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Special pages :
Encore sur la section soviétique
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | avril 1936 |
Dans un compte rendu public, le 30 décembre 1935, Khrouchtchev[1], dirigeant de l'organisation de Moscou, la plus importante et la plus nombreuse du parti, a proclamé que la vérification des cartes du parti avait constitué un succès. Les ennemis du parti ont été démasqués : «Trotskystes, zinoviévistes, espions, koulaks, officiers gardes‑blancs. » L'ordre d'énumération des catégories d'exclus est en vérité très remarquable ! A Moscou, koulaks et officiers gardes‑blancs occupent la dernière place : il y a longtemps que les épurations antérieures dans la capitale leur ont réglé leur compte. Il n'existe aucune raison de traiter les « espions » comme une catégorie à part. Ainsi, les objectifs principaux de la purge de Moscou étaient‑ils les trotskystes et les zinoviévistes. Mais on n'a pas exclu moins de 9975 membres du parti dans la seule ville, à l'exclusion du district !
A Leningrad, 7 274 personnes ont été exclues. Jdanov, le dirigeant du parti à Leningrad, a annoncé que « les zinoviévistes contrerévolutionnaires occupent parmi les exclus une place importante ». A Leningrad, comme on sait, l'Opposition de gauche a traditionnellement eu une coloration zinoviéviste qui doit s'être encore accentuée depuis que Zinoviev a été jeté en prison. Si, sur un nombre total qui dépasse 7 000, les zinoviévistes occupent une place « importante », il est tout à fait clair qu'il ne s'agit pas de poignées ni de centaines. C'est d'ailleurs précisément pour cette raison que le rapporteur a pris soin d'éviter de mentionner des chiffres.
En dehors des « zinoviévistes » et des « trotskystes », Jdanov a fait une obscure allusion aux « opportunistes de toute espèce ». Selon toute probabilité, cette étiquette recouvre ceux des membres du parti qui ont opposé quelque résistance aux excès bureaucratiques du mouvement stakhanoviste[2]. Il ne faitpas de doute que les groupes d'opposition dans la classe ouvrière ont été justement ranimés par la nouvelle pression sur les ouvriers qu'accompagnent de nouveaux et monstrueux privilèges pour la bureaucratie et pour l'aristocratie. Il est en tout cas remarquable que ni Khrouchtchev ni Jdanov n'aient fait une seule allusion aux mencheviks ou aux socialistes‑révolutionnaires.
Nous avons écrit précédemment qu'au cours des derniers mois de 1935, au moins dix mille et vraisemblablement presque vingt mille bolcheviks-léninistes avaient été exclus du parti ‑ compte non tenu des candidats et membres des J.C. Sur la base des rapports de Khrouchtchev et de Jdanov publiés depuis, nous concluons qu'il n'y pas eu moins de dix mille « trotskystes » et « zinoviévistes » exclus dans les deux capitales seulement.
Nous n'avons trouvé aucune référence au groupe « centralisme démocratique » ou à l' « opposition ouvrière[3] », ni dans l'énumération générale des catégories d'exclus, ni dans les comptes rendus particuliers, articles et notes. Evidemment, il est possible que des exclusions isolées de représentants de ces groupes aient été prononcées, mais elles étaient si faibles numériquement qu'on les a englobées dans la catégorie générale des « autres ». C'est un fait d'une grande importance politique. Avec le maintien de la socialisation des moyens de production et la collectivisation de l'écrasante majorité de la paysannerie, les succès économiques et culturels de l'Union soviétique démontrent clairement que la révolution d'Octobre n'a pas été détruite, en dépit de la dégénérescence bourgeoise menaçante de la couche dirigeante, et que ces bases peuvent créer les prémisses nécessaires à une future société socialiste.
Mettre l'U.R.S.S. sur le même plan que les États capitalistes, c'est jeter l'enfant avec l'eau sale de la baignoire. Les ouvriers d'avant‑garde veulent jeter l'eau sale de la bureaucratie, mais ils veulent en même temps sauver l'enfant et le faire sortir. C'est pourquoi, même il y a des années, quand les temps étaient bien plus difficiles, le mouvement d'opposition dans la classe ouvrière refusait de suivre les mencheviks. C'est pourquoi aujourd'hui il tourne le dos, de toute évidence, à l'opposition ouvrière, aux décistes[4] et à tous ceux qui, de « gauche », se rapprochent des vieilles positions des mencheviks. Nous avons là une confirmation irréfutable de notre programme, éprouvé ainsi non seulement en théorie, mais en pratique. La lutte contre la caste bureaucratique et le régime des privilèges, la lutte pour l'avenir socialiste du pays, la lutte pour la révolution mondiale, marche, en U.R.S.S., sous le drapeau des bolcheviks‑léninistes et sous leur drapeau seulement.
- ↑ Nikita S. Khrouchtchev (1894‑1970), membre du parti depuis 1918, avait été l'un des rares cadres des universités ouvrières à combattre en 1923 l'Opposition de gauche et avait commencé alors une carrière d'apparatchik sous la protection de Kaganovitch en Ukraine. Il avait pris en 1935 le secrétariat de la région de Moscou.
- ↑ Le mouvement stakhanoviste ‑ du nom du mineur Alexei Stakhanov ‑ avait été lancé en 1935 pour améliorer le rendement du travail industriel : les performances des « stakhanovistes », « héros du travail », convenablement aidés et placés dans les conditions les plus favorables, faisaient l'objet d'un grand tapage publicitaire et servaient à justifier l'élévation des « normes », donc du rythme du travail.
- ↑ L'opposition « centralisme démocratique » dirigée par les vieux‑bolcheviks V.M. Smirnov et T.S. Sapronov, apparue en 1919, et l' « opposition » ouvrière, du vieux-bolchevik Alexandre Chliapnikov et d'Alexandra Kollontai, formée un peu plus tard, avaient participé à l'Opposition unifiée, mais s'étaient prononcées, au cours des discussions dans les camps et les isolateurs pour caractériser l'U.R.S.S. comme un Etat où le capitalisme avait été restauré sous une forme particulière.
- ↑ Le terme « déciste » désigne les partisans de l'opposition du « centralisme démocratique », à partir des initiales en russe de ce dernier : D.C.