Epidémie de crédulité

De Marxists-fr
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«Camarades, la résistance des capitalistes est apparemment brisée. »

Cette agréable nouvelle, nous l'empruntons au discours du ministre Péchékhonov. Nouvelle ahurissante ! « La résistance des capitalistes est brisée »...

Et l'on écoute de ces discours ministériels, et on applaudit à ces déclarations ministérielles. N'est-ce pas vraiment une épidémie de crédulité ?

D'une part, on s'effraie soi-même et on effraie les gens en invoquant surtout la «dictature du prolétariat ». D'autre part, quelle différence y a-t-il donc entre la notion de «dictature du prolétariat» et le fait de briser la résistance des capitalistes ? Aucune. Dictature du prolétariat est un terme scientifique définissant la classe qui joue le rôle prépondérant en la matière, ainsi que la forme particulière du pouvoir d'Etat qui s'appelle dictature, à savoir : un pouvoir reposant non sur la loi, non sur des élections, mais directement sur la force armée de telle ou telle partie de la population.

En quoi réside le sens, la signification de la dictature du prolétariat ? Précisément en ce qu'elle brise la résistance des capitalistes ! Et si «la résistance des capitalistes est apparemment brisée» en Russie, cette phrase ne signifie absolument rien d'autre que : « la dictature du prolétariat est apparemment réalisée » en Russie.

Le « seul » malheur est que nous n'avons là rien de plus qu'une phrase ministérielle. Quelque chose comme l'exclamation cavalière de Skobélev : « Je prélèverai 100% des bénéfices[1] ». Une des fleurs de cette éloquence « démocratique révolutionnaire » qui submerge en ce moment la Russie, grise la petite bourgeoisie, démoralise et abêtit les masses populaires, sème à profusion les bacilles de l'épidémie de crédulité.

On voit dans une comédie française (les Français ont, ce me semble, surpassé les autres peuples dans l'art de jouer aux ministères socialistes) un gramophone répéter dans tous les coins de France, devant les réunions électorales, un discours contenant les promesses d'un ministre « socialiste ». Nous pensons que le citoyen Péchékhonov devrait remettre à une société de diffusion de disques de gramophone sa phrase historique : « Camarades, la résistance des capitalistes est apparemment brisée. » Il sera très utile et très commode (pour les capitalistes) de la diffuser dans toutes les langues à travers le monde : voyez donc les brillants résultats de l'expérience russe d'un ministère de coalition entre la bourgeoisie et les socialistes !

Le citoyen-ministre Péchékhonov - que les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires (qui, en 1906, s'en désolidarisaient dans la presse comme d'un petit bourgeois évolué trop à droite) qualifient de socialiste depuis qu'il est entré dans le ministère en compagnie de Tsérétéli et de Tchernov -, le citoyen Péchékhonov ferait cependant bien de répondre à cette simple et modeste question :

- Qu'avons-nous à prétendre briser la résistance des capitalistes ? Si nous entreprenions plutôt de dévoiler aux syndicats ouvriers et à tous les grands partis politiques les bénéfices fabuleux des capitalistes ? Ou d'abolir le secret commercial ?

- Qu'avons-nous à parler de « dictature du prolétariat » (« briser la résistance des capitalistes ») ? Ne vaut-il pas mieux dévoiler la prévarication ?

Si, comme nous en informe la Rabotchaïa Gazéta, journal ministériel, les prix des fournitures de charbon sont augmentés par le Gouvernement révolutionnaire, cela ne ressemble-t-il pas à de la prévarication ? Ne vaudrait-il pas mieux publier, ne serait-ce qu'une fois par semaine, les «lettres de garantie » des banques et autres documents sur les fournitures de guerre et leurs prix plutôt que discourir sur « la résistance brisée des capitalistes » ?

  1. Le menchévik Skobélev, ministre du Travail du Gouvernement provisoire, avait déclaré le 13 (20) mai 1917, à une séance du Soviet des députés ouvriers et soldats de Pétrograd, que le taux d'imposition des classes possédantes devait être relevé « jusqu'à concurrence de 100 % du profil ». [N.E.]