Discussion sur une éventuelle fusion avec les lovestonistes

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Weber. ‑ Les lovestonistes ont discuté dans leur journal la question de l'unité avec nous. Mon impression est que Lovestone y est tout à fait opposé, mais que la base a un sentiment pour l'unité. N'aurions‑nous pas dû intervenir ? Ne pensez‑vous pas que nous aurions dû reprendre cette question dans notre presse, intervenir à ce moment et en parler ?

Trotsky. ‑ Je crois qu'il nous faut aborder cette question très calmement, très sérieusement et même amicalement. Une chose est que nous devons continuer nos articles de polémique contre Lovestone, mais si nous avons une raison objective d'affirmer qu'une partie des lovestonistes cherchent la fusion avec nous, nous dirons bien entendu que nous serions heureux de faire une telle fusion. La question est seulement sur quelle base.

Il est indiscutable que, sur quelques questions très importantes, les divergences s'atténuent. Sur la question très aiguë des procès de Moscou, la question est de savoir si nous sommes des communistes révolutionnaires ou des fascistes. La question est, je crois, particulièrement importante, surtout pour une fusion. Hier, ils étaient d'avis que nous étions fascistes et, Dieu merci, maintenant, ils ont compris que nous ne l'étions pas. Bien. Dans l'appréciation d'ensemble du régime stalinien (l'appréciation sur les procès de Moscou n'est qu'une partie de notre appréciation sur l'Etat soviétique) ‑ oui, nous constatons qu'ils se sont un peu rapprochés de notre position, mais il reste une question très importante.

Si nous divergeons seulement de cinq ou de dix degrés, la divergence internationale est énorme. Quelle est notre position internationale : le bureau de Londres ou la IV° Internationale ? C’est la question. En Espagne il y a le P.O.U.M. et un parti révolutionnaire. C'est là la question. Nous ne pouvons fusionner avec le P.O.U.M. et nous ne pouvons fusionner avec le bureau de Londres. Il vous faut vérifier votre orientation nationale par ses projections internationales. C'est ce dont il s'agit pour vous et nous discuterons franchement avec vous les questions que nous avons discutées avec vous dans le passé, sur la base de notre existence en tant qu'organisation indépendante. Il y avait la Révolution russe. C'est un test. Puis la Révolution chinoise - c'est par là que nous avons commencé. Le comité anglo‑russe, l'attitude à l'égard du Labor Party et des syndicats.

Maintenant nous avons fait des expériences nouvelles de grandes dimensions et il semble que cette fois nous nous sommes organisées dans une nouvelle Internationale. Nous avons un programme de revendications de transition. Qu'en dites‑vous ? Notre appréciation des centristes ? Notre appréciation du P.O.U.M. ? Le Labor Party ? Je crois que le plus important maintenant est le P.O.U.M., à cause de la défaite de la révolution espagnole. Je remercie beaucoup M. Bertram Wolfe[1] [qui pense] que je ne suis pas un agent de Hitler, mais que pensez‑vous du P.O.U.M. ?

Weber. ‑ Au cas d'une proposition concrète de fusion, pourrions‑nous admettre dans notre parti des hommes comme Lovestone, Wolfe ?

Trotsky. ‑ Je crois exclu que nous puissions travailler avec ces hommes. J'ai la sincère conviction que la vieille génération est totalement finie, épuisée. Nous le voyons même dans nos propres rangs. Il est difficile de travailler avec les vieux ‑ les Sneevliet, Serge et même Rosmer. Vereeken aussi appartient à la vieille génération. A cause des catastrophes, des séries de défaites, ils ont été jetés à terre et maintenant leur mécontentement contre la marche de l'Histoire les rend très critiques et défiants ; ils n'ont pas de patience et la patience est une qualité très nécessaire chez un révolutionnaire. Chaque fois, ils voient la cause dans notre propre mouvement, parce qu'il n'est pas assez fort. C'est pourquoi nous devons prendre appui sur les jeunes, nos seuls éléments suffisamment persistants et forts pour continuer de l'avant après toutes les défaites.

Les Lovestone et consorts ont montré il y a quinze ans qu'ils ne sont que des bureaucrates s'adaptant à n'importe qui au pouvoir. D'abord Lénine et Trotsky, puis Zinoviev, et Kamenev, puis Staline, et, comme Staline était le dernier espoir, ils sont restés avec lui jusqu'au dernier moment. Maintenant ils sont avec Martin[2] dans le syndicat de l'auto dans le sens que, dans leur travail syndical, ils soutiennent Martin. Ils sont absolument incapables d'aller avec les masses contre les chefs. Toute leur mentalité est d'adopter un chef. Il est possible qu'ils puissent même s'adapter à nous pour un temps.

C'est pourquoi nous devons intervenir tranquillement et librement auprès de la base et vérifier les dirigeants par des questions concrètes dans la discussion. Nous avons vu avec les mustistes que leurs leaders de second plan ont été éliminés dans le cours de la discussion. Puis Muste est resté un certain temps. Il est également possible que Wolfe et Lovestone scissionnent. Nous ne pouvons voir ces détails, mais si c'est un épisode conjoncturel nécessaire, nous pouvons même accepter cela à la condition qu'on commence par nos divergences actuelles ‑ la question d'Espagne.

Weber. ‑ Sur la question des groupes de défense, la question s'est posée en France aussi. A l'époque, c'est Craipeau qui l'a posée et elle a une signification pratique dans notre tentative de construire notre groupe de défense à Newark, bien que je pense que nos propres forces sont si faibles qu'elles sont découragées à l'idée de former un groupe de défense; ils sont si peu nombreux ceux qui conviendraient à ce type de travail. Nous pourrions encore former un groupe de défense, mais serait‑il possible de prendre des ouvriers de l’Alliance ouvrière et des syndicats pour essayer de former un organisme plus large et ainsi d'encourager les nôtres ?

Trotsky. ‑ Je crois que c'est la seule voie si nous avons la moindre possibilité de faire cela. Bien entendu, nous ne pouvons commencer qu'avec la sélection de quelques éléments militants en tant que futurs organisateurs, pas au nom de notre parti, mais dans les syndicats, Alliance ouvrière, etc. car il est clair qu'ils seront les premières victimes des bandits fascistes. Après, il ne s'agit plus que de former ces groupes et de les lier entre eux. Nos camarades doivent essayer d'être le lien entre les groupes différents.

Mais il faut faire ce travail sur la base des organisations de masses existantes. En Allemagne la question était de savoir si ces organisations allaient se battre. C'était le front uni. Les social-démocrates avaient leur Front de fer avec les catholiques, etc., avec les partis bourgeois. Notre problème était que l'organisation social‑démocrate se sépare des bourgeois et s'unisse avec le Front rouge. Ici, il ne s'agit que d'inculquer la nécessité du parti. Là‑bas, c'était la question de savoir à quel parti adhérer. Ici, il s'agit d'inculquer aux organisations existantes la nécessité de se défendre Pour renverser la société, il nous faut avoir ces groupes de défense. Il nous faut leur donner pour longtemps un caractère d'organisations de défense. Nous devons défendre nos droits et notre Ire existence.

  1. Bertram D. Wolfe (1896‑1977) avait été, avec Lovestone à New York l'un des plus jeunes dirigeants du jeune P.C. américain, à partir de 1919. Il était membre de l'exécutif de I’I.C. en 1928 mais fut exclu en 1929. Il milita alors, toujours avec Lovestone, dans la C.P. Opposition puis l'Independent Labor League. Il avait reconnu publiquement que Trotsky avait eu raison contre lui et ses camarades sur les procès de Moscou.
  2. Warren Homer Martin (1902‑1968), champion de triple saut, pasteur, alla travailler en usine en 1932 et devint un des organisateurs du syndicat de l'auto, l'U.A.W., dont il fut vice‑président en 1935, puis président en 1936. Il était entouré et conseillé par les lovestonistes.