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Special pages :
Il y a réformes et réformes
Auteur·e(s) | Anton Pannekoek |
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Écriture | 7 novembre 1908 |
Deux sortes de Réformes
Dans tous les débats en ces dernières années la question du rapport entre la Révolution et la Réforme joue un rôle prépondérant. On l’a vu aux Congrès de Nuremberg et de Toulouse.
On cherche à opposer la Réforme à la Révolution. On accuse les camarades intransigeants, toujours préoccupés de la Révolution, c’est-à-dire de la transformation totale, de négliger la Réforme. Et on leur oppose cette conception qui prétend que la Réforme systématiquement et méthodiquement réalisée dans la société actuelle mène au socialisme sans qu’une rupture violente soit nécessaire.
Le mépris de la réforme est plutôt anarchiste que socialiste. Il est aussi peu justifié que la conception réformiste. La Révolution ne peut, en effet, s’opposer à la Réforme parce qu’elle se compose, en dernier lieu, des réformes, mais des réformes socialistes.
Pourquoi cherchons-nous à conquérir le pouvoir si ce n’est pour accomplir des réformes sociales décisives dans le sens socialiste ? Il se peut que quelques cerveaux anarchistes ou bourgeois conçoivent l’idée de la destruction de la vieille société et l’introduction d’un nouveau mode de production à l’aide d’un décret. Mais, nous socialistes, nous savons qu’un nouveau mode de production ne s’improvise pas comme par enchantement : il ne peut que procéder de l’ancien par une série de réformes. Mais ces réformes à nous seront tout à fait d’un autre genre que celles des bourgeois les plus radicaux. L’énoncé de ces réformes ferait frémir les réformistes bourgeois qui dissertent à perte de vue dans les Congrès sur la réforme sociale, se plaignant de leurs difficultés. Par contre, les cœurs prolétariens en sauteraient de joie. C’est seulement lorsque nous aurons conquis le pouvoir, que nous pourrons faire une œuvre entière. Une fois maître de ce pouvoir et n’ayant plus à tenir compte des intérêts capitalistes, le Prolétariat aura à détruire du tout au tout, jusqu’à la racine, les misères de notre régime. Alors on avancera rapidement, tandis que maintenant chaque pas doit être péniblement conquis et défendu et souvent les positions conquises sont reperdues. Ce sera l’ère de la vraie réforme en comparaison de laquelle les plus grandes réformes de la bourgeoisie ne sont que du mauvais travail.
Après avoir conquis le pouvoir, le prolétariat ne peut avoir qu’un seul et unique but : la suppression de sa misère par la suppression des causes qui l’engendrent. Il supprimera l’exploitation des masses populaires en socialisant les monopoles et les trusts. Il mettra fin à l’exploitation de l’enfance, et consacrera de larges ressources à l’éducation physique et intellectuelle des enfants du peuple. Il supprimera le chômage en fournissant un travail productif à tous les chômeurs. Il trouvera les ressources pour son œuvre réformatrice dans les richesses colossales accumulées. Il assurera et développera la liberté enfin conquise par la réalisation complète de la démocratie et de l’autonomie.
La Révolution sociale n’est pas autre chose que cette réforme sociale. En réalisant ce programme, le prolétariat révolutionne le mode de production. Car le capitalisme ne pourrait subsister sans la misère prolétarienne. Une fois le pouvoir politique conquis par le prolétariat et le chômage supprimé, il sera facile pour les organisations syndicales de faire hausser considérablement les salaires et améliorer graduellement les conditions de travail – jusqu’à la disparition du profit. L’exploitation deviendra si difficile que les capitalistes sont obligés d’y renoncer. Les ouvriers prendront leur place et organiseront la production en se passant des parasites. L’œuvre positive de la Révolution commencera. La réforme sociale prolétarienne mène directement à la réalisation complète du socialisme.
Par quoi se distingue la Révolution de ce que l’on appelle aujourd’hui la Réforme sociale ? Par sa profondeur. La Révolution, c’est une série de réformes profondes, décisives. D’où ce caractère décisif ? Il vient de la classe qui les accomplit. Aujourd’hui, c’est la bourgeoisie ou même la noblesse qui détient le pouvoir. Tout ce que ces classes font, elles le font naturellement dans leur propre intérêt. C’est dans leur intérêt propre qu’elles accordent aux ouvriers quelques améliorations. Aussitôt qu’elles s’aperçoivent que les réformes n’arrivent pas à mater la classe ouvrière, elles commercent à confectionner de nouvelles lois d’un caractère oppressif. En Allemagne, ce sont des lois contre la liberté de réunion, contre les coopératives, les caisses de maladie, etc. Après la Révolution, le prolétariat agira dans son propre intérêt, en faisant agir pour lui-même la machine d’Etat. La différence de la Révolution et de la réforme sociale actuelle réside, par conséquent, dans celle de la classe détenant le pouvoir politique.
Ceux qui croient que nous arriverons à réaliser graduellement le socialisme par la réforme sociale dans le régime actuel méconnaissent l’antagonisme des classes qui détermine celui des réformes. La réforme sociale actuelle, ayant comme but de conserver le système capitaliste, se trouve opposée à la réforme prolétarienne de demain qui aura le but contraire, la suppression de ce système.
Le lien organique existant aujourd’hui entre la Réforme et la Révolution est tout autre. En luttant pour la Réforme, la classe ouvrière se développe, se fortifie. Elle finit par conquérir le pouvoir politique. C’est là l’unité de la Réforme et de la Révolution. C’est seulement dans ce sens spécial que l’on peut dire que, dès maintenant, nous travaillons chaque jour à la Révolution.