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Special pages :
Ecole du syndicat et école du parti
| Auteur·e(s) | Rosa Luxemburg |
|---|---|
| Écriture | 21 juin 1911 |
LVZ numéro 140 pages 1-2
Traduit de l'allemand par Lucie Roignant (2012).
Ces derniers temps, autant dans les cercles du partis que dans ceux du syndicat, des voix se sont élevées à plusieurs reprises pour réclamer une fusion , ou du moins une association de ces deux instituts de formation du mouvement ouvrier, qui permettrait leur égale utilisation par les camarades à la fois actifs dans le parti et dans le syndicat.
L'idée qui est à l'origine de cette exigence est entièrement justifiée. Elle part du point de vue que les syndicats et la social-démocratie comme parti politique ne représentent finalement que deux formes différentes, deux branches du mouvement ouvrier moderne, qui ensemble seulement, dans leur complémentarité réciproque, répondent aux besoins et aux devoirs de la lutte des classes du prolétariat, mais qui ne peuvent aussi grandir et se renforcer que sur une seule et même base théorique. Il n'y a pas une théorie scientifique particulière du mouvement syndicaliste et une qui serait propre au mouvement social-démocrate. C'est une seule et même doctrine de la lutte des classes, un seul et même point de vue économique sur les lois de l'économie capitaliste, une seule et même théorie de la conception matérialiste de l'histoire qui forment le bagage intellectuel de nos syndicats dans leur lutte, comme de notre parti. Les syndicats allemands libres, de même que la social-démocratie allemande, sont tous deux, dans leur forme actuelle, des produits de la théorie du socialisme scientifique de Marx, et seule l'application différente de cette théorie distingue la pratique des syndicats de la lutte politique de la social-démocratie. Que la même formation théorique soit nécessaire à tout bon agitateur syndicaliste à la hauteur' des exigences actuelles de la lutte et à tout agitateur éclairé du parti résulte donc de la nature même de l°objet ainsi que de l'histoire du mouvement ouvrier allemand. La direction du parti a elle aussi donné une réalité à cette idée en octroyant il y a quelques années aux syndicats le droit de disposer d'un tiers de l”effectif des élèves de l°École du parti, ce dont pourtant jusqu'à présent seuls deux comités centraux -- l'association des maçons et celle des mineurs -- font régulièrement usage en envoyant deux élèves chacun.
Aussi juste que soit l'idée première, le désir de fusion ou d'association de l°École du syndicat et de l'École du parti qui en découle repose pourtant sur un manque de connaissance des laits. Les deux écoles sont érigées sur des principes complètement différents, elles présentent deux modèles complètement dii'Îé1'ents. Nous ne pensons pas par là à l'orientation de quelques professeurs de l'École du syndicat, dont il est bien connu qu'ils ne se situent pas sur le terrain de la théorie de Marx H. C'est aux instances dirigeantes du mouvement syndicaliste, à leurs opinions et convictions, qu”il revient de déterminer quelle nourriture intellectuelle doit être proposée aux élèves de l'École du syndicat.
Mais il y a encore d°autres points de vue importants qui entrent en considération et qui curieusement n'ont pas été pris en compte jusqu'à présent : ce sont des points de vue purement pédagogiques, des questions de finalité de l'organisation de l'école en tant qu'institut de formation pour les prolétaires. Avec la création de ses deux écoles, le mouvement ouvrier a investi un territoire encore non exploré, il a pour ainsi dire mis en place une expérience nouvelle, et le côté purement pratique de la réussite ou de l'échec de cette expérience est déjà d'un grand intérêt en soi pour les cercles plus larges des travailleurs qui ont une conscience de classe.
D'un point de vue pédagogique cependant, l°École du parti est organisée à tous égards de façon fondamentalement différente de celle de l'École du syndicat. L'opposition commence déjà. avec le nombre d'élèves participant simultanément au même cursus. Nous critiquons l'école primaire pour ses classes souvent surchargées, qui rendent impossible un cours rationnel et plus particulièrement une prise en charge un tant soit peu individuelle des élèves. Voilà qui est cependant d'autant plus vrai pour des prolétaires adultes en apprentissage. La discussion, l'échange libre des élèves avec le professeur sont primordiaux, c'est la condition première d`un cours fécond. Ce n'est que par de vifs échanges d'idées qu'on peut obtenir l'attention, la concentration des esprits chez des prolétaires qui, par ailleurs, ne sont pas habitués au travail intellectuel et se fatiguent donc facilement.
Mais cette méthode d'enseignement est surtout souhaitable parce que, au premier chef, un institut de Formation pour des prolétaires engagés dans la lutte des classes doit considérer comme sa tâche principale la formation à une pensée systématique et indépendante, et non l'ingurgitation mécanique d'une somme de savoir positif. Les discussions auxquelles participent activement tous les élèves, ou qu'ils ne font qu'écouter attentivement, ne peuvent être menées qu'avec un nombre réduit de participants au cours. C'est pour cette raison que, dès le départ, l°École du parti a fixé le nombre d'élèves à un maximum de trente, et cinq années d'expérience ont montré qu'un enseignement vivant avec la participation active de tous est possible.
À l'École du syndicat, il y a, suivant les cursus, 50, 60, 70, voire 75 élèves, rendant a peine pensable, même avec la meilleure des volontés des deux bords, un échange soutenu de réflexions entre les élèves et les professeurs ou un contact vivant entre eux pendant le cours.
La durée des cours entre aussi en ligne de compte. À l`École du parti, l'enseignement journalier par matière dure deux heures d'affilée, sachant qu'en principe les cours ne sont dispensés que le matin de huit heures à midi et que, dans l'après-midi, seules deux heures sont consacrées à des matières plus faciles. Ne sont ainsi traitées que deux, au maximum trois matières par jour, et les cours se terminent soit dès midi, soit en début d'après-midi. On obtient ainsi deux choses : d'abord, un temps suffisant pour chaque objet d'étude, afin que les élèves puissent entrer dans le sujet, se l'approprier, s'en pénétrer et traiter un petit chapitre entier ; deuxièmement, et c'est le plus important, il reste à l'élève toute la soirée de libre pour reprendre tranquillement chez lui ce qu'il a entendu. revoir ses notes et lire des choses sérieuses. Sans un travail personnel en parallèle et la lecture de brochures et de livres pour soutenir le cours, on ne peut pas parler de formation sérieuse dans la moindre matière.
De ce point de vue également, l'École du syndicat a une organisation toute autre. Pas moins de cinq matières d'enseignement se succèdent chaque jour au pas de course - à l'exception d'une journée -, sachant qu'une heure seulement est consacrée à chaque tours, à une autre exception près. Comme le premier quart d'heure entre les différentes matières n'est pas exploite - nous parlons d'expérience -, il ne reste au cours à proprement parler qu'un temps si limité que le traitement approfondi de n'importe quelle matière en un ensemble cohérent ne peut que présenter de grandes difficultés aux professeurs sans parler de la possibilité d'un semblant de discussion générale plus détaillée. La valse constante des enseignants et des matières au cours de la journée ne peut elle aussi qu'avoir un effet de confusion sur les élèves, à qui l'on ne cesse d'asséner des choses si diverses et variées que la capacité d'absorption des prolétaires, qui ne sont pas accoutumés au travail intellectuel, est mise à rude épreuve.
À cela vient encore s'ajouter que l'enseignement, qui commence à neuf heures et dure jusqu'à six heures, ne laisse, ni le matin ni le soir, le temps suffisant à l'élève pour travailler pour lui et lire des choses sérieuses. La pause prolongée de trois heures en milieu de journée passe dans le repas et la fatigue qu'il engendre, ainsi que dans des trajets qui sont du temps perdu pour l'enseignement. Et le soir, après le trajet de retour et le repas, il ne reste aux élèves que quelques petites heures. Épuisés par tout ce qu'iIs ont entendu. la plupart sont contraints de se mettre en quête cl`un petit rafraîchissement et de réconfort intellectuel dans quelque local du parti, ce qui est très com-préhensible, mais ce qui n'est pas vraiment la préparation la plus rationnelle, pédagogiquement parlant, pour le cours du lendemain.
Entre enfin en considération la durée du cursus d'enseignement dans son ensemble. À l'École du parti, chaque cursus dure six mois, sachant que la plupart du temps, à la fin, des élèves se plaignent qu'il n'y ait pas plus de temps pour approfondir telle ou telle matière importante. Pendant la même période d°à peu près sept mois, l'Ecole du syndicat tient quatre cours de six semaines, avec des pauses de deux semaines. De cette Façon, il ne reste pour chaque matière dans chaque cursus qu'une durée minimale, comme par exemple dix-huit heures en tout pour l'histoire et la théorie du mouvement syndicaliste allemand, la même durée pour le mouvement syndicaliste à |'étranger. etc. Toute introduction sérieuse, tout traitement exhaustif de n'importe laquelle de ces matières sont irrémédiablement empêches par l'attribution d'un temps si court.
Mais a cela s'ajoute aussi un aspect psychologique. Tout professeur ne souhaitant pas devenir une machine stérile doit étoffer sa matière sans cesse, rassembler sans cesse de nouveaux documents et revoir leur agencement. C'est particulièrement nécessaire pour les professeurs de nos écoles d`ouvriers, qui Finalement ne sont que des compagnons de lutte sur une chaire, ne sont pas des pédagogues de formation et sont donc eux-mêmes en apprentissage. Après chaque cursus, l'École du parti laisse aux professeurs un temps de repos pédagogique de six mois, pendant lequel le professeur peut de nouveau se consacrer à son travail de lutte habituel, se ressourcer a travers lui, rassembler et examiner à loisir de nouveaux documents pour sa matière et voir venir le nouveau cursus avec quelque joie. À l'école du syndicat, les professeurs sont condamnés à répéter quatre fois de suite la même chose en l'espace de sept mois, avec des pauses minuscules de deux semaines. Si on y réfléchit un peu, il semble évident pour tout un chacun que, pour un enseignant qui met tout son coeur dans son travail, cela se transforme forcement en torture intellectuelle et rend le cours ennuyeux et automatique, pour lui-même et donc en dernière instance pour les élèves. Certes, |'École du syndicat forme ainsi 250 employés par an, pendant que l'Éco|e du parti se contenue d'un dixième de ce chiffre. ll semble seulement que, là non plus, cette production de masse effrénée n'est pas adaptée à un résultat intellectuel solide.
L'examen comparatif qui précède ne vise pas le moins du monde à faire figure de reproche envers les fondateurs et les directeurs de l'École du syndicat. La nouveauté de l'expérience -- et nos syndicats ont bien été, ce qui est leur mérite incontestable, les premiers, les pionniers en la matière ! -- ne rend que trop compréhensibles la difficulté de la tâche ainsi que diverses bévues. Il faut commencer par apprendre à organiser les établissements pédagogiques de la lutte des classes du prolétariat, comme tous les aspects des efforts d'émancipation du prolétariat. On ne pourrait adresser de reproche certain aux directeurs de l'École du syndicat que dans le cas où ils se refuseraient à tirer les leçons de leur propre expérience ainsi que de l'expérience d”autres institutions similaires. Ainsi, lorsque, à l'occasion du dernier congres de son syndicat, le camarade Schlicke, président de l°association des ouvriers de la métallurgie, a repoussé la motion pour participer à l'École du parti en posant cette question : « Qu'est-ce que l'École du parti a à offrir aux syndicats ? ››, chaque personne au fait de la situation a dû s'étonner de l'absence d'une autre question de la part du camarade Schlicke : « Qu'est-ce que l'Ecole du syndicat a à offrir aux syndicats ? ›› Si cette question, comme il aurait été juste de le faire, avait été posée en premier, il n'aurait peut-être pas été nécessaire de
répondre à la seconde.
En vérité, au regard de son organisation défectueuse, les fonds énormes dépensés pour l'École du syndicat ne sont-ils pas sacrifiés pour rien - en dépit de toute la bonne volonté et de l'esprit de sacrifice de la commission générale ? Et les "dogmatiques" et les "doctrinaires" de la social-démocratie n'ont-ils pas une nouvelle fois fait preuve à ce propos d'un esprit beaucoup plus pratique que les spécialistes de la "politique pratique" ?