Il faut retourner en France. Lettre au SWP, 22 avril 1939

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Chers Camarades,

Les dernières lettres de Rous[1] à vous et à moi indiquent une situation très tendue entre le P.O.I., sa fraction dans le P.S.O.P. et le S.I. Une explosion est possible à tout instant et de même dans le P.O.I. On a presque l'impression que quelqu'un est en train de provoquer consciemment des dissensions pour briser notre mouvement en France[2].

Les camarades américains ont fait un très bel effort pour aider les Français. Mais, s'ils s'arrêtent maintenant et laissent l'organisation française livrée à elle‑même, le résultat sera catastrophique. Reporter de quelques semaines, voire d'une seule, équivaut à abandonner. Nous n'avons pas le temps de nouvelles discussions là‑dessus. Il nous faut intervenir tout de suite.

A mon avis, deux camarades devraient aller en France. L'un devrait être Cannon, non seulement parce qu'il connaît bien la question, mais pour manifester que nous sommes tous d'accord avec sa ligne fondamentale. Son séjour en Europe devrait être bref ‑ une ou deux semaines.

Shachtman aussi devrait partir tout de suite, en même temps que Cannon, sans le moindre délai, et y rester plus longtemps. Nous ne pouvons répéter l'oubli commis après le congrès[3] et pour lequel nous sommes en train de payer très cher.

Depuis la mort de Klement, nous n'avons plus de S.I. Naville est maintenant son secrétaire, mais il est en minorité dans S.I. sur la question la plus grave et la plus importante, la question française. Il semble qu'il se contente de ne plus le convoquer. Son attitude, comme toujours dans les situations critiques c'est la résistance passive, à la section française comme au S.I.

En même temps, je propose de renforcer le comité pan-américain, non seulement en tant que tel, mais comme remplaçant officieux du S.I. pendant la période de transition. Il faut y faire entrer des camarades jouissant d'une grande autorité, publier en son nom un bulletin bi‑mensuel, pas seulement en espagnol, mais en anglais et si possible en français. Cette activité serait une répétition pour les temps de guerre en Europe.

En ce qui concerne mes propositions concrètes sur la France formulées dans ma dernière lettre[4], si elles sont dans la ligne de vos propres décisions et de l'activité de Cannon en France, je ne suis plus du tout aussi certain, après avoir reçu les lettres de Rous, qu'elles soient justes. L'attitude de Naville démontre qu'il se contente d'attendre un ordre et il ne fait que refléter l'état d’esprit de ses partisans[5].

La question personnelle des deux camarades qui demandent leur réadmission[6] ne peut être réglée qu'avec l'aide des camarades américains. Rous m'a demandé d'intervenir par lettre. C’est impossible : je ne connais pas la situation concrète et je n'ai entendu qu'un seul son de cloche.

Tout dépend d'un voyage immédiat en Europe. Nous n’avons plus de temps pour discuter. Nous avons dans nos rangs, comme en Europe, une situation militaire. Après‑demain, la guerre en Europe peut empêcher ce voyage. Il faut à tout prix partir aujourd'hui. Excusez, je vous prie, mon insistance. Ce n’est pas une question américaine, pas même une question française. C'est une question internationale d'une importance vitale.

J'attendrai votre réponse avec la plus extrême impatience.

P.‑S. Pour les faire attendre quelque temps avant de décider, il faut leur télégraphier la date d'arrivée à Paris des camarades.

  1. Jean Rous (1908‑1985), avocat, militant de la S.F.I.O. depuis 1928, avait rejoint la Ligue communiste en 1934 et était devenu l'un des principaux dirigeants du G.B.L. dans la période de l'entrisme. Au mois de février 1939, il avait tranché le nœud gordien de la discussion sur l'entrée dans le P.S.O.P. en entrant avec une minorité de cadres et militants du P.O.I. Il pressait Trotsky de soutenir son initiative et d'obtenir pour lui l'appui de l'organisation internationale.
  2. Les nouvelles de France ne pouvaient qu'alarmer Trotsky : il était question d'incidents, y compris de coups, entre militants responsables. Il est cependant exceptionnel que Trotsky envisage la provocation comme explication.
  3. Le congrès de septembre 1938 avait constaté que le S.I. ne pourrait pas fonctionner sans la présence permanente d'un dirigeant américain et avait demandé que Shachtman reste. Mais Shachtman était parti et il n'y avait pas d'Américain en Europe à titre permanent dans le S.I.
  4. Voir « Des propositions pour l’Europe » du 18.4.1939.
  5. Naville maintenait la position qui avait été celle de Trotsky au début de la discussion : il était dangereux de dissoudre l'organisation dans une formation centriste à la veille d'une période d'illégalité.
  6. Cette demande de réintégration, soutenue par Jean Rous, émanait de Fred Zeller et Mathias Corvin, deux anciens de la J.S.R., qui avaient été exclus du P.O.I. en novembre 1937 pour imprudence grave.