Documents sur le front unique

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Nous croyons devoir soumettre à nos lecteurs quelques documents qui leur permettront de se rendre compte de l'attitude des différents Partis socialistes à l'étranger, vis-à-vis du front unique. Prenant comme point de départ l'appel du bureau de l'Union des Partis socialistes de Vienne (Internationale 2 ½ ), publié par la Freiheit le 15 janvier, et reproduit par la Rote Fahne du 17 janvier et le Populaire du 27 janvier, nous y ajouterons aujourd'hui les principaux commentaires qu'en donne la Rote Fahne, ainsi que l'opinion du Parti Communiste anglais, nous réservant la prochaine fois de revenir à la question pour montrer quelle est, en la matière, l'attitude des socialistes majoritaires.

L'Appel du Bureau de l'Union des Partis Socialistes de Vienne[modifier le wikicode]

Aux Partis Ouvriers de tous les pays ![modifier le wikicode]

Les traités de paix dictés par l'impérialisme ont approfondi et aggravé la misère provoquée par la guerre mondiale. Dans les pays qui ont subi la défaite, c'est la dépréciation constante du change et l'appauvrissement progressif, malgré un travail intensif. Dans les pays qui ont emporté la victoire et aussi dans les pays neutres, c'est un chômage formidable.

La détresse économique dans laquelle se trouve le prolétariat du monde entier a fait naître, au sein des partis prolétariens de toutes les tendances, la volonté d'unifier internationalement les actions de la classe ouvrière, dans la mesure du possible. C'est ce désir qui a inspiré la résolution du Labour Party anglais, adoptée à son Congrès de Brighton le 24 juin 1921 ; la résolution du Parti socialiste de France (S.F.I.O.), votée par son Congrès de Paris, le 2 novembre dernier ; la résolution du Comité Directeur du Parti socialiste d'Italie du 12 novembre ; la résolution du Comité Exécutif de la 2e Internationale, adoptée le 23 novembre à Bruxelles ; les décisions du Bureau de l'Union des Partis socialistes (Vienne), à Francfort, le 18 décembre, et, enfin, la proposition adressée au Comité Exécutif de la 3e Internationale par le Comité Central du Parti Communiste d'Allemagne, le 21 décembre 1921.

L'appel à l'unité internationale trouve, au sein du prolétariat, déchiré et divisé par la guerre, un écho toujours plus fort. Partout le rétablissement du front unique prolétarien est à l'ordre du jour.

Les ouvriers sentent instinctivement que l'ennemi commun, la bourgeoisie internationale, ne peut être combattu d'une façon efficace que par la réunion de toutes les forces prolétariennes. Les partis prolétariens savent qu'ils ne sont pas capables de remplir complètement les devoirs qui leur incombent, s'ils restent isolés ou s'ils forment des groupements hostiles les uns aux autres. L'existence de différentes fractions prolétariennes qui se combattent constitue pour les gouvernements et les partis bourgeois un encouragement à aggraver leur politique réactionnaire.

La volonté d'unir les actions internationales de la classe ouvrière a fait au cours des semaines passées des progrès rapides et sérieux, dépassant toutes les prévisions. Nous nous trouvons en présence de propositions nous demandant d'organiser, d'une part, une Conférence internationale du prolétariat du monde entier et, d'autre part, une conférence à laquelle ne participeraient que les pays intéressés d'une façon directe par le traité de Versailles, et où l'on ne traiterait que la question brûlante des réparations.

Vienne pour l'unité[modifier le wikicode]

Le Bureau de l'Union des Partis socialistes a décidé, à sa séance des 14 et 15 janvier à Berlin, d'agir en faveur de la réalisation des deux propositions, c'est-à-dire, d'une part, d'approuver l'invitation du Parti socialiste de France à une conférence des partis prolétariens d'Angleterre, de France, d'Italie, de Belgique et d'Allemagne, et d'entamer, d'autre part, des pourparlers avec les Comités Exécutifs de Londres et de Moscou, afin d'aboutir à une convocation commune d'une conférence générale par toutes les organisations centrales internationales.

Le lieu, la date et les conditions d'admission, l'ordre du jour de cette conférence générale, doivent être fixés d'un commun accord par les trois Exécutifs. Le Bureau de l'Union des Partis socialistes a reçu le mandat de proposer aux autres Comités Exécutifs de préparer la conférence générale avec tous les soins nécessaires, mais de manière qu'elle puisse être convoquée au cours du printemps de cette année.

La limitation de l'ordre du jour aux questions les plus urgentes doit garantir le succès de cette première tentative d'une conférence générale. Nous croyons que les sujets principaux qui devraient être traités sont les suivants :

  1. La situation économique de l'Europe et les actions de la classe ouvrière ;
  2. La lutte défensive du prolétariat contre la réaction.

Notre proposition, en ce qui concerne les conditions d'admission, est la suivante :

Seront admis, tous les partis prolétariens qui se placent sur le terrain de la lutte de classes, qui poursuivent l'abolition du capitalisme et qui reconnaissent la nécessité d'une action internationale commune du prolétariat pour atteindre ce but.

Nous nous permettons de faire cette tentative visant à l'établissement d'un front de combat unique international du prolétariat, après toutes les expériences douloureuses que les partis ouvriers ont faites au cours des dernières années.

Ces expériences ont fait naître la conviction que l'on doit répondre au désir de tout le prolétariat de réaliser la concentration de la classe ouvrière dans une action solidaire, afin d'abolir la société capitaliste.

En vous mettant au courant de nos décisions et de nos propositions et en vous demandant de nous faire savoir bientôt si votre Parti peut les approuver en principe, nous vous saluons dans un esprit de solidarité internationale.

Le Bureau de l'Union des Partis Socialistes.

Les commentaires de la Rote Fahne[modifier le wikicode]

« L'appel du Bureau de l'Union des Partis socialistes de Vienne, dit la Rote Fahne du 17 janvier, est d'une grande signification. Il exprime la volonté passionnée qu'ont les masses ouvrières, même non encore adhérentes au Parti Communiste, de faire l'unité de front contre les gouvernements capitalistes.

« En invitant le Parti Communiste à la conférence projetée, le Bureau de l'Union des Partis socialistes de Vienne suit une politique radicalement opposée à celle suivie par les chefs de la droite du Parti des indépendants, qui s'efforcent en Allemagne, par tous les moyens, d'isoler les communistes de l'ensemble du prolétariat. Ce sera l'affaire de la 3e Internationale d'examiner la proposition avec le plus grand sérieux et de prendre une décision à cet égard. Nous croyons cependant pouvoir dire dès à présent que, malgré la politique d'éparpillement et la propagande acharnée menée contre le bolchevisme par beaucoup de partis appartenant à l'Internationale 2½. les communistes d'Allemagne, fidèles à leur conception fondamentale de lutte de classes, feront tout ce qui sera en leur pouvoir pour aboutir à une collaboration internationale de la classe ouvrière. »

Le Front unique : une Tactique et non une Idée politique[modifier le wikicode]

Le 18 janvier, revenant à la question dans un article de fond, intitulé : « Au sujet d'une Conférence prolétarienne universelle », la Rote Fahne s'exprime de la façon suivante :

Nous notons avec satisfaction que les questions à l'ordre du jour de la Conférence internationale sont limitées aux problèmes posés par la situation mondiale. Nous sommes d'avis que les questions de principe qui séparent les différents partis prolétaires doivent être exclues de la conférence. Le but d'une Conférence internationale, dans les circonstances présentes, ne peut être que de réunir les forces prolétaires dans une action commune, pour des buts pratiques nettement définis et déterminés ; les discussions d'ordre théorique, les résolutions d'un caractère général, et qui n'obligent à aucune action directe, n'ont rien à faire dans une conférence de ce genre, car ce n'est pas ainsi que les questions générales du mouvement ouvrier seront résolues.

Il y a deux questions qui sont aujourd'hui au centre même de la politique internationale et, par suite, du mouvement international ouvrier : la question de la reconstruction de l'Europe et celle des réparations. Ces deux questions ne peuvent être séparées l'une de l'autre, elles ne peuvent être traitées qu'ensemble. Comment, par exemple, discuter la question des réparations allemandes sans parler du règlement international de la situation faite à la Russie des Soviets ? D'autre part, comment s'attaquer au problème du chômage en Angleterre sans aussitôt apercevoir les liens qui l'unissent à la question des réparations allemandes et à celle des relations avec la Russie des Soviets ? Les gouvernements européens, de leur côté, traiteront, à Gênes, ces questions dans leur ensemble, et il devra en être de même dans une conférence ouvrière. C'est pourquoi il nous semble contraire au but que nous poursuivons de débattre, comme le propose la résolution du Bureau de l'Union des Partis socialistes de Vienne, en deux conférences, un programme qui ne peut être divisé, c'est-à-dire de convoquer d'abord immédiatement une conférence à laquelle ne participeraient que les Partis Communistes et socialistes de l'Occident de l'Europe et, ensuite, pour le printemps de 1922, une Conférence internationale plénière. Nous sommes d'avis qu'il ne peut être question que d'une seule conférence, à laquelle seront vraiment représentées les organisations internationales de masses.

Pour les mêmes raisons, nous sommes d'avis que la conférence ne devrait pas être convoquée à une date quelconque an printemps, mais qu'il faudrait la réunir le plus tôt possible, de sorte qu'elle ait lieu ou bien immédiatement avant la Conférence de Gênes, ou bien en même temps. L'effet pratique de la conférence serait en grande partie manqué si elle ne pouvait émettre ses résolutions qu'après les décisions de Gênes. Les critiques et les considérations rétrospectives ne peuvent être d'aucune utilité à la classe ouvrière. Il s'agit avant tout de jeter dans la balance le poids des masses.

Le Front unique n'est pas une organisation[modifier le wikicode]

Et le 22 janvier, dans un article intitulé : « L'unité de front, une tactique », la Rote Fahne précise encore son point de vue :

Beaucoup d'ouvriers, surtout parmi ceux appartenant au Parti socialiste majoritaire et au Parti des indépendants, croient que constituer le front unique, c'est créer une nouvelle organisation dans laquelle entreraient tous les partis ouvriers. Cette conception est absolument fausse. Qui dit front unique veut dire l'union de tous les ouvriers dans la poursuite de buts particuliers et concrets qui les intéressent tous. Cette union n'a rien de permanent. Nous luttons aujourd'hui côte-à-côte pour tel ou tel objet. Mais demain, déjà, il se pourrait que nous ayons à nous tourner contre certains de ceux avec lesquels nous marchions hier. Supposons, par exemple, que nous ayons été unis pour lutter contre les impôts et qu'à un moment donné nous soyons dans l'obligation de recourir à des moyens extra-parlementaires, force nous sera de nous tourner contre les ouvriers qui ne voudront pas faire ce pas avec nous. Il se fera donc inévitablement des glissements. C'est ainsi que, dans l'action entreprise par le K. P. D. pour les prisonniers de la forteresse de Lichtenburg, les Indépendants se joignirent à nous, tandis que les majoritaires refusèrent d'être de la partie.

De môme il se pourrait que le groupement qui luttera pour la reconnaissance de la Russie des Soviets soit autrement composé que celui qui luttera contre les impôts. Deux choses nous importent avant tout : unir dans l'action le plus grand nombre possible d'ouvriers, et faire exercer par les masses ouvrières elles-mêmes, dans les différentes organisations, une pression sur leurs chefs pour les inciter à l'action.

L'Opinion des communistes[modifier le wikicode]

Le Communist, l'organe officiel du Parti Communiste de Grande-Bretagne, publie, sur le front unique, un article de Fred Willis, dont nous reproduisons le texte presque intégralement :

Il est bon que la logique des événements nous force à passer en revue notre tactique et notre politique dans des questions de faits concrets. Un parti comme le nôtre devait forcément, à ses débuts, passer par une période où l'exubérance était prise pour de l'esprit révolutionnaire. Nous nous sommes depuis formés à l'école de l'expérience. Nous nous sommes mis à l'œuvre pour arriver à réaliser des buts précis et concrets, et nous n'en serons pas moins, mais infiniment plus dangereux pour les classes possédantes.

Nous sommes enfin devenus des réalistes. Le principal objet que nous devons poursuivre pour le moment, c'est d'obtenir la confiance des ouvriers organisés, sans sacrifier nos principes. Le bloc avec le Labour Party servant ce but, il n'y avait pas à hésiter, car il ne fallait perdre aucune occasion d'unir tous les ouvriers dans la poursuite de fins concrètes et définies.

Oublions pour l'instant nos polémiques et trouvons une base sur laquelle tous les ouvriers puissent agir en commun.

En réalité, il y en a deux : le chômage et la reconnaissance de la Russie des Soviets. Mais, bien que l'une et l'autre aient la même urgence, je ne parlerai aujourd'hui que de la Russie, car c'est le pivot sur lequel tout le reste tourne. Cela semble paradoxal à dire, mais la Russie est devenue l'espoir et le salut des deux choses les plus inconciliables : du capitalisme et de la révolution mondiale. Le péril de la Russie n'est plus dans les armées de Dénikine et de Pilsudski, mais dans les bataillons de Loucheur et de Stinnes et les brigands internationaux du capitalisme financier.

Il est donc plus nécessaire que jamais de s'entendre dans l'action, de réunir toutes les organisations ouvrières — qu'elles soient au centre, à droite ou à gauche — dans la lutte pour la Russie des Soviets.

Jamais les travailleurs organisés de ce pays n'ont été plus unanimes dans leur désir de sauver la Russie. Les non-communistes, oui même les anti-communistes, sont avec nous. Ils sentent instinctivement que quelque chose s'est passé là-bas dans l'Est qui cristallise en quelque sorte leur mécontentement. Approchons-nous de tous ceux qui veulent nous aider sans chercher à voir partout des traîtres. Joignons à la question russe la question du chômage. Montrons à tous que nous ne sommes ni des opportunistes, ni des sectaires, que nous ne craignons ni de défendre nos principes, ni de paraître les abandonner en prenant contact avec les travailleurs qui ne sont pas encore gagnés à la cause du communisme.

« Et que la Russie des Soviets soit notre cri de ralliement ! »