sont les partis de la révolution et l’Internationale Communiste est l’organisation mondiale du prolétariat pour la préparation de la révolution mondiale. (Applaudissements.) Mais, précisément parce que l’Internationale Communiste est le parti mondial de la Révolution mondiale, c’est précisément pour cela qu’elle est la garantie la plus ferme d’une paix véritable pour le monde entier. C’est sous cette, forme qu’il s’agit de poser désormais le problème

Les quatre principaux groupements du monde capitaliste et l’attitude de la social-démocratie à leur égard[modifier le wikicode]

L’idée de la nécessité de détruire l’idéologie ultra-impérialiste et pacifiste dépend d’une façon étroite de l’appréciation générale de la situation actuelle. L’une des principales idées soulignées dans les thèses, ainsi que dans mon rapport imprimé, est l’idée que la position schématique du problème de la stabilisation du capitalisme ne suffit ni théoriquement, ni pratiquement. Notamment pour notre travail pratique, il ne suffit pas le moins du monde de procéder à une appréciation schématique de la situation de tous les pays ; étant donnée la diversité considérable des conditions et rapports dans lesquels ont à lutter nos organisations. J’ai essayé, dans mon rapport écrit, de procéder à une classification des différents pays,

Je crois que nous sommes actuellement en face de quatre grands groupements. L’histoire se plaît à rapprocher des appellations telles que, par exemple, l’Union des Etats-Unis d’Amérique du Nord et l’Union des Républiques Socialistes Soviétistes, deux Unions qui sont en même temps opposées dans la situation mondiale actuelle. Outre ces deux groupements principaux, nous avons encore l’Europe et l’Orient, chacun d’eux constituant un groupe particulier. Comment faut-il comprendre l’attitude extrêmement amicale des social-démocrates vis-àvis de l’Amérique, comment faut-il l’apprécier du point de vue de l’ensemble de la situation mondiale ? L’Amérique représente le pôle de l’histoire mondiale où se concentrent, comme en un foyer ardent, les plus grandes forces capitalistes. Du point de vue des perspectives historiques, elle est le principal adversaire du socialisme. Comment comprendre, par conséquent, les louanges adressées par la social-démocratie à l’Amérique ? C’est une expression éloquente du rôle contre-révolutionnaire de la social-démocratie, parce quelle est une vraie garantie pour l’appui futur accordé aux principaux adversaires de la classe ouvrière. C’est surtout dans ce sens qu’il faut comprendre ces louanges, ces hymnes enthousiastes que la social-démocratie entonne au sujet de l’Amérique.

Totalement différente est l’attitude de la social-démocratie à l’égard de notre Union, l’Union des Républiques Socialistes Soviétistes. Il suffit de se rappeler les obstacles qu’elle dresse sur notre chemin, la campagne qu’elle mène contre nous et l’appréciation qu’elle fait de notre travail d’édification socialiste. Cela, également, montre le rôle nettement contrerévolutionnaire de la social-démocratie. L’histoire mondiale montre actuellement deux pôles opposés : l’Amérique et l’Union Soviétiste, le pôle révolutionnaire et le pôle contrerévolutionnaire. L’attitude de la social-démocratie vis-à-vis de l’Amérique et de l’Union Soviétiste, si on la considère du point de vue des grands problèmes, est tout à fait claire. La social-démocratie est pour l’Amérique et contre l’Union Soviétiste, pour le capitalisme et contre le socialisme, pour la contre-révolution capitaliste et contre la révolution prolétarienne.

La propagande que mène actuellement la social-démocratie contre la révolution en Asie orientale, est le troisième grand facteur qui montre le rôle contre-révolutionnaire de la socialdémocratie. Dans une série d’articles, de thèses, etc. la social-démocratie déclare : nous sommes pour la « libération » de tous les peuples et, naturellement aussi, du peuple chinois, mais nous sommes contre le « chaos » en Chine, nous sommes contre la « haine » des étrangers et autres choses semblables.

La « juste répartition » des mandats coloniaux, est également un problème auquel s’intéresse la presse social-démocrate et, en particulier l’organe de M. Hilferding, [Die] Gesellschaft. Et c’est également là un signe caractéristique du rôle contre-révolutionnaire de la social-démocratie. Il en est de même en ce qui concerne l’attitude positive adoptée à l’égard de la stabilisation, le rôle positif joué par la social-démocratie dans le sauvetage du système capitaliste. A tous les points importants où se manifestent les faiblesses du système capitaliste, la social-démocratie joue un rôle directement contre-révolutionnaire et lutte contre l’Union Soviétiste, contre la révolution chinoise, contre les désordres en Europe occidentale, mais préconise son « américanisation » et lutte dans, ce sens. Là aussi se manifeste clairement le rôle contre-révolutionnaire de la social-démocratie.

Les tâches de nos sections - La soi-disant « question russe »[modifier le wikicode]

Il est tout naturel, que de ce point de vue, les tâches de nos -partis et de l’Internationale communiste doivent prendre des formes différentes selon les pays. Dans l’Union soviétiste, nous sommes placés devant une certaine tâche, en Amérique, devant une autre. En Europe occidentale et en Chine, nous sommes- également placés devant des tâches toutes particulières. Or; cette différence ne repose pas sur le fait que ces tâches sont fondamentalement différentes les unes des autres, mais, au contraire, pour pouvoir réaliser notre tâche commune et générale, à savoir la révolution prolétarienne, nous devons poser la question chaque fois différemment selon les particularités de la situation.

Commençons tout d’abord par le travail des communistes dans l’Union Soviétiste. Ici, dans l’Union Soviétiste, notre tâche principale est un travail créateur : L’édification du socialisme. La social-démocratie le nie. Et également dans nos propres rangs, dans différents groupements d’opposition de notre parti et des partis étrangers, on rencontre un certain scepticisme quant à l’édification socialiste dans l’Union Soviétiste, C’est pourquoi je considère qu’il est nécessaire de dire nettement que ce scepticisme a une origine social-démocrate.

En ce qui concerne le coté théorique de la question, je ne m’en occuperai pas en détail, puisqu’il sera traité dans le rapport de Staline. Je voudrais dire seulement quelques mots sur l’origine de ce scepticisme. Comment se fait-il que les camarades de l’opposition parlent de la presque impossibilité de l’édification socialiste, de difficultés insurmontables, etc., etc…. ? Pourquoi manquent-ils de foi dans les perspectives victorieuses de l’édification socialiste dans l’Union Soviétiste ? Pourquoi ce manque de foi trouve-t-il un certain écho dans quelques parties de l’Europe occidentale et même dans certaines couches du prolétariat ? Quand on pose cette question d’une façon théorique, on comprend tout de suite où sont les racines de ce scepticisme. Les camarades de l’opposition disent que la Russie est un pays arriéré, dans lequel on a pu s’emparer du pouvoir, mais que l’édification .du socialisme y est quelque chose de tout à fait autre. Engels lui-même disait que l’on pouvait prévoir le cas où le parti ouvrier s’emparerait trop tôt du pouvoir. Une telle responsabilité n’est pas exclue. D’après l’opinion des social-démocrates et des: camarades sceptiques à l’intérieur du mouvement communiste, ce cas se présente précisément aujourd’hui dans l’Union Soviétiste. D’après eux, les bolcheviks se seraient emparé trop tôt du pouvoir, avant même qu’aient mûri les conditions objectives pour l’édification véritable du socialisme. Cela se manifeste avant tout, comme disent les socialdémocrates, en ce que les bolcheviks sont obligés d’entreprendre continuellement une nouvelle retraite. En tout cas, la situation serait autre si la révolution mondiale avait éclaté immédiatement après. Car la révolution mondiale eût sauvé la révolution russe. Mais 1a révolution mondiale ne vient pas et les bolchevik» font des concessions les unes après les autres. La nouvelle politique elle-même a été, selon l’opinion de tous les social-démocrates (et malheureusement, pas seulement les social-démocrates), une preuve de l’insuffisance des forces objectives de la révolution en Russie. La nouvelle politique économique a été pour ainsi dire, le péché et, comme c’est le cas pour tous les péchés, conformément aux lois naturelles, elle a mis au monde des petits péchés, ce péché a engendré toute une famille pécheresse. On assiste à une « dégénérescence » du pouvoir soviétiste dans le parti, à un nouveau

« Thermidor », on fait des concessions inadmissibles aux paysans, Staline joue le rôle d’un « roi paysan », on assisse à la formation de « tendances liquidatrices » à l’intérieur de l’Internationale Communiste, etc., etc. Les social-démocrates et leurs émules imaginent toutes les absurdités possibles que nous avons entendues de différents côtés au cours des derniers temps.

Naturellement, la social-démocratie trouve une certaine consolidation dans ce fait qu’un état d’esprit analogue est apparu également à l’intérieur de notre parti. Je dis : « est apparu », parce que j’espère que cet état d’esprit sera liquidé après l’assemblée plénière actuelle. En ce sens; nous sommes, certes, les « liquidateurs » les plus zélés. (Applaudissements enthousiastes.)

Camarades, toutes ces considérations sont confirmées par une série de différents phénomènes.

Tout d’abord par la marche même du développement dans l’Union Soviétiste. Je n’indiquerai aucun chiffre, car vous pourrez les trouver dans ma brochure, articles et livres. Une appréciation indirecte importante nous est apportée par l’écho que notre opposition a trouvé dans le camp bourgeois et social-démocrate. C’est une indication extrêmement importante dont il faut absolument tenir compte. Quel écho ont trouvé notre opposition et l’extrême-gauche ? Un très mauvais, à mon avis. Ils ont été chargés de louanges par la bourgeoisie, par la semi-bourgeoisie, par les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks.

C’est là un fait incontestable.

Arrivons-en maintenant aux alliés de l’opposition. Est-ce un hasard que Ruth Fischer, exclue du parti allemand, soit sur la même liste parlementaire que M. Korsch ? Pas le moins du monde ! Pas plus que c’est un hasard que Maslov et Urbahns se meuvent idéologiquement dans la direction de Korsch.

Est-ce un hasard que l’attitude de l’opposition ultra-gauchiste dans la soi-disant « question russe » a une parenté très étroite dans toute une série de points avec des ouvrages aussi vulgaires, aussi vraiment contre-révolutionnaires que la brochure de Kautsky ? Ce n’est pas du tout un hasard.

Est-ce un hasard que les soi-disant « courants hostiles à Moscou » coïncident avec l’orientation occidentale de la bourgeoisie occidentale ? Non, ce n’est pas un hasard, mais uniquement le revers d’une seule et même question.

Du point de vue de notre travail intérieur dans l’Union Soviétiste, notre tâche principale est la lutte décisive contre les éléments bourgeois de notre économie, la lutte menée avec toutes les forces de la foi et de la conviction, la conviction que nous sommes en état de vaincre notre bourgeoisie intérieure dans le domaine économique. Si quelqu’un manifeste du scepticisme dans ce domaine, c’est le scepticisme de la social-démocratie. Notre tâche dans l’Union Soviétiste, celle de l’édification du socialisme, ne peut être réalisée qu’à la condition que nous ayons véritablement foi dans l’œuvre que nous réalisons.

Nous devons lutter pour la victoire de la révolution et pour le développement non capitaliste en Chine[modifier le wikicode]

Nous avons une tout autre tâche à réaliser en Chine. Nous avons traité, aux congrès et aux précédentes séances du Comité Exécutif, la question chinoise, et la question orientale. Je voudrais, cependant, souligner, comme je l’ai fait dans les thèses et dans le rapport imprimé, que notre perspective immédiate et notre tâche prochaine en Chine consistent à battre l’ennemi impérialiste. C’est, à l’heure actuelle, 1a tâche principale, celle qui crée les conditions pour le travail futur. Mais nous ne sommes pas du tout des empiriques à ce point grossiers que nous ne puissions voir les tâches prochaines, même s’il s’agit des tâches principales du moment. Nous voudrions voir un peu plus loin. Nous devons souligner que l’Internationale communiste considère comme possible un développement non capitaliste en Chine et que cette perspective représente, en fait, la perspective pour laquelle nous devons lutter en tant que parti communiste. Naturellement, cela ne sonne pas du tout d’une façon social-démocrate. Les social-démocrates s’efforcent, tout au contraire, de se moquer de nous, comme ils ont essayé de se moquer également de notre Révolution d’Octobre et de notre travail d’édification socialiste. C’est pourquoi, ils essaieront également de se moquer de notre attitude à l’égard du problème de la question chinoise. Mais nous verrons ce que dira l’avenir. En attendant, le développement en Chine se poursuit de telle sorte que la première moitié de notre tâche, à savoir la lutte contre les impérialistes, se résout d’une façon assez efficace, (mais n’est pas encore résolue). L’armée cantonnaise avance, tandis que l’armée populaire de Feng a les yeux fixés sur Pékin. L’unification de la Chine se poursuit sous la direction des forces révolutionnaires. Si elle se réalise, cela aura, naturellement, des répercussions immédiates sur l’ensemble de la situation internationale. Et que se produira-t-il dans la suite ? Quelles seront ensuite les tâches que nous aurons à réaliser ? Je crois que l’Internationale communiste peut déclarer ici que notre perspective tout à fait générale, notre perspective la plus importante et celle qui a la portée la plus vaste, consiste dans l’établissement d’une alliance entre la Chine, l’Union Soviétiste et le prolétariat des pays de l’Europe occidentale pour pouvoir éviter, par ce moyen, de passer par la phase de développement capitaliste en Chine. C’est là une tâche relativement considérable et je pourrais presque dire une tâche insolente [insolite ?], que se posent l’Internationale et les partis communistes. Mais nous avons conscience de nos propres forces et nous essaierons de résoudre ces tâches. Nous nous posons cette tâche, nous lutterons pour sa réalisation et nous sommes persuadés que: nous saurons la résoudre.

Les partis communistes de l’Occident dans la lutte pour la conquête des masses[modifier le wikicode]

En Amérique, notre parti est relativement petit. Le capitalisme américain est le pivot de tout le système capitaliste, le capitalisme le plus puissant du monde. Nos tâches dans ce pays sont encore très modestes. Nous nous trouvons seulement dans la voie vers la conquête des masses. Au début, nous pouvons nous poser uniquement ces tâches modestes pour acquérir d’autres positions d’appui pour les luttes prochaines dans ce pays.

Tout autre est la situation en Europe occidentale. Les mots d’ordre : « Allez aux masses ! » et « En avant pour la conquête des masses ! » sont toujours à la base de notre activité. Avec cette tâche de la conquête des masses, de la lutte pour l’organisation et la direction des luttes de classes de ces masses, nous constituons l’élément qui complique la marche du développement capitaliste. Même le problème de la stabilisation n’est autre chose, considéré de ce point de vue, qu’un objet de lutte de classe. Naturellement, la stabilisation est un processus objectif du développement capitaliste. Mais l’ensemble de ce processus fait de lui un processus qui implique entre autres facteurs, la classe ouvrière elle-même, sa capacité de mobilisation, de défense et d’attaque. La défense de la classe ouvrière sera le facteur de complication dans le processus de la stabilisation du capitalisme. Le seul parti qui représente ce facteur de résistance et de lutte, c’est le Parti communiste et la seule organisation mondiale qui joue ce rôle est l’Internationale Communiste.

Quelques mots maintenant sur les questions de l’Europe occidentale. Le problème de la conquête des masses est actuellement le problème fondamental. C’est actuellement une parole vide de sens que de parler d’une lutte contre la stabilisation sans avoir en mains des organisations de masse. Nous avons beaucoup écrit là-dessus, adopté de nombreuses résolutions et les comités centraux de nos partis, ainsi que toute l’Internationale communiste, ont compris toute l’importance de ce problème. Mais, prendre une résolution, est une chose, et la réaliser en est une autre. Si nous prenons, par exemple, un problème tel que celui de la conquête des syndicats, nous devons dire que cette conquête a été réalisée jusqu’ici par nous tous dans une mesure très restreinte, quoique ce soit là une de nos tâches les plus importantes. Les syndicats sont des organisations essentiellement économiques, quoi qu’il n’y ait naturellement pas d’organisations « neutres » purement économiques. Les syndicats sont les principales organisations de masse du prolétariat. Si l’offensive du capital prend une forme particulière en Europe occidentale et revêt, dans une mesure considérable, la forme de l’offensive économique, le rôle de ces organisations de masse ne fait par là que s’accroître. Or, quel est le travail de nos partis dans les syndicats ? Quelle est la situation sous ce rapport ? La réponse, du point de vue du développement des partis communistes, n’est pas particulièrement satisfaisante. Nous pouvons énumérer parti sur parti et nous ne pouvons dire de presque aucun d’entre eux que leur travail dans les syndicats est satisfaisant.

Si l’on examine l’état d’esprit qui règne à l’intérieur du prolétariat, nous pouvons constater ce qui suit : l’influence politique de nos partis s’accroît, les larges masses ont confiance en nos partis; s’il s’agit de questions politiques. Prenons, par exemple, le parti allemand. Dans la lutte contre les indemnités aux maisons princières déchues, il a joué un tel rôle dirigeant que même la social-démocratie a été obligée, sous son influence, de faire, quelques pas au-devant de lui. Mais, quelle est l’attitude des ouvriers, en cas de mouvements de grèves ordinaires ? Tout à fait autre ; leur confiance dans les communistes est incomparablement moindre.

En ce qui concerne l’allure du développement, les meilleurs succès ont été obtenus par le parti anglais. Certes, le parti anglais est encore relativement petit, en comparaison des autres partis. Mais l’allure des succès obtenus est incontestablement bonne. Et cela doit être, précisément attribué à ce fait que le parti anglais a travaillé, plus que tous les autres, dans les syndicats. C’est l’un des plus grands mérites de notre parti anglais. Je ne parle pas ici de ses erreurs, étant donné que nous en parlerons plus loin. Mais ce fait subsiste dans toute son importance comme un grand mérite de notre parti frère anglais.

Tout a-t-il été fait de notre part dans les syndicats et dans les différentes organisations de masse ? Avons-nous liquidé complètement l’esprit de secte ? Avons-nous fait progresser le problème concernant l’attitude à adopter vis-à-vis des ouvriers social-démocrates de gauche ? Non. Parfois, nous ne savons pas aller aux masses comme il faut et nous ne sommes pas en état de trouver la véritable voie qui mène à elles. Ce problème, le travail dans les organisations de masse, et en premier lieu dans les syndicats, est, à mon avis, le problème fondamental devant lequel se trouvent placés nos partis dans les pays de l’Europe occidentale. C’est ce qu’il faut toujours souligner à nouveau. C’est peut-être fatigant de répéter et d’entendre toujours la même chose. Mais, nous ne pouvons faire aucun pas en avant si nous ne jetons pas toutes nos forces sur ce secteur important du front.

Cette question est en rapport étroit avec la question de l’autocritique à l’intérieur de nos partis. Nous avons déjà indiqué ici que quelques camarades considèrent les choses sous le seul rapport du « prestige ». Dans mon rapport écrit, un grand nombre de camarades ont essayé de découvrir en premier lieu ce qui concerne le parti qui les a délégués. C’est ce. qui les intéresse le plus. Et la caractéristique que contient le rapport a ce1 sujet n’est pas appréciée du point de vue dé savoir si elle est juste ou non, mais du point de vue de savoir si d’une façon générale, leur parti est critiqué. J’estime que, pour m’exprimer d’une façon modérée, ce n’est pas une façon tout à fait juste d’examiner les choses. Ce qui nous fait défaut, c’est l’autocritique à l’intérieur de nos partis. C’est la capacité d’apprécier son propre travail d’une façon exacte, de relier les conclusions pratiques de la lutte quotidienne au mouvement général des principales colonnes de la révolution mondiale dans leur marche vers la victoire. Nous sommes capables de dire d’une façon remarquable que nous sommes pour le communisme, pour la révolution chinoise et pour la révolution mondiale, nous pouvons souligner par tous les moyens ces paroles, mais cependant nous ne pouvons pas venir en aide à la révolution chinoise, par exemple, en Allemagne ou en France, si nous ne déployons pas une activité suffisante dans les syndicats et dans les larges masses ouvrières. Tous les anneaux de cette chaîne sont ainsi étroitement liés ensemble. Cette liaison est très compliquée, mais c’est un fait qu’il est impossible de nier.

Les perspectives de la lutte en Europe Centrale[modifier le wikicode]

Un certain nombre. de camarades sont d’avis que notre appréciation de la situation aboutirait à nier toute bonne perspective pour le travail actuel des partis communistes en Europe centrale. C’est faux. Je prétends-que la révolution progresse actuellement dans trois .directions principales : en Chine, en Angleterre et dans l’Union Soviétiste. Cela correspond aux faits. Mais cela ne signifie nullement que. la situation de l’Europe centrale soit pour nous défavorable. Malgré la stabilisation, la situation est beaucoup plus favorable pour nos partis en Europe centrale qu’il y a quelque temps. Pourquoi ?

Nous avons connu trois étapes qui se sont succédé à peu près comme suit :

La première période a été la période orageuse. Les communistes marchaient à l’assaut.

C’était une situation directement révolutionnaire. La social-démocratie jouait un rôle directement réactionnaire et « protestait » à main armée contre les partis communistes, contreles spartakistes, etc. A partir du début de la stabilisation du capitalisme, nous avons une nouvelle base. Il s’est produit une certaine modification du rapport des forces. Cette modification a consisté en ceci que les communistes ont procédé a une petite retraite tandis que la social-démocratie bénéficiait d’une certaine recrudescence, d’un certain accroissement, d’un certain renforcement. Cela était lié à la stabilisation du capitalisme.

Maintenant, j’estime que nous entrons dans une nouvelle phase, une phase dans laquelle le processus de stabilisation du capitalisme manifeste ses contradictions intérieures sous une forme de plus en plus grave. Le rapport entre les classes s’aggrave. Cela crée une situation favorable pour le parti. Est-ce que, par exemple, la situation en Allemagne qui est au centre de l’Europe, n’est pas actuellement pour nous une situation favorable ? Elle est favorable et elle devient de plus en plus favorable. Le capitalisme attaque. La classe ouvrière est de jour en jour plus convaincue de la .nécessité de la lutte active et ferme

L’orientation à gauche qui se poursuit au sein de la classe ouvrière est l’expression éloquente de ce processus. .La grève des dockers allemands de Hambourg est un premier symptôme de cette orientation à gauche et le début de la résistance active des ouvriers contre la pression de la bourgeoisie. Naturellement, cela n’est que le premier pas. L’activisation de la classe ouvrière se poursuivra, au fur et à mesure de l’aggravation des contradictions de lastabilisation capitaliste. La social-démocratie se transformera de plus en plus en représentant de l’état d’esprit des couches de l’aristocratie ouvrière, de plus en plus faible numériquement et d’une importance de moins en moins considérable. Naturellement, les aggravations des antagonismes de classe et les regroupements qui se poursuivent au sein de la classe ouvrière sont un processus de longue durée. Mais ce processus constitue également, dès maintenant, un terrain favorable pour le développement de notre parti.

J’ai expliqué ici que la stabilisation n’est pas seulement un processus objectif, mais encore un objet de lutte de classe. Cette affirmation est confirmée tout d’abord par la grève anglaise qui, comme je dois le souligner ici, n’a pas été suffisamment appuyée par nos partis communistes. Nous devons 1e reconnaître pour pouvoir en tirer quelques enseignements. La grève anglaise a été et est encore actuellement une lutte formidable. Au fur et à mesure du développement du processus de la stabilisation, nous aurons à faire face, en Europe Centrale également à des luttes semblables, étant donné que les difficultés que rencontre actuellement le capitalisme en Europe Centrale sont considérables et que les conflits avec le prolétariat sont inévitables. C’est pourquoi la tâche de nos partis consiste à mobiliser le prolétariat et à le préparer en vue des combats futurs. Comment peut-on l’y préparer ? Avant tout au moyen d’un travail opiniâtre à l’intérieur des syndicats. Comment peut-on soutenir pratiquement la révolution chinoise ou seulement l’Union .Soviétiste ? Comment peut-on soutenir l’avant-garde du prolétariat révolutionnaire de l’Europe Occidentale, les sections de la révolution mondiale qui se trouvent en pleine mêlée ? Naturellement, il s’agit de mobiliser toutes les forces en vue de soutenir matériellement et moralement les ouvriers en lutte. Mais, à la longue, cela ne peut se faire d’une façon sérieuse et efficace qu’en accomplissant cette tâche extrêmement « modeste », qui consiste à mener un bon travail parmi les masses et dans les organisations de masse. Ce n’est que dans la mesure où nous aurons réussi a faire pénétrer notre influence au sein des masses que nous pourrons compter sur une mobilisation des larges masses ouvrières. C’est ce que vous dira n’importe quel ouvrier chinois. Si vous n’avez pas de ressources suffisantes pour venir en aide aux ouvriers anglais et chinois, du moins menez un bon travail à l’intérieur des syndicats et des différentes organisations de masse. Par là, vous accomplirez la tâche principale qui se pose actuellement devant vous en Europe Centrale. Et vous aurez le tableau suivant : en Chine, s’avance la révolution directe, ainsi que dans l’Union Soviétiste (car notre:travail d’édification n’est pas un perfectionnement de la révolution, mais la révolution ellemême) et en Angleterre, nous assistons aux premiers symptômes des plus grands ébranlements. C’est de vous, par conséquent, que dépendra que l’on assiste chez vous également à de tels ébranlements. Cela dépend de votre .travail modeste dans les masses, car les plus grands événements ne sont pas tirés comme d’un coup de pistolet, ils sont préparés à l’avance. Nous autres, dans notre parti, nous parlions autrefois de l’organisation de la révolution. L’idée qui régnait dans la: vieille social-démocratie que la révolution est un processus naturel et que, par conséquent, personne n’« a le droit » de préparer la révolution; est fausse. Nous devons organiser la révolution au moyen d’un travail parmi les masses et avant tout par un travail dans les syndicats. La renforcement de notre parti, la conquête des masses et le ralliement autour de la: bannière de la révolution, c’est l’organisation de la révolution..

Si vous savez remplir cette tâche, nous aurons bientôt en Europe Centrale également « une situation immédiatement révolutionnaire ». Mais si vous ne remplissez pas cette tâche, le prolétariat de l’Europe Occidentale ne sera pas en état, même dans les périodes les plus difficiles pour le capitalisme, de s’emparer du pouvoir, comme ce fut le cas en Italie et plusieurs fois déjà en Allemagne.

Mais si vous remplissez cette tâche « modeste », nous réaliserons, dans notre lutte, dans la lutte difficile, la plus grande alliance que le monde ait jamais vue : l’alliance des peuples de l’Extrême-Orient avec le régime de la dictature du prolétariat dans l’Union Soviétiste et avec le prolétariat en lutte des pays de l’Europe Occidentale. Si nous réalisons cette alliance, nous atteindrons notre but et réaliserons nôtre tache fondamentale : le communisme célébrera sa victoire internationale définitive. (Applaudissements enthousiastes.)

KOLAROV. — La séance est terminée, La prochaine séance aura lieu demain matin, à 10 heures.

3.

Discours de clôture de Boukharine[modifier le wikicode]

Camarades, la discussion a montré qu’en somme, nous sommes sur un terrain ferme.

Plusieurs camarades ont apporté des adjonctions, mais, dans les principales questions de principe, la discussion a révélé une unité complète. Plusieurs des adjonctions proposées sont justes et acceptables. Mais si on les insère toutes dans les thèses, celles-ci deviendront fort volumineuses. La commission politique doit résoudre cette question. Ensuite, elle présentera ses conclusions à l’assemblée. Ne pouvant analyser toutes les adjonctions, je me limiterai aux principales questions de la discussion.

Les antagonismes entre l’Europe et l’Amérique et les antagonismes internes de l’Europe[modifier le wikicode]

Tout d’abord, j’aborderai la situation internationale et son appréciation générale. A ce sujet, je répondrai surtout au camarade Treint, quoique d’autres l’aient déjà fait.

Treint s’est livré à une préparation d’artillerie. Il a prétendu que le projet de thèses passe sous silence une des principales questions qui, à son avis, est la principale : les rapports entre l’Europe et l’Amérique. D’après lui, il n’est pour ainsi dire pas question de l’Amérique dans les thèses. Mon analyse, soi-disant, ne « donne pas de place à l’impérialisme le plus monstrueux et le plus puissant du globe ».

S’il en était vraiment ainsi, les thèses seraient à mettre au pilon. Aussi, je dois demander à Treint de faire lui-même ce qu’il exige de nous : faire des citations sans les défigurer. Dans l’introduction à mes thèses, vous trouverez deux affirmations :

1° Que l’hégémonie de l’économie mondiale appartient aux Etats-Unis. Est-ce une preuve que je passe sous silence l’Amérique ? Ce n’est pas mon avis. Si Treint le comprend autrement, c’est que son entendement est vraiment singulier.

2° Que le capital américain joue dans le monde un rôle tout à fait exceptionnel. Est-ce que la constatation de ce fait ne dit rien ?

Encore une remarque, qui a plutôt trait à la forme. Treint a fait allusion au passage de mon discours où il est question de l’existence de « deux pôles d’attraction » dans la situation mondiale : les Etats-Unis et l’U. R. S. S. En réalité, j’ai parlé de deux « Unions ». Tous les camarades l’ont entendu. Et après cela, Treint ose affirmer que j’ai quasiment passé sous silence la question de l’Amérique. Il parle de ces « deux pôles d’attraction » comme s’il avait été le premier à les découvrir. Pour employer un euphémisme, je dirai que cela ne correspond pas à la réalité.

Passons au contenu du discours de Treint. Le camarade Treint est plein — comment le dire — d’élan intellectuel. (Voix : « Elan vital ! ») Il exagère, avec beaucoup « d’élan », les tendances réelles de la vie : il aime le mot « monstrueux » et autres expressions énergiques. J’ai lu attentivement son discours et c’est pourquoi je peux le citer. Voici quelques-unes de ses principales thèses :

« Objectivement, il y a une base immense pour la construction d’une solidarité capitaliste européenne afin de contrebalancer les Etats-Unis ».

Là-dessus, Treint affirme que les contradictions au sein de l’Europe occidentale sont éclipsées par l’antagonisme fondamental entre l’Amérique et l’Europe. Dans une certaine mesure, Treint a raison de situer cet antagonisme au premier plan. Comme dans toute erreur, il y a dans celle-ci un brin de vérité. Mais quelle est l’erreur de Treint ? Il faut la tirer au clair pour que Treint ne vienne pas répéter à la prochaine session de l’Exécutif ce qu’il ressasse depuis six mois.

Je relève deux fautes essentielles dans l’analyse de Treint. L’une d’elles consisteà ériger une tendance en un fait accompli. Notre erreur est de confondre grand antagonisme avec antagonisme aigu. Lorsqu’il s’agit d’antagonisme entre les puissances impérialistes, il faut distinguer ces deux choses, je vous le montrerai par deux exemples.

1° Lors de l’occupation de la Ruhr, le principal antagonisme, au point de vue ampleur, n’était-ce pas l’antagonisme entre l’Europe et l’Amérique ? Certainement. Cependant l’Amérique ne marchait pas contre l’Europe et réciproquement. Quant à l’antagonisme franco-allemand, il détermina l’occupation de la Ruhr. L’antagonisme entre la France et l’Allemagne avait un caractère plus aigu, mais l’antagonisme entre l’Amérique et l’Europe était plus vaste. Ampleur et acuité sont deux choses différentes.

2° Prenons l’antagonisme, le plus grand qui soit, entre les Etats capitalistes et l’U.R.S.S. Quel est, en effet, le plus grand antagonisme ? Celui qui divise les Etats capitalistes, ou celui qui existe entre l’ensemble de ces derniers et l’U. R. S. S. ? De la solution de ce dernier antagonisme dépend, en définitive, la victoire du capitalisme ou du socialisme. L’occupation de la Ruhr fut la suite ou la reprise de la guerre contre l’Allemagne. Quant à l’U. R.: S. S., ni la France, ni les autres Etats européens ne lui ont fait la guerre. Une fois de plus, nous soyons que la profondeur, l’ampleur d’un antagonisme ne correspond pas à son degré d’acuité. Ces deux notions ne se .confondent pas. La bribe de vérité que renferme l’analyse de Treint est la compréhension du fait que l’antagonisme entre l’Amérique et l’Europe sur l’arène mondiale, dans toute l’économie mondiale, a pris un caractère gigantesque. Son tort est de confondre l’ampleur de l’antagonisme avec son degré d’acuité. Ainsi, la Ruhr fut occupée, mais il n’y eut ni guerre contre l’U. R. S. S., ni guerre entre l’Europe et l’Amérique... Or, est-ce que, dans un avenir immédiat, une guerre ne peut éclater entre l’Italie et la France ou entre la France et l’Angleterre ? C’est ainsi qu’il faut poser la question. Treint la pose autrement. Il estime quecette perspective est exclue. Selon lui, l’antagonisme entre l’Amérique et la Paneurope éclipse tout le reste. Sous ce jour, « tous les chats lui semblent gris », les autres nuances lui échappent. Mais un homme politique ne peut poser la question ainsi.

Dans ce cas, la faute théorique devient une faute pratique, engendrant une grande faute politique. Car il existe actuellement un antagonisme violent entre les Etats européens. En Italie, règne aujourd’hui un état d’esprit belliqueux. En France, il est même des cellules communistes qui votent des résolutions favorables à une guerre contre Mussolini. Ces manifestations équivalent à un soutien du gouvernement français et il faut évidemment les condamner résolument. Mais il est incontestable qu’il y faut voir un écho de l’état d’esprit belliqueux de ce qu’on appelle l’opinion publique. Le camarade Treint est membre du parti français qui, avec le parti italien, a lancé un appel contre le danger d’une guerre franco-italienne.

Pourquoi ces deux partis, pourquoi les autres partis communistes européens n’ont-ils pas lancé un appel contre le danger de guerre entre l’Amérique et la Paneurope ? Pourquoi Treint n’a-t-il pas fait de proposition dans ce sens ? N’est-ce pas, entre autres, parce que la Paneurope n’existe jusqu’à présent que dans l’imagination de Treint ? Or, il est fort difficile de faire la guerre si un des belligérants supposés est inexistant. Treint voit une menace aiguë dans l’antagonisme entre l’Amérique et l’Europe. Je ne veux pas du tout dire, qu’en cas de guerre entre l’Amérique et l’Europe, cette guerre ne sera pas plus monstrueuse, plus dévastatrice qu’une guerre entre, par exemple, l’Italie et la France. Mais il s’agit là d’une question bien différente ; l’ampleur et la portée des conséquences de guerre éventuelle, et non- les dangers et perspectives de guerres prochaines.

Ma conclusion est la suivante : dans un avenir immédiat, une guerre est possible entre certains Etats européens, et ce n’est que plus tard que peut éclater une guerre entre l’Europe et l’Amérique. Nous sommes plus près d’une guerre en Europe que d’une guerre entre l’Europe et l’Amérique. (Interruption : « La perspective de guerre en Europe ! »)

Je répète que les perspectives de guerre entre les puissances européennes ou entre les puissances européennes et l’U. R. S. S. sont plus plausibles que les perspectives de guerre entre l’Europe coalisée contre l’Amérique.

La Paneurope et l’ultra-impérialisme[modifier le wikicode]

La Paneurope, c’est-à-dire une alliance d’un type quelconque entre les puissances impérialistes de l’Europe, est- elle possible ? A mon avis, elle l’est dans un certain sens. J’en reparlerai plus loin. Mais nous ne devons pas envisager la question dans une forme générale, nous devons analyser la situation actuelle. La question est de savoir si cette, alliance des puissances capitalistes européennes est possible dans une période; rapprochée ? Or, il faut répondre par la négative. Treint a cité Lénine. C’est une habitude en vogue. Dans la Paneurope, comme en Amérique, il se trouvera toujours quelqu’un pour se référer à telle ou telle citation de Lénine. Mais tous ceux qui ont lu l’article de Lénine, sur les Etats-Unis d’Europe savent à quoi s’en tenir. Lénine parle de la possibilité d’union des: impérialistes européens en une combinaison provisoire dirigée en premier lieu contre la révolution socialiste. ‘

Dans une guerre contre l’U. R, S. S., une union de ce genre des puissances capitalistes est-elle possible ? Je suis convaincu que oui. Nous avons eu des exemples analogues. Prenons seulement l’expédition des Etats européens contre la Chine, que dirigèrent les généraux de Guillaume II. Cette expédition fut entreprise de concert par les civilisateurs européens contre ces « barbares de Boxers ». Une action commune des gouvernements « civilisés » contre les Attila bolchéviks est-elle possible dans un avenir rapproché ? Oui. Mais toute la question n’est pas là. Treint ne parle pas d’union provisoire contre l’U.R.S.S., il pose dans toute son ampleur le problème de l’union paneuropéenne, c’est-à-dire de la formation d’une coalition de tous les États d’Europe, de leur fusion économique. C’est ce que prônent les prophètes de « l’idée » paneuropéenne. A mon avis, dans les conditions actuelles, cette coalition est impossible. « En général », elle est possible d’une façon purement « économique ». En cas de guerre entre les différentes puissances impérialistes européennes, il y aura des vainqueurs. Il est probable que ces vainqueurs mettront la main sur certains États, et qu’une hégémonie nettement marquée des puissances victorieuses s’établira. Si l’on; admet une série de guerres et la centralisation des puissances par les guerres et par les accords, on en arriverait, en fin de compte, à une Paneurope. Mais cela ne serait possible qu’en cas d’absence de facteurs comme la classe ouvrière révolutionnaire, ses insurrections, etc... Le processus serait le même que celui qui se produit lors de la réorganisation de l’industrie, quand les grandes organisations engloutissent les plus faibles. Mais cette façon de poser la question, surtout à notre époque, après la première guerre impérialiste, serait foncièrement erronée. Deux ou trois guerres encore, et les puissances capitalistes ne pourront certainement plus exister. C’est pourquoi, en tant que perspective, réelle, le paneuropéanisme est impossible. Car la victoire du prolétariat se produira plus tôt que la constitution de la Paneurope. La guerre exigera d’immenses sacrifices du prolétariat. Or, son niveau politique actuel n’est plus celui de 1914. C’est une des raisons sérieuses pour que la bourgeoisie ne déclenche pas volontiers une guerre. La première guerre impérialiste, a fait surgir l’U. R. S. S. La seconde guerre impérialiste provoquerait de plus vastes bouleversements. Néanmoins, les antagonismes entre puissances impérialistes sont si profonds que des guerres sont inévitables.

Treint a rassemblé une grande quantité de matériaux. Il a cité des articles de dirigeants politiques, les points de vue de banquiers, d’hommes d’Etat, d’intellectuels qui font « opinion publique », etc... Mais pourquoi n’a-t-il pas analysé les plans, tout à fait concrets dont on parle actuellement avec insistance ? Prenons seulement le plan du Congrès paneuropéen de Vienne. Pourquoi propose-t-il un plan de Paneurope d’où l’Angleterre est exclue, Pourquoi l’Italie est-elle ennemie de la Société des Nations ? Pourquoi la Société des Nations est-elle si affaiblie ? Pourquoi l’« Entente » se désagrège-t-elle ? etc., etc... Il faudrait appuyer davantage là-dessus. Treint déclare que les capitalistes européens ont une forte idée organisatrice, qui se développe constamment. Personne ne niera l’existence d’une tendance de ce genre. Mais elle a sa contretendance. Il y a des antagonismes que Treint ne veut pas voir. Il est l’accord avec nous que la stabilisation du capitalisme est relative, mais en faisant fi des antagonismes, il attribue un tout autre caractère à cette stabilisation. Quelle a été la manifestation la plus « vive » de cette idée « organisatrice », « constructive » ? La. Société des Nations ? C’est pourquoi la socialdémocratie de tous les pays a fait tant de bruit à ce sujet ? On a fondé des espoirs sur la Société des Nations, Mais aujourd’hui, ces espoirs perdent leur base relative. Fallait-il analyser ce fait ? Selon moi, il le fallait.

Treint a polémiqué contre les déductions que j’ai faites concernant l’instabilité particulière des groupements d’Etats actuels, Treint estime que c’est là un truisme qu’il est superflu de démontrer (quoique ce « truisme » contredit à fond la conception de Treint lui-même).

Prenons seulement le dernier fait ; l’accord de Thoiry entre la France et l’Allemagne.

Toute la presse dit maintenant que l’affaire n’est pas si simple qu’elle le paraît. J’indique dans mes thèses que le rapprochement franco-allemand constitue l’axe autour duquel s’effectue un grand regroupement de forces, mais de tels rapprochements sont, très relatifs. Récemment les faits; ont démontré la justesse de notre analyse sur la précarité de ces regroupements, pourquoi Treint l’oublie-t-il ?

Encore une remarque, Treint, polémiquant avec moi au sujet des rapports entre l’Europe et l’Amérique déclare : le « fordisme », ce n’est pas seulement la « rationalisation » mais aussi les hauts salaires et autres bonnes choses. C’est beaucoup exagérer. Les faits parlent autrement. Voilà deux ans qu’en Amérique les salaires n’ont pas augmenté. Or, ce furent les années de la rationalisation. Il n’est question que de la politique des hauts salaires en Amérique. Or, les hauts salaires américains sont les résultats: d’une révolution historique antérieure. En Amérique, il n’y a pas eu, pour ainsi dire, de féodalité; l’évolution de l’Amérique se distingue foncièrement de celle des autres pays. Le rapport entre l’offre et la demande de main-d’œuvre sur le marché du travail s’y est établi autrement qu’en Europe. Les hauts salaires furent dictés par cette nécessité et non par les qualités philanthropiques du capitalisme américain. Voilà une raison. Une autre est que, en analysant ces faits, il ne faut pas oublier que l’intensité du travail en Amérique est beaucoup plus grande qu’en Europe. Peut-on dissimuler que les ouvriers en Amérique s’usent beaucoup plus vite qu’en Europe ? Malgré cette utilisation « complète » de la main-d’œuvre, on n’y fait nullement une politique d’augmentation des salaires et de baisse des prix. Tous les bavardages des partisans de l’« américanisation », qui cherchent à montrer aux ouvriers que tout va pour le mieux en Amérique, taisent ces circonstances. Treint fait de même.

Le problème « paneuropéen » est lié à celui de l’ultra-impérialisme. Il faut poser la question ainsi : L’organisation d’un trust mondial de tous les Etats Capitalistes est-elle possible ? Une fois de plus, je répète, en partie, ce que j’ai dit au sujet de la Paneurope : En général, si l’on, fait abstraction d’un facteur comme le prolétariat, la formation d’un tel trust est possible. Certains Etats mettraient la main sur les autres. Il se peut que l’Amérique remporte la victoire sur quelques Etats, que d’autres concluent des alliances, etc., etc... Si l’on considère ce qu’il y aura dans cent ans, en négligeant un facteur tel que le prolétariat, il y a des chances pour que cette centralisation du capital sur le plan mondial finisse par s:accomplir.

Mais cette façon « générale » de poser la question pèche par le fait quelle ne tient aucun compte de la classe ouvrière et de la révolution prolétarienne. C’est là « l’unique » défaut de cette conception.

L’évolution actuelle est extrêmement contradictoire : elle promet toute une suite de crises formidables. Dans ces conditions, étant marxiste, on ne peut d’aucune façon négliger le prolétariat en tant que facteur. Une guerre européenne amènerait de grandes révolutions prolétariennes, bouleverserait la situation mondiale et le résultat serait que la dictature du prolétariat existerait non seulement dans l’U.R.S.S. C’est pourquoi aucun ultra-impérialisme n’est possible, fut-ce dans cent ans. C’est pourquoi, seule, la dictature du prolétariat peut réaliser l’organisation de l’économie mondiale. Treint n’aperçoit aucune de ces contradictions. Il ne voit pas que l’Europe porte en elle des guerres internes. A ses yeux, l’antagonisme entre l’Europe et l’Amérique cache tout le reste. Je ne m’oppose pas à ce que nous traitions plus en détail la question de l’Amérique dans les thèses. Mais, dans ce cas, nous devrons nous arrêter davantage sur les antagonismes de l’Europe et intercaler dans les thèses d’autres additions, comme celles de Kolarov sur les antagonismes dans les Balkans, ou développer le thème des antagonismes dans la Méditerranée, etc.

Je m’en tiendrai là dans ma polémique contre Treint. Je dois ajouter qu’en général le discours de Treint m’a fait bonne impression. Quoiqu’il donne une solution fausse de tous ces problèmes, il est certain qu’il les médite, Or; aujourd’hui, c’est déjà une grande qualité.

Le caractère de la crise actuelle du capitalisme[modifier le wikicode]

Je passe maintenant à la définition du caractère de la crise actuelle. Quelle est la distinction fondamentale dans l’appréciation de la crise actuelle du capitalisme entre nous et la social-démocratie ? Elle consiste, à mon avis, en ce que la social-démocratie a tendance à représenter cette crise comme une crise de surproduction normale. Quant à nous, nous soulignons que les résultats néfastes de- la guerre et de la période d’après-guerre jouent le rôle principal dans ces crises et ces convulsions. Voilà notre principale divergence. Mais s’ensuit-il que nous nions la croissance de l’appareil de production ? J’estime que non. Nier l’accroissement de l’appareil de production serait une erreur. Car il est un fait. Il y a parmi nous plusieurs nuances quant à l’évaluation de la croissance de l’appareil de production. A mon avis, en ne peut taxer de social-démocrates ou de kautskistes des camarades, simplement parce qu’ils exagèrent un peu. J’ai déjà dit dans mon rapport écrit qu’il peut y avoir diverses nuances dans l’appréciation de la croissance de l’appareil de production.

Nous parlons d’appareil de production. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Peut-être que certains camarades estiment que cette question est futile, n’empêche que le point de vue duquel nous considérons l’appareil de production a beaucoup d’importance. On peut parler de l’appareil de production du point de vue de sa valeur, du point de vue financier : on pourrait prendre le bilan de différentes entreprises, regarder la colonne de l’amortissement, la colonne des placements de capital et en déduire les modifications de l’appareil de production. Il s’agira alors de la valeur de l’appareil de production.

Il en est tout autrement de l’appréciation de l’appareil de production, du point de vue du matériel, du point de vue de la quantité de machines.

Un troisième point de vue consiste enfin à examiner l’appareil de production du point de vue de sa puissance.

Ces points de vue sont loin d’être identiques. Il ne faut pas les perdre de vue, car certains identifient l’augmentation de l’indice de puissance de production avec l’accumulation, c’est-à-dire l’augmentation de la somme des Valeurs existantes. C’est faux. Il est faux également de confondre la quantité des machines et de matériel avec la puissance de production. Lors de grandes modifications techniques, la quantité de machines et d’instruments peut diminuer et la puissance de production augmenter.

Dans de telles conditions, l’écart entre la puissance de production et la capacité d’achat peut sensiblement s’accroître. Ainsi la question de l’appareil de production ne se résout pas si facilement qu’on pourrait le croire à première vue. Je crois que cette complexité embrouille la discussion, parce qu’on n’opère qu’avec la notion d’appareil de production, sans spécifier de quel point de vue on le considère.

Cependant, en expliquant les crises, il faut avoir en vue que dans l’accroissement des antagonismes entre la production et la demande, un grand rôle est dévolu à toutes sortes de perfectionnements techniques, car l’appareil, quant à sa quantité et à sa valeur, peut s’accroitre plus lentement que sa puissance de production.

Je ferai encore une seconde remarque. Parlant de l’appareil et des forces de production, Lominadzé pose la question ainsi : les machines qui ne travaillent pas ne peuvent être considérées comme des forces de production. Il y a là une parcelle de vérité, mais la demivérité, c’est l’erreur, .Marx a donné l’analyse de cas de ce genre. Sur quoi s’appuie Lominadzé ? Pour lui, il revient au même que la machine n’existe pas où quelle existe, si elle est inactive. Mais on comprend aisément que ce sont deux choses différentes. Personne ne peut dire qu’il est identique de posséder une machine, même ne marchant pas, ou de n’en pas posséder. Car, dans ce dernier cas, je dois fabriquer ou acheter la machine, et pour cela il me faut de l’argent. Il ne faut pas oublier cette différence. Il s’agit de savoir comment, avec sa façon de poser la question, Lominadzé formulerait le principal problème de la contradiction entre les forces de production et la capacité de consommation. De son point de vue, il n’y a là aucune contradiction. Puisque les machines sont immobilisées, il n’y a aucune contradiction entre les machines inactives et la capacité d’achat. Or, considérant toutes les machines arrêtées comme inexistantes, il annule du même coup notre façon de poser la question. A l’écouter, il n’y a pas de situation où existe une contradiction entre la puissance de production et la capacité d’achat de la population. Voilà les « conséquences de la rationalisation », chez Lominadzé.

A mon avis, il y a dans sa conception un grain de vérité : une machine en activité n’est pas la même chose qu’une machine inactive. Mais échafauder là-dessus des déductions comme le fait Lominadzé, c’est tomber dans une sorte de « déviation » de « gauche », ou de « droite », ou « centriste », je ne sais déjà plus.

J’estime juste l’affirmation que le capitalisme ne joue pas aujourd’hui un rôle progressif. Aussi, lorsque, dans les commissions de la session, les camarades Sud-Américains parlent du rôle progressif du capitalisme dans certaines régions coloniales, je ne puis partager leur opinion. Aujourd’hui, il n’est plus possible de parler du rôle progressif du capitalisme en tant que système, car maintenant le centre de gravité est passé dans la lutte entre le capitalisme et le socialisme. Nous avons déjà un. État socialiste. Une nouvelle situation se crée, dans laquelle les communistes ou les organisations communistes doivent lutter contre les capitalistes pour l’influence sur les pays que le capitalisme n’à pas encore gagnés ou n’a que peu influencés. Prenons la Chine, par exemple, et les perspectives de son évolution, Dans de telles conditions, et surtout dans les pays coloniaux, il est inadmissible de parler du rôle progressif du capitalisme en général. D’ores et déjà, il y a rivalité entre le mode de production socialiste et le mode de production capitaliste, tandis, qu’autrefois il n’y avait rivalité qu’entre les modes de production féodal et capitaliste. La principale rivalité est désormais celle qui oppose le mode de production socialiste au mode de production capitaliste. Néanmoins, il est complètement faux d’affirmer que le capitalisme n’est plus capable de faire des améliorations techniques. Il est absurde de dire que l’amélioration technique des machines est impossible parce qu’elle dessert un capitalisme en putréfaction. Il faut distinguer entre le rôle historique mondial du capitalisme et l’appréciation de certains facteurs techniques. Le capitalisme peut encore, évidemment, faire des améliorations techniques. A ce sujet, Trotski se trompe également lorsqu’il dit que si le capitalisme dans son ensemble se décompose, il est absolument incapable de développer les forces de production. On ne peut poser la question ainsi. Toutefois, le perfectionnement technique ne permet pas de parler d’un rôle progressif du capitalisme.

La stabilisation et les fautes de Riese[modifier le wikicode]

Je passe maintenant à la question de la stabilisation. Je dois constater en premier lieu — et tous les camarade seront l’accord avec moi — que dans les conditions actuelles, au point où en est notre travail, il faut disséquer, différencier, la question de la stabilisation. Il va de soi qu’il faut faire aussi des conclusions générales.

Que dire des discours des camarades Bittel et Riese ? Je pense que, ni l’un, ni l’autre, ne se fâchera de cette juste position : je ne l’ai fait que pour utiliser le temps et non à cause d’une parenté inexistante de leur position.

Bittel a déclaré que certains des chiffres que j’ai cités, notamment les chiffres sur le commerce mondial, sont faux. Il tire de là certaines déductions. En ce qui concerne les chiffres, je dois constater qu’ils sont assez imprécis, Varga peut vous le confirmer. Ces difficultés surgissent du fait que, pour compter les diverses devises, il faut ramener à un même dénominateur, ce qui est extrêmement compliqué.

Les données puisées à différentes sources ne concordent pas. Cela a permis à Bittel de dire que nos chiffres sont faux. Mais admettons que les chiffres soient faux dans la mesure où l’estime Bittel. Je lui fais cette concession, et, néanmoins, j’estime que cela ne réfute pas mes thèses. Les chiffres peuvent être au-dessus de la réalité, mais une chose est certaine : la courbe du développement a, durant ces dernières années, une marche ascendante. Vous pouvez le constater en prenant les chiffres à n’importe quelle source. Or, c’est ce qui est décisif. Dans l’appréciation qualitative de ces chiffres, nous pouvons nous tromper, certaines erreurs sont très probables, mais la marche ascendante de la courbe n’est pas contestable. Et c’est là l’essentiel.

Maintenant, voyons les observations de Riese. Il veut « sauvegarder les principes », et ces principes vont jusqu’à nier purement et simplement la stabilisation. Il estime que la stabilisation a été « inventée » par les éléments de droite, ceux d’Allemagne notamment. Admettons-le. Mais alors, pourquoi Briand est-il allé chez Stresemann, si la stabilisation n’est que fantaisie ? Est-ce que le Conseil des ministres français doit obéir aux communistes de « droite » ? Je ne le crois pas. Ils ne sont pas assez forts pour dicter leur volonté aux gouvernements capitalistes. D’où proviennent des faits tels que le cartel de l’acier ? De la façon dont vous posez la question, vous ne pourrez jamais l’expliquer. Chez vous, tout reste immuable, tandis qu’en réalité tout évolue. Le regroupement des divers Etats a une base matérielle. Il n’est pas contestable que l’Allemagne joue actuellement, dans le « concert européen », un rôle plus important qu’avant. On doit en rechercher la base économique. Si la base économique reste immuable, d’où viennent les grands regroupements parmi les Etats ? Peut-on purement et simplement nier la transformation technique, la trustisation de la production, la stabilisation des changes, etc... ? Si ce n’était tout cela, nous aurions en Allemagne une situation directement révolutionnaire. Malheureusement, cette situation existe à peu près comme la Paneurope de Treint. L’ex-camarade Maslov dit que toutes perspectives révolutionnaires en Allemagne sont exclues pour des dizaines d’années. Nous ne partageons pas son avis, mais il est étonnant que Riese, assez proche du groupe Maslov, n’ait pas dit un mot de cette conception. A moins que ce « Chef », exclu du parti pour sa philosophie et son activité anticommunistes, n’ait vraiment émis une grande vérité en disant que la révolution est exclue pour des dizaines d’années. Nous voulons que Riese nous dise s’il partage ces conceptions. En présence de telles questions, on ne doit pas se taire. Si l’on ne dit rien, c’est tout ce que l’on voudra, sauf une discussion de principe.

Dans mon discours à la Conférence du parti, j’ai dit que la révolution mondiale marche en trois colonnes : l’Union Soviétiste, où s’exerce la dictature du prolétariat ; la Chine et l’Angleterre. Cela ne veut pas dire que l’Europe centrale n’est pas grosse de révolutions. Elle l’est, l’Allemagne également. Mais cela est indissolublement lié à l’aggravation des antagonismes sur le fond d’une stabilisation relative.

Tels sont les traits principaux de la situation actuelle. Ils expliquent les grands changements survenus dans l’arène internationale et dans le rapport interne des forces de classe, notamment dans le prolétariat. Dans sa façon de voir, Riese ne donne aucune explication de ces facteurs primordiaux.

Notre attitude envers la stabilisation capitaliste[modifier le wikicode]

Je passe maintenant à un autre problème : la rationalisation. Tout d’abord je déclare : la rationalisation « neutre » n’existe pas. La rationalisation est un phénomène qui s’accomplit dans des conditions bien définies : ou bien dans le système capitaliste ou bien dans le système socialiste, ou bien dans un système mixte. Mais la rationalisation, en dehors des conditions ou elle se produit, la rationalisation neutre n’existe pas, de même que, par exemple, les perfectionnements techniques (je ne parle que de cette partie de la question) se produisent toujours dans un certain milieu social, non dans le vide. Jamais les machines n’ont été appliquées en dehors de toutes conditions : on les emploie soit dans les conditions capitalistes, soit dans les conditions socialistes. La machine est la base technique d’une organisation sociale. Or, sans hommes, la machine ne peut fonctionner. Si, par exemple, Riese parvient à envoyer une machine dans la lune, elle y restera, non pas en tant que machine, mais en tant que corps physique. La machine ne fonctionne que lorsqu’elle fait partie d’une organisation sociale. Maintenant, je passe aux perfectionnements techniques.

Il faut que j’en parle un peu plus en détail. Schuller a donné une citation de Marx selon laquelle il faut distinguer entre la machine dans les conditions capitalistes et la machine dans les conditions socialistes. Il est évident que Marx avait raison, et, dans la mesure où Schuller a répété ce qu’a dit Marx, il a aussi raison. Mais les communistes ont-ils dit jamais qu’ils sont adversaires de l’introduction des machines ? Jamais ils n’ont rien écrit de semblable. Ont-ils écrit qu’ils sont pour les améliorations techniques capitalistes ? Jamais non plus. Il y eut de ces tendances, mais elles avaient un caractère bourgeois, elles déduisaient du rôle progressif du capitalisme une politique de soutien du capitalisme, une politique qui devait consister à se soucier du « progrès capitaliste ». Ce n’est pas un point de vue révolutionnaire, mais un point de vue bourgeois.

Dans le discours de Jacquemotte, il y a une certaine possibilité de déduire la nécessité de soutenir l’introduction des machines, bien qu’il ait parlé des étapes passées du capitalisme. Dans les conditions du capitalisme, nous ne pouvions le faire avant et ne pouvons le faire maintenant. Nous ne devons jamais adopter une attitude positive dans cette question. Les capitalistes doivent s’en, soucier et non les ouvriers. L’économie capitaliste a été « meilleure » que le système féodal. Mais ce n’est pas une raison pour se faire défenseurs du capitalisme. Les populistes russes disaient à nous autres, marxistes, que nous devons jouer inévitablement ce rôle. Au contraire, nous avons toujours dit que les divers perfectionnements, les formes économiques progressives, etc., ne nous regardent pas, ne concernent pas les révolutionnaires prolétariens. Notre tâche consiste à organiser, à grouper la classe ouvrière pour renverser l’ordre capitaliste.

Telle fut également notre position dans le passé. Nous avons constamment partagé le point de vue de la nécessité de la révolution et, à ce but principal, nous avons subordonné tous les autres. C’est pourquoi notre ligne est parfaitement claire. Le développement du capitalisme est l’affaire des capitalistes. Notre tâche est d’organiser le prolétariat et de profiter de toutes les difficultés qui se dressent devant les capitalistes pour les combattre. C’est ainsi que nous posons la question. On peut nous objecter qu’il en était ainsi à l’époque de l’ancien capitalisme, et que l’époque actuelle, c’est l’époque du déclin du capitalisme. Pour toute réponse, je ne puis que m’en rapporter à Lénine. Il écrivait, en 1916, que nous ne pouvons lutter contre la machine. C’est pourquoi, en l’occurrence, l’argument du déclin du capitalisme est déplacé.

On peut dire qu’aujourd’hui l’introduction des machines a des conséquences particulièrement graves qui n’existaient pas auparavant. Mais ce n’est pas juste. A l’époque du capitalisme primitif, lorsque l’introduction des machines ne faisait que commencer, elle ruinait de grandes catégories de gens. Les tisserands de Hauptmann en sont une illustration classique. Si, dans notre propagande, nous défendions la thèse que nous avons maintenant des résultats plus graves, ce serait édulcorer toute l’histoire du capitalisme.

D’autre part, il y a évidemment une grande différence entre la rationalisation actuelle et l’ancien état de choses. La différence ne consiste pas en ce qu’il y a quelque chose d’essentiellement nouveau : presque tous les éléments de ce processus existaient avant : nouvelles machines, système de la chaîne, taylorisme, intensification du travail, tout cela existait, et il n’y a là rien d’essentiellement nouveau. Ce qu’il y a de nouveau, c’est que ces méthodes sont appliquées dans des conditions particulières, dans la situation particulière du capitalisme lui-même, de la lutte de classe. Ce qu’il y a de nouveau, c’est le milieu social, la situation concrète du capitalisme et des classes. Et le fait qu’il s’agit maintenant d’une lutte directe contre le capitalisme, qu’il y a une immense armée de chômeurs, une offensive du capital masqué, par le mot d’ordre de rationalisation, tout cela est nouveau et découle de la situation particulière du capitalisme, de la lutte actuelle des forces sociales. Dans de telles conditions, il faut poser la question de la façon suivante : Comment formuler nos objectifs et nos mots d’ordre pour gagner les masses ? Voilà l’essentiel. Tout le reste n’a qu’une importance secondaire. Notre principal objectif est la conquête des masses. Tous les mots d’ordre partiels doivent s’y confirmer. C’est de ce point de vue qu’il faut avant tout considérer la question. En somme, on peut distinguer deux côtés du processus unique de rationalisation. Je souligne, de l’unique processus de rationalisation :

1° Le côté tactique et le côté organisation qui a aussi des conséquences économiques ;

2° Le côté social.

Ce sont deux aspects d’un seul et même processus.

Le côté technique et le côté organisation consistent en l’application de nouvelles inventions, machines, appareils, de nouvelles méthodes (je ne dis pas qu’elles soient bonnes ou mauvaises) d’organisation du travail, de nouveaux rapports entre les ouvriers et, en général, entre les hommes qui participent au processus de production. Tout cela constitue la base technique d’organisation.

Mais il y a encore un côté social, qui, en réalité, dans la vie se confond avec le côté technique et le côté organisation.

Le côté social consiste en l’augmentation de l’intensité du travail, l’augmentation de la part de la plus-value (augmentation de l’exploitation de la classe ouvrière), renvoi des ouvriers, proportion modifiée entre le nombre d’ouvriers occupés et celui des chômeurs, etc., etc...

Le fait que tout cela constitue les divers côtés d’un même processus, ne nous donne pas le droit de ne pas distinguer entre les machines et les hommes, entre le côté organisation, le côté technique et le côté social de la rationalisation.

Je pose la question ainsi : où se place le centre de gravité de cette question pour le parti communiste, cette principale force révolutionnaire de la société capitaliste ? A mon avis, le centre de gravité est dans le côté social du processus. Fiala a dit dans son discours que mon point de vue eût été juste pour un Etat socialiste. Mais c’est le contraire qui est vrai. Dans un Etat socialiste, soviétiste, le centre de gravité est dans le côté technique et le côté organisation. Nous luttons pour la rationalisation dans le sens technique, nous introduisons routes sortes de perfectionnements et, de cette façon, nous améliorons la situation de la classe ouvrière. Chez nous, dans l’essentiel, il n’y a pas de contradictions entre le côté technique de la rationalisation et le côté social de la classe ouvrière. Chez nous, la rationalisation se fait pour les ouvriers, pour l’augmentation du niveau des masses et non pour le profit des capitalistes. Dans les Etats capitalistes, le centre de gravité pour les partis communistes est dans le côté social. Fiala n’avait pas raison, car il posait la question à rebours. Je voudrais la poser de façon juste. Si tout le monde est d’accord que le centre de gravité de la rationalisation dans les pays capitalistes est dans le côté social de la question, je poserai une deuxième question : ce fait essentiel ne doit-il pas trouver son expression dans un mot d’ordre correspondant ? Il le doit évidemment. Si nous estimons que le centre de gravité est dans le côté social et non dans la technique et l’organisation, ce fait doit, d’une façon ou d’une autre, se répercuter dans nos mots d’ordre. Je passe maintenant à la stratégie de la social-démocratie. Quel est le point de vue des social-démocrates, quel est leur but ? Les social-démocrates sont pour la stabilisation capitaliste, la rationalisation capitaliste, la transformation des organes ouvriers en organes auxiliaires de tout l’appareil économique capitaliste (sous le mot d’ordre de démocratie économique). Telle est la stratégie de la social-démocratie, telles sont ses conceptions. Sur quoi la social-démocratie spécule-t-elle ? Son calcul n’est pas bête. Nous n’avons pas affaire, dit-elle, aux barbares ouvriers russes, mais à des ouvriers social-démocrates qualifiés, qui ont le sens de la technique, qui ont appris à apprécier les nouvelles machines, les bons instruments, etc., etc... Le centre de gravité dans la social-démocratie, avec son mot d’ordre en faveur de la reconnaissance générale de la rationalisation consiste à utiliser la main-d’œuvre du prolétariat en tant que force auxiliaire de la rationalisation, soulignant dans cette dernière le côté organisation et le côté technique. Cela veut dire que dans les comités d’usines, les syndicats, etc., etc…, ils posent la question de façon à ce que les améliorations techniques, l’organisation nouvelle soient au rentre de l’attention des ouvriers. De la sorte, on peut fort bien duper le monde. On dit aux ouvriers qu’ils doivent encore se résigner à des renvois temporaires, mais que dans quelque temps, ils obtiendront de nouveau du travail, etc., etc...

Il serait dangereux pour nous si dans les comités d’usines et autres organes similaires, la discussion était menée, sur le plan technique et le plan organisation, alors que la socialdémocratie, sous le mot d’ordre de démocratie économique, utilisera justement le côté technique. Nous devons nous garder de tomber dans le piège. Nous devons constamment souligner l’autre côté, le côté social. Au moindre congédiement d’ouvriers au profit des bénéfices capitalistes, nous devons protester. Si l’intensité du travail est renforcée, sans augmentation des salaires, nous devons nous y opposer ; si la situation de l’ouvrier empire, nous devons lutter contre cette aggravation. Bref, nous devons concentrer notre attention sur le côté social de la question et non sur le côté technique. Cette dernière éventualité ferait le jeu de la social-démocratie qui s’efforce d’obtenir la « démocratie économique » au sein du système capitaliste, c’est-à-dire de jouer son rôle de soutien de l’ordre capitaliste. C’est ainsi que j’ai posé la question. Je suis prêt seulement à reconnaître que la formule « lutte contre les résultats de la rationalisation » peut être mal interprétée, car elle peut laisser croire à l’existence de deux processus : d’une part, la rationalisation « en elle-même », et, d’autre part, « dans un délai déterminé, ses conséquences sociales ». J’ai discuté cette question avec les camarades allemands et nous présentons une proposition commune composée de cinq points ci-dessous qui doivent jouer pour nous le rôle de mot d’ordre :

1° Contre la stabilisation capitaliste ;

2° Contre toute aggravation de la situation de la classe ouvrière, grâce au leurre de la rationalisation ;

3° Pour l’augmentation du niveau d’existence de la classe ouvrière ;

4° Pour l’organisation socialiste de l’économie ;

5° Rationalisation socialiste et non capitaliste.

Il est clair que le dernier mot d’ordre a un caractère de propagande, et qu’il découle directement de celui d’organisation économique socialiste. Dans notre formule, « contre toute aggravation de la situation de la classe ouvrière, grâce au leurre .de la rationalisation », nous compromettons par le mot « leurre », tout le processus dans son ensemble, évitant cependant les difficultés dont j’ai parlé... Nous disons, par cette formule, que le centre de gravité pour les partis communistes est dans le côté social de la question. C’est pourquoi j’estime cette formule acceptable : c’est la meilleure que nous avons trouvée. La question est ainsi épuisée. Permettez-moi de vous dire quelques mots sur les autres questions.

La tactique du P. C. français[modifier le wikicode]

La question chinoise, la question du parti chinois et celle du parti anglais seront discutées séparément dans les points de l’ordre du jour. Quelques remarques me paraissent cependant nécessaires sur la tactique de certains partis. Les discours de nos camarades français nous y obligent. Sémard a déclaré contester certaines remarques de mon exposé qui seraient fausses. Le principal point discuté est le suivant : dans les thèses, il est dit, noir sur blanc, qu’au moment critique, le parti n’a pas tout fait ce qu’il devait faire et ne s’est pas nettement rendu compte de la situation. Sémard s’est livré, à ce sujet, à certaines objections sur lesquelles je voudrais m’arrêter.

Tout d’abord, Sémard a fait état des thèses où il est dit que la classe ouvrière n’a pas su se mobiliser. Sémard prétend que cette juxtaposition de mots est absurde, car la classe ouvrière ne peut pas se mobiliser. C’est le parti qui mobilise, et qui doit mobiliser la classe ouvrière. A mon avis, c’est chercher la petite bête.

Pour expliquer ce point, prenons ne fût-ce que la conquête du pouvoir. Nous disons : le prolétariat a conquis le pouvoir (évidemment sous la direction du parti, car, sans le parti, il est impossible, en général, de conquérir le pouvoir). L’argumentation de Sémard, cependant, est également dirigée contre cette formule. Car, comment peut-on conquérir le pouvoir sans mobiliser les forces de la classe ouvrière ?

Il n’y avait, par conséquent, rien d’hérétique dans les thèses. Maintenant, prenons le fond de la question. Je peux déclarer à notre camarade Sémard que j’ai dit ni plus ni moins que ce qu’il a reconnu lui-même. En effet, Sémard, tout, en polémiquant avec moi, a répété sous une autre forme ce que j’avais dit. Il dit, par exemple :

« Notre parti, a ce moment-là, dans ces quarante-huit-heures, entre deux crises, c’est-àdire chute du cabinet Caillaux et venue au pouvoir de Poincaré, eut quelque indécision. Je ne dis pas qu’il fut surpris, mais il n’analysa pas assez rapidement la situation et ne lança pas tout de suite les mots d’ordre correspondants. »

N’est-ce pas abonder dans mon sens ? Sémard dit lui-même n’avoir pas très bien su comprendre la situation, n’avoir pas lancé les mots d’ordre qu’il eût fallu. Or, je n’ai dit que cela. Il est encore un passage où Sémard dit la même chose :

« Sans doute, en raison d’une faiblesse des cadres de notre parti, dans certaines grandes régions de France, et en raison d’une certaine faiblesse de notre appareil de direction, sommes nous lents à mobiliser les masses ouvrières ; nous avons constaté à plusieurs reprises que les instructions données par le centre mettaient trop longtemps pour être communiquées à la base, mais ceci est un défaut de notre parti que nous ne corrigerons qu’en améliorant nos cadres. » Tout cela est juste. Mais, les reproches contenus dans les thèses s’adressent au parti et nullement à d’autres.

C’est pourquoi je suis entièrement satisfait de ce que Sémard a déclaré à cette tribune ; je n’ai rien dit que Sémard n’ait lui-même reconnu, bien qu’il ait polémiqué contre mes remarques.

Quelle était la situation à ce moment ? Il y avait, dans le pays, effervescence générale. C’est un fait incontestable. Le parti n:a pas su voir cette situation et n’a pas fait à temps ce qu’il devait. Ce fut une faute. Nous en parlons non pas parce que nous avons un désir particulier de découvrir des fautes, mais parce qu’il en faut tirer certains enseignements.

Voici un appel du Comité Central du P. C. français qui montre comment on appréciait la situation et comment le C. C. devait se justifier :

« Un vent de panique a soufflé sur le pays... »

Ainsi commence cet appel. Et il-continue :

« Les masses travailleuses furent abasourdies ; elles se montrèrent indécises et restèrent inactives. Elles abandonnèrent la rue aux violences fascistes — »

Ne fallait-il pas, en l’occurrence, parler du parti et non pas de la classe ouvrière ? Cela s’appelle rejeter la faute sur d’autres. Les ouvriers, inquiets, agités, étaient descendus dans la rue. On ne se représente pas une situation où la petite-bourgeoisie est en pleine effervescence et où la classe ouvrière reste dans l’expectative. J’estime que l’appel a été mal conçu. Une telle façon de poser la question mène à l’affaiblissement du prolétariat et nullement à la mobilisation des forces prolétariennes.

Cette petite digression confirme les propres paroles de Sémard. Il est bon de reconnaître franchement et de formuler ouvertement les erreurs.

L’extrême-gauche allemande et le discours de Riese[modifier le wikicode]

Permettez-moi, maintenant, de dire quelques mots sur Riese, que j’ai laissé pour le dessert.

Sérieusement, je ne comprends pas pourquoi Riese a mis son propre programme dans sa poche sans vouloir nous le montrer. Tous ceux qui sont dans cette salle savent que vous avez des idées bien déterminées sur la stabilisation, idées formulées notamment par Maslow. Que vous avez une appréciation précise de la « question russe », dont vous avez voulu, assez longtemps, faire un « atout ». Enfin, que vous avez une appréciation générale du Parti communiste allemand. Je prends, par exemple, la réponse à l’ultimatum du C. C. où le Parti allemand est traité de parti non bolchévik et où vous exprimez vos opinions sur les méthodes de lutte à l’intérieur du parti, sur lesquelles, il est vrai, vous avez dit quelque chose tout à l’heure, mais sans la clarté et les détails nécessaires. Car la « question russe » a joué un rôle éminent dans la lutte intérieure du P. C. A. et dans l’appréciation du P. C. A. lui-même. Or, vous avez parlé de bagatelle et passé complètement sous silence ces grandes questions, comme s’il s’agissait d’une maladie secrète. Est-ce ainsi qu’on pose les questions de principe ? Nous n’entendons pas vous mettre à mort, nous serons modestes, mais nous voudrions connaître le point de vue que vous défendez aujourd’hui. Ce serait utile pour vous et pour nous.

Après que toute la discussion dans le Parti allemand eut été bâtie sur la discussion russe, on ne peut pas dire, comme le camarade Riese, que « nous ne savons pas » ce qui s’est passé en Russie et comment la discussion s’y est déroulée. Personne ne vous croira. Nous sommes prêts à discuter chaque déviation, chaque nuance de n’importe quelle déviation et toutes les questions sérieuses, si aiguës soient-elles. Il se peut que, de retour en Allemagne, vous disiez qu’on ne vous a pas laissé parler. Or, nous voulons que vous parliez. Et vous vous bornez à des futilités. Vous pouvez objecter que nous discuterons plus tard la question russe. Mais nous avons touché cette question dans notre discours, dans la discussion et dans les thèses. Chaque parti communiste doit, dans sa politique, partir de l’appréciation de l’activité générale de l’I. C. Il est clair pour tout le monde que le fait de négliger l’Union Soviétiste marque une transition à de tout autres positions. Car cette appréciation a un rôle des plus importants. Si, par exemple, nous voyons des préparatifs de guerre contre l’Union Soviétiste et si vous considérez notre pays comme un pays capitaliste ou quasi-capitaliste, si vous considérez notre dictature non comme une dictature du prolétariat, mais comme une dictature de koulaks et semi-koulaks, vous ne saurez en aucun cas nous défendre, vous devrez, si vous voulez être honnête envers vous-même, vous prononcer contre le soutien de l’U. R. S. S. Korsch a été logique et il a dit : si le Parti communiste allemand défend dans une guerre l’Union Soviétiste, cela équivaudra à la défense de la patrie impérialiste par la social-démocratie allemande en 1914. Korsch est logique, on peut le comprendre.

Dans de telles questions, s’il est permis de se tromper, il ne faut jamais se taire. Une position « neutre » est ici complètement impossible, car chaque question de politique internationale et entre autres de politique étrangère allemande est entièrement déterminée par cela.

Pourquoi parlez-vous d’une nouvelle orientation allemande vers l’Occident, pourquoi pensez-vous qu’elle a une importance essentielle ? C’est absolument superflu : si à l’Est, il y a un pays capitaliste, à l’Ouest un pays capitaliste, on ne peut voir là un changement essentiel et la situation générale reste la même. C’est une des questions essentielles dont l’importance est générale pour l’I.C. Si le P. C. de l’U. S. est un parti koulak ou semi-koulak, on ne peut permettre à ce parti de diriger l’Internationale Communiste. Dans ce cas, il faut disloquer l’Internationale et dire ouvertement : « Nous sommes pour la dissolution de l’Internationale parce qu’elle est corrompue par l’influence du P. C. de l’U. S. » C’eût été conséquent. Si ce que l’on dit sur la dégénérescence et la « koulakisation », est juste, ces conclusions sont excellentes, entièrement justifiées. Peut-on taire de telles questions et parler, au lieu de cela, de la Thuringe et d’affiches à propos du travail aux pièces ? N’est- ce pas vrai ? On m’a donné aujourd’hui le dernier numéro de la Gazette de Prusse où j’ai trouvé un compte rendu de la conférence des partisans de Katz. Les socialistes-révolutionnaires ont parlé à cette conférence. Ils y ont dit que la Russie des Soviets ne vaut pas mieux que les Etats capitalistes, qu’elle en est devenue un. Cette fois, ce sont les socialistes-révolutionnaires qui sont à la conférence, bientôt ce seront les menchévistes. Qu’est-ce que cela signifie ? Il est clair que tous ces hommes aboutissent par des voies différentes à la même conclusion. Il est évident que ces hommes ne sont pas une force ; ils sont isolés et pitoyables. Objectivement ils jouent le rôle d’agents contre-révolutionnaires. Ils raconteront des histoires sur nos prisons, notre G. P. OU., vieille rengaine de tous les partis contre-révolutionnaires. C’est ainsi qu’ils gagnent le pain que leur donne la bourgeoisie. Leur chemin est clair.

Prenons Urbahns et les autres. Dans leur réponse à l’ultimatum du C. C. du P. C. A., ils ont dit : « Effectivement, les fractions sont détestables dans un parti bolchéviste, mais dans un parti non bolchéviste, elles sont excellentes. » Pensez à ce que cela veut dire et vous comprendrez que l’on fait consciemment une politique de scission du P. C. A. qui, de l’avis de l’extrême-gauche, n’est pas bolchéviste. Or, nous voulons bien l’unité des syndicats, mais nous ne fusionnerons jamais avec un parti non bolchéviste. Nous pouvons rester et travailler dans les syndicats réactionnaires, mais quant à adhérer en Europe à un parti politique, peut-être socialdémocrate, en tout cas pas bolchéviste, nous ne pouvons le faire. Il n’y a qu’une exception, c’est l’Angleterre ou le Labour-Party a une structure toute particulière, intermédiaire entre celle d’un parti et celle d’une organisation syndicale. Mais nous ne pouvons adhérer à aucun parti social-démocrate. C’est pourquoi, si c’est l’appréciation que vous vous faites du Parti allemand, et si vous avez tant soit peu de logique, vous devez vous-même l’abandonner. Riese n’a posé aucune de ces questions. C’est très regrettable. Il eût été beaucoup mieux s’il avait expliqué les doutes qui persistent chez les ouvriers d’extrême-gauche. Nous étions partisans de l’invitation des ouvriers d’extrême-gauche, afin d’obtenir de la clarté. Nous étions même prêts à parler de toutes les questions qui éveillent chez eux des doutes. Mais on a parlé ici de toutes sortes de choses, sauf des questions essentielles et décisives.

Quelques mots sur les méthodes d’organisation du Parti allemand. Riese déclare : on exclut sans cesse, ce n’est pas bolchéviste. Riese a dit en passant que Giwan, qui faisait de la propagande pour la nécessité d’une « insurrection révolutionnaire » dans l’U. R. S. S., fut exclu quoiqu’il avait le droit de défendre ses opinions dans le parti. Mais alors, pourquoi n’y inviterions-nous pas Kautsky ? Car il n’y a aucune différence entre Kautsky et Giwan dans cette question internationale et capitale. Y aura-t-il un véritable parti bolchéviste si nous ramassons toutes sortes de résidus ? Evidemment, la liberté dans un parti de ce genre serait très grande, mais ce ne serait jamais un parti bolchéviste. A mon avis, et je le dis franchement, les « korschistes » ne peuvent appartenir à notre parti. Car nous sommes un parti véritablement révolutionnaire et nous chassons les contre-révolutionnaires. (Applaudissements.)

Le système des pires ennemis de la classe ouvrière a toujours été de se dissimuler sous le mot d’ordre de liberté d’opinion.

Il y a bien longtemps, j’ai assisté au Congrès du parti social-démocrate allemand à

Chemnitz — la camarade Clara Zetkin y était aussi — où il fut décidé d’exclure Hildebrand (l’orateur s’adresse à Treint) qui a écrit le premier livre sur les rapports entre l’Europe et l’Amérique. (Hilarité.) Hildebrand légitimait la politique coloniale. Il fut exclu pour cela. A ce moment, toute la meute révisionniste hurlait : « Qu’est devenue la liberté d’opinion ? » Liberté d’opinion, oui, mais liberté d’opinion dans certaines limites. Autrement le parti ne serait pas un parti, mais un rendez-vous de toutes les opinions possibles et imaginables. Liberté d’opinion dans le parti, organisation d’hommes ayant les mêmes convictions. Ainsi, nous concevons la liberté d’opinion. Tout ce qui est en dehors de ceci ne se rapporte pas au parti. Les déviations qui ne heurtent pas les principes du parti ne sont pas la même chose que des divergences dans les questions fondamentales de l’idéologie. Nous réprimons de tels « camarades » par tous les moyens dont dispose notre organisation.

Les pleurs sur l’exclusion du pauvre Giwan sont déplacés. Le parti ferait piteuse figure s’il laissait Giwan dans son sein.

Telles sont les remarques que je voulais faire à propos du discours de Riese.

Pour l’unité monolithique et léniniste de l’Internationale communiste[modifier le wikicode]

Je termine.

Quant à l’importance de notre discussion, j’estime que son niveau a été satisfaisant. Plusieurs questions sérieuses y furent débattues.

La tâche qui se pose devant notre session, au sujet du premier point de l’ordre du jour, consiste à prendre concrètement position dans la question de la stabilisation capitaliste. Lors des précédentes sessions, nous avons parlé de cela d’une façon générale. Maintenant, nous concrétisons nos thèses. Il nous faut désormais une analyse différenciée de la situation mondiale. Quant à nos tâches principales, nous les avons aussi différenciées en mettant en évidence les pays à situation révolutionnaire aiguë. Pour les pays de l’Europe Occidentale, la tâche consiste encore à concrétiser les mots d’ordre généraux qui ont été adoptés avant, par exemple, le mot d’ordre du front unique, etc... Nous éclaircissons maintenant ces mots d’ordre généraux. Je pense également que nous devons concrétiser la question de la bolchévisation des partis. La bolchévisation et le renforcement des partis, voilà notre tâche principale. C’est pourquoi nous devons déclarer bien haut que nous ne tolérerons maintenant aucune fraction dans les partis communistes. (Applaudissements.)

Les fractions qui existaient autrefois dans les divers partis communistes, étaient l’expression de leur faiblesse et non de leur vertu ou de leur largeur de vues. Maintenant nos partis ont grandi et se sont renforcés. Cela doit se traduire dans l’organisation. Nous ne pouvons plus tolérer de tractions dans notre parti. Le temps est passé où nous pouvions le faire. Il nous faut maintenant des partis solides, capables de manœuvrer, forts de leur communauté de conviction, assez unis pour conquérir les masses. Nous disons que la situation est, en somme, favorable à notre parti. La dépression la plus forte est déjà passée. Nous allons de l’avant, sous maints rapports. Nous avons une assez bonne situation dans le monde, nous avons la révolution chinoise, nous avons notre travail d’édification en Russie des Soviets, nous avons la grève anglaise. Si même elle se termine par une défaite — cette perspective n’est pas exclue, et même, grâce à la conduite des chefs, très probable — elle signifie tout de même un immense déplacement en avant dans la classe ouvrière d’Angleterre. Ce déplacement doit mener fatalement à des combats futurs, révolutionner la partie de la classe ouvrière d’Europe qui, naguère, était la plus conservatrice.

Dans l’Europe centrale, nous avons une : situation de plus en plus aiguë, qui se traduit déjà par un mouvement à gauche de la classe ouvrière. C’est le prodrome de nos futures victoires. Et, de ce point de vue, du point de vue du renforcement des forces révolutionnaires, une unité complète est nécessaire au sein de nos partis comme dans les cadres .de l’Internationale Communiste.

C’est pourquoi notre mot d’ordre est : Vive l’Internationale Communiste effectivement unie, entraînant à la révolution mondiale la totalité de la classe ouvrière !

(Applaudissements prolongés.)

4.

VIIe plenum du CEIC

20e séance – 9 décembre 1926

Discours de Boukharine[modifier le wikicode]

(Boukharine est accueilli par de vifs applaudissements. Les délégués chantent l’Internationale)

Remmele : Vive l’Unité du Parti communiste de l’Union Soviétique ! (Vives approbations.)

Camarades, je voudrais tout d’abord faire quelques rapides remarques à propos du discours de Trotski. Les plus importantes questions qu’il a touchées, je les analyserai en répondant au discours de Zinoviev, puisque Trotski a dit que Zinoviev a « excellemment démontré » la fausseté de nos conceptions.

Avant tout, quelques petites remarques d‘ordre formel. Trotski a dit à cette tribune qu’il n’a pas l’intention de faire appel à l’Internationale, mais veut seulement défendre ses « idées ». Des divergences politiques précises existent au sujet de ces « idées ». Une grande partie d’entre elles sont déjà résolues par le parti. Défendre ces « idées », maintenant, veut dire les défendre à l’encontre des décisions de notre parti. Evidemment, Trotski a le droit formel de le faire mais cela s’appelle, en toutes langues, « faire appel ».

Le Ve Congrès effectivement prié Trotski de venir s’expliquer. Ayant décliné l’offre, son silence a été condamné. Mais la présente session et son Bureau n’ont pas invité Trotski. Formellement, la situation est donc tout autre. Si Trotski veut rappeler le Ve

Congrès, il ferait bien de ne pas passer sous silence les décisions de ce congrès, en particulier celles sur la question du trotskisme. Il n’est pas à l’avantage de Trotski d’alléguer le Ve Congrès.

La seconde remarque concerne la théorie de la révolution permanente. Trotski a déclaré ici que dans tous les désaccords importants entre Lénine et les autres camarades, c’est toujours Lénine qui a eu raison en principe. C’est juste. Nous pensons que dans cette catégorie des questions litigieuses où Lénine a eu raison, il faut ranger aussi la théorie de la révolution permanente. Or, dans le discours qu’il a prononcé aujourd’hui, Trotski a déclaré ne voir dans sa théorie de la révolution permanente que quelques « lacunes ». Il ajouta qu’autrefois il ne voyait pas ces lacunes. Pour employer un euphémisme, je dirai que cette explication manque de clarté. Si vous ne parlez que de quelques « lacunes » dans une théorie dont le fond est juste, c’est que vous estimez que, dans l’ensemble, cette théorie reste intacte. C’est vrai, dit Trotski, l’expérience a révélé des lacunes. Mais ces lacunes ne sont pas graves, et Trotski en prend acte. Je pense que cet aveu est loin d’être suffisant. Jamais Trotski, en jugeant cette théorie dans l’ensemble, ne l’a déclarée fausse. Nous n’avons jamais entendu une telle déclaration de la bouche de Trotski, et nous ne l’avons pas davantage entendue dans son discours d’aujourd’hui.

C’est la seconde remarque.

Ma troisième remarque sera très brève. Trotski a déclaré ici qu’il n’y a pas de raisons de s’occuper de la biographie des divers camarades. Mais immédiatement après avoir prononcé ces mots, il fouille avec ardeur la biographie de Manouilski et de Pepper. En ce qui concerne Pepper, notamment quand il l’accuse de prôner la théorie de Monroe, appliquée à l’édification socialiste dans l’Union socialiste, il est clair que Trotski n’a pas seulement en vue Pepper, mais d’autres camarades, également. Si nous arrivions, dans les cadres de l’édification socialiste, à vivre dans l’Union Soviétique aussi bien que vivaient, du point de vue capitaliste, les Etats-Unis sous la « doctrine Monroe », ce ne serait déjà pas mal. Nous nous préoccuperions bien à temps de notre expansion.

Quant à sa propre biographie, à sa vie et à ses actes, Trotski a déclaré, entre autres, qu’en Amérique, il avait eu la même ligne que Lénine. C’est tout juste s’il n’a pas anticipé sur cette ligne. Or ce n’est pas vrai. Je suis, pour ainsi dire, le témoin vivant du contraire. Trotski, je pense qu’il ne le contestera pas a été en Amérique un adversaire acharné de la gauche zimmerwaldienne. Il m’a bien souvent demandé avec ironie si nous avions aussi au Pôle Nord une gauche zimmerwaldienne ? (Bien que l’Amérique, à ce qu’on sache, ne se trouve pas au

Pôle Nord). Cette position de Trotski est une importante ligne de démarcation. Il était, en Amérique, contre la gauche zimmerwaldienne. Il prétend maintenant que c’était « mener la politique de Lénine ». C’est, pour s’exprimer en termes modérés, un « petit accroc à la vérité » joint à une vantardise qui n’est pas mince.

Passons maintenant à la question de l’inégalité de développement capitaliste. Trotski a dit dans son discours qu’il y a processus de nivellement et croissance de l’économie mondiale. C’est aussi élémentaire que deux et deux font quatre. Nul ne le conteste. Trotski voulait faire croire plus loin que Staline, dans son discours, a complètement ignoré la tendance de nivellement. Ce n’est pas vrai, personne n’a rien affirmé de semblable.

De même qu’il aborde cette question d’une façon simpliste, Trotski juge d’une façon non moins simpliste notre situation dans l’Union Soviétique. Sa principale théorie est : plus nous nous développerons et plus notre dépendance vis-à-vis de l’économie mondiale s’accroîtra. Après quoi, il met un point final. Ce n’est qu’une demi-vérité et c’est pourquoi ce n’est pas juste. Pourquoi ? Parce que le processus de notre développement, en connexion avec le marché mondial, est plein de contradictions. D’une part, nous tombons dans une plus grande dépendance à l’égard de l’économie mondiale ; d’autre part, — et cela peut paraître paradoxal — nous devenons de plus en plus indépendants, notre base économique devient de plus en plus solide, par l’utilisation de nos rapports avec le capitalisme étranger. C’est une contradiction dialectique. Il n’est pas permis de voir un aspect du processus et d’oublier complètement l’autre. C’est mal poser la question. Si nous ne prenions que la thèse tronquée de Trotski sur la situation de l’Union Soviétique, quelle perspective aurions-nous ?

Ce serait la perspective de la transformation de l’Union soviétique en une partie intégrante, en un appendice de l’économie capitaliste mondiale.

(Des voix : « Très bien ! »)

Et rien de plus. C’est pourtant le postulat décisif de toute la construction logique de Trotski. Bien entendu, il est parfaitement vrai que l’ancienne Russie dépendait du capital étranger : c’est vrai comme deux et deux font quatre ! Nous importions diverses machines : c’est toujours deux et deux font quatre ! Nous exportions du blé : encore une fois deux et deux font quatre ! C’était très gai d’entendre le discours de Trotski, mais il est impossible de le prendre au sérieux.

Trotski nous a servi encore un argument en déclarant qu’il ne faut pas fouler aux pieds toute notre histoire économique. Un révolutionnaire peut-il affirmer de telles choses ? En octobre, nous avons pourtant, avec assez de vigueur, « foulé aux pieds notre histoire économique » (Rires). Quel sens peut avoir une telle affirmation. Un seul : qu’on ne peut faire des « bonds » déterminés dans le développement de l’économie, qu’il ne peut y avoir de changements dans le sens du développement. Bien entendu, nous ne pouvons faire complètement « abstraction » de l’histoire. Car nous allons de l’avant en partant de notre passé. Mais si on nous « accule » à cette affirmation que « nous ne devons pas, parait-il, fouler aux pieds notre histoire économique », c’est déjà un peu « trop fort »». Ce n’est pas vrai, c’est la négation du tournant révolutionnaire, c’est un retour à une étape déjà parcourue de l’histoire. Cette façon de poser la question est trop simpliste et c’est pourquoi elle est erronée.

Une dernière remarque au sujet du discours de Trotski. Combattant la thèse de Staline que l’édification du socialisme dans notre pays signifie « venir à bout de notre bourgeoisie par nos propres forces », Trotski nous raconte que nous en sommes déjà venus à bout. Cette formule de Trotski a « un petit défaut », consistant en ce qu’il a oublié les mots « sur !e terrain économique ». Staline n’a pas dit qu’il fallait venir à bout politiquement de la bourgeoisie. Il n’a pas parlé de son renversement, c’est déjà fait depuis octobre, malgré la résistance de quelques camarades et même avec le concours de Trotski Cet argument est très plat. C’est encore vouloir prouver que deux et deux font quatre. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Il s’agit de venir à bout économiquement de la bourgeoisie par nos propres forces. Cela veut dire que, dans notre industrie, dans notre commerce de gros et de détail, dans tous les domaines, nous évinçons la bourgeoisie. Bien plus, cela veut dire que nous venons à bout de la croissance continuelle des tendances capitalistes qui apparaissent constamment sur le terrain de l’économie paysanne petite bourgeoise. Si nous remplissons cette tâche, est-ce que le socialisme n’aura pas remporté la victoire ? Cela peut-il signifier quelque chose d’autre ? Une « petite erreur », une « minuscule erreur » de Trotski est d’avoir omis les mots « sur le terrain économique ». Or, ils sont décisifs. Staline a parfaitement raison de formuler ainsi la question de l’édification intérieure du socialisme dans notre pays. Ce sont des formules différentes d’un seul et même problème : la possibilité d’édifier le socialisme dans notre pays ou bien la possibilité de venir à bout de notre bourgeoisie par nos propres forces. Ou bien encore la possibilité de la révolution socialiste victorieuse dans notre pays. C’est la question du caractère de notre révolution. Encore une fois, ce sont diverses formules d’un seul et même problème. Ainsi Staline a, ici, parfaitement raison. Les objections de Trotski renferment encore une autre erreur. Il a parlé de la disparition de l’Etat, d’une situation où l’Etat n’existerait plus, et il en a fait le trait distinctif du socialisme. Or, ce ne serait pas le socialisme, mais le communisme entièrement réalisé. Je ne parlerai pas de « nuances » et de « détails » tels que la distinction entre le socialisme et le communisme, bien que Trotski aurait dû un peu mieux s’y « reconnaître ».

Si nous nous représentions, d’une manière toute théorique, que nous avons remporté de grands succès dans la réalisation du communisme, que notre Etat est déjà en voie de disparition, si nous avions un tel état de choses dans notre pays et que les Etats capitalistes continueraient à exister, BOUS trouvant ainsi dans l’obligation d’avoir une armée, ce serait évidemment une armée vraiment originale, une armée sans base de classe. La fonction de cette armée serait, pour ainsi dire, une charge sociale et non un instrument de l’Etat. Ce serait le « peuple armé » et non une armée étatique.

Voilà les quelques remarques que j’ai cru nécessaires de faire à propos du discours de Trotski, dans la mesure où il a pris « ses » propres thèmes au lieu de développer le discours de Zinoviev. Quant aux principaux arguments sur les questions qui constituent l’objet même de la discussion, je répondrai en détail en répliquant au discours de Zinoviev.

Je passe maintenant au discours de Zinoviev et je toucherai en même temps les plus importantes parties du discours de Trotski. Je dois de nouveau commencer par quelques remarques d’ordre formel.

Je n’ai pu malheureusement, comme d’autres camarades d’ailleurs, lire le sténogramme du discours de Zinoviev, bien que nous ayons tous pu voir que Zinoviev a lu son discours à la tribune et qu’il était, par conséquent, tout prêt. Le manuscrit a sans doute été retenu pour nous empêcher d’en prendre connaissance et de préparer notre réponse. C’est une façon d’agir hypocrite et mesquine. Cette duplicité est apparue dans des questions plus graves.

Zinoviev, et en partie Trotski, ont déclaré « ne pas faire appel ». En réalité, ce n’est pas vrai. On a allégué ici la décision du Comité central russe. Cette décision dit en toutes lettres que le Comité central considérera une intervention de ce genre comme un appel, bien que les camarades intéressés aient le droit formel d’intervenir. On fait effectivement appel et, en même temps on déclare « formellement » : nous ne faisons pas appel. Cette façon d’agir n’est pas très « correcte ».

J’aborde le côté politique de l’intervention des camarades de l’opposition. Zinoviev a dit à cette tribune : « Je ne fais pas de lutte fractionnelle ». En réalité, que ce passe-t-il ? L’intervention à l’Exécutif Elargi n’est rien d’autre qu’un prolongement de la lutte fractionnelle dans l’Internationale. Zinoviev, dans l’introduction à son discours, a déclaré qu’il prenait ici la parole parce qu’il fut pendant longtemps Président de l’Internationale et qu’il serait, pour ainsi dire, inconvenant, qu’il se tût. C’est bon, admettons que c’est un « argument ». Trotski justifie son intervention en disant que la question du trotskisme est encore « actuelle ». Kamenev s’est aussi décidé à s’inscrire dans la liste des orateurs. Est-ce parce qu’il a été à la tête du Commissariat du Commerce intérieur ?

En outre, d’autres camarades de l’opposition se tiennent en réserve. Nous voyons se dessiner un tableau d’ensemble. Ces camarades, ont écrit, pour ainsi dire, toute une plateforme de l’opposition. La première partie nous fut lue par Zinoviev. La seconde fut déclamée par Trotski. La troisième sera sans doute lue ou peut-être déclamée par Kamenev. D’autres viendront encore apporter des « précisions ». Quel est le but de cette intervention ? Ce but n’est pas douteux. La plus forte opposition dans l’Internationale, après l’opposition russe, est celle du parti allemand. Elle a brillamment démontré son incapacité complète à la production idéologique, elle a besoin d’un appui international. C’est logique. Sans l’« aide étatique » de l’opposition du P. C. de l’U. S. (Rires), l’opposition allemande est condamnée à périr et ces représentants des couches arriérées non bolchévistes du prolétariat, en partie de la petite-bourgeoise, seraient liquidés. La théorie de la révolution permanente triomphe aussi sur ce point. Pour « la forme » ces camarades disent qu’ils ne font pas de lutte de fraction, mais, en réalité, nous assistons à la préparation d’une nouvelle lutte fractionnelle aiguë et sur une plus grande échelle. Cette lutte réussira-t-elle ? C’est une autre question. En tout cas, il est hors de doute que c’est bien une tentative de ce genre que l’on fait ici.

C’est de nouveau de l’hypocrisie, de l’hypocrisie politique C’est une manœuvre diplomatique et non une ligne politique franche.

Il en est de même dans les autres domaines. J’ajouterai : il en est de même dans la discussion de presque chaque problème politique plus ou moins important. Nous voyons éternellement la même ambiguïté, les mêmes tergiversations. Prenons, par exemple, le problème de la stabilisation. Nous avons déjà de multiples fois indiqué à Zinoviev que dans un de ces discours il a énoncé d’un coup deux points de vue différents. D’une part, il « reconnait » la stabilisation relative ; de l’autre, il « ne la reconnait pas ». Nous l’avons souvent questionné à ce sujet, il a eu l’occasion de nous répondre, mais il ne l’a pas fait.

Que devons-nous en conclure ? Que signifie ce jeu ? Il signifie que les opposants, payant tribut à la vérité, sont obligés de reconnaître la stabilisation partielle, mais voulant faire les « gauchistes » ils doivent la nier. Par conséquent, selon le cas, Zinoviev dira : « J’ai toujours dit qu’il n’y a pas stabilisation ». Ou bien : « J’ai toujours reconnu l’existence de la stabilisation capitaliste ». Ou bien encore : « Nous avons eu l’occasion de prévoir exactement... » et ainsi de suite. C’est très malin, mais trop évident. Ainsi, dans cette question encore, l’opposition se livre à l’hypocrisie politique.

Je passe maintenant à la fameuse question de l’édification du socialisme dans l’Union Soviétique. Trotski, partiellement Zinoviev, poursuivent une stratégie bien définie dans cette question comme dans presque toutes les autres. Cette stratégie consiste à déplacer la question, à mettre au premier plan de la discussion, non pas les questions cardinales des divergences, mais celles qui sont hors de toute discussion. Ils le font avec une « terrible » habileté. J’estime que mon devoir est de démasquer cette manœuvre et de démontrer que nous abordons la tâche d’une façon parfaitement juste, que nous avons des convictions fermes, une ligne précise, alors que l’opposition mène dans cette question un jeu équivoque. Je le démontrerai par une citation et j’espère mériter la gratitude des membres de l’Exécutif Elargi en me contentant dans tout mon discours, d’une seule citation, empruntée à Zinoviev en personne.

En quoi consiste la substitution d’une question à une autre ? C’est là-dessus qu’il nous faut nous arrêter.

1° Tous, sans exception, nous reconnaissons le caractère international de la révolution russe, partie intégrante de la révolution mondiale. Personne dans notre parti ne le contredit. Zinoviev et, en partie Trotski, nous attribuent un point de vue diamétralement opposé. C’est en ceci que consiste leur manœuvre. C’est pourtant une vérité élémentaire. La thèse que notre révolution mondiale [lapsus pour nationale] est et doit être une partie intégrante de la révolution mondiale, est un axiome dans le genre de deux et deux font quatre. Pas de divergences sur ce point. On nous attribue une chose qui nous est complètement étrangère.

C’est une calomnie contre tout notre parti.

Nous reconnaissons aussi un autre axiome qui dit que la victoire pratique définitive du socialisme dans notre pays est impossible sans l’aide des autres pays et sans la révolution mondiale. La contradiction radicale entre l’Union Soviétique et les pays capitalistes ne peut être résolue que par une révolution mondiale. C’est une vérité élémentaire. Nous attribuer une opinion différente est encore une calomnie contre notre parti. Car, dans cette question, il n’y a nuls désaccords entre notre parti et l’opposition. Pourquoi nous attribuer le contraire de ce que nous pensons ? Pour détourner l’attention des camarades des principaux problèmes en litige et pour l’attirer sur d’autres problèmes, au sujet desquels il n’y a pas la moindre contestation, on mène ce jeu à coups de citations. Une citation est une bonne chose, surtout quand on cite juste. (Rires.) Il faut aussi le remarquer. La citation, en elle-même, est chose excellente, mais, malheureusement on s’en sert pour démontrer des choses que nul d’entre nous ne conteste. L’opposition dit que Lénine était partisan du rattachement de notre édification à la révolution internationale, qu’il considérait la victoire définitive du socialisme impossible sans la révolution mondiale, qu’il défendait le point de vue internationaliste. Tout cela est parfait et nous nous rallions entièrement à chacune de ces thèses, à chaque citation de Lénine. Le malheur est que ce n’est nullement de cela qu’il s’agit. Pour faire comprendre de quoi il s’agit, je tenterai de donner une analyse différenciée et surtout de poser les questions aussi clairement que possible. Pour s’expliquer sur ces problèmes, il faut tout d’abord s’orienter dans trois questions essentielles :

1) L’intervention capitaliste ou la guerre contre l’Union soviétique ;

2) L’économie capitalise mondiale et l’Union soviétique ;

3) Les difficultés intérieures surgissant dans l’Union soviétique en raison des contradictions intérieures.

Je tenterai d’analyser le problème sur ces trois faces et vous serez alors convaincus de la justesse de notre cause. J’aborde d’abord le point de vue lutte armée, guerre, intervention. J’ai déjà dit qu’entre le monde capitaliste et nous, existe une contradiction radicale, de principe. Bien que nous soyons dans une dépendance relative des pays capitalistes, de jour en jour cependant nous devenons plus indépendants. Le socialisme grandira chez nous journellement.

En même temps s’aiguisera la contradiction de principe entre nous et le monde capitalise qui nous entoure. Notre révolution pose les fondements de la révolution mondiale. Notre Etat, notre économie, pour autant que nous la dirigeons, est le point de cristallisation de la révolution prolétarienne mondiale. Cette [cristallisation de la révolution prolétarienne mondiale. Cette -répétition d’une ligne] révolution est un processus, et un processus assez long. C’est toute une époque. Bien entendu, j’espère et je sais que cette époque sera beaucoup plus courte que l’époque des révolutions bourgeoises. Il faut cependant se souvenir que la révolution anglaise a eu lieu au XVIIe siècle, la grande révolution française à la fin du XVIIIe , et que d’autres révolutions bourgeoises ont eu lieu beaucoup plus tard, sans parler des embryons de capitalisme dans plusieurs républiques italiennes du littoral, en Espagne et dans d’autres pays. Notre époque révolutionnaire sera beaucoup plus brève. Mais en admettant même que le processus s’accélère on ne peut s’attendre à ce que la révolution se produise immédiatement et simultanément dans beaucoup de pays. Il est plus probable qu’elle recommencera dans un pays ou un système de pays. Entre les pays capitalistes et socialistes se produiront des luttes, des guerres. Avant que le socialisme ne s’instaure, par exemple dans l’Afrique centrale, des guerres prolongées se dérouleront entre les Etats socialistes et les diverses grandes coalitions capitalistes. Le processus se développe inégalement. Il entraîne à sa suite toute une grande époque historique. Mais l’histoire a posé nettement la question : Qui vaincra définitivement ? Le monde appartiendra soit à nous, soit à la bourgeoisie. C’est une chose élémentaire qui veut dire que la victoire définitive du socialisme équivaut à l’instauration du socialisme dans le monde entier. Ce n’est qu’ainsi et ainsi seulement que peut se poser la question. La bourgeoisie fera la guerre à tout pays soviétique, à tout Etat prolétarien. Quelles garanties avons-nous que nous réussirons à édifier tranquillement le socialisme dans un pays ou dans un autre, sans subir l’intervention armée des Etats capitalistes ? Il est évident que de telles garanties ne peuvent exister. L’existence perpétuelle d’organisations prolétariennes et d’Etats capitalistes est également une utopie. Une telle existence simultanée est un phénomène temporaire. Cela va de soi. C’est pourquoi forcément nous entrevoyons dans notre perspective une lutte armée entre les capitalistes et nous. Je déclare catégoriquement que la victoire définitive du socialisme est la victoire de la révolution mondiale ou tout au moins la victoire du prolétariat dans tous les centres décisifs de la puissance capitaliste. Nous le disons nettement : sans révolution mondiale, sans victoire du prolétariat dans les centres décisifs du capitalisme, on ne peut parler de victoire définitive du socialisme. C’est ainsi que se résout cette question.

La seconde question est celle de l’économie capitaliste mondiale et de l’Union soviétique. C’est une question d’un autre ordre. Notre économie nationale et notre industrie d’Etat se trouvent-elles dans une certaine dépendance de l’économie capitaliste ou non ? Il est clair que oui. Sur quel terrain a lieu cette dépendance ? Premièrement, sur le terrain de l’exportation et de l’importation, c’est-à-dire de l’échange des marchandises ; deuxièmement, sur le terrain des relations de crédit ; troisièmement, sur le terrain des concessions. Tels sont les trois principaux domaines de notre dépendance relative des pays capitalistes. Cette dépendance influe-t-elle sur la situation intérieure de notre pays ? Evidemment, et personne ne le nie. Mais ici, la question doit être abordée un peu autrement que dans le premier cas. Voyons ce qui se produirait dans le cas d’un isolement économique absolu de l’Union soviétique, c’est-à-dire d’un blocus complet. Pratiquement, un blocus universel est, à mon avis impossible sans une guerre contre nous. Mais prenons ce cas inconcevable en principe : le cas d’un blocus complet sans guerre. J’aurais voulu que les camarades de l’opposition nous donnent à ce sujet une réponse claire. Que deviendrions-nous dans de telles conditions ? Pourrions-nous tenir ou non ? Notre perte seraitelle certaine ou non ? Aurions-nous ou non assez de forces ? Les difficultés qui surgiraient dans ce cas seraient-elles surmontables ?

Notre perte serait-elle inéluctable dans de telles conditions ? L’opposition ne donne pas de réponse claire à cette question dont l’importance est pourtant décisive. A mon avis, même dans ce cas, nous ne succomberions pas. Il vaudrait mieux que les camarades de l’opposition viennent à cette tribune répondre franchement à cette question. Cela aurait contribué à éclaircir la situation. Mais, ces camarades hésitent dans cette question. Dans son discours d’hier, Zinoviev a employé la tournure suivante : « Nous devons toujours craindre... » Oui, nous devons toujours craindre. C’est la principale qualité de notre parti. Mais il n’est pas permis d’exagérer. Les perspectives de danger, d’aggravation de notre situation, d’accroissement des difficultés, comme Zinoviev les a esquissées, ne peuvent guère nous servir de clé pour comprendre sa façon d’aborder la question. Notre perte est-elle fatale ou non dans de telles conditions ?

Sans doute, nous nous heurterons à de bien grandes difficultés.

Il est indubitable que l’allure de notre développement s’en ressentira. Mais je suis loin d’être convaincu que, même dans ces conditions, cette allure ne sera pas plus rapide que dans les pays capitalistes. Trotski n’a fait que toucher ce problème, mais il a perdu de vue certaines circonstances. L’absence de blocus et d’isolement fera que l’allure de notre développement économique et du développement général sera plus rapide. Nous comparons ici nos vitesses de développement dans des conditions différentes. Tout autre, est de comparer l’allure de notre développement au développement des pays capitalistes. C’est pourquoi je pense que, même dans ce cas, c’est-à-dire dans le cas d’un blocus, l’allure de notre développement sera plus rapide que le développement des pays capitalistes En tout cas, cette possibilité n’est nullement exclue. Car nous avons une dictature socialiste, nous avons une économie régie selon un plan, ce qui n’existe dans aucun pays capitaliste. Chez nous, les rapports entre la ville et la campagne se constituent autrement.

Je ne suis pas en état de développer en détail ce problème : c’est une question à part. J’affirme cependant, et je puis le prouver à tout moment, que les rapports qui s’établissent chez nous, entre les villes et les campagnes, nouveaux par leurs principes, sont liés à une vitesse plus rapide du développement économique. Notre industrialisation, loin d’être un moyen de ruine, féconde l’agriculture. Cette circonstance engendre des relations foncièrement nouvelles entre la ville et la campagne. A propos de cette question, nous devons dire qu’il est un pays capitaliste où la vitesse de développement est plus rapide : c’est l’Amérique. Cela s’explique par le fait qu’il n’y avait pas là-bas de féodalisme développé, que les salaires étaient plus élevés, de sorte que les rapports ne se sont pas constitués d’un bout à l’autre comme dans la vieille Europe : c’est pourquoi l’allure du développement y est plus rapide. Dans notre pays, où existe la dictature socialiste, où les rapports sociaux se constituent de tout autre façon, où l’industrialisation féconde au lieu de ruiner l’agriculture, où elle équivaut, non pas au rétrécissement du marché agricole, mais, au contraire, à son extension rapide, l’allure du développement économique sera encore plus vive que dans les pays capitalistes. Notre agriculture, en raison des rapports entre les villes et les campagnes, différents par leurs principes, est pour nous un atout, un facteur de développement plus rapide. Sans doute, nous nous heurterons à bien des difficultés. En cas de blocus notre appareil de production devra être organisé tout autrement, nous aurons de la peine à remédier à la disette de marchandises. C’est vrai. Des difficultés d’ordre social surgiront aussi. Je suis d’accord sur ce point, mais malgré tout, ces difficultés ne seront pas insurmontables. Zinoviev a cherché des arguments dans mon A. B. C. du Communisme, mais il l’a mal cité. L’A. B. C. contenait trois pensées essentielles que nous défendons encore aujourd’hui : 1° La révolution internationale est une garantie contre la guerre et l’intervention ; 2° la révolution internationale rendra plus facile notre édification économique, sans elle il nous sera très difficile d’édifier notre économie, mais ces difficultés ne sont pas insurmontables ; 3° dans l’intérieur du pays, il y a le nécessaire pour l’édification intégrale de la société socialiste.

Zinoviev ajoute : Que faites-vous ? Vous niez un facteur aussi essentiel que le marché mondial ? Déjà Marx disait que les prix du marché intérieur sont déterminés par le marché mondial, etc.

Zinoviev a l’audace d’affirmer que ces paroles de Marx doivent être appliquées à la lettre à l’état de choses actuel. En fait, les choses ne se passent pas aussi simplement. Il ne faut pas les entendre dans un sens absolu. Zinoviev a perdu de vue notre monopole du commerce extérieur. Il faut se souvenir que Marx, en parlant ainsi, avait en vue comme condition préalable l’existence de la concurrence libre. Or, jusqu’ici, le camarade Sokolnikov, disciple de Zinoviev et partisan de l’abolition du monopole du commerce extérieur, n’a pas encore réussi à détruire ce monopole. Ainsi le principal postulat de la construction théorique de Zinoviev fait défaut. Je le répète : même avec le monopole du commerce extérieur, nous sommes, dans une certaine dépendance des prix du marché mondial. Personne ne songe à le nier. Considérer comme deux équivalentes, la situation de maintenant et l’ancienne époque de la concurrence libre, quand il n’existait ni dictature du prolétariat, ni monopole du commerce extérieur, c’est tout au plus épeler Marx. Zinoviev ne sait pas distinguer les particularités des formes existantes. Il en est de même dans la question politique suivante « éclairée » par Zinoviev. Zinoviev nous a cité un passage de Marx où il est dit que la révolution en Europe sans révolution en Angleterre est une « tempête dans un verre d’eau ». Ainsi, vous affirmez que notre révolution et, par exemple, la révolution allemande, ne sont que des tempêtes dans un verre d’eau ? Dans ce cas, vous êtes un marxiste très « orthodoxe ». On se souvient que Marx a écrit cela en 1849. Bien des années se sont écoulées depuis. Nous n’avons pas besoin d’altérer le marxisme, mais qu’arriverait-il si, au lieu d’analyser la nouvelle situation avec l’aide de la méthode marxiste, nous nous contentions, comme Zinoviev, de citer Marx ? Certes, Marx a dit : La révolution sur le continent est une « tempête dans un verre d’eau ». Zinoviev a oublié qu’en ce temps, le capitalisme n’était pas encore développé sur le continent européen. Il a oublié qu’en ce temps l’Angleterre détenait le monopole du marché mondial, qu’elle a perdu depuis. Il a oublié que la dictature du prolétariat n’existait pas en Russie. Il a oublié qu’en ce temps, le capitalisme prospérait tandis que maintenant il est à son déclin. Tout cela n’est, pour Zinoviev, que des bagatelles, et c’est ce qui le pousse à des déductions complètement erronées.

Ainsi, dans la question des rapports entre l’économie mondiale, d’une part, et l’Union Soviétique, de l’autre, nous pouvons dire que, même en cas de conflit (blocus, isolement) nous ne sommes pas forcément condamnés à périr. Nous subirions une pression plus intense qui provoquerait de plus grandes difficultés, lesquelles ne seraient pourtant pas insurmontables. Quant à une guerre générale des capitalistes contre nous, nous n’avons pas de garantie de pouvoir résister avec certitude. L’affaiblissement et la destruction du capitalisme dans 1es autres pays pourront seuls créer cette garantie.

La troisième question est à vrai dire, le clou de toute la discussion. On peut le formuler ainsi : Est-il possible ou non d’édifier avec succès le socialisme dans les conditions actuelles du pays, ou bien, par suite de notre état économique et technique arriéré, sommes-nous forcément condamnés à périr si nous n’obtenons pas « l’aide étatique du prolétariat de l’Europe occidentale ? » Y a t-il quelque chose d’incompréhensible dans cette formule ? Non, la formule est claire. C’est, selon ma formule, la question du caractère de la révolution russe, ou, en employant la formule de Staline, la question de la possibilité de venir à bout de notre propre bourgeoisie sur le terrain économique. Cette question est-elle superflue ? Nullement. A la veille de la XIVe

Conférence de notre parti, Kamenev a déclaré que nous sommes condamnés à périr par suite de notre technique arriérée. Le camarade Smilga, à l’Académie Communiste, a répété que, sans l’aide des pays de l’Europe occidentale, nous sommes condamnés à périr par suite de notre technique et de notre économie arriérées. D’après la théorie de la révolution permanente, que Trotski prêche encore aujourd’hui, nous devons forcément périr en raison de notre état économique arriéré, si la révolution mondiale ne se produit pas. A cet égard, on répète les sarcasmes sur l’édification du socialisme dans une seule rue, dans une seule maison, etc… , sarcasmes d’un goût douteux. C’est là une manifestation d’idées social-démocrates. Mais, demandera-t-on : avons-nous, en réalité, les conditions nécessaires pour l’édification socialiste ? Ici, surgissent des questions d’ordre objectif et matériel (questions de la base économique de l’édification, de sa suffisance ou insuffisance pour cette édification), ainsi que des questions relatives aux rapports entre les classes sociales.

Un lien existe entre les rapports des formes économiques et les rapports de classe correspondants. Les social-démocrates déclarent franchement : étant données les conditions qui existent en Russie, par suite de la faiblesse de l’industrie et de la prédominance numérique de l’économe paysanne dans l’économie du pays, c’est être antimarxiste et utopiste que d’affirmer qu’on peut construire intégralement le socialisme dans ce pays. Ainsi, en Russie, la Révolution socialiste serait chose impossible. Si, malgré cela, la révolution éclate, les lois objectives de développement doivent conduire inévitablement, de l’avis des social-démocrates, à ce que, sous le couvert de la dictature du prolétariat, surgisse et se fortifie un nouveau capitalisme. N’est-ce pas le point de vue des social-démocrates [ ?] Nous voulons que l’opposition donne une réponse précise à cette question. L’édification victorieuse du socialisme dans notre pays est-elle possible ou non ? C’est là le fond du débat. Il ne s’agit pas de savoir si notre révolution est « nationale » ou partie intégrante de la révolution internationale. Il est superflu de discuter là-dessus. Seul, quelqu’un qui n’est pas communiste peut affirmer que notre révolution n’est pas une partie intégrante de la révolution mondiale. Nous voulons que l’opposition réponde à la question que nous lui posons, qu’elle y réponde clairement. Or, l’opposition ne nous donne pas de réponse claire.

La question du caractère de notre révolution a précisément une importance décisive. Le point de vue de Lénine dans cette question était clair, absolument clair. Staline, dans son rapport, a cité deux passages de Lénine. Dans l’un, Lénine dit que dans notre pays nous avons « tout le nécessaire pour édifier une société socialiste intégrale ». N’est-ce pas suffisamment clair ? Dans l’autre, Lénine dit que nous devons vaincre dans la lutte économique, si on ne nous écrase pas par l’intervention et la guerre. C’est ainsi que Lénine a résolu la question. L’opposition prétend qu’on ne peut pas démembrer ainsi la question, que c’est de la « scolastique ». Si c’est de la scolastique, les camarades de l’opposition sont priés de s’adresser à Lénine qui a employé le mot « si » (si on ne nous écrase pas) et qui a ainsi manifestement « démembré » la question. Comment l’expliquer ? Pas un des camarades de l’opposition n’a soufflé mot sur ces passages décisifs de Lénine.

J’entends bien que le magister dixit n’est pas un argument suffisant. Lénine aussi « faisait des erreurs », comme l’a fait remarquer Trotski « en passant » pour excuser ses propres erreurs. Mais en l’occurrence Lénine avait parfaitement raison. Il ne peut y avoir ici de position intermédiaire. Sommes-nous condamnés ou non, par suite de notre état technique et économique arriéré, à la ruine, à la dégénérescence au cours de l’édification socialiste ? Or, si nous pouvons édifier le socialisme, indiquez nous la limite à partir de laquelle la possibilité se transforme en impossibilité. Si nous disposons des conditions préalables, des points de départ, d’une base suffisante et si nous enregistrons même certains succès dans l’œuvre d’édification, où est la limite à partir de laquelle tout « ce fait à rebours » ? Cette limite n’existe pas. Zinoviev a affirmé ici que la question n’a pas été « discutée ». Ce n’est pas vrai, nous l’avons officiellement discutée à la XIVe Conférence et tous les camarades, y compris Zinoviev et Kamenev ont voté la résolution qui s’y rapporte et qui est conçue selon le point de vue que nous défendons ici.

Ce n’est pas le plus beau, attendez la fin. Je vous donnerai connaissance d’un passage du discours de Zinoviev à la XIVe Conférence. Après avoir cité Lénine, Zinoviev déclara textuellement :

« Il est parfaitement clair que Vladimir Ilitch estime possible l’édification intégrale du socialisme dans un pays tel que le nôtre à condition d’être garanti contre une intervention étrangère, même à l’aide de la seule coopération. » (Compte rendu sténographique de la XIVe Conférence du P. C. de l’U. S., page 237.)

C’est une formule de Zinoviev. Il en est de même ici avec la question de la stabilisation. Tout bon leader doit être bon prophète. C’est pourquoi on prophétise tous les cas possibles, on énumère tous les « pour » et tous les « contre », tous les « à moitié pour » et « à moitié contre » afin d’être assuré à l’avance que, quoi qu’il arrive, une des possibilités sera forcément réalisée. Après dix années, on vient dire : j’avais vu juste dans la question de la stabilisation ; j’avais prévu la ligne à suivre dans la question de la possibilité d’édifier intégralement le socialisme dans un seul pays. De cette façon, on donne des formules différentes, parfois diamétralement opposées, pour pouvoir, par la suite, alléguer l’une d’entre elles. On se garantit ainsi de tous côtés. Il n’est pas impossible que Zinoviev ne déclare dans quelques années : je l’ai toujours dit. Ayez l’obligeance de consulter tels de mes écrits !

[Le président Kolarov fait remarquer à Boukharine que son temps de parole sera bientôt écoulé.]

Je tâche d’en finir au plus tôt avec cette question.

Si cette théorie, quasi social-démocrate, soutenue par notre opposition dans la question de l’édification du socialisme, est juste, dans ce cas, sa théorie de notre dégénérescence inévitable ne l’est pas moins. Si nous sommes trop faibles pour édifier le socialisme jusqu’au bout et si la révolution prolétarienne ne vient pas à temps nous tirer d’affaire, nous serons acculés à faite des concessions de plus en plus importantes.

D’abord une concession, puis une autre, puis une troisième : nous serons ainsi obligés de reculer de plus en plus, ce qu’on ne peut continuer sans fin. La quantité, un beau jour, se change en qualité. Un moment arrivera où nous dégénèrerons. Voilà ce que l’on trouve à la base de la théorie de notre opposition.

Zinoviev a cité mon article sur la dégénérescence, paru dans le recueil, Attaque.

Aujourd’hui, je suis prêt à en signer chaque mot. J’y parle de problèmes foncièrement différents et non pas seulement du problème de la possibilité de notre dégénérescence. Je parle de la tendance immanente de toute révolution prolétarienne, des dangers qui sont en germe dans chacune d’elles. Mais ce n’est pas la question que nous discutons. Une chose saute aux yeux. Zinoviev et Trotski prennent la parole. Demain ce sera le tour de Kamenev. Et tous passent sous silence leur ancienne position. Ce n’est pas honnête, ni au point de vue théorique, ni au point de vue politique. On ne souffle mot ni de « Thermidor », ni de la politique koulak, ni de « divergences entre les intérêts des masses populaires et la politique de notre parti ». Or, nous avons besoin d’une réponse claire. Zinoviev, à la XVe Conférence, a aussi tenté de passer la question sous silence. Nous avons polémiqué avec lui. Pourquoi n’a-t-il fait, ici, aucune réponse ? C’est là, sans doute, l’affection secrète de notre opposition.

Voyons plus loin. Quel était le plus fort argument de notre opposition contre le Comité Central ? (J’ai en vue l’automne 1925). Elle disait alors : les contradictions croissent outre mesure et le Comité central n’est pas en état de le comprendre. Elle disait : les koulaks, qui ont accaparé presque tout l’excédent de céréales, organisent contre nous « la grève des céréales ». Voilà pourquoi la rentrée des céréales est si faible. Tout le monde l’a entendu. A ce sujet on écrivait : « La grève des céréales par les koulaks ». Kamenev déclarait que les koulaks ont « réglé » nos plans selon leur intérêts, que c’est là le plus grand danger. L’opposition estimait que tout le reste n’est que l’expression politique de ce fait essentiel. Par la suite, ces mêmes camarades sont venus dire : les koulaks se sont encore fortifiés, le danger est encore plus grand. Si la première et la seconde affirmation sont exactes, la « grève des koulaks » aurait dû, cette année, être encore plus accusée. En réalité, il en est tout autrement : les chiffres d’octobre de rentrée des blés sont, cette année, supérieurs à ceux de l’année dernière. En novembre, la rentrée des blés dépassait le chiffre de novembre 1925 de 50 millions de pouds. Dans l’ensemble, nos achats de blé sont de 35% supérieurs à ceux de l’année dernière. C’est un succès incontestable sur le terrain économique. D’après les paroles de l’opposition, c’est le contraire qui aurait dû se produire. L’opposition calomnie, en prétendant que nous aidons les koulaks à se renforcer, que nous leur faisons sans cesse des concessions, que nous les aidons à organiser la grève des céréales ; or, les résultats réels disent le contraire. On pourrait attribuer cela à un miracle. En effet, « l’époque du capitalisme monopoliste » n’est-elle pas l’époque des miracles ?

Ainsi ce n’est pas nous qui nous trompons, mais l’opposition. C’est elle qui a mal apprécié les forces de classes, les forces économiques. C’est elle qui a fait ici une erreur de calcul, la même que lorsqu’elle est allée à la fabrique « Aviopribor ». Le pilier de la principale théorie économique de l’opposition s’est effondré. Sur ce terrain, l’idéologie fictive et les principaux raisonnements de l’opposition sont entièrement démolis.

Quelques mots maintenant au sujet de « Thermidor ». La façon dont l’opposition voit notre développement cache le germe d’idées contre-révolutionnaires. Je m’exprime en termes très vifs, mais il en est réellement ainsi. De plus, pour être très prudent, je dis « des germes ». En outre, les camarades qui défendent cette théorie passent entièrement sous silence le fait qu’ils révisent les bases de la doctrine économique du marxisme. Ceci est de nouveau en corrélation avec la question de l’édification socialiste dans notre pays. A propos de

« Thermidor », je dois rappeler que Martov en a parlé dès 1921 ! Mais laissons de côté tous les Martovs du monde ! L’opposition en reparle, peut-être parce que Martov est mort et qu’il a besoin, comme on dit, de « successeurs ». Voyons le fond de la question. Pourquoi

« Thermidor » a-t-il vaincu lors de la grande révolution française ? Thermidor a vaincu et devait vaincre parce que, pendant la révolution française, la grande bourgeoisie capitaliste détenait tous les atouts économiques importants. Elle représentait la grande production tandis que la dictature jacobine défendait les intérêts des petits producteurs. Cette contradiction entre le grand rôle politique révolutionnaire de la petite-bourgeoisie et ses idéals de petite productrice devaient inévitablement conduire à la victoire de la grande bourgeoisie, étant donné qu’en ce temps le prolétariat n’était pas assez développé pour pouvoir entrer en action en tant que force révolutionnaire dirigeante et indépendante. Que se passe-t-il maintenant chez nous ? Expliquez nous le, vous qui bavardez à propos de « Thermidor » ! Expliquez-nous de quel côté est le principe économique le plus progressif ? C’est une absurdité complète, une preuve d’ignorance absolue en matière d’économie que de parler chez nous de « Thermidor ». Il suffit d’avoir des connaissances élémentaires de la révolution française et de notre histoire pour se rendre compte que parler à notre égard de « Thermidor » est une absurdité absolue, une preuve de médiocrité et d’ignorance. L’autre problème est celui du danger koulak.

Les koulaks parait-il, nous font la loi. Bien entendu, c’est une question très grave. Je prierai les camarades qui nous accusent de « révision du marxisme » de nous expliquer ce qui suit : la grande production industrielle est entre nos mains ; de petits ilots de la production moyenne sont entre les mains de l’industrie priée ; le commerce de gros est entre nos mains ; le capital privé ne dispose que d’une partie du commerce de détail. L’économie soviétique, les leviers fondamentaux de la coopération, les positions de commande de l’économie sont entre nos mains. Je voudrais savoir de quel postulat, de quelle théorie d’économie politique partent les camarades qui parlent de la terrible probabilité, presque de l’inévitabilité de la victoire dans notre pays du petit producteur sur le grand. Il y a aussi d’autres questions à propos desquelles certains camarades, Zinoviev par exemple, ont souvent polémiqué avec moi. J’ai dit, par exemple, que si les koulaks placent leur argent dans nos caisses d’épargne, ce n’est pas pour nous un danger, parce que nous opérerons avec cet argent comme nous l’entendrons. Mais certains camarades affirment que c’est une théorie de dégénérescence, de révisionnisme, car dans ce processus, les koulaks peuvent facilement nous vaincre. Souvenez-vous, camarades, de la théorie dite de la démocratisation du capital, dont Bernstein fut le père et que les idéologues du capitalisme américain prêchent maintenant sur tous les toits. Bernstein disait qu’à mesure que la cuisinière déposera ses économies dans la caisse du capitalisme, elle s’en servira pour acheter des actions, le capital se démocratisera, autrement dit, les masses populaires s’associeront de plus en plus au capital et s’empareront pacifiquement de l’économie en réduisant ainsi à l’impuissance le grand capital.

Chez nous, la grande industrie est entre nos mains, toutes les banques sont socialisées, le prolétariat est maître de la grande production. Ne semble t-il pas que notre opposition applique à sa façon la théorie de la « démocratisation du capital » ? Chez elle, ce ne sont pas les petits gens qui vont contre les capitalistes, mais les koulaks démocrates et les petits commerçants qui « inondent » la grande production prolétarienne. Nous pensons qu’ici aussi la victoire sera du côté de la grande production. La force concentrée doit inévitablement vaincre. Un autre point de vue ne peut être dicté que par des considérations révisionnistes. La façon dont l’opposition pose la question ne contient pas un atome de la doctrine économique de Marx. La certitude de notre victoire a sa racine dans la doctrine de Marx de la supériorité de la grande production. De plus, notre économie nationale est gérée d’après un plan systématique, chose inconnue et inaccessible au monde capitaliste. Voilà sur quoi repose notre ferme conviction en la justesse de notre position.

Ainsi, la base de toutes ce- théories n’est pas seulement un reflet des idées socialdémocrates, elle est aussi imprégnée de bernsteinisme. Il suffit de tendre un miroir à nos camarades de l’opposition pour qu’ils aperçoivent où se trouve le vrai révisionnisme.

Je ne parlerai pas beaucoup sur le thème de notre dégénérescence. Le danger de dégénérescence, à mon avis, est étroitement lié aux phénomènes de bureaucratisation de l’appareil économique d’Etat. La politique d’augmentation des prix ne pourrait que favoriser cette bureaucratisation. Zinoviev a déclaré qu’il n’est nullement partisan de l’augmentation des prix. Mais Piatakov a insisté sur cette augmentation, Préobrajenski l’a soutenue. Or, ils ont fait bloc : s’ils ne sont pas d’accord entre eux sur une question quelconque, qu’ils le disent franchement. Car c’est la plus importante question de notre politique économique. Mais ils ne se décident pas à le dire de peur de laisser voir que leur bloc s’est constitue avec de grandes difficultés.

Je ne m’arrêterai pas sur les autres questions, notamment sur le jeu des citations de Lénine. Je n’en dirai que quelques mots. Au début de la guerre, Lénine écrivait que nous sommes à la veille de la révolution bourgeoise. S’appuyant là-dessus, Zinoviev affirme que Lénine s’est prononcé pour la république démocratique et fait semblant de croire que rien ne s’est passé depuis. C’est une défense dissimulée des erreurs d’Octobre commise par Zinoviev et Kamenev, et rien de plus.

[Voix dans la salle : « C’est parfaitement juste ».]

Si c’est cela que vous pensez, la théorie de la dégénérescence comme conséquence de l’état arriéré du pays n’est rien d’autre que la récidive de ces erreurs sous une forme nouvelle. Je touche à la fin de mon discours, bien que j’aurais d’autres problèmes à traiter comme, par exemple, l’attitude envers les paysans.

Zinoviev a soulevé quelques questions intéressant spécialement l’Internationale

Communiste. Il a rappelé qu’on évince 1es gauchistes et qu’on est « bienveillant » envers les droitiers. Je veux dire quelques mots à ce sujet. Est-il vrai que Zinoviev était d’accord avec la « lettre ouverte » au parti allemand ? II a déclaré une fois que la lettre ouverte est un des meilleurs documents de l’Internationale Communiste. Ne dit-on pas dans la « lettre ouverte », dont je suis un des rédacteurs, que les déviations dites extrême-gauchistes, par rapport à l’Union soviétique, reflètent l’orientation occidentale de la bourgeoisie ? En ce temps, Zinoviev considérait cette idée parfaitement juste et on ne peut plus heureuse.

Je vous le demande maintenant : cette tendance nettement affirmée de l’orientation occidentale de la bourgeoisie allemande c’est elle renforcée ou affaiblie ? Elle c’est incontestablement renforcée. Et son reflet ? Lui aussi s’est incontestablement renforcé. Il n’est pas difficile de comprendre ce qui en résulte. Il en résulte que les déviations d’extrême gauche, autrefois tolérables dans les cadres de notre parti, sont maintenant intolérables. J’ai en vue Korsch, Schwarz, et avec eux des leaders qui étaient autrefois « beaucoup plus convenables ». Il serait stupide de ne pas voir ces changements. La situation est telle qu’on est bien obligé de parler de groupement de toutes les forces du capitalisme contre l’Union soviétique. Nous sommes convaincus que l’Union soviétique est le point de cristallisation de toute l’énergie prolétarienne mondiale. De là, notre rigoureuse attitude à l’égard des déviations d’extrêmegauche. En toute conscience nous pouvons dire : les korschistes et les demi-korschistes ne doivent pas être tolérés dans un parti communiste prolétarien car la déviation de « gauche » dégénère ici en véritable contre révolution ( Applaudissements )

Quant aux déviations de droite, peut-on vraiment nous accuser d’être tolérant envers elles ? C’est impossible. Nous avons critiqué le parti polonais de la façon la plus énergique, bien plus énergiquement que Zinoviev ne l’a fait. Nous avons critiqué quelques erreurs du parti britannique et celui-ci les a reconnues. Est-ce bien ou mal d’avoir réussi à éviter un conflit et de convaincre les camarades en leur montrant leurs erreurs ? Il est clair que c’est très bien. Même [ ?] si Ruth Fischer avait reconnu à temps ses erreurs, sincèrement et entièrement, nous ne l’aurions pas exclue, mais elle n’a pas voulu, elle ne veut pas reconnaître ses erreurs, de même que les autres leaders allemand» extrême-gauchistes que nous avons également exclus. Ruth Fischer et les autres continuent leur « ligne ». Ils progressent dans la direction de Korsch. C’est un fait. Nous avons critiqué toutes les déviations de droite et avons eu de bons résultats à cet égard. Les explications de Zinoviev à propos de Souvarine, renégat de droite, ne tiennent pas debout. Il a dit : J’ai « seulement » proposé qu’on envoie Souvarine non pas en Angleterre mais en Chine. Pourquoi Zinoviev ne nous propose-t-il pas, par exemple, qu’on envoie Kautsky à

Java ? Il y a là-bas une insurrection. Peut-être, Monsieur Kautsky réunirait-il à corriger les fautes des communistes javanais ? On propose d’envoyer Souvarine en Chine. Depuis quand la Chine est-elle un lieu de relégation ? Je n’ai jamais entendu parler de cela. La Chine se trouve en face de problèmes révolutionnaires d’une ampleur mondiale, nous l’avons constaté ici même à notre Exécutif élargi. Nous devons envoyer en Chine les camarades les plus révolutionnaires, les plus habiles, les plus dévoués à l’Internationale Communiste. (Applaudissements.) Or, Zinoviev nous dit : J’ai conseillé d’envoyer Souvarine non en Angleterre, mais en Chine. Nous vous remercions humblement pour votre conseil !

C’est ainsi que Zinoviev distribue les grâces et les disgrâces.

Quelques mots pour finir. Les camarades de l’opposition de notre parti ont eu la possibilité de s’exprimer ici. Ils ont voulu faire une déclaration « en raison du séjour du camarade Zinoviev au poste de président de l’Internationale Communiste ». Mais ce n’est pas l’essentiel. Le fond de l’affaire est que les camarades de l’opposition s’efforcent de donner une plateforme bien au point à toute l’opposition, y compris les exclus. C’était précisément le but du discours d’hier de Zinoviev. Nous devons y répondre et je pense que le Comité exécutif répondra. Cette réponse trouvera place dans la résolution. Les partis sont maintenant assez mûrs, assez bolcheviks, ils sont fermement convaincus de la possibilité du développement révolutionnaire de l’Union soviétique, ils se sont déjà affermis et ne toléreront pas de menées fractionnistes dans l’Internationale. Camarades, cette question doit être posée nettement, car ce n’est qu’à cette condition que nous serons en état de conduire l’Internationale Communiste dans la voie de la révolution mondiale.

Tel est notre but et notre tâche. Cette tâche, nous la remplirons en continuant de nous orienter vers le développement de la révolution jusqu’à la victoire du prolétariat mondial. (Vifs applaudissements.)

(Fin de la vingtième séance.)

5.

Annexe : 19ème et 20ème séance ( 9 décembre) Discours résumés de Zinoviev, Trotski et Boukharine, La CI, 1926, n°137, pp. 1733-1736.[modifier le wikicode]

Annexe : La Correspondance Internationale, n°137, 6e année (1926) contient un abrégé de la sténographie des débats sur l’opposition au VIIe plenum du CEIC

Ce document permet de retrouver les traces des interventions de Zinoviev et Trotski auxquelles répond Boukharine.

ZINOVIEV. — Aujourd’hui on a pris connaissance ici d’une résolution du C. C. du P. C. de l’U. R. S. S. qui me laisse libre de décider si, oui ou non, je dois parler à cette session du Comité Exécutif élargi de l’I. C. Après mûre réflexion j’ai résolu de venir parler devant vous. Est-ce qu’il existe donc un danger réel que mon entrée en scène à l’Exécutif élargi puisse donner une nouvelle impulsion à la lutte fractionnelle ? Je crois qu’un tel danger n’est pas complètement exclu, mais j’éviterai dans mon discours absolument tout ce qui pourrait aboutir à de tels résultats. Je ne veux pas de lutte fractionnelle, je ne la dirigerai pas. (Interruption du camarade Thaelmann : « Mais vous l’avez bien dirigée ! »)

Je déclare expressément que je ne fais nullement appel à l’I. C. contre les décisions de mon parti. Cependant, je dois quelques explications à l’I. C. Je me bornerai donc à exposer mes conceptions de principe. La question du socialisme en un seul pays est la question fondamentale de nos divergences de vue. Je rappelle que, dans le projet de programme de l’I.C., on ne peut trouver aucune phrase confirmant la théorie de la possibilité du socialisme dans un seul pays.

Tout d’abord, s’impose la question de savoir si Marx et Engels se sont prononcés sur ce sujet. Oui, ils ont donné leur avis. Dans son article, « Jour de l’an 1849 », Marx écrivait qu’un bouleversement de l’économie nationale dans tous les pays du continent européen, sur tout le continent européen, sans l’Angleterre qui domine le marché mondial, serait une tempête dans un verre d’eau. Marx dit de plus que la révolution socialiste ne peut être résolue nulle part dans le cadre des frontières nationales. Marx fut d’avis que la révolution socialiste peut être « annoncée » dans un seul pays, mais qu’elle ne peut, pas être « résolue » dans un seul pays. Marx considérait même tout le continent européen, c’est-à-dire l’Europe sans l’Angleterre, comme un « petit coin » et redoutait qu’une révolution sociale pût être réprimée par le capitalisme des territoires où il se trouve sur une ligne ascendante. Marx pensait alors, non pas seulement à l’intervention militaire, mais aussi aux lois du marché mondial. La ligne fondamentale de la politique révolutionnaire du prolétariat ne peut pas être limitée par le cadre d’une perspective nationale. (Interruption : « Qui est-ce qui prétend le contraire ? ») Engels s’est prononcé dans cette question en plein accord avec Marx dans les Principes du

Communisme. Il a répondu à la question : « Cette révolution peut-elle se faire isolément dans n’importe quel pays ? » par un « non » catégorique. Il ne faut pas oublier cela. Naturellement, il ne faut pas interpréter les constatations de Marx et d’Engels en ce sens que la révolution sociale ne puisse pas commencer dans un seul pays. Ce ne sont que MM. « les chefs » de la IIe Internationale qui posent la question d’une façon aussi insidieuse. On ne peut soulever la question, si peut-être les opinions de Marx et d’Engels dans la question de la révolution prolétarienne internationale sont périmées ? C’est alors que nous arrivons à la loi sur l’inégalité du développement. A mon avis, il est faux d’affirmer que les conceptions de Marx et d’Engels sur le caractère international de la révolution seraient périmées du fait que Marx et Engels n’ont pas vécu la période de l’impérialisme. Lénine a défini la loi sur l’inégalité de développement non seulement comme une loi du capitalisme général. Il est de toute évidence que Marx et Engels connaissaient très bien cette loi. (Interruption : « Qui nie cela ? ») Lénine n’a jamais considéré l’impérialisme comme la source du développement inégal. On ne peut tirer des conclusions de la « loi du capitalisme » sur l’inégalité du développement que si l’on n’oublie pas une seule minute que l’impérialisme est du capitalisme monopoliste, que l’époque impérialiste signifie non seulement concentration, mais aussi centralisation, que l’époque du capital financier est une période de l’oligarchie financière. L’époque de l’impérialisme est une époque de guerres et de révolutions. « Rompre » le front, « commencer », voila ce que peut bien le prolétariat d’un seul pays ; mais, si le capitalisme continuait, sur les points décisifs du globe à se développer sur une « ligne ascendante », alors la révolution socialiste dans un seul pays — et encore arriéré — serait infailliblement condamnée à mort. L’intensité des contradictions du capitalisme n’a non seulement pas diminué, mais, au contraire, elle s’est renforcée. Le prolétariat d’un seul pays ne peut pas seulement, mais doit également prendre le pouvoir, car nous avons « la conviction scientifique » (Lénine) que la victoire peut être assurée à l’échelle internationale. Plus nous étudions Lénine, plus nous nom convainquons que, dans la question de la victoire du socialisme dans un seul pays, il défend absolument les opinions de principe de Marx et de Engels. On peut citer à ce sujet toute une série de passages des œuvres de Lénine.

Lénine entendait par socialisme l’anéantissement des classes. Sur le délai que mettra la réalisation de l’ordre socialiste en Russie, il s’est exprimé de la façon suivante : « La voie d’organisation est un long chemin et les tâches de l’édification socialiste exigent un travail tenace, de longue haleine, ainsi que des connaissances adéquates dont nous disposons d’une façon insuffisante. » (Interruption : « Qui est-ce qui nie cela ? ») La déclaration de Lénine que tant que notre république soviétiste est un pays limitrophe, isolé dans le monde capitaliste tout entier, il serait utopique de croire à notre indépendance économique complète, est extrêmement importante. Voilà le nœud de la question, et c’est précisément cela qui constitue le point litigieux. Ces mots de Lénine signifient qu’il ne s’agit non seulement d’une intervention armée, mais également de l’encerclement économique, que nous devons redouter la suppression de notre indépendance économique complète par suite des lois qui règlent le marché mondial.

Mais si l’on interprète les conceptions de Lénine sur le caractère international de la révolution, alors il ne faut pas passer sous silence les écrits importants et les conceptions véritables de Lénine. (Interruption : « Très bien, très juste ! ») On nous accuse de ce que nous n’avons pas de perspective. On nous accuse de passivité. Ce serait juste si nous doutions de ce que l’on peut et doit édifier maintenant, le socialisme dans notre pays. Mais il n’y a pas trace de ce doute ; nous construisons le socialisme et nous l’édifierons complètement avec l’aide de la révolution prolétarienne des autres pays. (Interruption : « Et si la révolution tarde à venir ? ») Chez certains communistes étrangers, nous avons remarqué les opinions suivantes :

« Chez nous (en Allemagne ou en Tchécoslovaquie), la révolution prolétarienne ne vient pas encore — que les Russes édifient donc le socialisme du moins chez eux, mais sans notre secours, » (Interruption : « Qui est-ce qui dit cela ? ») Voilà en vérité des opinions de passivité et de pessimisme. Chez certains communistes russes, cette mentalité exprime en réalité un pessimisme quant à la révolution prolétarienne mondiale. C’est d’ailleurs précisément en cela qu’est le danger de révision des conceptions de Lénine sur le caractère international de la révolution prolétarienne.

C’est pourquoi notre proposition est très simple. Nous proposons, premièrement, de ne pas déclarer les conceptions de Marx et de Engels en cette question comme périmées et, deuxièmement, de maintenir l’interprétation des opinions de Lénine en cette question qui, jusqu’en 1924, a été l’interprétation commune de nous tous. Jusqu’au printemps 1924, le camarade Staline a interprété Lénine dans cette question de la même façon que nous tous. (Interruption. : « Oh ! Oh ! ») Une perspective pour l’édification socialiste est absolument nécessaire. Mais pourquoi cette perspective doit-elle être nationale et non internationale ? (Interruption : « Très spirituel ! ») Le pouvoir des Soviets dans l’Union Soviétiste ne périra pas et achèvera l’œuvre du socialisme jusqu’au bout parce que les révolutions dans les autres pays viendront infailliblement.

Un des arguments « décisifs » qu’on lance contre notre point de vue dans la question du socialisme dans un seul pays est que les relations réciproques entre le prolétariat et la paysannerie sont pour le moment les mêmes à l’échelle mondiale qu’en Russie.

Cette argumentation omet au moins quatre circonstances : Tout d’abord, le développement de l’industrie lourde et de la technique à l’échelle mondiale suffit déjà pour entraîner la paysannerie derrière soi.

Pour vaincre, il n’est pas absolument indispensable d’avoir partout la majorité. Il suffit de remporter la victoire en des endroits décisifs et au moment décisif.

Troisièmement, si l’on parle de la majorité des paysans dans le monde entier, on pense à la population paysanne des colonies et des pays semi-coloniaux, en un mot, des pays indépendants. La libération des principaux pays coloniaux nécessite précisément la victoire de la révolution socialiste en deux ou trois Etats impérialistes les plus puissants. Quatrièmement, si dans le monde entier ou, du moins, dans les pays décisifs, la bourgeoisie est terrassée et s’il ne reste plus que deux classes : le prolétariat et la paysannerie, alors le rapport réel entre le prolétariat et la paysannerie dans ces pays sera tout autre, quoique le rapport numérique reste comme auparavant. Un changement décisif s’opère également immédiatement dans les relations entre le prolétariat et la paysannerie sur l’échelle mondiale.

Mon attitude vis-à-vis de la social-démocratie n’a pas changé. (Interruption : « Vous leur fournissez des arguments contre nous ! ») « Plus la social-démocratie est forte dans un pays, plus la situation du prolétariat est mauvaise ». C’est ce point de vue que nous maintenons encore aujourd’hui. On dit que Lévy et d’autres social-démocrates « sympathisent » avec moi. Mais il y a aussi d’autres cas où les social-démocrates sympathisent avec la majorité.

Plus se manifeste la croissance des koulaks et de la nouvelle bourgeoisie, plus il faudra prêter d’attention à la question des dangers de dégénérescence. Il va de soi qu’il ne s’agit exclusivement que de dangers, de tendances et non d’actes en voie de réalisation. Nous posons la question des dangers de dégénérescence dont les sources se trouvent dans l’encerclement bourgeois international, dans les côtés négatifs de la NEP, dans le bureaucratisme de l’appareil d’Etat et dans la couche des suiveurs. Lénine, lui aussi, a parlé d’un tel danger.

Quant à mes rapports avec l’extrême-gauche et la droite, je suis resté sur mes anciennes positions, ce qui veut dire, sur des positions que Lénine a définies plus d’une fois. L’opportunisme est notre ennemi principal. (Interruption : « Cela dépend de la situation concrète ! ») Si l’on prend le travail pratique des plus importantes sections de l’I. C. au cours de ces derniers mois, alors on s’aperçoit que, vis-à-vis des gauches, on n’a pas appliqué la politique curative et que, vis-à-vis de la droite (Pologne, Angleterre), on a poursuivi une politique par trop molle.

On m’a accusé d’avoir proposé la réadmission de Souvarine. La vérité est que j’ai émis l’opinion qu’il serait peut être bon, si Souvarine cessait de faire paraître son organe fractionnel. (Interruption : « Il a cessé depuis longtemps ! ») que le parti lui donne la possibilité de partir pour une année en Chine ou en Amérique comme correspondant, et, s’il était discipliné, de soulever la question de sa réadmission. Je n’ai rien à faire avec ses opinions. (Interruption : « Pourquoi voulez-vous alors le faire réadmettre ? ») L’accusation que je serais tolérant vis-à-vis de l’idée de deux partis dans notre pays ne peut être démontrée par aucun fait.

En ce qui concerne les questions de l’unité du parti et du fractionnisme, nous ne retirons pas un seul mot de ce que nous avons écrit pendant une série d’années sur la nocivité et les dangers du fractionnisme. Nous avons reconnu ouvertement notre faute dans notre déclaration du 16 octobre (Interruption : « Il y a loin des paroles aux actes ! ») et nous avons sommé tous nos partisans de renoncer au travail fractionnel. .Il faut assurer à tout prix l’unité du P. C. de l’U. R. S. S.

Lénine a estimé comme inadmissible les blocs. Les différends du passé ont leur importance. Mais il faut juger le bloc en partant des idées théoriques et des tâches politiques qui ont été à sa base.

Quant au trotskisme, je tiens à déclarer : ce qui a séparé le trotskisme historique du léninisme jusqu’en 1917 n’est plus défendu par Trotski lui-même, n’a nullement constitué la base du bloc oppositionnel, et rencontrera toujours la résistance la plus énergique de notre part. (Interruption : « Oh ! Oh ! ») C’est surtout la théorie de la révolution permanente que nous ne partageons pas. Mais il est foncièrement faux de croire que n’importe quelle question liée à l’appréciation des forces vives de la révolution doit être ramenée à. l’ancienne querelle sur la révolution permanente, etc. Je persévère sur le terrain du, léninisme, j’estime que ce que je viens d’exposer suffit pour démontrer que je ne me suis rendu coupable d’aucune « déviation social-démocrate ».

TROTSKI. — La Pravda a publié aujourd’hui un article leader où il est dit que notre attitude, ici, est une continuation de l’activité fractionnelle. C’est injuste. Dans la note de la délégation russe à l’E. E., il n’est pas dit que la déclaration du 16 octobre est violée par notre attitude.

Au Ve Congrès mondial, je fus condamné parce que je ne m’étais pas justifié.

Maintenant, je veux parler. Nous n’en appellerons pas à l’E. E. contre les résolutions du P. C., mais nous exposerons notre point de vue.

Staline a accusé l’opposition de trotskisme et a parlé contre nous à l’aide de vieilles citations artificiellement rassemblées, mais pas sur la base des problèmes économiques actuels. Tout repose sur le fait que je n’ai pas été plus tôt dans le parti bolchévik et que j’ai combattu Lénine. Alors, j’avais tort naturellement, cependant, en entrant dans le parti bolchévik, j’ai prouvé que j’ai laissé sur le seuil, derrière moi, ce qui nous séparait. (Interruption du camarade Remmele : « Comment est-ce possible ? ») C’est naturellement pris au sens figuré, car ce qui nous séparait autrefois a été émoussé par les faits ; les différences d’alors étaient très importantes ; elles avaient trait à l’estimation des forces de classes dans la révolution, au passage de la révolution démocratique à la révolution socialiste et aussi à la question de la construction du parti et des rapports avec les menchéviks. Sur toutes ces questions, Lénine et le parti ont eu raison. Mais tous les camarades présents ici ne sont pas orientés justement sur la théorie de la révolution permanente. Même, lorsque je n’en voyais pas encore les lacunes, je ne l’ai jamais conçue comme une théorie au-dessus de l’histoire. Elle se rapportait seulement à un développement déterminé de la révolution en Russie. Deux fois seulement cette théorie a été exagérée : une fois par le camarade Manouilski, en 1918, et une autre fois par le camarade Pepper, au IIIe Congrès de l’I. C. Maintenant, après être allé en Amérique, Pepper défend une sorte de doctrine socialiste de Monroe pour la Russie.

La méthode biographique n’apporte aucune clarté. J’ai fait beaucoup de fautes. Mais si les questions doivent être décidées non d’après les faits, mais d’après les biographies, alors les biographies de tous les membres de l’Exécutif doivent être reproduites. Mehring fut d’abord l’adversaire de la social-démocratie et vint plus tard à elle, pendant que Bernstein et Kautsky ont été de très bonne heure les représentants du marxisme. Cependant, Mehring est mort communiste, alors que Bernstein et Kautsky vivent en chiens réformistes. (Agitation.)

Staline devrait aussi dénombrer ses fautes. Sa plus grande faute est la théorie de la possibilité du socialisme dans un seul pays. Je suis pleinement d’accord avec Zinoviev, qui a très bien établi, sur la base des citations, que la tradition du marxisme et du léninisme est entièrement de notre côté. Naturellement, on peut rédiger [ ?] aussi le marxisme et le léninisme. Plus cette discussion se développe, plus il s’agit des bases fondamentales de notre doctrine. Ceci est important pour l’Internationale, c’est pourquoi je parle.

Staline me reproche de nier la loi de l’inégalité du développement du capitalisme. Mais l’impérialisme, malgré l’aggravation des antagonismes, conduit à un nivellement. L’inégalité dans l’impérialisme est plus faible qu’autrefois. Certes, Lénine a démontré celle-là sur deux choses, sur l’inégalité dans le rythme du développement et sur l’inégalité du niveau du développement. Comme le rythme des pays nouvellement industrialisés, comme les Indes et le Canada, est plus rapide et que le rythme des vieux pays capitalistes est plus lent et souvent arriéré, il se forme un nivellement, une égalisation. C’est pourquoi la théorie du superimpérialisme de Kautsky est fausse et le danger de guerre est grand. Mais on ne peut pas arracher un pays de l’économie mondiale. C’est une faute capitale. La Russie était avant la guerre une partie intégrante de l’économie mondiale et fut, par conséquent, entraînée dans la guerre par le capital financier.

Si la Russie avait été un Etat isolé, aucune décomposition de la bourgeoisie ne se serait produite et aucune révolution prolétarienne. Et maintenant, après la prise du pouvoir, il serait possible d’écarter la Russie de l’économie mondiale ? Non. Nous avons besoin d’un équipement technique pour nos fabriques. Avant la révolution, nous avons importé 67 % de l’étranger. Maintenant, la reconstruction est accomplie, et nous devons de nouveau importer de l’étranger. Notre équipement industriel est la cristallisation de la dépendance de la Russie de l’économie mondiale. Qui ne comprend pas cela, ne comprend rien à notre économie. Notre économie est une partie intégrante de l’économie mondiale. La fin de notre période de reconstruction est le commencement de la restauration de notre liaison avec l’économie mondiale.

L’industrialisation ne signifie pas, pour les temps prochains, l’amoindrissement d’une soudure croissante avec le capitalisme mondial et la dépendance du capitalisme, mais le contraire. Naturellement, si le capitalisme mondial va au diable, nous construirons en dix ans plus de machines que maintenant. Mais il ne va pas au diable. Si nous négligeons la division du travail dans l’économie mondiale, si nous foulons aux pieds notre développement économique d’avant-guerre, si nous voulons tout produire par nous-mêmes, notre développement deviendra toujours plus petit et plus lent. L’Etat socialiste isolé ne se trouve que dans l’imagination d’un faiseur d’articles ou d’un auteur de résolutions. L’économie mondiale contrôle chaque partie intégrante de notre économie, même sous la dictature du prolétariat. Quand on parle de la théorie du socialisme dans un seul pays et qu’on ne tient pas compte du fait que nous nous incorporons toujours davantage dans les cadres de l’économie mondiale, c’est de la quintessence métaphysique.

La théorie de Staline est pleine de contradictions. Il prétend, dans son rapport, qu’édifier le socialisme, c’est triompher de la bourgeoisie au cours de lutte. Or, c’est insoutenable. Car l’édification du socialisme signifie la destruction des classes et, avec la destruction des classes, se produit aussi le dépérissement de l’Etat. Là ne se pose pas seulement la question de la lutte du prolétariat avec sa propre bourgeoisie, mais la concurrence de l’économie socialiste, avec toute l’économie capitaliste.

Notre révolution est une partie intégrante de la révolution prolétarienne mondiale. C’est pourquoi nous n’avons aucune certitude absolue que nous puissions construire le socialisme dans notre pays. L’interprétation de Staline disant que, sans une telle certitude, nous devons abandonner le pouvoir, est fausse. Staline ajoutait lui-même, en 1924, que, pour la victoire définitive du socialisme, les efforts d’un pays sont insuffisants. Cependant, il ne lui venait pas alors à l’esprit d’abandonner le pouvoir. Dans le programme et les directives de la Fédération des Jeunesses communistes léninistes russes, qui furent adoptés, en septembre 1921, par notre parti comme directives pour l’ensemble du mouvement des jeunesses, on lit que le pays ne peut parvenir au socialisme que par la révolution mondiale.

Les faits existent et les arguments reçoivent une nouvelle force sur la base des faits. Les questions touchées par moi surgiront à nouveau d’elles-mêmes dans les sessions de l’Internationale.

BOUKHARINE (salué par une tempête d’applaudissements; les délégués se lèvent et entonnent l’Internationale.) — Je veux tout d’abord faire quelques remarques rapides sur le discours de Trotski.

Trotski a dit qu’il n’en appelle pas à l’I. C. du jugement du P. C. de l’U. S., et pourtant il se dresse contre les décisions du parti. En allemand comme dans toutes les autres langues, c’est faire appel. Lorsque Trotski se réfère au Ve Congrès mondial, il n’a pas tout à fait raison, car alors il a été invité par une décision du congrès à parler tandis que cette fois, l’Exécutif élargi de l’I. C. avait refusé expressément de l’inviter à intervenir ici. Il y a une petite différence.

Puisque Trotski rappelle le Ve Congrès mondial, il devrait aussi rappeler les décisions du Ve Congrès mondial contre le trotskisme. Mais ce rappel ne serait pas favorable à Trotski. Passons à la question de la révolution permanente. Trotski a dit que Lénine a toujours eu raison, mais il ajoute tout de suite après qu’il n’a remarqué jusqu’ici que quelques lacunes à sa théorie de la révolution permanente. Ceci est, pour parler poliment, peu clair, il n’y aurait alors que quelques lacunes dans une théorie généralement juste ! Trotski n’a donc pas encore convenu que cette théorie est fausse, ni auparavant, ni maintenant.

Passons à la question de la méthode biographique. Trotski a été contre la présentation de biographies, mais, tout de suite après, il a fait lui-même la biographie de Pepper et sa propre biographie. En ce qui concerne la doctrine de Monroë pour l’U. S., nous pouvons dire ceci : Si nous accomplissons aussi bien l’édification du socialisme que l’Amérique édifie le capitalisme à l’aide de la doctrine de Monroë, ce sera déjà bien. Trotski a dit qu’en 1917, il avait, en Amérique, pris le même point de vue que Lénine. C’est, pour parler poliment, une petite contre-vérité, car je sais, par des conversations personnelles, que Trotski était alors un violent adversaire de la gauche de Zimmenvald.

Voyons maintenant l’inégalité du développement capitaliste ; Trotski a dit que l’impérialisme entraîne un nivellement, mais c’est une vérité de La Palice, c’est comme-si on disait que deux et deux font quatre. Staline ne l’a jamais nié. Trotski essaye, en posant trop simplement la question, de tromper les camarades, il s’agit de savoir si la loi de l’inégalité du capitalisme dans la période de l’impérialisme joue à un degré plus élevé. Or, c’est un fait. Trotski fait la même chose dans la question de l’édification du socialisme dans l’U. S. Il dit que plus notre développement économique progresse, plus nous passons sous la dépendance de l’économie mondiale. Mais ceci n’est qu’une demi-vérité et, par conséquent, un mensonge. En même temps que s’accroissent nos rapports avec l’économie mondiale, notre propre base socialiste s’accroît aussi et nous devenons de plus en plus forts. Si la pensée de Trotski était juste en soi, alors nous aurions devant nous la perspective d’une transformation de l’U. S. en un appendice de l’économie capitaliste mondiale. (Interruptions, très bien.) Trotski dit que notre technique est très arriérée. C’est de nouveau aussi vrai que de dire que deux et deux font quatre. Il dit que nous avons besoin de machines étrangères, c’est de nouveau deux et deux font quatre. Il dit qu’il nous faut exporter des céréales. C’est deux et deux font quatre. Trotski nous joue ainsi un spectacle amusant avec ces sortes de vérités élémentaires. Mais Trotski n’a rien dit de la vraie question. Or cette question est trop sérieuse pour qu’on puisse la traiter de cette façon.

Trotski a dit aussi que nous ne devons pas fouler aux pieds notre histoire économique d’avant-guerre. Ce serait très bien que cette phrase [ ?] dans la bouche d’un contrerévolutionnaire. Mais, en octobre 1917, nous avons pourtant foulé quelque peu aux pieds notre histoire économique. (Très bien.) Nous ne pouvons pas, comme Trotski le veut, simplement prolonger notre histoire économique antérieure. Evidemment, il existe une certaine dépendance de l’économie mondiale, mais Trotski nie les faits économiques essentiels ainsi que les modifications produites par la révolution qui nous donnent la possibilité de triompher de cette dépendance de l’économie mondiale. La façon de poser la question par Trotski est trop simple et, par suite, elle est fausse.

Trotski a cité Staline qui a dit que l’édification du socialisme, c’est de venir à bout de sa propre bourgeoisie. Avec supériorité, Trotski déclare que c’est déjà une chose liquidée. Mais il oublie une bagatelle, à savoir le mot de Staline « économique ». Politiquement, la bourgeoisie est abattue. Mais la tâche de maîtriser économiquement la bourgeoisie n’est pas encore solutionnée. Car il s’agit d’écarter la bourgeoisie du commerce de gros et de détail, de venir à bout de la nouvelle paysannerie capitaliste. Trotski n’a donc fait qu’une toute petite faute, il a oublié le petit mot « économique ». (Hilarité.)

Nous pouvons formuler de façons différentes cette nouvelle question, poser soit la question du caractère de notre révolution, soit de la maîtrise de notre propre bourgeoisie, soit de la possibilité de l’édification du socialisme. Staline avait tout à fait raison, et Trotski avait tort.

C’est également une faute de Trotski de dire que l’édification du socialisme présuppose qu’on écarte complètement l’Etat. Ceci serait déjà la deuxième étape, ce n’est pas le socialisme, c’est le communisme intégral.

Mais, arrivons au discours de Zinoviev que Trotski a qualifié d’exposé excellent de ses conceptions. Zinoviev dit qu’il ne veut pas déchaîner une lutte de fractions. Pourtant c’est un fait que son intervention signifie une prolongation de la lutte de fractions à l’échelle internationale. Ces camarades ont élaboré toute une plate-forme d’opposition. Zinoviev a eu la première partie, Trotski la deuxième et Kamenev va lire la troisième partie. Pourquoi ? Dans quel but ? La réponse est claire, l’opposition allemande, l’opposition la plus forte a besoin « de l’aide étatique » de l’opposition russe (Hilarité.) La théorie de la révolution permanente triomphe donc, semble-t-il, également dans cette question. (Hilarité.) En théorie, il n’y a pas là de lutte fractionnelle mais, en pratique, c’est l’élargissement et la préparation de nouvelles luttes fractionnelles. Mais il y faut une méthode diplomatique, de l’équivoque comme dans toute grande question politique.

Zinoviev, par exemple, a deux points de vue différents dans la question de la stabilisation. Nous lui avons prouvé que dans un article, il est, au début, pour et, à la fin, contre la stabilisation. Zinoviev n’a pu le démentir. C’est une méthode très habile. On paie d’abord un tribut à la vérité, puis, pour jouer à l’homme de gauche, on dit le contraire. Plus tard, on peut alors déclarer : je l’ai déjà prouvé autrefois. C’est une méthode hypocrite.

Passons aux questions de l’U. S. C’est une stratégie particulière à l’opposition de toujours pousser au premier plan d’autres questions que celles qui sont vraiment à l’ordre du jour. Je considère de mon devoir de démasquer ce jeu hypocrite. Nous avons, nous, une opinion ferme, mais l’opposition joue et équivoque. J’en ai pour preuve une citation du discours de Zinoviev à la XVe Conférence du parti où il dit expressément : « Nous reconnaissons le caractère international de la révolution russe et qu’elle est une partie intégrante de la révolution mondiale. Nous ne discutons pas là-dessus ». Evidemment non, car cette phrase est une vérité aussi simple que deux et deux font quatre. Mais en nous reprochant de nier le caractère international de la révolution russe, Zinoviev opère contre nous en contradiction avec la citation ci-dessus. C’est calomnier notre parti.

Voyons plus loin. Nous ne discutons pas que la contradiction qui existe entre nous et les pays capitalistes ne peut être réglée que par la révolution mondiale. C’est de nouveau aussi vrai que deux et deux font quatre. Tout le bavardage de Zinoviev là-dessus n’a été qu’une manœuvre, une duperie pour détourner nos camarades. Zinoviev a apporté un plein panier de citations. (Hilarité.) Ces citations sont bonnes, à supposer qu’elles soient justes. (Hilarité.) Mais que prouvent-elles ? Seulement ce que nous reconnaissons tous. Mais elles ne disent rien sur la véritable question du débat, sur la question de savoir si nous pouvons édifier avec succès le socialisme. C’est de nouveau un truc de l’opposition qui pose trop facilement la question et, par conséquent, qui la pose de façon fausse.

Il est nécessaire d’analyser les questions : 1° la question des guerres capitalistes et de l’Internationale communiste ; 2° la question de l’économie capitaliste mondiale et de l’U.S. » ; 3° la question des difficultés internes de l’U. S.

La première question consiste dans l’antagonisme fondamental entre le monde capitaliste et nous. Quoique nous soyons dans une certaine dépendance à l’égard du monde capitaliste, nous devenons pourtant, chaque jour, plus indépendants. Ceci s’exprime par l’aggravation des antagonismes. La révolution mondiale est un long processus, une longue époque. Et bien qu’elle soit plus courte que l’époque de la révolution bourgeoise, le processus est le même : 1° dans un pays, puis successivement dans d’autres pays au cours de période de guerres nombreuses entre les Etats socialistes, d’un côté, et les grandes coalitions capitalistes, de l’autre côté. Le processus est très inégal. Et pourtant l’histoire pose la question de façon tout à fait brutale. Ou bien le monde nous appartiendra, ou il appartiendra à la bourgeoisie, cela veut dire que la victoire définitive du socialisme est la victoire mondiale du socialisme. La bourgeoisie combattra aussi tout Etat soviétiste les armes à la main. Dans aucun pays l’édification socialiste ne se poursuivra tranquillement. Les Etats socialistes et les Etats capitalistes ne pourront subsister côte à côte éternellement. La victoire définitive du socialisme signifie la victoire de la révolution mondiale ou la victoire du prolétariat dans tous les centres décisifs.

Voyons la deuxième question : il existe une certaine dépendance de notre économie étatique vis-à-vis de l’économie du capitalisme mondial. Exportation, importation, rapports de crédits, concessions sont autant de formes d’une dépendance relative à l’égard de l’économie capitaliste. Représentons-nous la forme la plus aiguë de l’isolement économique. Le blocus complet. En réalité, ceci ne peut se produire qu’en liaison avec la guerre, mais à supposer ce cas pratiquement impossible du blocus complet, il faut que nous obtenions de l’opposition une réponse claire. Dans une situation pareille devrons-nous fatalement disparaître ou non ? Nous répondons, nous, que même dans ce cas nous ne disparaîtrions pas. Il y a, chez l’opposition, des hésitations dans cette question. Zinoviev a dit qu’il faut craindre toujours les dangers, que nous aurons encore beaucoup de difficultés, que le rythme du développement ne sera pas si rapide et pourtant devra devenir plus rapide que dans les pays capitalistes. Trotski confond deux sortes de rapports dans cette question. Les rapports dans la situation d’isolement et de non isolement et les rapports dans la question du rythme entre nous et les Etats capitalistes. Il y a chez nous une économie rationnelle, de nouveaux rapports de principes entre la ville et la campagne, en corrélation avec un rythme plus rapide de développement. Les rapports entre la ville et la campagne ont, chez nous, un effet non pas destructif, mais fécond. Ils ne rétrécissent pas le marché, mais l’élargissent. C’est un atout dans nos mains qui assure un rythme plus, rapide. Il est clair qu’en cas de blocus il surviendrait des difficultés, qu’il serait nécessaire de transformer l’appareil de production, qu’il y aurait des difficultés sociales, mais tout ceci ne représente pas des obstacles insurmontables.

Zinoviev prétend que nous nions le marché mondial. Il oublie, cependant, que la loi du marché mondial n’a jamais été une loi absolue, il oublie qu’il existe chez nous le monopole du commerce extérieur. Marx a parlé de la loi du marché mondial dans l’hypothèse du commerce libre. Comme Sokolnikov, l’ami de Zinoviev n’est pas parvenu à briser le monopole du commerce extérieur, il manque chez Zinoviev les prémisses pour construire sa théorie. Zinoviev s’en réfère à Marx qui a dit que la révolution en Europe est une tempête dans un verre d’eau sans la révolution en Angleterre. Mais Marx a écrit cela en 1849. Depuis, la situation s’est développée tout autrement. Est-ce que réellement notre révolution n’est qu’une tempête dans un verre d’eau ? Le capitalisme alors, n’était pas encore développé. Depuis cette époque, l’Angleterre a perdu son monopole sur le marché mondial. C’est pour ces raisons que les déductions de Zinoviev sont fausses. Voyons la troisième question. La question des difficultés intérieures est le cœur de la question. La possibilité d’édifier avec succès le socialisme dans la situation donnée existe-t-elle ? Ou faut-il que nous disparaissions à cause de nos conditions arriérées ? Il s’agit de savoir s’il est possible de venir à bout de notre propre bourgeoisie par nos propres forces. Les social-démocrates disent qu’il est utopique, étant données les prémisses qui existent chez nous, de parler de socialisme dans un pays.

L’édification du socialisme est-elle possible ou non dans un seul pays ? C’est la question essentielle sur laquelle nous voulons avoir de l’opposition une réponse tout à fait claire. C’est la question en discussion et non la question de savoir si notre révolution est nationale ou internationale. Mais l’opposition ne veut point donner de réponse à cette question. Le point de vue de Lénine dans cette question est clair, absolument clair. « Nous avons, dans notre pays, tout ce qui est nécessaire pour l’édification complète du socialisme ». On ne peut pas interpréter autrement cette phrase de Lénine. On ne peut pas prendre ici la ligne du juste milieu. Allons-nous, par suite de notre technique économique arriérée, dégénérer ou non dans l’édification au socialisme ? Si c’est possible, les camarades de l’opposition doivent dire où est la limite et à partir de quel moment cette possibilité d’édification du socialisme se transforme en une impossibilité. Au cas où il existe des prémisses, des points de départ et une base déjà suffisante pour l’édification du socialisme, il n’y a pour nous aucune limite, aucun moment à partir duquel cette possibilité se transformerait en une impossibilité. Quand Zinoviev prétend que cette question n’a pas été discutée, ce n’est pas vrai non plus. Nous avons parlé de cette question officiellement à la XIVe Conférence du Parti, et tous les camarades, y compris Zinoviev, ont voté pour la résolution correspondante. Au cas où la théorie social-démocrate de l’opposition serait juste, la théorie de notre dégénérescence fatale en découlerait. L’opposition prétend que nous sommes un parti de koulaks, que nous favorisons le développement des koulaks, que nous leur faisons des concessions, que nous aidons les koulaks à organiser la grève du pain. Or, les résultats sont tout le contraire. Les chiffres des achats des céréales en octobre et en novembre de cette année sont plus élevés que ceux des mois correspondants de l’année précédente. Depuis la nouvelle campagne pour l’achat des céréales, les résultats sont plus élevés de 35 %, ce qui est un succès sur le terrain économique. Ce n’est pas nous qui nous sommes trompés, mais c’est l’opposition. Elle n’a pas apprécié justement les forces de classes, les forces économiques.

Quelques mots sur Thermidor. Il y a de la part de l’opposition des germes de pensées contre-révolutionnaires dans cette façon de poser la question. Les camarades qui ont parlé de Thermidor révisent les doctrines économiques du marxisme, ce qui est de nouveau en relation avec la question de l’édification socialiste dans notre pays. Dans la grande révolution française, Thermidor a vaincu et Thermidor ne pouvait point faire que de vaincre, parce que la grande bourgeoisie capitaliste avait en main des atouts économiques plus grands que la dictature jacobine qui représentait la petite production. Dans l’U. S., où le principe économique suprême appartient à la classe ouvrière et où nous avons en main la grande production et le commerce de gros et où il faut ajouter encore la direction rationnelle des usines, il est absurde de parler d’un Thermidor. Dans cette façon de poser la question par l’opposition, il n’y a pas un atome de doctrine économique marxiste. La base théorique de toutes ces théories de l’opposition n’est même pas social-démocrate, mais tout à fait bernsteinienne

Le danger de dégénérescence, chez nous, est en liaison étroite avec la bureaucratisation de l’appareil économique de l’Etat et n’aurait pu qu’être favorisé par la politique de l’élévation des prix. Or, la politique de l’élévation des prix a été défendue précisément par les camarades de l’opposition.

Le petit jeu avec les citations de Lénine est tout à fait ridicule. Lénine a écrit, au début de la guerre, que nous avions devant nous la révolution bourgeoise. Zinoviev — comme s’il ne s’était rien passé depuis dit que Lénine était pour la république démocratique. Ce n’est rien de plus que la défense de ses fautes d’Octobre. (Interruption : « Très bien ! »)

Zinoviev a parlé de quelques questions spéciales de l’Internationale Communiste. Il a dit que l’on exécute les gauches, alors que l’on gracie les droitiers. Je rappelle que Zinoviev était d’accord avec la lettre ouverte au P. C. A. Il a dit un jour que la lettre ouverte est un document excellent de l’I.C. Or, ne dit-on pas, dans la lettre ouverte, que les déviations qu’on appelle ultra-gauches et que leurs rapports avec l’U. S. sont un réflexe de l’orientation occidentale de la bourgeoisie allemande ? Suivant l’opinion du camarade Zinoviev d’alors, c’était tout à fait juste et excellent. Depuis, l’orientation occidentale de la bourgeoisie allemande s’est accentuée et, par conséquent, les réflexes qui en découlent se sont accentués également. Ceci veut dire que nous ne pouvons plus du tout tolérer aujourd’hui ce qu’on appelle les déviations ultra-gauches dans le cadre de notre parti. C’est pourquoi nous avons accentué notre position à l’égard de ces déviations ultra-gauches et c’est pourquoi nous pouvons dire en toute conscience : les korschistes et les demi-korschistes ne peuvent pas et ne doivent pas être tolérées dans une organisation communiste prolétarienne, car cette déviation « de gauche » se transforme en contre-révolution. (Applaudissements.) Nous avons critiqué les déviations de droite de la façon la plus sévère, plus sévèrement que Zinoviev. Nous avons critiqué quelques fautes du parti anglais et il a reconnu ces fautes. Nous avons critiqué des fautes du parti polonais, mais ce que Zinoviev a dit de Souvarine, cela ne tient pas debout. Il a dit : « J’ai proposé qu’on envoie Souvarine, non en Angleterre, mais en Chine. » Merci pour cette proposition. Pourquoi Zinoviev ne nous propose-t-il pas d’envoyer Kautsky à Java ? A Java, il y a un soulèvement; peut-être M. Kautsky pourra-t-il corriger les fautes des communistes javanais.

C’est à Java, où il y a d’énormes problèmes révolutionnaires de caractère mondial, qu’il faut envoyer des camarades les plus révolutionnaires, les plus fidèles à l’Internationale Communiste. (Applaudissements.) Voilà comment Zinoviev distribue grâces et disgrâces.

Pour terminer : le but de l’intervention des camarades de l’opposition a été de donner une plate-forme bien élaborée à tous les éléments d’opposition, y compris les exclus. Les partis ont maintenant trop de maturité, ils sont devenus trop bolchévistes, ils ont trop de foi dans la possibilité du développement révolutionnaire en Russie, ils se sont trop consolidés pour supporter qu’on fasse des fractions dans l’I. C. Il nous faut poser cette question maintenant d’une façon aiguë, car c’est dans ces conditions seulement que nous serons capables de faire progresser l’I. C. sur la voie de la révolution internationale. C’est notre but. Nous remplirons nos tâches et, en particulier, celle-ci dans toutes les conditions. (Tempête. d’applaudissements.)

Fin de la séance, à 11 heures et demie du soir.

La prochaine séance aura lieu, le 10 décembre, au matin.

Ce discours de Boukharine est extrait de La Correspondance Internationale, n°137, 6e année (1926) qui contient un abrégé de la sténographie du VIIe plenum du CEIC (novembre décembre 1926).

WH 1462 et 1463 renvoient aux deux tomes du sténogramme de ce VIIe Plenum, publiés en 1927.

WH 1326 renvoie à une série de douze n° d’IPK (en allemand) sur les débats du VIIe Plenum, publiés en 1926.

Nous avons reproduit les traces des interventions de Zinoviev et Trotski auxquelles répond Boukharine.

ZINOVIEV. — Aujourd’hui on a pris connaissance ici d’une résolution du C. C. du P. C.

de l’U. R. S. S. qui me laisse libre de décider si, oui ou non, je dois parler à cette session du Comité Exécutif élargi de 1’I. C. Après mûre réflexion j’ai résolu de venir parler devant vous. Est-ce qu’il existe donc un danger réel que mon entrée en scène à l’Exécutif élargi puisse donner une nouvelle impulsion à la lutte fractionnelle ? Je crois qu’un tel danger n’est pas complètement exclu, mais j’éviterai dans mon discours absolument tout ce qui pourrait aboutir à de tels résultats. Je ne veux pas de lutte fractionnelle, je ne la dirigerai pas. (Interruption du camarade Thaelmann : « Mais vous l’avez bien dirigée ! »)

Je déclare expressément que je ne fais nullement appel à l’I. C. contre les décisions de mon parti. Cependant, je dois quelques explications à l’I. C. Je me bornerai donc à exposer mes conceptions de principe. La question du socialisme en un seul pays est la question fondamentale de nos divergences de vue. Je rappelle que, dans le projet de programme de l’I.C., on ne peut trouver aucune phrase confirmant la théorie de la possibilité du socialisme dans un seul pays.

Tout d’abord, s’impose la question de savoir si Marx et Engels se sont prononcés sur ce sujet. Oui, ils ont donné leur avis. Dans son article, « Jour de l’an 1849 », Marx écrivait qu’un bouleversement de l’économie nationale dans tous les pays du continent européen, sur tout le continent européen, sans l’Angleterre qui domine le marché mondial, serait une tempête dans un verre d’eau. Marx dit de plus que la révolution socialiste ne peut être résolue nulle part dans le cadre des frontières nationales. Marx fut d’avis que la révolution socialiste peut être « annoncée » dans un seul pays, mais qu’elle ne peut, pas être « résolue » dans un seul pays. Marx considérait même tout le continent européen, c’est-à-dire l’Europe sans l’Angleterre, comme un « petit coin » et redoutait qu’une révolution sociale pût être réprimée par le capitalisme des territoires où il se trouve sur une ligne ascendante. Marx pensait alors, non pas seulement à l’intervention militaire, mais aussi aux lois du marché mondial. La ligne fondamentale de la politique révolutionnaire du prolétariat ne peut pas être limitée par le cadre d’une perspective nationale. (Interruption : « Qui est-ce qui prétend le contraire ? ») Engels s’est prononcé dans cette question en plein accord avec Marx dans les Principes du Communisme. Il a répondu à la question : « Cette révolution peut-elle se faire isolément dans n’importe quel pays ? » par un « non » catégorique. Il ne faut pas oublier cela. Naturellement, il ne faut pas interpréter les constatations de Marx et d’Engels en ce sens que la révolution sociale ne puisse pas commencer dans un seul pays. Ce ne sont que MM. « les chefs » de la IIe Internationale qui posent la question d’une façon aussi insidieuse.

On ne peut soulever la question, si peut-être les opinions de Marx et d’Engels dans la question de la révolution prolétarienne internationale sont périmées ? C’est alors que nous arrivons à la loi sur l’inégalité du développement. A mon avis, il est faux d’affirmer que les conceptions de Marx et d’Engels sur le caractère international de la révolution seraient périmées du fait que Marx et Engels n’ont pas vécu la période de l’impérialisme. Lénine a défini la loi sur l’inégalité de développement non seulement comme une loi du capitalisme général. Il est de toute évidence que Marx et Engels connaissaient très bien cette loi. (Interruption : « Qui nie cela ? ») Lénine n’a jamais considéré l’impérialisme comme la source du développement inégal. On ne peut tirer des conclusions de la « loi du capitalisme » sur l’inégalité du développement que si l’on n’oublie pas une seule minute que l’impérialisme est du capitalisme monopoliste, que l’époque impérialiste signifie non seulement concentration, mais aussi centralisation, que l’époque du capital financier est une période de l’oligarchie financière. L’époque de l’impérialisme est une époque de guerres et de révolutions. « Rompre » le front, « commencer », voila ce que peut bien le prolétariat d’un seul pays; mais, si le capitalisme continuait, sur les points décisifs du globe à se développer sur une « ligne ascendante », alors la révolution socialiste dans un seul pays — et encore arriéré — serait infailliblement condamnée à mort. L’intensité des contradictions du capitalisme a non seulement diminué, mais, au contraire, elle «’.est renforcée. Le prolétariat d’un seul pays ne peut pas seulement, mais doit également prendre le pouvoir, car nous avons « la conviction scientifique » (Lénine) que la victoire peut être assurée à l’échelle internationale. Plus nous étudions Lénine, plus nous nom convainquons que, dans la question de la victoire du socialisme dans un seul pays, il défend absolument les opinions de principe de Marx et de Engels. On peut citer à ce sujet toute une série de passages des œuvres de Lénine.

Lénine entendait par socialisme l’anéantissement des classes. Sur le délai que mettra la réalisation de l’ordre socialiste en Russie, il s’est exprimé de la façon suivante : « La voie d’organisation est un long chemin et les tâches de l’édification socialiste exigent un travail tenace, de longue haleine, ainsi que des connaissances adéquates dont nous disposons d’une façon insuffisante. » (Interruption : « Qui est-ce qui nie cela ? ») La déclaration de Lénine que tant que notre république soviétiste est un pays limitrophe, isolé dans le monde capitaliste tout entier, il serait utopique de croire à notre indépendance économique complète, est extrêmement importante. Voilà le nœud de la question, et c’est précisément cela qui constitue le point litigieux. Ces mots de Lénine signifient qu’il ne s’agit non seulement d’une intervention armée, mais également de l’encerclement économique, que nous devons redouter la suppression de notre indépendance économique complète par suite des lois qui règlent le marché mondial.

Mais si l’on interprète les conceptions de Lénine sur le caractère international de la révolution, alors il ne faut pas passer sous silence les écrits importants et les conceptions véritables de Lénine. (Interruption : « Très bien, très juste! ») On nous accuse de ce que nous n’avons pas de perspective. On nous accuse de passivité. Ce serait juste si nous doutions de ce que l’on peut et doit édifier maintenant, le socialisme dans notre pays. Mais il n’y a pas trace de ce doute ; nous construisons le socialisme et nous l’édifierons complètement avec l’aide de la révolution prolétarienne des autres pays. (Interruption : « Et si la révolution tarde à venir ? »)

Chez certains communistes étrangers, nous avons remarqué les opinions suivantes :

« Chez nous (en Allemagne ou en Tchécoslovaquie), la révolution prolétarienne ne vient pas encore — que les Russes édifient donc le socialisme du moins chez eux, mais sans notre secours, » (Interruption : « Qui est-ce qui dit cela? ») Voilà en vérité des opinions de passivité et de pessimisme. Chez certains communistes russes, cette mentalité exprime en réalité un pessimisme quant à la révolution prolétarienne mondiale. C’est d’ailleurs précisément en cela qu’est le danger de révision des conceptions de Lénine sur le caractère international de la révolution prolétarienne.

C’est pourquoi notre proposition est très simple. Nous proposons, premièrement, de ne pas déclarer les conceptions de Marx et de Engels en cette question comme périmées et, deuxièmement, de maintenir l’interprétation des opinions de Lénine en cette question qui, jusqu’en 1924, a été l’interprétation commune de nous tous. Jusqu’au printemps 1924, le camarade Staline a interprété Lénine dans cette question de la même façon que nous tous. (Interruption. : « Oh ! Oh ! ») Une perspective pour l’édification socialiste est absolument nécessaire. Mais pourquoi cette perspective doit-elle être nationale et non internationale ? (Interruption : « Très spirituel ! ») Le pouvoir des Soviets dans l’Union Soviétiste ne périra pas et achèvera l’œuvre du socialisme jusqu’au bout parce que les révolutions dans les autres pays viendront infailliblement.

Un des arguments « décisifs » qu’on lance contre notre point de vue dans la question du socialisme dans un seul pays est que les relations réciproques entre le prolétariat et la paysannerie sont pour le moment les mêmes à l’échelle mondiale qu’en Russie.

Cette argumentation omet au moins quatre circonstances : Tout d’abord, 1e développement de l’industrie lourde et de la technique à l’échelle mondiale suffit déjà pour entraîner la paysannerie derrière soi.

Pour vaincre, il n’est pas absolument indispensable d’avoir partout la majorité. Il suffit de remporter la victoire en des endroits décisifs et au moment décisif.

Troisièmement, si l’on parle de la majorité des paysans dans le monde entier, on pense à la population paysanne des colonies et des pays semi-coloniaux, en un mot, des pays indépendants. La libération des principaux pays coloniaux nécessite précisément la victoire de la, révolution socialiste en deux ou trois Etats impérialistes les plus puissants. Quatrièmement, si dans le monde entier ou, du moins, dans les pays décisifs, la bourgeoisie est terrassée et s’il ne reste plus que deux classes : le prolétariat et la paysannerie, alors le rapport réel entre le prolétariat et la paysannerie dans ces pays sera tout autre, quoique le rapport numérique reste comme auparavant. Un changement décisif s’opère également immédiatement dans les relations entre le prolétariat et la paysannerie sur l’échelle mondiale. Mon attitude vis-à-vis de la social-démocratie n’a pas changé. (Interruption : « Vous leur fournissez des arguments contre nous ! ») « Plus la social-démocratie est forte dans un pays, plus la situation du prolétariat est mauvaise ». C’est ce point de vue que nous maintenons encore aujourd’hui. On dit que Lévy et d’autres social-démocrates « sympathisent » avec moi. Mais il y a aussi d’autres cas où les social-démocrates sympathisent avec la majorité. Plus se manifeste la croissance des koulaks et de la nouvelle bourgeoisie, plus il faudra prêter d’attention à la question des dangers de dégénérescence. Il va de soi qu’il ne s’agit exclusivement que de dangers, de tendances et non d’actes en voie de réalisation. Nous posons la question des dangers de dégénérescence dont les sources se trouvent dans l’encerclement bourgeois international, dans les côtés négatifs de la NEP, dans le bureaucratisme de l’appareil d’Etat et dans la couche des suiveurs. Lénine, lui aussi, a parlé d’un tel danger.

Quant à mes rapports avec l’extrême-gauche et la droite, je suis resté sur mes anciennes positions, ce qui veut dire, sur des positions que Lénine a définies plus d’une fois. L’opportunisme est notre ennemi principal. (Interruption : « Cela dépend de la situation concrète ! ») Si l’on prend le travail pratique des plus importantes sections de l’I. C. au cours de ces derniers mois, alors on s’aperçoit que, vis-à-vis des gauches, on n’a pas appliqué la politique curative et que, vis-à-vis de la droite (Pologne, Angleterre), on a poursuivi une politique par trop molle.

On m’a accusé d’avoir proposé la réadmission de Souvarine. La vérité est que j’ai émis l’opinion qu’il serait peut être bon, si Souvarine cessait de faire paraître son organe fractionnel. (Interruption : « Il a cessé depuis longtemps! ») que le parti lui donne la possibilité de partir pour une année en Chine ou en Amérique comme correspondant, et, s’il était discipliné, de soulever la question de sa réadmission. Je n’ai rien à faire avec ses opinions. (Interruption : « Pourquoi voulez-vous alors le faire réadmettre ? ») L’accusation que je serais tolérant vis-à-vis de l’idée de deux partis dans notre pays ne peut être démontrée par aucun fait.

En ce qui concerne les questions de l’unité du parti et du fractionnisme, nous ne retirons pas un seul mot de ce que nous avons écrit pendant une série d’années sur la nocivité et les dangers du fractionnisme. Nous avons reconnu ouvertement notre faute dans notre déclaration du 16 octobre (Interruption : « Il y a loin des paroles aux actes ! ») et nous avons sommé tous nos partisans de renoncer au travail fractionnel. .I1 faut assurer à tout prix l’unité du P. C. de l’U. R. S. S.

Lénine a estimé comme inadmissible les blocs. Les différends du passé ont leur importance. Mais il faut juger le bloc en partant des idées théoriques et des tâches politiques qui ont été à sa base.

Quant au trotskisme, je tiens à déclarer : ce qui a séparé le trotskisme historique du léninisme jusqu’en 1917 n’est plus défendu par Trotski lui-même, n’a nullement constitué la base du bloc oppositionnel, et rencontrera toujours la résistance la plus énergique de notre part. (Interruption : « Oh ! Oh ! ») C’est surtout la théorie de la révolution permanente que nous ne partageons pas. Mais il est foncièrement faux de croire que n’importe quelle question liée à l’appréciation des forces vives de la révolution doit être ramenée à. l’ancienne querelle sur la révolution- permanente, etc. Je persévère sur le terrain du, léninisme, j’estime que ce que je viens d’exposer suffit pour démontrer que je ne me suis rendu coupable d’aucune « déviation social-démocrate ».

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TROTSKI. — La Pravda a publié aujourd’hui un article leader où il est dit que notre attitude, ici, est une continuation de l’activité fractionnelle. C’est injuste. Dans la note de la délégation russe à l’E. E., il n’est pas dit que la déclaration du 16 octobre est violée par notre attitude.

Au Ve Congrès mondial, je fus condamné parce que je ne m’étais pas justifié. Maintenant, je veux parler. Nous n’en appellerons pas à l’E. E. contre les résolutions du P. C., mais nous exposerons notre point de vue.

Staline a accusé l’opposition de trotskisme et a parlé contre nous à l’aide de vieilles citations artificiellement rassemblées, mais pas sur la base des problèmes économiques actuels. Tout repose sur le fait que je n’ai pas été plus tôt dans le parti bolchévik et que j’ai combattu Lénine. Alors, j’avais tort naturellement, cependant, en entrant dans le parti bolchévik, j’ai prouvé que j’ai laissé sur le seuil, derrière moi, ce qui nous séparait. (Interruption du camarade Remmele : « Comment est-ce possible ? ») C’est naturellement pris au sens figuré, car ce qui nous séparait autrefois a été émoussé par les faits; les différences d’alors étaient très importantes ; elles avaient trait à l’estimation des forces de classes dans la révolution, au passage de la révolution démocratique à la révolution socialiste et aussi à la question de la construction du parti et des rapports avec les menchéviks. Sur toutes ces questions, Lénine et le parti ont eu raison. Mais tous les camarades présents ici ne sont pas orientés justement sur la théorie de la révolution permanente. Même, lorsque je n’en voyais pas encore les lacunes, je ne l’ai jamais conçue comme une théorie au-dessus de l’histoire. Elle se rapportait seulement à un développement déterminé de la révolution en Russie. Deux fois seulement cette théorie a été exagérée : une fois par le camarade Manouilski, en 1918, et une autre lois par le camarade Pepper, au IIIe Congrès de l’I. C.

Maintenant, après être allé en Amérique, Pepper défend une sorte de doctrine socialiste de Monroe pour la Russie.

La méthode biographique n’apporte aucune clarté. J’ai fait beaucoup de fautes. Mais si les questions doivent être décidées non d’après les faits, mais d’après les biographies, alors les biographies de tous les membres de l’Exécutif doivent être reproduites. Mehring fut d’abord l’adversaire de la social-démocratie et vint plus tard à elle, pendant que Bernstein et Kautsky ont été de très bonne heure les représentants du marxisme. Cependant, Mehring est mort communiste, alors que Bernstein et Kautsky vivent en chiens réformistes. (Agitation.) Staline devrait aussi dénombrer ses fautes. Sa plus grande faute est la théorie de la possibilité du socialisme dans un seul pays. Je suis pleinement d’accord avec Zinoviev, qui a très bien établi, sur la base des citations, que la tradition du marxisme et du léninisme est entièrement de notre côté. Naturellement, on peut rédiger aussi le marxisme et le léninisme. Plus cette discussion se développe, plus il s’agit des bases fondamentales de notre doctrine. Ceci est important pour l’Internationale, c’est pourquoi je parle.

Staline me reproche de nier la loi de l’inégalité du développement du capitalisme. Mais l’impérialisme, malgré l’aggravation des antagonismes, conduit à un nivellement. L’inégalité dans l’impérialisme est plus faible qu’autrefois. Certes, Lénine a démontré celle-là sur deux choses, sur l’inégalité dans le rythme du développement et sur l’inégalité du niveau du développement. Comme le rythme des pays nouvellement industrialisés, comme les Indes et le Canada, est plus rapide et que le rythme des vieux pays capitalistes est plus lent et souvent arriéré, il se forme un nivellement, une égalisation. C’est pourquoi la théorie du superimpérialisme de Kautsky est fausse et le danger de guerre est grand. Mais on ne peut pas arracher un pays de l’économie mondiale. C’est une faute capitale. La Russie était avant la guerre une partie intégrante de l’économie mondiale et fut, par conséquent, entraînée dans la guerre par le capital financier.

Si la Russie avait été un Etat isolé, aucune décomposition de la bourgeoisie ne se serait produite et aucune révolution prolétarienne. Et maintenant, après la prise du pouvoir, il serait possible d’écarter la Russie de l’économie mondiale ? Non. Nous avons besoin d’un équipement technique pour nos fabriques. Avant la révolution, nous avons importé 67 % de l’étranger. Maintenant, la reconstruction est accomplie, et nous devons de nouveau importer de l’étranger. Notre équipement industriel est la cristallisation de la dépendance de la Russie de l’économie mondiale. Qui ne comprend pas cela, ne comprend rien à notre économie.

Notre économie est une partie intégrante de l’économie mondiale. La fin de notre période de reconstruction est le commencement de la restauration de notre liaison avec l’économie mondiale.

L’industrialisation ne signifie pas, pour les temps prochains, l’amoindrissement d’une soudure croissante avec le capitalisme mondial et la dépendance du capitalisme, mais le contraire. Naturellement, si le capitalisme mondial va au diable, nous construirons en dix ans plus de machines que maintenant. Mais il ne va pas au diable. Si nous négligeons la division du travail dans l’économie mondiale, si nous foulons aux pieds notre développement économique d’avant-guerre, si nous voulons tout produire par nous-mêmes, notre développement deviendra toujours plus petit et plus lent. L’Etat socialiste isolé ne se trouve que dans l’imagination d’un faiseur d’articles ou d’un auteur de résolutions. L’économie mondiale contrôle chaque partie intégrante de notre économie, même sous la dictature du prolétariat. Quand on parle de la théorie du socialisme dans un seul pays et qu’on ne tient pas compte du fait que nous nous incorporons toujours davantage dans les cadres de l’économie mondiale, c’est de la quintessence métaphysique.

La théorie de Staline est pleine de contradictions. Il prétend, dans son rapport, qu’édifier le socialisme, c’est triompher de la bourgeoisie au cours de lutte. Or, c’est insoutenable. Car l’édification du socialisme signifie la destruction des classes et, avec la destruction des classes, se produit aussi le dépérissement de l’Etat. Là ne se pose pas seulement la question de la lutte du prolétariat avec sa propre bourgeoisie, mais la concurrence de l’économie socialiste, avec toute l’économie capitaliste.

Notre révolution est une partie intégrante de la révolution prolétarienne mondiale. C’est pourquoi nous n’avons aucune certitude absolue que nous puissions construire le socialisme dans notre pays. L’interprétation de Staline disant que, sans une telle certitude, nous devons abandonner le pouvoir, est fausse. Staline ajoutait lui-même, en 1924, que, pour la victoire définitive du socialisme, les efforts d’un pays sont insuffisants. Cependant, il ne lui venait pas alors à l’esprit d’abandonner le pouvoir. Dans le programme et les directives de la Fédération des Jeunesses communistes léninistes russes, qui furent adoptés, en septembre 1921, par notre parti comme directives pour l’ensemble du mouvement des jeunesses, on lit que le pays ne peut parvenir au socialisme que par la révolution mondiale.

Les faits existent et les arguments reçoivent une nouvelle force sur la base des faits. Les questions touchées par moi surgiront à nouveau d’elles-mêmes dans les sessions de l’Internationale.

BOUKHARINE (salué par une tempête d’applaudissements; les délégués se lèvent et entonnent l’Internationale.) — Je veux tout d’abord faire quelques remarques rapides sur le discours de Trotski.

Trotski a dit qu’il n’en appelle pas à l’I. C. du jugement du P. C. de l’U. S., et pourtant il se dresse contre les décisions du parti. En allemand comme dans toutes les autres langues, c’est faire appel. Lorsque Trotski se réfère au Ve Congrès mondial, il n’a pas tout à fait raison, car alors il a été invité par une décision du congrès à parler tandis que cette fois, l’Exécutif élargi de l’I. C. avait refusé expressément de l’inviter à intervenir ici. Il y a une petite différence. Puisque Trotski rappelle le Ve Congrès mondial, il devrait aussi rappeler les décisions du Ve Congrès mondial contre le trotskisme. Mais ce rappel ne serait pas favorable à Trotski.

Passons à la question de la révolution permanente. Trotski a dit que Lénine a toujours eu raison, mais il ajoute tout de suite après qu’il n’a remarqué jusqu’ici que quelques lacunes à sa théorie de la révolution permanente. Ceci est, pour parler poliment, peu clair, il n’y aurait alors que quelques lacunes dans une théorie généralement juste ! Trotski n’a donc pas encore convenu que cette théorie est fausse, ni auparavant, ni maintenant.

Passons à la question de la méthode biographique. Trotski a été contre la présentation de biographies, mais, tout de suite après, il a fait lui-même la biographie de Pepper et sa propre biographie. En ce qui concerne la doctrine de Monroë pour l’U. S., nous pouvons dire ceci : Si nous accomplissons aussi bien l’édification du socialisme que l’Amérique édifie le capitalisme à l’aide de la doctrine de Monroë, ce sera déjà bien. Trotski a dit qu’en 1917, il avait, en Amérique, pris le même point de vue que Lénine. C’est, pour parler poliment, une petite contre-vérité, car je sais, par des conversations personnelles, que Trotski était alors un violent adversaire de la gauche de Zimmenvald.

Voyons maintenant l’inégalité du développement capitaliste; Trotski a dit que l’impérialisme entraîne un nivellement, mais c’est une vérité de La Palice, c’est comme-si on disait que deux et deux font quatre. Staline ne l’a jamais nié. Trotski essaye, en posant trop implement la question, de tromper les camarades, il s’agit de savoir si la loi de l’inégalité du capitalisme dans la période de l’impérialisme joue à un degré plus élevé. Or, c’est un fait. Trotski fait la même chose dans la question de l’édification du .socialisme dans l’U. S. Il dit que plus notre développement économique progresse, plus nous passons sous la dépendance de l’économie mondiale. Mais ceci n’est qu’une demi-vérité et, par conséquent, un mensonge. En même temps que s’accroissent nos rapports avec l’économie mondiale, notre propre base socialiste s’accroît aussi et nous devenons de plus en plus forts. Si la pensée de Trotski était juste en soi, alors nous aurions devant nous la perspective d’une transformation de l’U. S. en un appendice de l’économie capitaliste mondiale. (Interruptions, très bien.)

Trotski dit que notre technique est très arriérée. C’est de nouveau aussi vrai que de dire que deux et deux font quatre. Il dit que nous avons besoin de machines étrangères, c’est de nouveau : deux et deux font quatre. Il dit qu’il nous faut exporter des céréales. C’est deux et deux font quatre. Trotski nous joue ainsi un spectacle amusant avec ces sortes de vérités élémentaires. Mais Trotski n’a rien dit de la vraie question. Or cette question est trop sérieuse pour qu’on puisse la traiter de cette façon.

Trotski a dit aussi que nous ne devons pas fouler aux pieds notre histoire économique d’avant-guerre. Ce serait très bien que cette phrase dans la bouche d’un contrerévolutionnaire. Mais, en octobre 1917, nous avons pourtant foulé quelque peu aux pieds notre histoire économique. (Très bien.) Nous ne pouvons pas, comme Trotski le veut, simplement prolonger notre histoire économique antérieure. Evidemment, il existe une certaine dépendance de l’économie mondiale, mais Trotski nie les faits économiques essentiels ainsi que les modifications produites par la révolution qui nous donnent la possibilité de triompher de cette dépendance de l’économie mondiale. La façon de poser la question par Trotski est trop simple et, par suite, elle est fausse.

Trotski a cité Staline qui a dit que l’édification du socialisme, c’est de venir à bout de sa propre bourgeoisie. Avec supériorité, Trotski déclare que c’est déjà une chose liquidée. Mais il oublie une bagatelle, à savoir le mot de Staline « économique ». Politiquement, la bourgeoisie est abattue. Mais la tâche de maîtriser économiquement la bourgeoisie n’est pas encore solutionnée. Car il s’agit d’écarter la bourgeoisie du commerce de gros et de détail, de venir à bout de la nouvelle paysannerie capitaliste. Trotski n’a donc fait qu’une toute petite faute, il a oublié le petit mot « économique ». (Hilarité.)

Nous pouvons formuler de façons différentes cette nouvelle question, poser soit la question du caractère de notre révolution, soit de la maîtrise de notre propre bourgeoisie, soit de la possibilité de l’édification du socialisme. Staline avait tout à fait raison, et Trotski avait tort.

C’est également une faute de Trotski de dire que l’édification du socialisme présuppose qu’on écarte complètement l’Etat. Ceci serait déjà la deuxième étape, ce n’est pas le socialisme, c’est le communisme intégral.

Mais, arrivons au discours de Zinoviev que Trotski a qualifié d’exposé excellent de ses conceptions. Zinoviev dit qu’il ne veut pas déchaîner une lutte de fractions. Pourtant c’est un fait que son intervention signifie une prolongation de la lutte de fractions à l’échelle internationale. Ces camarades ont élaboré toute une plate-forme d’opposition. Zinoviev a eu la première partie, Trotski la deuxième et Kamenev va lire la troisième partie. Pourquoi ? Dans quel but ? La réponse est claire, l’opposition allemande, l’opposition la plus forte a besoin « de l’aide étatique » de l’opposition russe (Hilarité.) La théorie de la révolution permanente triomphe donc, semble-t-il, également dans cette question. (Hilarité.) En théorie, il n’y a pas là de lutte fractionnelle mais, en pratique, c’est l’élargissement et la préparation de nouvelles luttes fractionnelles. Mais il y faut une méthode diplomatique, de l’équivoque comme dans toute grande question politique.

Zinoviev, par exemple, a deux points de vue différents dans la question de la stabilisation. Nous lui avons prouvé que dans un article, il est, au début, pour et, à la fin, contre la stabilisation. Zinoviev n’a pu le démentir. C’est une méthode très habile. On paie d’abord un tribut à la vérité, puis, pour jouer à l’homme de gauche, on dit le contraire. Plus tard, on peut alors déclarer : je l’ai déjà prouvé autrefois. C’est une méthode hypocrite. Passons aux questions de l’U. S. C’est une stratégie particulière à l’opposition de toujours pousser au premier plan d’autres questions que celles qui sont vraiment à l’ordre du jour. Je considère de mon devoir de démasquer ce jeu hypocrite. Nous avons, nous, une opinion ferme, mais l’opposition joue et équivoque. J’en ai pour preuve une citation du discours de Zinoviev à la XVe Conférence du parti où il dit expressément : « Nous reconnaissons le caractère international de la révolution russe et qu’elle est une partie intégrante de la révolution mondiale. Nous ne discutons pas là-dessus ». Evidemment non, car cette phrase est une vérité aussi simple que deux et deux font quatre. Mais en nous reprochant de nier le caractère international de la révolution russe, Zinoviev opère contre nous en contradiction avec la citation ci-dessus. C’est calomnier notre parti.

Voyons plus loin. Nous ne discutons pas que la contradiction qui existe entre nous et les pays capitalistes ne peut être réglée que par la révolution mondiale. C’est de nouveau aussi vrai que deux et deux font quatre. Tout le bavardage de Zinoviev là-dessus n’a été qu’une manœuvre, une duperie pour détourner nos camarades. Zinoviev a apporté un plein panier de citations. (Hilarité.) Ces citations sont bonnes, à supposer qu’elles soient justes. (Hilarité.) Mais que prouvent-elles ? Seulement ce que nous reconnaissons tous. Mais elles ne disent rien sur la véritable question du débat, sur la question de savoir si nous pouvons édifier avec succès le socialisme. C’est de nouveau un truc de l’opposition qui pose trop facilement la question et, par conséquent, qui la pose de façon fausse.

Il est nécessaire d’analyser les questions : 1° la question des guerres capitalistes et de l’Internationale communiste ; 2° la question de l’économie capitaliste mondiale et de l’U.S. »; 3° la question des difficultés internes de l’U. S.

La première question consiste dans l’antagonisme fondamental entre le monde capitaliste et nous. Quoique nous soyons dans une certaine dépendance à l’égard du monde capitaliste, nous devenons pourtant, chaque jour, plus indépendants. Ceci s’exprime par l’aggravation des antagonismes. La révolution mondiale est un long processus, une longue époque. Et bien qu’elle soit plus courte que l’époque de la révolution bourgeoise, le processus est le même : 1° dans un pays, puis successivement dans d’autres pays au cours de période de guerres nombreuses entre les Etats socialistes, d’un côté, et les grandes coalitions capitalistes, de l’autre côté. Le processus est très inégal. Et pourtant l’histoire pose la question de façon tout à fait brutale. Ou bien le monde nous appartiendra, ou il appartiendra à la bourgeoisie, cela veut dire que la victoire définitive du socialisme est la victoire mondiale du socialisme. La bourgeoisie combattra aussi tout Etat soviétiste les armes à la main. Dans aucun pays l’édification socialiste ne se poursuivra tranquillement. Les Etats socialistes et les Etats capitalistes ne pourront subsister côte à côte éternellement. La victoire définitive du socialisme signifie la victoire de la révolution mondiale ou la victoire du prolétariat dans tous les centres décisifs.

Voyons la deuxième question : il existe une certaine dépendance de notre économie étatique vis-à-vis de l’économie du capitalisme mondial. Exportation, importation, rapports de crédits, concessions sont autant de formes d’une dépendance relative à l’égard de l’économie capitaliste. Représentons-nous la forme la plus aiguë de l’isolement économique. Le blocus complet. En réalité, ceci ne peut se produire qu’en liaison avec la guerre, mais à supposer ce cas pratiquement impossible du blocus complet, il faut que nous obtenions de l’opposition une réponse claire. Dans une situation pareille devrons-nous fatalement disparaître ou non ? Nous répondons, nous, que même dans ce cas nous ne disparaîtrions pas. Il y a, chez l’opposition, des hésitations dans cette question. Zinoviev a dit qu’il faut craindre toujours les dangers, que nous aurons encore beaucoup de difficultés, que le rythme du développement ne sera pas si rapide et pourtant devra devenir plus rapide que dans les pays capitalistes. Trotski confond deux sortes de rapports dans cette question. Les rapports dans la situation d’isolement et de non isolement et les rapports dans la question du rythme entre nous et les Etats capitalistes. Il y a chez nous une économie rationnelle, de nouveaux rapports de principes entre la ville et la campagne, en corrélation avec un rythme plus rapide de développement. Les rapports entre la ville et la campagne ont, chez nous, un effet non pas destructif, mais fécond. Ils ne rétrécissent pas le marché, mais l’élargissent. C’est un atout dans nos mains qui assure un rythme plus, rapide. Il est clair qu’en cas de blocus il surviendrait des difficultés, qu’il serait nécessaire de transformer l’appareil de production, qu’il y aurait des difficultés sociales, mais tout ceci ne représente pas des obstacles insurmontables.

Zinoviev prétend que nous nions le marché mondial. Il oublie, cependant, que la loi du marché mondial n’a jamais été une loi absolue, il oublie qu’il existe chez nous le monopole du commerce extérieur. Marx a parlé de la loi du marché mondial dans l’hypothèse du commerce libre. Comme Sokolnikov, l’ami de Zinoviev n’est pas parvenu à briser le monopole du commerce extérieur, il manque chez Zinoviev les prémisses pour construire sa théorie. Zinoviev s’en réfère à Marx qui a dit que la révolution en Europe est une tempête dans un verre d’eau sans la révolution en Angleterre. Mais Marx a écrit cela en 1849. Depuis, la situation s’est développée tout autrement. Est-ce que réellement notre révolution n’est qu’une tempête dans un verre d’eau. ? Le capitalisme alors, n’était pas encore développé. Depuis cette époque, l’Angleterre a perdu son monopole sur le marché mondial. C’est pour ces raisons que les déductions de Zinoviev sont fausses. Voyons la troisième question. La question des difficultés intérieures est le cœur de la question. La possibilité d’édifier avec succès le socialisme dans la situation donnée existe-t-elle ? Ou faut-il que nous disparaissions à cause de nos conditions arriérées ? Il s’agit de savoir s’il est possible de venir à bout de notre propre bourgeoisie par nos propres forces. Les social-démocrates disent qu’il est utopique, étant données les prémisses qui existent chez nous, de parler de socialisme dans un pays

L’édification du socialisme est-elle possible ou non dans un seul pays ? C’est la question essentielle sur laquelle nous voulons avoir de l’opposition une réponse tout à fait claire. C’est la question en discussion et non la question de savoir si notre révolution est nationale ou internationale. Mais l’opposition ne veut point donner de réponse à cette question. Le point de vue de Lénine dans cette question est clair, absolument clair. « Nous avons, dans notre pays, tout ce qui est nécessaire pour l’édification complète du socialisme ». On ne peut pas interpréter autrement cette phrase de Lénine. On ne peut pas prendre ici la ligne du juste milieu. Allons-nous, par suite de notre technique économique arriérée, dégénérer ou non dans l’édification au socialisme ? Si c’est possible, les camarades de l’opposition doivent dire où est la limite et à partir de quel moment cette possibilité d’édification du socialisme se transforme en une impossibilité. Au cas où il existe des prémisses, des points de départ et une base déjà suffisante pour l’édification du socialisme, il n’y a pour nous aucune limite, aucun moment à partir duquel cette possibilité se transformerait en une impossibilité. Quand Zinoviev prétend que cette question n’a pas été discutée, ce n’est pas vrai non plus. Nous avons parlé de cette question officiellement à la XIVe Conférence du Parti, et tous les camarades, y compris Zinoviev, ont voté pour la résolution correspondante. Au cas où la théorie social-démocrate de l’opposition serait juste, la théorie de notre dégénérescence fatale en découlerait.

L’opposition prétend que nous sommes un parti de koulaks, que nous favorisons le développement des koulaks, que nous leur faisons des concessions, que nous aidons les koulaks à organiser la grève du pain. Or, les résultats sont tout le contraire. Les chiffres des achats des céréales en octobre et en novembre de cette année sont plus élevés que ceux des mois correspondants de l’année précédente. Depuis la nouvelle campagne pour l’achat des céréales, les résultats sont plus élevés de 35 %, ce qui est un succès sur le terrain économique. Ce n’est pas nous qui nous sommes trompés, mais c’est l’opposition. Elle n’a pas apprécié justement les forces de classes, les forces économiques.

Quelques mots sur Thermidor. Il y a de la part de l’opposition des germes de pensées contre-révolutionnaires dans cette façon de poser la question. Les camarades qui ont parlé de Thermidor révisent les doctrines économiques du marxisme, ce qui est de nouveau en relation avec la question de l’édification socialiste dans notre pays. Dans la grande révolution française, Thermidor a vaincu et Thermidor ne pouvait point faire que de vaincre, parce que la grande bourgeoisie capitaliste avait en main des atouts économiques plus grands que la dictature jacobine qui représentait la petite production. Dans l’U. S., où le principe économique suprême appartient à la classe ouvrière et où nous avons en main la grande production et le commerce de gros et où il faut ajouter encore la direction rationnelle des usines, il est absurde de parler d’un Thermidor. Dans cette façon de poser la question par l’opposition, il n’y a pas un atome de doctrine économique marxiste. La base théorique de toutes ces théories de l’opposition n’est même pas social-démocrate, mais tout à fait bernsteinienne.

Le danger de dégénérescence, chez nous, est en liaison étroite avec la bureaucratisation de l’appareil économique de l’Etat et n’aurait pu qu’être favorisé par la politique de l’élévation des prix. Or, la politique de l’élévation des prix a été défendue précisément par les camarades de l’opposition.

Le petit jeu avec les citations de Lénine est tout à fait ridicule. Lénine a écrit, au début de la guerre, que nous avions devant nous la révolution bourgeoise. Zinoviev — comme s’il ne s’était rien passé depuis dit que Lénine était pour la république démocratique. Ce n’est rien de plus que la défense de ses fautes d’Octobre. (Interruption: « Très bien ! »)

Zinoviev a parlé de quelques questions spéciales de l’Internationale Communiste. Il a dit que l’on exécute les gauches, alors que l’on gracie les droitiers. Je rappelle que Zinoviev était d’accord avec la lettre ouverte au P. C. A. Il a dit un jour que la lettre ouverte est un document excellent de l’I.C. Or, ne dit-on pas, dans la lettre ouverte, que les déviations qu’on appelle ultra-gauches et que leurs rapports avec l’U. S. sont un réflexe de l’orientation occidentale de la bourgeoisie allemande ? Suivant l’opinion du camarade Zinoviev d’alors, c’était tout à fait juste et excellent. Depuis, l’orientation occidentale de la bourgeoisie allemande s’est accentuée et, par conséquent, les réflexes qui en découlent se sont accentués également. Ceci veut dire que nous ne pouvons plus du tout tolérer aujourd’hui ce qu’on appelle les déviations ultra-gauches dans le cadre de notre parti. C’est pourquoi nous avons accentué notre position à l’égard de ces déviations ultra-gauches et c’est pourquoi nous pouvons dire en toute conscience ; les korschistes et les demi-korschistes ne peuvent pas et ne doivent pas être tolérées dans une organisation communiste prolétarienne, car cette déviation « de gauche » se transforme en contre-révolution. (Applaudissements.) Nous avons critiqué les déviations de droite de la façon la plus sévère, plus sévèrement que Zinoviev. Nous avons critiqué quelques fautes du parti anglais et il a reconnu ces fautes. Nous avons critiqué des fautes du parti polonais, mais ce que Zinoviev a dit de Souvarine, cela ne tient pas debout. Il a dit : « J’ai proposé qu’on envoie Souvarine, non en Angleterre, mais en Chine. » Merci pour cette proposition. Pourquoi Zinoviev ne nous propose-t-il pas d’envoyer Kautsky à Java ? A Java, il y a un soulèvement; peut-être M. Kautsky pourra-t-il corriger les fautes des communistes javanais.

C’est à Java, où il y a d’énormes problèmes révolutionnaires de caractère mondial, qu’il faut envoyer des camarades les plus révolutionnaires, les plus fidèles à l’Internationale Communiste. (Applaudissements.) Voilà comment Zinoviev distribue grâces et disgrâces.

Pour terminer : le but de l’intervention des camarades de l’opposition a été de donner une plate-forme bien élaborée à tous les éléments d’opposition, y compris les exclus. Les partis ont maintenant trop de maturité, ils sont devenus trop bolchévistes, ils ont trop de foi dans la possibilité du développement révolutionnaire en Russie, ils se sont trop consolidés pour supporter qu’on fasse des fractions dans l’I. C. Il nous faut poser cette question maintenant d’une façon aiguë, car c’est dans ces conditions seulement que nous serons capables de faire progresser l’I. C. sur la voie de la révolution internationale. C’est notre but. Nous remplirons nos tâches et, en particulier, celle-ci dans toutes les conditions. (Tempête d’applaudissements.)

Fin de la séance, à 11 heures et demie du soir.

La prochaine séance aura lieu, le 10 décembre, au matin.