Exclusion de Trotski du comité central du parti communiste

De Marxists-fr
Aller à la navigation Aller à la recherche


Discours prononcé à l'assemblée plénière du comité central et de la commission centrale de contrôle, 23 octobre 1927

Pendant les mois d'Août, Septembre et Octobre, la fraction stalinienne s'était employée à lutter contre l'Opposition en se basant sur les décisions du Plenum de Juillet-Août. En octobre arriva enfin le moment où la fraction dirigeante dut se décider à mettre son projet à exécution. Le Plenum d'Octobre avait pour tâche non seulement d'éliminer Trotsky et Zinoviev du Comité Central, mais de préparer aussi les conditions nécessaires permettant d'appliquer la politique de répression à une vaste échelle. Le Plenum de juillet, Août avait introduit dans les usages du Parti l'accusation que l'Opposition ne voulait pas défendre la République des Soviets contre les ennemis impérialistes. Dans la phase nouvelle, cette accusation malhonnête, bientôt usée, n'était déjà plus suffisante. Les dernières réserves idéologiques que Staline possédait furent étalées au grand jour. On lança dans la bataille l'histoire d'un certain complot militaire soi-disant conçu par l'Opposition et en liaison avec elle. Cette liaison consistait en ce qu'un spécialiste militaire parlant à d'autres spécialistes, qui comme lui n'étaient d'ailleurs pas des conjurés, mais auraient pu le devenir, prononça le nom de Trotsky ; il le fit non point dans le but de comploter, et sans aucune intention précise. Qu'importe ! on avait prononcé le nom de Trotsky, il y avait certains spécialistes militaires oui s'étaient trouvés ensemble; d'une manière générale, évidemment, il aurait pu y avoir une conjuration militaire. Il faut ajouter que le spécialiste militaire qui cita Trotsky (comme des milliers d'autres prononçaient ce nom pour des raisons diverses) se trouvait à l'époque de la conversation « criminelle » en Mongolie, c'est- à-dire en un endroit assez peu propice à la direction d'un coup d'État s'effectuant à Moscou. Mais les agitateurs staliniens ont-ils pour devoir de spécifier la Mongolie et en général de s'occuper de géographie quand ils interviennent devant les cellules du Parti ? Quelques spécialistes furent arrêtés, sans la moindre raison, semble-t-il.

Menjinsky, président du Guépéou, présenta sur ce point un rapport au Plenum du Comité Central et de la Commission Centrale de Contrôle, lorsque la question de l'Opposition fut mise à l'ordre du jour. Même les partisans les plus obtus, les plus dépourvus de conscience, de la fraction stalinienne, entendirent ce rapport avec un sentiment d'anxiété et de honte. L'amalgame thermidorien apparaissait trop grossièrement au jour. Certains membres de la majorité exprimèrent dans les couloirs leurs indignation.

L’échec de la machination stalinienne fut si patent à ce Plenum, que tous les orateurs qui suivirent, à l'exception de Boukharine n'ayant pas tous ses, sens, évitèrent — soit par prudence, soit par répugnance —de parler de cette question. Cela n'empêcha naturellement pas les agitateurs de Staline de continuer à empoisonner le Parti par des bruits concernant le complot contre-révolutionnaire.

L'exclusion de Trotsky et de Zinoviev à la veille du XV° Congrès ne fut que le préambule indispensable pour procéder à l'élimination de l'Opposition et à la déportation des oppositionnels actifs en Sibérie et en Asie Centrale. C'est ainsi que fut inaugurée une nouvelle étape du développement de la Révolution.

Trotsky. — La proposition que j'ai faite de discuter séparément la question de l'officier wrangélien et celle du complot militaire, a été repoussée. Au fond, je posais la question de savoir pourquoi, par qui et comment le Parti fut trompé, quand on vint lui dire que des communistes, liés avec l'Opposition faisaient partie d'une organisation contre-révolutionnaire.

Pour démontrer une fois de plus comment vous concevez la discussion, vous avez décidé de supprimer dans le compte rendu sténographique, c'est-à-dire de cacher au Parti ma brève intervention au sujet du faux officier wrangélien. Boukharine nous a présenté ici la philosophie de l'amalgame thermidorien basé sur les documents de Menjinsky n'ayant rien à voir ni avec notre imprimerie, ni avec l'Opposition en général. Mais il nous faut des faits et non pas une philosophie à bon marché à la Boukharine. Il n'y a pas de faits. Voilà pourquoi toute cette question a été introduite dans la discussion grâce à un truc. La brutalité et la déloyauté ont grandi jusqu'à devenir de la perfidie criminelle. Tous les documents dont Menjinsky a donné connaissance, se dressent entièrement contre la politique appliquée actuellement : il suffit de les éclairer par l'analyse marxiste. Mais je n'ai pas le temps de le faire. Je n'ai plus qu'à poser la question fondamentale : comment et pourquoi la fraction qui est actuellement à la direction, a-t-elle été obligée de tromper le Parti en faisant passer un agent du Guépéou [1] pour un officier wrangélien, et d'extirper des fragments d'une enquête inachevée et gonflée à dessein pour terroriser le Parti, par un faux communiqué sur la participation des Oppositionnels à une organisation contre- révolutionnaire ? D'où cela vient-il ?

Où cela conduit-il ? Il n'y a que cette question qui importe au point de vue politique. Tout le reste passe au second et au même au dixième plan.

Tout d'abord deux mots sur ce qu'on appelle le « trotskysme ». Par ce terme, tout opportuniste cherche à couvrir sa nudité. Pour fabriquer le « trotskysme » une usine de falsifications travaille à toute vapeur avec trois équipes de rechange.

À ce propos, j'ai écrit récemment une lettre à l'Institut historique du Parti, lettre qui contient une cinquantaine de citations et de documents, et qui prend l'école historique et théorique qui sévit actuellement en flagrant délit de truquage, d'altération, de dissimulation des faits et des documents, de défiguration de la pensée de Lénine, le tout dans le but de combattre le soi-disant « trotskysme ». J'ai exigé que cette lettre fût envoyée aux membres du Plenum. Cela n'a pas été fait.

Pourtant cette lettre ne contient presque uniquement que des documents et des citations. Je l'enverrai à la « Feuille de discussion ». Je pense que là aussi, on la dissimulera au Parti, car les faits et les documents que j'y produis sont trop accablants pour l'école stalinienne.

Dans notre déclaration de Juillet de l'année dernière, nous avions prédit avec une exactitude parfaite toutes les étapes par lesquelles passerait la démolition de la direction léniniste du Parti et son remplacement par celle de Staline. Je parle d'une substitution temporaire, car plus le groupe dirigeant remporte de « victoires », plus en réalité il faiblit. Nous pouvons maintenant compléter nos prévisions de Juillet de l'année dernière par l’ultime conclusion que voici : le triomphe actuel de Staline au point de vue organisation, précède son écroulement politique. Il est tout à fait inévitable, et conformément au régime stalinien, il se produira brusquement. La tâche fondamentale de l'Opposition consiste à réduire au minimum le dommage que les conséquences de la politique périlleuse de la direction actuelle causeront au Parti et à la liaison de celui-ci avec les masses.

Vous voulez nous exclure du Comité Central. Nous sommes d'accord avec vous que cette mesure se déduit entièrement du cours actuel, dans la phase qu'il vient d'atteindre de son développement ou plutôt de sa faillite. La fraction dirigeante qui exclut du Parti des centaines et des centaines des meilleurs militants, des ouvriers bolcheviks inébranlables ; la clique de l'appareil qui ose exclure des bolcheviks comme Mratchkovsky, Serebriakov, Preobrajensky, c'est-à-dire des camarades qui seuls pourraient créer un Secrétariat du Parti ayant plus d'autorité et plus de préparation, plus léniniste que le Secrétariat actuel la fraction Staline-Boukharine qui enferme dans la Prison Intérieure du Guépéou des militants admirables comme Netchaiev, Stykhold, Vassiliev, Schmidt et tant d'autres ; la fraction de l'Appareil qui subsiste en violentant le Parti, en étouffant sa pensée, en désorganisant l'avant- garde du prolétariat non seulement en U. R. S. S., mais dans le monde entier ; la fraction toute pénétrée d'opportunisme, qui traînait à sa suite au cours des dernières années et traîne encore les Chang-Kai-Check, les Feng-Yo-Siang, les Wan-Tin-Weï, les Purcell, les Hicks, les Ben-Tillet, les Koussinen, les Smeral, les Pepper, les Heinz-Neumann, les Rafès, les Martynov, les Kondratiev et les Oustrialov, cette fraction ne peut pas nous tolérer au Comité Central, même un mois avant le Congrès. Cela, nous le comprenons.

La brutalité et la déloyauté marchent de pair avec la couardise. Vous avez dissimulé notre plate-forme. Plus exactement vous avez tenté de la cacher. Que signifie cette peur de notre plate-forme ? C'est clair. Avoir peur de notre plate-forme, c'est craindre de se présenter devant les masses.

Nous vous avions déclaré le 8 Septembre que, malgré toutes les interdictions, nous ferions connaître cette plate-forme au Parti. Nous l'avons fait. Nous accomplirons ce travail jusqu'au bout. Mratchkovsky et tous les autres camarades qui imprimèrent et partagèrent notre plate- forme, ont agi et agissent en parfaite solidarité avec nous, membres oppositionnels du Comité Central et de la Commission Centrale de Contrôle ; nous en sommes entièrement responsables, non seulement au point de vue politique, mais également de l'organisation.

La brutalité et la déloyauté que Lénine décrivait ne sont plus seulement les caractéristiques d'une personne ; ce sont celles de la fraction dirigeante, de sa politique, de son régime.

Il ne s'agit pas seulement de procédés visibles de l'extérieur.

Le trait caractéristique essentiel du cours actuel est la foi en la toute- puissance de la violence, même envers son propre Parti. Grâce à la Révolution d'Octobre, notre Parti a reçu entre les mains un puissant appareil de coercition sans lequel la dictature du prolétariat ne peut se concevoir. Le centre de cette dictature est le Comité Central de notre Parti.

Pendant la vie de Lénine, tant qu'il y eut un Comité Central léniniste, l'Appareil d'organisation du Parti fut soumis à une politique révolutionnaire de classe pratiquée à l'échelle mondiale. Il est vrai que Staline, en qualité de Secrétaire général, fut l'objet des préoccupations de Lénine dès le début. « Ce cuisinier ne préparera que des plats épicés », disait-il dans un cercle d'intimes à l'époque du Xe Congrès. Mais sous la direction léniniste, en présence d'un Bureau Politique dont la composition était léniniste, le Secrétariat général exerça un rôle tout à fait subalterne. La situation commenta à changer à partir de la maladie de Lénine. La sélection des hommes par le Secrétariat, le groupement des staliniens à travers l'Appareil prirent un caractère ayant une valeur propre, indépendant de la ligne de conduite politique. Voilà pourquoi Lénine, réfléchissant à l'éventualité de son abandon du travail, donna un dernier conseil au Parti : « Relevez Staline de son poste ; il peut conduire le Parti à la scission et à la mort. » Le Parti n'eut pas connaissance à temps de ce conseil. L'Appareil, dûment sélectionné, le dissimula. Les conséquences de cet état de choses se dressent maintenant devant nous dans toute leur étendue.

La fraction dirigeante croit que l'on peut arriver à tout par la violence. C'est une erreur radicale. La violence peut jouer un rôle révolutionnaire énorme. Mais à une condition : c'est qu'elle soit soumise à une politique de classe juste. La violence des bolcheviks contre la bourgeoisie, contre les menchéviks, contre les socialistes-révolutionnaires, donna, dans certaines conditions de l'histoire, des résultats immenses.

Les violences de Kerensky et de Tsérételli contre les bolcheviks n'ont fait que hâter la défaite du régime de collaboration.

En excluant, en privant de travail, en emprisonnant, la fraction au pouvoir agit par la trique et par le rouble contre son propre Parti. Le militant ouvrier craint de dire dans sa propre cellule ce qu'il pense ; il a peur de voter selon sa conscience. La dictature de l'Appareil terrorise le Parti qui doit être l'expression suprême du prolétariat. En semant la peur dans le Parti, la fraction dirigeante diminue la capacité de celui-ci à maintenir dans la terreur ses ennemis de classe. Mais le régime du Parti ne vit pas que par lui-même. Il exprime toute la politique de la direction du Parti. Au cours des dernières années, cette politique a déplacé son axe de classe de gauche à droite : du prolétariat vers la petite bourgeoisie, de l'ouvrier vers le spécialiste, du militant du rang vers l'homme de l'appareil, de l'ouvrier agricole et du paysan pauvre vers le koulak, de l'ouvrier de Shanghai vers Chang-Kai-Check, du paysan chinois vers l'officier bourgeois, du prolétaire anglais vers Purcell. Hicks, et ceux du Conseil Général des Trade-Unions, ainsi de suite à l'infini. C'est en cela que consiste l'essence même du stalinisme.

À première vue, il semble que le cours stalinien soit complètement vainqueur. La fraction de Staline porte des coups à gauche (Moscou, Leningrad) et à droite (Caucase du Nord).

En réalité, toute la politique de la fraction centriste s'accomplit sous les coups de deux fouets : droite et gauche. Privée d'une base de classe, la fraction bureaucratique centriste oscille entre deux lignes de classe, tout en glissant systématiquement de celle du prolétariat vers celle de la petite bourgeoisie. Ce glissement s'effectue non pas suivant une ligne droite, il prend la forme de zigzags brusques.

Nous en avons eu pas mal dans le passé. Le plus éclatant et le plus mémorable est l'extension donnée dans les instructions électorales par suite de la pression du koulak (fouet de droite).

Ensuite l'abrogation de celles-ci grâce à la poussée de l'Opposition (fouet de gauche). Il y eut aussi pas mal de zigzags dans le domaine de la législation ouvrière, des salaires, de la politique des impôts, de l'attitude observée envers le commerçant privé, etc. En même temps le cours général se déplaçait vers la droite. Le manifeste publié à l'occasion du dixième anniversaire d'Octobre constitue certainement un zigzag vers la gauche. Mais pas un seul instant nous ne perdons de vue que ce n'est qu'un zigzag qui par lui-même, ne modifie pas la direction générale de la politique, et doit même (déjà dans un avenir très proche) hâter le glissement du centre directeur qui continuera à se déplacer vers la droite.

Les hauts cris poussés aujourd'hui au sujet de l'offensive intense contre le koulak, auquel hier encore on criait : « Enrichissez-vous », ne peuvent changer cette ligne de conduite, pas plus que ne la feront varier des surprises offertes à l'occasion de jubilés, dans le genre de la journée de travail de 7 heures. La ligne politique de la direction actuelle est déterminée, non pas par quelques zigzags d'aventuriers, mais par l'appui social que cette ligne a rassemblé autour de soi dans la lutte contre l’oppositions. Par l'intermédiaire de l'appareil stalinien, du régime de Staline, l'avant-garde du prolétariat subit la pression des bureaucrates qui se sont fortifiés (y compris les bureaucrates ouvriers), des administrateurs, des petits patrons, des nouveaux propriétaires, des intellectuels privilégiés des villes et des campagnes, de tous les éléments qui commencent à montrer le poing au prolétariat, en lui disant : « Nous ne sommes plus en 1918 »

Ce n'est pas le zigzag de gauche qui décide, c'est la ligne de conduite politique principale. C'est la sélection des amis d'idées, ce sont les cadres, c'est la base sociale. On ne peut en même temps étrangler les cellules ouvrières et faire pression sur le koulak. L'un est incompatible avec l'autre. Dès qu'on arrivera à la réalisation du zigzag de gauche promulgué à l'occasion de l'anniversaire, on se heurtera à une résistance des plus acharnées dans les rangs mêmes de la majorité.

Aujourd'hui : « Enrichissez-vous » et demain : « Dékoulakisez-vous I » Pour Boukharine, c'est chose facile. Un trait de plume, et c'est fait. Mais le koulak, mais l'administrateur, mais le bureaucrate endurci, mais l'oustrialoviste ont là-dessus une autre idée. Ils ne sont pas enclins à de tels coups de barre d'anniversaire, et ils diront leur mot.

Le camarade Tomsky, qui s'est empêtré plus que les autres, s'est élevé, comme l'on sait, contre le zigzag de l'anniversaire.

Tomsky a le pressentiment que les ouvriers demanderont des comptes aux syndicats. C'est lui qui devra répondre. Demain, les ouvriers exigeront de Tomsky qu'il arrête en fait, tout au moins, le cours à droite appelé dans le manifeste cours à gauche, ce qui, dans le bloc dirigeant, rendra la lutte inévitable. Dans l'aile droite de notre Parti, il y a la ligne de l'administrateur et la ligne du syndicaliste. Ils font bloc, comme cela est arrivé plus d'une fois dans l'histoire du mouvement ouvrier international. Le zigzag gauche de l'anniversaire dressera une barrière entre l'administrateur et le syndicaliste. L'homme de l'appareil, qui balance entre les deux, perdra son point d'appui. Le zigzag de l’anniversaire est l'aveu le plus indéniable et le plus éclatant que l'Opposition a raison dans toutes les questions essentielles de la vie intérieure des villes et des campagnes. D'autre part, il est le propre désaveu politique de la fraction dirigeante, son certificat d'indigence. Un désaveu en paroles, puisqu'elle est incapable de lui donner suite pratiquement. Le zigzag de l'anniversaire ne retardera pas, il accélérera le banqueroute politique du cours actuel.

Le régime du Parti découle de toute la politique de la direction. Derrière les extrémistes de l'Appareil se tient la bourgeoisie intérieure qui renaît. Derrière elle, se tient la bourgeoisie mondiale. Toutes ces forces pèsent sur l'avant-garde prolétarienne, l'empêchent de lever la tête, d'ouvrir la bouche. Plus la politique du Comité Central s'écarte de la ligne de classe, plus elle est obligée d'imposer, d'en haut, cette politique à l'avant-garde prolétarienne, par des mesures de coercition. C'est là qu'est l'origine du révoltant régime qui règne dans le Parti.

Lorsque Martynov, Smeral, Rafès et Pepper dirigent la Révolution chinoise et que Mratchkovsky, Sérébriakov, Préobrajensky, Charov et

Sarkis sont exclus du Parti pour avoir imprimé et diffusé une plate-forme bolchévique destinée au Congrès, ces faits ne sont pas seulement d'ordre intérieur du Parti. Non, dans ces faits, la mouvante influence politique des classes trouve déjà son expression.

Il est certain que la bourgeoisie inférieure fait pression sur la dictature du prolétariat et sur son avant-garde prolétarienne, sans doute moins hardiment, moins ouvertement, moins astucieusement que la bourgeoisie mondiale. Mais ces deux pressions vont de pair et s'exercent simultanément. Les éléments de la classe ouvrière et de notre Parti qui ont les premiers pressenti l'approche du danger, qui ont été, les premiers, à en parler, c'est-à-dire les représentants de la classe ouvrière les plus révolutionnaires, les plus stoïques, les plus perspicaces, les plus irréductibles, forment, aujourd'hui, les cadres de l'Opposition. Ces cadres se développent dans notre Parti comme sur le plan international.

Les événements les plus considérables et les faits nous donnent raison. La répression affermit nos cadres, rassemble dans nos rangs les meilleurs des « vieux » du Parti, trempe les jeunes en groupant autour de l'Opposition les véritables bolcheviks de la nouvelle génération. Exclus du Parti, les opposants constituent les meilleurs hommes du Parti. Ceux qui les excluent et les arrêtent sont — sans s'en rendre compte encore — l'instrument de pression des autres classes sur le prolétariat. En essayant de piétiner notre plate-forme, la fraction dirigeante exécute un ordre social donné par Oustrialov, c'est-à-dire par la petite et moyenne bourgeoisie qui relève la tête. À l'encontre des politiques de la vieille bourgeoisie émigrée au déclin, Oustrialov, politique intelligent et clairvoyant de la nouvelle bourgeoisie, n'aspire pas à la Révolution, aux grandes secousses, il ne veut pas non plus « sauter les étapes ». La marche oustrialoviste actuelle, c'est le cours stalinien. Oustrialov mise ouvertement sur Staline.

Il exige de Staline le châtiment de l'Opposition. En excluant et en arrêtant les opposants, en lançant contre nous une accusation essentiellement thermidorienne au sujet de l'officier de Wrangel et du complot militaire, Staline exécute l'ordre social d'Oustrialov.

Le but immédiat de Staline : scinder le Parti, scinder l'Opposition, habituer le Parti aux méthodes d'anéantissement physique, constituer des équipes de siffleurs fascistes, d'hommes travaillant à coups de poings, à coups, de bouquins, à coups de pierres, mettre les gens sous les verrous, voilà sur quoi le cours stalinien s'est momentanément arrêté avant d'aller plus loin. Sa route est déjà tracée. Pourquoi les Yaroslavsky, les Chvernik, les Golochékine et autres discuteraient-ils au sujet des chiffres de contrôle, puisqu'ils peuvent lancer à la tête d'un opposant un gros bouquin de chiffres de contrôle ?[2]

Le stalinisme trouve son expression effrénée en se laissant aller à de véritables actes de voyous. Or, nous le répétons, ces méthodes fascistes ne sont que l'accomplissement aveugle, inconscient d'un ordre social émanant des autres classes.

Le but : amputer l'Opposition du Parti et l'anéantir physiquement. Déjà, des voix se font entendre : « Nous en exclurons un millier, nous en fusillerons une centaine, et tout deviendra calme dans le Parti.» Ainsi parlent de malheureux aveugles, apeurés et déchaînés en même temps. C'est la voix de Thermidor.

Les bureaucrates les plus mauvais, corrompus par le pouvoir, aveuglés par la haine, le préparent de toutes leurs forces. Il leur faut, pour cela, deux partis. Mais la violence se brisera contre une ligne politique juste qui a, pour la servir, le courage révolutionnaire des cadres d'opposants. Staline ne créera pas deux partis. Nous disons ouvertement au Parti : la dictature du prolétariat est en danger. Et nous croyons fermement que le Parti — son noyau prolétarien — entendra, comprendra, rectifiera. Le Parti est déjà profondément remué, demain il sera remué jusque dans son tréfonds.

Derrière les quelques milliers d'opposants appartenant aux cadres du Parti, suit une double, une triple couche d'adhérents à l'Opposition, puis une couche encore plus large d'ouvriers membres du Parti qui ont déjà commencé à prêter une oreille attentive à l'Opposition et à se rapprocher d'elle. Ce processus est inévitable. L'ouvrier sans parti ne s'est pas laissé prendre aux attaques et aux calomnies dirigées contre nous. Son mécontentement légitime devant le développement du bureaucratisme et du régime du bâillon, la classe ouvrière de Leningrad l'a exprimé dans l'éclatante démonstration du 17 Octobre.

Inébranlablement, le prolétariat est pour le pouvoir des Soviets, mais il veut une autre politique. Tous ces processus sont inévitables. L'appareil est impuissant à les combattre.

Plus les répressions seront violentes, plus elles affermiront l'autorité des cadres d'opposants aux yeux des communistes du rang et de la classe ouvrière dans son ensemble. Pour chaque centaine d'opposants exclus du Parti, il y aura un nouveau millier d'opposants dans le Parti. L'opposant exclu se sent membre du Parti et le restera. On peut, par la violence, arracher la carte du Parti au véritable bolchevik: léniniste, on peut, momentanément, lui retirer ses droits de membre du Parti, il n'abandonnera jamais ses obligations de membre du Parti. Lorsque Jansson demanda au camarade Mrachkovsky, à la séance de la Commission Centrale de Contrôle, ce qu'il ferait lorsqu'il serait exclu du Parti, le camarade Mratchkovsky répondit : « Je continuerai comme par le passé. »

C'est ce que dira tout opposant, quel que soit le lieu d'où l'on puisse exclure : du Comité Exécutif de l'Internationale Communiste, du Comité Central, du Parti Communiste de l'Union ou du Parti. Chacun de nous dit avec Mratchkvosky : « Je continuerai comme par le passé. »

Nous tenons la manette du bolchévisme. Vous ne nous en arracherez pas. Nous la ferons marcher. Vous ne nous amputerez pas du Parti, vous ne nous couperez pas de la classe ouvrière. Nous connaissons les répressions, nous sommes habitués aux coups. Nous ne livrerons pas la Révolution d'Octobre à la politique de Staline dont l'essence peut s'exprimer en quelques mots : Bâillonnement du noyau prolétarien, fraternisation avec les conciliateurs de tous les pays, capitulation devant la bourgeoisie mondiale.

Excluez-nous donc du Comité Central un mois avant le Congrès que vous avez déjà transformé en étroite réunion des gens de la fraction Staline ! Le XVe Congrès sera, au point de vue extérieur, une espèce de triomphe supérieur de la mécanique de l'Appareil. En réalité, il en marquera le complet effondrement politique. Les victoires de la fraction Staline sans les victoires des forces de classes étrangères sur l'avant-garde prolétarienne. Les défaites du Parti dirigé par Staline sont les défaites de la dictature du prolétariat.

Le Parti le sent déjà. Nous lui viendrons en aide. La plate-forme de l'Opposition est sur la table du Parti! Après le XV° Congrès, l'Opposition sera, dans le Parti, incomparablement plus forte qu'en ce moment. Le calendrier de la classe ouvrière et le calendrier du Parti ne coïncident pas avec le calendrier bureaucratique de Staline. Le prolétariat pense lentement, mais sûrement. Notre plate-forme accélérera ce processus. En derrière analyse, c'est la ligne politique qui décide, et non la main de fer bureaucratique.

L'Opposition est invincible. ! Excluez-nous aujourd'hui du Comité Central, comme hier vous avez exclu Sérébriakov et Préobrajensky du Parti, comme vous en avez arrêté tant d'autres. Notre plate-forme se fraiera sa voie. Déjà, les ouvriers de tous les pays se demandent, avec la plus grande inquiétude, pour quelle raison, à l'occasion du Xe anniversaire de la Révolution d'Octobre, on exclut, on arrête les meilleurs combattants de cette Révolution. À qui la faute ? À quelle classe ? À celle qui a vaincu en Octobre, ou à celle qui appesantit sa pression tout en sapant la victoire d'Octobre ? Même les ouvriers retardataires de tous les pays, réveillés par vos répressions, prendront en mains notre plate-forme pour vérifier l'ignoble calomnie répandue au sujet de l'officier de Wrangel et du complot militaire.

Les poursuites, les exclusions, les arrestations feront de notre plate- forme le document le plus populaire, le plus près du cœur, le plus cher du mouvement ouvrier international.

Excluez-nous, vous n'arrêterez pas les victoires de l'Opposition : elles seront les victoires de l'unité révolutionnaire de notre Parti et de l'Internationale Communiste.

  1. On désigne sous ce terme, formé par le groupement de trois initiales G. P. OU. (Direction Politique Générale), l'organe de la police d'E' tat qui succéda en 1921 à la Tcheka (Commission Extraordinaire).
  2. Au cours d'une discussion, Yaroslavsky, perdant tout sang-froid, avait jeté à la tête de Trotski le gros volume du plan d'état.