France : baromètre tempête

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De toute évidence, la vie politique française est entrée dans une nouvelle phase. Le gouvernement Pétain a abandonné l’espoir de rassembler le pays autour de lui par son paternalisme bienveillant ; il essaie maintenant d’une main tremblante de faire claquer son fouet. La caractère bonapartiste de ce gouvernement a été notablement accentué dans la dernière période. Dans son discours du 12 août, Pétain a reconnu que tout le pays était contre lui et qu’avec les baïonnettes allemandes, le seul soutien du régime était la police. Son régime repose sur une base si mince qu’il est secoué par les plus minimes changements. En prenant le pouvoir, Pétain a prétendu qu’il mettrait fin à la traditionnelle instabilité du régime parlementaire français. En fait, jamais l’appareil gouvernemental n’a eu à subir tant de cahots qu’aujourd’hui. Toute l’administration, y compris la police, est régulièrement épurée. « Qui n’est pas avec moi est contre moi », a proclamé Pétain. Pour consolider la structure croulante de son régime, Pétain exige un serment de fidélité de ses collaborateurs. Il essaie maintenant de se créer une base de masse avec la Légion française [1]. Il a déjà essayé de réaliser cette même tâche il y a quelques mois avec l’Assemblée nationale. L’organisation de cette entreprise est maintenant arrêtée. La nouvelle tentative aura certainement le même succès.

Plus Pétain est isolé du pays par la méfiance et la haine, plus il est obligé de se lier lui-même par de nouvelles chaînes au char du conquérant. Il a promis à Hitler « une collaboration loyale » et l’essentiel de sa collaboration consiste à écraser son propre peuple par une répression toujours plus sévère.

Le rôle de la terreur individuelle[modifier le wikicode]

C’est dans cette atmosphère qu’a retenti le coup de revolver tiré contre Laval [2]. Cet attentat ne relève évidemment pas du hasard et les motifs de l’assassin ont rarement été plus clairs. C’est toute la petite bourgeoisie française, écrasée par la misère, étranglée par la répression, offensée dans son patriotisme, qui a appuyé sur la gâchette pour affirmer sa rancœur. Cet attentat contre Laval nous permet de mesurer la tension grandissante des antagonismes qui s’accumulent en France — et dans toute l’Europe.

Dans le duel entre les oppresseurs et les terroristes, nous sommes évidemment du côté de ceux qui n’hésitent pas à sacrifier leur vie pour la liberté mais cela ne signifie pas que nous approuvions leurs méthodes. Il s’en faut. La terreur individuelle est l’arme spécifique de la petite-bourgeoisie quand elle est acculée. Ce n’est pas nouveau. On en a déjà eu une longue expérience dans nombre de pays. Les marxistes ont eu souvent l’occasion de critiquer la tactique de la « terreur individuelle » — bien entendu pas au nom de la moralité mais du point de vue de l’efficacité révolutionnaire. Il ne s’agit pas de « vengeance » mais de trouver la meilleure méthode de lutte. Pour un Laval assassiné, il se présentera des dizaines d’autres collaborateurs zélés. Pour un seul officier allemand assassiné, il viendra une centaine d’autres, plus hautains encore et brutaux. Quant à l’effet des attentats individuels sur les masses, s’il en a, on peut dire que c’est de les jeter dans la passivité. Si le salut peut venir de quelques héros qui vengent nos misères et nous libèrent de l’oppresseur au moyen d’un revolver, à quoi sert de s’organiser et de préparer la lutte ? Si on peut compter sur un « sauveur », pourquoi perdre du temps à former un parti révolutionnaire ?

Stériles en eux-mêmes, les attentats individuels sont néanmoins des signes manifestes de la profonde crise qui mûrit en France et dans toute l’Europe.

L’« Ordre nouveau » d’Hitler ne peut apporter au peuple que misère et oppression. Dans leur argot, les soldats allemands utilisent le mot « organiser » avec le sens de piller. S’ils ont volé un poulet ou un rouleau de beurre, ils disent qu’ils se sont « organisés ». Ils ont très bien saisi ce que signifient toutes les grandes phrases d’Hitler sur l’« organisation » de l’Europe : la concentration de toutes les ressources dans les mains de l’impérialisme allemand pour la poursuite de son travail de conquête. Les peuples opprimés et dépouillés grondent dans leur révolte.

L’effet de la lutte soviétique[modifier le wikicode]

A cette cause générale de la crise s’ajoute maintenant la guerre contre l’URSS. C’est là qu’il faut voir la source de la vague de sabotage qui a tout d’un coup balayé la France. Dans quelle mesure les actes de sabotage sont-ils le produit d’une action organisée concertée ? C’est difficile à dire. Il apparaît que les staliniens ont conservé une capacité d’organisation tout à fait considérable, mais en même temps, l’ampleur du mouvement de sabotage et la variété de ses formes montrent qu’il a manifestement dépassé les noyaux illégaux d’un parti organisé. Dans cette vague de sabotage qui cherche à paralyser la machine militaire allemande, nous soutenons sans réserve l’initiative des masses qui sert les intérêts de la défense de l’URSS aussi bien que de leur propre libération. Les staliniens participent-ils aux attentats individuels avec leurs cadres responsables ? C’est difficile à dire, mais il semble qu’ils n’y soient pas étrangers. La presse américaine a annoncé que, dans un tract, les staliniens menaçaient d’exterminer dix Allemands pour chacun d’entre eux qui serait condamné et exécuté. L’attentat contre Marcel Gitton[3], un vieux dirigeant stalinien, passé au fascisme au début de la guerre entre la France et l’Allemagne, renforce l’hypothèse de la participation des staliniens à la lutte terroriste. Il n’est évidemment pas exclu que Gitton ait été assassiné à la suite de conflits internes dans le camp fasciste mais, dans la situation actuelle, l’autre possibilité, celle d’une action des staliniens, est infiniment plus probable[4]. Il n’y a là rien d’étonnant. Les staliniens ne sont retenus par aucun principe marxiste ; depuis très longtemps, ces choses-là ne comptent pas pour eux. Par ailleurs bureaucratisme et terrorisme individuel vont de pair. L’un et l’autre ont leur origine dans le manque de confiance en des masses supposées « incapables », que l’individu doit sortir de leurs difficultés. Nous le répétons : rien ne peut être réalisé par des attentats individuels. Ces derniers sacrifient inutilement le précieux dévouement des masses et paralyse leur action[5].

La tempête approche[modifier le wikicode]

L’impérialisme allemand a encore, bien entendu, de grandes réserves de force et il serait illusoire de compter sur la proximité de sa chute. Mais, dans les dernières semaines, la situation s’est manifestement aggravée. Il semble qu’Hitler ne puisse terminer son aventure à l’Est avant l’hiver. Cela signifie d’énormes dépenses de forces dans les prochains mois, une perte de prestige en Allemagne même. Les généraux allemands vont mettre les pays à sac avec plus de fureur encore. Mais si les premières ripostes — attentats ou sabotages — sont réprimées dans le sang et écrasées pour un temps, elles redoubleront bientôt de force et sous des formes plus efficaces. La résistance de l’adversaire aura été atteinte. Après bien des assauts, l’explosion est inévitable.

C’est une terrible tempête qui se dirige vers l’Europe. Ce que nous sentons maintenant, ce sont les premières rafales de vent. Toutes les nations sont secouées jusqu’à leurs fondations. Les classes dirigeantes sont discréditées. Bien sûr, les tourbillons nationalistes ne manquent pas dans les masses petite-bourgeoises qui ont perdu leur équilibre, mais le pouvoir ira à ceux qui savent clairement ce qu’ils veulent. Et nous le savons : la fin de tout le système capitaliste, le pouvoir aux ouvriers, la révolution socialiste.

Notre arme à nous, c’est un parti révolutionnaire courageux. Tous nos efforts, nos soins constants doivent être consacrés à la préparation de cette arme. Il faut concentrer toute notre volonté sur son rôle pour préparer les organisations qui pourront demain mener la lutte jusqu’au bout.

  1. La Légion française des combattants, vite devenue la Légion française des combattants et des Volontaires de la Révolution nationale était en quelque sorte le « parti » (unique) du Maréchal. Son service d’ordre (SOL) devint la Milice de sinistre mémoire.
  2. Pierre Laval (1883-1945) fut aux commandes avec Pétain de juillet à décembre 1940, puis à partir de décembre 1942. Le 26 août 1941, il s'était rendu à la caserne de Versailles pour assister la cérémonie du départ pour le front russe du premier contingent de volontaires français dans la LVF (Légion des Volontaires français contre le bolchevisme). Un des jeunes engagés, anticollabo, du nom de Paul Collette, agissant seul, tira sur lui cinq balles de revolver:à bout portant.
  3. Marcel Giroux, dit Gitton (1903-1941), ouvrier du bâtiment, député et secrétaire à l'organisation avait fait défection en novembre 1939 et désavoué "le Pacte".
  4. Effectivement, Gitton avait été descendu par le groupe Valmy, sous la direction du PC.
  5. Au même moment en Europe, l'appareil stalinien lançait une grande offensive pour convaincre ses militants de multiplier les attentats individuels contre les militaires occupants. Il devait assez bien réussir en France à surmonter les résistances, mais se heurta en Belgique à celle du Bulgare Angelov, chef de la MOI, qui se refusait à prendre le risque de tuer un communiste allemand.