Discussion sur la Grèce avec Vitsoris

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Printemps 1932


Trotski

J'aimerais soulever quelques questions à propos du problème "fraction ou parti" pour pouvoir tirer pour d'autres pays quelques conséquences de l'expérience grecque. Devons-nous rester une fraction ou prendre des initiatives vers une politique d'indépendance à l'égard du parti ? On peut imaginer une situation dans laquelle le parti soit faible et la fraction forte et ainsi capable de tenter de remplacer le parti. Jusqu'à présent cependant toutes les tentatives pour aller dans ce sens n'ont pas réussi à donner des résultats positifs. Nous avons vu l'expérience de l'Allemagne (Urbahns) et la Belgique, (Overstraeten) comme les tentatives de l'Opposition de droite et la toute récente expérience du SAP. Quelle est la situation en Grèce ?

Deux questions supplémentaires là-dessus et d'abord quelles sont les questions politiques quotidiennes qui divisent les Archiomarxistes et le parti communiste, c'est-à-dire comment les divergences fondamentales s'expriment-elles dans le travail pratique ? Deuxièmement, qu'a été l'expérience dans le domaine électoral ?

V. suggère de lire le rapport écrit qui a été largement complété et de discuter oralement sur sa base.

Trotski

Quel est le programme du Parti agraire ?

V. Ils s'intitulent « anticapitalistes »

Trotski

S'intitulent-ils aussi « socialistes » ?

V. Ils s'intitulent « socialistes »

Trotski

Et quel est leur programme agraire ?

V. « Contre le communisme et le capitalisme ». En réalité, ce sont les représentants des paysans riches.

Trotski

Quels mots-d'ordre proposent-ils ? (En ce qui concerne les impôts, les banques, etc...)

V. Un moratoire pour les prêts de l'état et de la banque agraire, l'abaissement des impôts pour les paysans, pour un « gouvernement paysan ».

Trotski

Après tout, les féodaux étaient Turcs et ils ont été chassés. En ce qui concerne l'Eglise : est-ce qu'elle contrôle de grands domaines terriens ?

V. L'Eglise n'a pas beaucoup de biens fonciers. Il y avait aussi de grands propriétaires grecs, mais leurs terres ont été prises en 1918-19 au cours de la réforme, ce qui leur a valu en échange une compensation importante et lucrative.

Trotski

A qui la terre a été distribuée ? Aux réfugiés ou à la population indigène ?

V. Aux deux, il y avait 1.500.000 réfugiés. Parmi eux, 200.000 environ ont reçu des crédits. Mais d'importantes couches de fermiers ont d'importantes dettes pour les impôts. Ils sont maintenant menacés de confiscation de leurs propriétés

V. complète son rapport sur les mots d'ordre politiques du parti communiste. Le front unique : Sur cette question il y a une lutte sévère entre notre organisation et le parti officiel. De façon générale, le parti rejette le front unique, même au niveau syndical. Sa politique est celle du « front unique à la base », avec des directions séparées pour chaque grève et chaque lutte (mises en place par le parti, bien entendu). Là-dessus, nous avons intensifié notre lutte au cours de la dernière période.

Trotski

En rapport avec l'Allemagne, ou en tant que question à part ?

V. Dans notre propagande, nous lions les événements d'Allemagne à l'attitude du parti en Grèce. Nous sommes maintenant au coeur d'une crise sérieuse et il va y avoir des batailles décisives. Notre congrès a posé la perspective que ces grèves puissent culminer en une grève générale.

Trotski

Et le parti ?

V. Après la liquidation de la « troisième période », le parti a abandonné le mot-d'ordre de « grève politique » et considère maintenant qu'il s'agit seulement de luttes pour des revendications économiques partielles immédiates. Au lieu du front unique le parti a créé un « comité populaire » dans lequel se retrouvent seulement le parti, sa jeunesse et les organisations périphériques. L'Opposition a proposé de tenir dans toutes les villes des « congrès ouvriers » auxquels toutes les tendances de la classe ouvrière participeraient et où il faudrait mettre sur pied des comités élus sur la base de la représentation proportionnelle et qui, en tant que forme supérieure de front unique, assureraient la direction des luttes.

Trotski

Ce sont des soviets.

V. De la façon dont nous avons défini leurs tâches, ils iraient de la direction des grèves partielles, du mouvement des chômeurs, des actions sur la question du logement et le contrôle sur les prix et la production vers la direction d'une grève générale et deviendraient des organes de double pouvoir.

Trotski

Ce sont des soviets. Mais peut-être vaut-il mieux pour l'instant ne pas les appeler ainsi. Quand nous avons créé les soviets en Russie, ils n'étaient pas au début des organes de pouvoir. Aujourd'hui cependant le mot de soviet suggère tout de suite l'idée de conquête immédiate et d'exercice du pouvoir.

V. A nos revendications pour des congrès ouvriers et des comités de lutte avec représentation de toutes les tendances, le parti oppose son « comité populaire » ne comprenant que les organisations du parti officiel.

Le groupe Spartakos est opposé à notre mot d'ordre et a publié un manifeste avançant le mot d'ordre de « gouvernement ouvrier et paysan ». Celui-ci est défini comme une étape immédiate et qui ne représenterait pas encore la dictature du prolétariat mais plutôt lui préparerait la voie. Il est supposé taxer les riches et annuler les dettes des paysans.

Trotski

Nous pourrions reprendre ce mot d'ordre et en même temps poser la question des organismes sur lesquels se fonderait le gouvernement ouvrier et paysan, sur le « Comité populaire » ou sur le « Congrès ouvrier » ? Combien de membres le groupe Spartakos compte-t-il ?

V. Ils disent soixante-quinze mais ce chiffre comprend des éléments inactifs, dispersés et hésitants.

Trotski

Et les « fractionnistes » ?

V. Trente. Ils se sont alliés aux Spartakistes bien qu'il n'y ait pas un seul d'entre eux qui veuille travailler avec eux.

Trotski

Quel genre d'organe ont-ils ?

V. Mensuel.

Trotski

Vont-ils dans le sens d'un rapprochement avec le parti ? Ne veulent-ils pas le rejoindre ?

V. Quelques uns d'entre eux sont retournés au parti. Cependant, en tant qu'organisation, ils ne veulent pas du tout travailler avec le parti. Nous avons tout récemment proposé au parti un front unique. Jusqu'à présent, pas de réponse. Il est peu vraisemblable qu'ils acceptent notre offre surtout parce que les pires ennemis de organisation se trouvent dans la nouvelle direction, des gens qui ont même dans le passé préparé l'assassinat de nos camarades.

Trotski

Pour nous résumer, les Archio-marxistes sont pour un congrès ouvrier, pour diriger les luttes partielles vers une grève générale. Le parti communiste appelle à un « comité populaire », mais c'est seulement un organisme dirigeant. Qu'est-il censé faire ?

V. Le comité populaire a essayé d'organiser des manifestations. Tout le monde y est allé. Depuis lors, le parti n'a plus dit un mot du comité populaire.

Trotski

Le comité populaire a-t-il une existence légale ?

V. Son manifeste porte l'adresse de l'organisation syndicale. Il comporte les mots d'ordre pour une « Grèce soviétique » et pour un « gouvernement ouvrier et paysan ». Ce dernier mot d'ordre est là depuis 1923-1924. A l'époque, il était avancé sur la ligne des tactiques chinoise et bulgare. Aujourd'hui, le parti n'a pas défini la nature de ce gouvernement ouvrier et paysan.

Trotski

Et quelle est la position de notre organisation vis-à-vis de ce mot d'ordre ?

V. Nous ne pouvons y voir qu'un substitut, purement formel, à la « dictature du prolétariat ». Il ne suffit pas de lancer un tel mot d'ordre pour le réaliser. Nous avons besoin de mots d'ordre de transition pour y conduire.

Trotski

Nous pouvons accepter de lancer ce mot d'ordre en tant que perspective, c'est-à-dire dans le sens suivant : nous avons un gouvernement bourgeois, mais nous voulons un gouvernement ouvrier. Aussi proposons nous un congrès ouvrier. Alors, nous pouvons dire au parti : vous êtes pour un gouvernement ouvrier et paysan ; pour le réaliser il faut des organismes sur lesquels un tel gouvernement puisse se baser, c'est-à-dire un congrès ouvrier.

V. Dans notre toute dernière proposition pour un front unique nous avons suggéré une plateforme commune d'unité.

Trotski

Le mot d'ordre de gouvernement ouvrier et paysan, qui serait stupide pour l'Allemagne est juste pour la Grèce où il y a un mouvement paysan, des réfugiés criblés de dettes. Il représente les masses. Et puisque le prolétariat ne constitue pas la majorité en Grèce, le mot d'ordre de gouvernement ouvrier et paysan peut devenir important, - en tant que forme de la dictature du prolétariat, mais en tant que forme compréhensible pour les paysans. C'est en fait plus qu'une forme. Le rôle de la paysannerie en Grèce exige que l'avant-garde du prolétariat le prenne en considération et formule sa politique et ses décisions conformément à lui. C'était également la situation en Russie, pourtant nous n'avons parlé de gouvernement ouvrier et paysan qu'après la prise du pouvoir et Lénine n'était pas tout à fait sûr de cette caractérisation.

V. Nous avons expliqué dans notre congrès que nous étions opposés au gouvernement ouvrier et paysan en tant que « forme intermédiaire », mais que nous le considérions comme un synonyme de la dictature du prolétariat.

Trotski

La dictature du prolétariat connaît diverses étapes. En Russie, la première étape a été marquée par la coalition avec les socialistes révolutionnaires de gauche (de novembre 1917 à juillet 1918). C'était la coalition avec les représentants de la paysannerie. Deux jours après leur démission, les socialistes-révolutionnaires de gauche ont organisé une révolte contre le gouvernement soviétique et ont été emprisonnés. En conséquence, le gouvernement soviétique s'est de plus en plus « bolchévisé ». il existait une différence entre la première et la seconde étape. En ce sens, on peut dire que le terme de gouvernement ouvrier et paysan était « honnête » car il y avait eu un congrès d'ouvriers et de soldats et en outre un congrès paysan. Ce congrès paysan s'était joint un congrès des ouvriers et des soldats, avait élu son comité et envoyé ses représentants au comité exécutif du congrès des ouvriers et des soldats. Cela correspondait à la façon de penser des paysans à l'époque.

LE FASCISME

V. Le parti parle de social-fascisme, d'archio-fascisme, d'agraro-fascisme et de monarcho-fascisme.

Trotski

Existe-t-il de véritables organisations fascistes ?

V. Il existe des organisations fascistes qui sont politiquement insignifiantes, des imitations artificielles du fascisme italien.

Récemment a été formée une organisation d'anciens combattants et de nationalistes. Elle a une certaine activité, et se concentre sur l'attaque des communistes. Mais elle ne s'intitule pas fasciste et ne constitue pas une organisation politique au sens plein du terme. C'est une imitation du Stahlhelm auquel ils ont également emprunté leur nom. Le groupe est basé à Salonique où il a déjà réussi à briser des réunions syndicales.

La question nationale

Trotski

Vous n'avez rien dit de la question nationale.

Qu'en est-il de la Macédoine et des minorités ?

V. Notre congrès a voté une résolution s'opposant au mot d'ordre de l'indépendance de la Macédoine que le parti avait adopté en 1925.

Trotski

Pourquoi ?

V. Cela venait après un échange complet de population des Grecs des Turcs et des Bulgares. La Macédoine a 50% Bulgares. La Macédoine grecque 90% de Grecs. La Macédoine serbe de même. En laissant de côté la minorité juive qui ne vit qu'en ville, tous ceux de la campagne ne sont que des Grecs d'Asie Mineure ou de la Mer Noire.

Trotski

Pourquoi le parti a-t-il lancé le mot d'ordre de l'indépendance de la Macédoine ?

V. Manuilsky et Dolarov avaient insisté. A cette époque le parti bulgare était allié aux nationalîstes buIgares, qui s'intitulaient "Macédoniens" et espérait les gagner.

C'est sur cette base qu'on a lancé le mot d'ordre de l'indépendance Macédonienne. Mais les « Macédoniens » , sous la direction de Tsankou, ont tout de suite commencer à éprouver leurs armes contre les communistes.

Trotski

S'agit-il de la question de l'indépendance de la Macédoine dans son ensemble ?

V. Oui.

Trotski

Je ne suis pas sûr que ce soit juste de rejeter ce mot d'ordre. On ne peut pas dire qu'on est contre parce que la population y sera opposée. Il faut demander là-dessus son opinion à la population. Les "Bulgares" représentent une couche d'oppresseurs et nous devons expliquer que le peuple a le droit de décider de son propre sort. Si, le gouvernement refuse un référendum nous devons combattre cette décision. Si la nationalité opprimée se soulève contre le gouvernement, nous devons la soutenir. Voilà le type de langage que nous devons tenir. Et si les Grecs Macédoniens s'opposent au gouvernement d'Athènes et revendiquent leur indépendance devrons-nous nous opposer à eux de façon dogmatique ? J'en doute. Mais je ne connais pas assez cette question car je n'ai été en contact avec le problème macédonien qu'en 1913.

V. L'Internationale communiste a laissé tomber ce mot d'ordre parce qu'il s'est avéré irréalisable. La Macédoine n'est pas un ensemble national uniforme.

Trotski

Mais la Grèce non plus. Pourquoi la Macédoine ne pourrait-elle pas exister en tant qu'union autonome avec des nationalités différentes ? Il faut consulter la population là-dessus.

V. Quelles sont les forces qui vont soutenir cela ?

Trotski

Ce n'est pas notre travail d'organiser des soulèvements nationalistes. Nous disons simplement que si les Macédoniens le veulent nous seront avec eux, qu*ils doivent avoir le droit de trancher et que nous soutiendrons également leur décision. Ce qui me perturbe ce n'est pas tellement la question des paysans macédoniens mais que je me demande s'il n'y a pas un grain de poison de chauvinisme chez les ouvriers grecs. C'est très dangereux. Pour nous qui sommes pour une fédération balkanique d'Etats soviétiques cela revient au même si la Macédoine appartient à cette fédération en tant qu'ensemble autonome ou partie d'un autre Etat. Pourtant, si les Macédoniens sont opprimés par le gouvernement bourgeois, ou s'ils se sentent opprimés, nous devons les soutenir.

Existe-t-il un mouvement autonomiste des Macédoniens en Grèce ?

V. Non

Trotski

Il existe à Sofia un comité macédonien soutenu bien entendue par le gouvernement ; pourtant il existait à Vienne en 1929 - 1930 - et il existe peut-être encore - un journal macédonien publié par un comité soutenu par l'Internationale communiste. Que proposez-vous pour l'ensemble des Balkans ?

V. Une fédération soviétique

Trotski

Et le parti ?

V. Une Grèce soviétique. Il ne parle pas dfune fédération balkanique d'Etats soviétiques. Le parti critique notre mot d'ordre de fédération, parce qu'il prétend que nous l'utilisons pour dissimuler le fait que nous sommes opposés à une Grèce soviétique.

Trotski

Avant la guerre il y avait en Bulgarie les Teanjaki qui soutenaient une fédération balkanique. A cette époque, ce mot d'ordre jouait un grand rôle. Nous le reprenions alors que ce qu'ils proposaient était une fédération démocratique. Il est clair aujourd'hui qu'il n'existe dans les Balkans aucun pouvoir démocratique qui puisse faire d'une telle fédération une réalité. C'est la tâche du prolétariat.

La perspective d'un congrès ouvrier, d'un mouvement paysan, d'une grève générale, c'est-à-dire le prélude de l'insurrection en Grèce posera avec une force accrue la question de la fédération balkanique. "Comment peut-on imaginer une révolution victorieuse dans une Grèce prise dans ce système de cages d'oiseaux des Etats balkaniques verrouillés de tous les côtés par dictature et fascisme ?", nous diront certains. Nous répondrons : "Toute perspective révolutionnaire est impossible sans une fédération des Etats balkaniques qui, de toute évidence, ne s'arrêtera pas là mais s'étendra en fédération des Etats Unis soviétiques d'Europe".

La question syndicale

V. Notre mot d'ordre sur la question syndicale, c'est l'unité syndicale avec démocratie ouvrière et droit de fraction. Le parti lui oppose l'unité dans la C.G.T.U.

Trotski

Quelle est la plus forte des fédérations syndicales existantes ?

V. Elles sont de force à peu près égale, mais la fédération stalinienne est la plus active. Nous participons à tous les syndicats, mais sommes plus forts dans la C.G.T.U.

Trotski

L'influence du parti dans la C.G.T.U. est-elle supérieure à la nôtre ?

V. Le parti se maintient à la direction par des moyens artificiels et violents. Quoique nous soyons à la direction de plusieurs syndicats de la C.G.T.U., jusqu'à maintenant nous n'avons vu obtenir un seul représentant à la direction natîonale. Nous tenons la direction des syndicats suivants à Athènes : textile, ciment, boulangers et forgerons dans la C.G.T.U. Dans la fédération réformiste nous dirigeons les cordonniers, les ouvriers de la construction, les charpentiers et les coiffeurs. L'organisation des métallos du Pirée qui était sous notre direction et a été gagnée ensuite par les staliniens et est maintenant aux mains des réformistes en alliance directe avec les patrons, l'Etat et la police. A Athènes nous avons 22 fractions. Chacune de ces fractions se réunit régulièrement pour des discussions en soirée auxquelles participent de nombreux sympathisants. Finalement il existe pas mal de syndicats indépendants, qui ne sont reliés à aucune fédération, essentiellement ceux qui ont été exclus de l'une ou de l'autre.

Elections

Trotski

Quelle position les archiomarxistes ont-ils pris sur cette question ? Quelle expérience ont-ils faite et quel est leur point de vue actuel ?

V. Nous abordons cette question du point de vue du rapport des forces.

Trotski

Comment peut-on expliquer votre médiocre résultat en voix aux élections locales de Salonique en 1931 ?

V. On a discuté cette question au congrès et établi qu'on avait mal évalué le rapport des forces. Ce qu'on nous avait dit de Salonique avant les élections c'est que le journal du parti se vendait à 70 exemplaires au numéro et le nôtre à 3000. Que la parti n'avait presque aucun appui dans les syndicats. Nous tenions la direction dans six organisations syndicales. Dans les réunions générales du parti il n'y avait pas plus de 300 personnes alors que nous en avions 1000 ou 1500. Le mouvement des chômeurs était dirigé par nous. Le résultat de ces élections a été de 2300 voix pour le parti ; 390 pour nous.

La discussion à la conférence a révélé ce qui suit :

1) L'information concernant les ventes de journaux était fausse, tous les exemplaires n'étaient pas vendus mais certains simplement distribués.

2) Les syndicats n'étaient pas exactement des syndicats de masse et la sympathie pour nous de caractère plus local et personnel que politique. En outre notre influence était moins grande que I'on ne nous l'avait dit.

3) Une partie importante de nos partisans étaient des jeunes sans droit de vote, une autre partie des ouvriers qui ne pouvaient obtenir de cartes d'électeur.

4) Le parti a eu les voix des éléments passifs, qui n'assistent pas aux réunions, ne peuvent être mobilisés par le parti et dont l'activité se réduit à voter. Notre influence par ailleurs s'exerce précisément sur les éléments actifs du prolétariat.

5) Derrière le parti, il y a l'autorité de l'Union soviétique et de l'Internationale communiste.

Trotski

Les quatre premiers points expliqueraient que le parti ait eu 2000 voix et nous 2000 aussi ou même 1000. C'est pourquoi, en égard aux résultats, c'est la dernière raison qui est décisive. C'est cela seulement qui peut expliquer que les éléments passifs votent pour le parti et pas pour nous. Pourquoi nous faut-il particulièrement souligner cette raison ? Parce qu'avec tous les facteurs locaux et nationaux, l'autorité de la Révolution d'octobre et de l'Internationale communiste entre comme puissante composante du rapport des forces. Il existe des expériences qui le confirment : S Allemagne (Urbahns, les Brandlériens et plus récemment le S.A.P.), Belgique (Overstraeten), en outre l'expérience d'un nouveau groupe d'Opposition à Kosice en Tchécoslovaquie.

Cela prouve que les conditions n'existent pas encore pour un deuxième parti. Dans l'Internationale d'avant guerre la gauche a lutté pendant des années sous la forme dtun petit groupe. De gigantesques événements comme la Guerre mondiale, la faillite de la l'Internationale, la Révolution russe étaient nécessaires pour créer les préconditions de la création d'une nouvelle Internationale. A l'époque actuelle, il ne n'est pas encore produit d'événements qui, aux yeux des masses, soient d'importance assez décisive pour justifier l'établissement d'un nouveau parti. C'est pour cette raison que non seulement nous ne pouvons pas créer un nouveau parti mais nous sommes pris dans la même, vague de reflux que le parti officiel puisque les masses nous perçoivent comme une partie du camp communiste.

Ce fait est très important pour l'Espagne. Nous avons là un groupe nouveau qui a un peu plus de 1000 menbre set dont la direction vient juste de déclarer qu'elle ne voulait plus continuer à marcher sur les talons du parti, mais voulait présenter sa propre liste aux élections. Elle va proposer un front unique au parti et, prévoyant son refus, présentera des candidats ind&pendants. Le danger qui menace l'organisation espagnole sur cette voie est énorme.

A l'époque des élections, les camarades grecs avaient déjà depuis dix mois leur propre organe et depuis plus longtemps encore un certain nombre de journaux syndicaux. Jusqu'à une époque très récente l'organisation espagnole n'avait qu'une revue théorique mensuelle. Si notre organisation en Grèce a 1600 membres sur une population de 7 millions, l'organisation espagnole qui est née dans les conditions très favorables de la montée d'une vague révolutionnaire, devrait avoir au mons 5 fois plus de membres. Bref, le fait de présenter nos propres candidats contre ceux du Parti communiste espagnol qui a grandi infiniment plus que l'Opposition et qui a à sa disposition des ressources infiniment plus grandes, amènera des résultats moins positifs encore que ce fut le cas en Grèce. La position de nos camarades espagnols est tout à fait inconsidérée et elle peut compromettre pour longtemps notre organisation.

La question nationale

Trotski

Je voudrais revenir sur la question de la Macédoine et de l*Epire. Si J*ai bien compris, on n'y a pas jusqu'à présent attaché beaucoup d'importance. C'est pourtant une question très importante pour éduquer les ouvriers grecs, les affranchir de leurs préjugés nationaux, améliorer leur compréhension de la situation internationale dans les Balkans et en général. Les statistiques officielles nous donnent les informations suivantes : il y a 82000 Slaves macédoniens sur 1400000 habitants de la Macédoine, 19000 Albanais sur les 300 000 habitants de l'Epire.

La première question qui vienne à l'esprit est la suivante : ces chiffres sont-ils exacts ? Notre première tâche est d'adopter à l'égard de ces chiffres une attitude de scepticisme total. Ces statistiques ont été établies en 1925 à l'époque où l'on recasait [les réfugiés] sous les baïonnettes de l'autorité militaire. Qu'est-ce qu'ils appellent « Grecs » ? Peut-être ceux qui parlent grec parce qu'il le faut mais ne ne considèrent pas comme grecs. Si ces chiffres sont inexacts, ce fait doit provoquer mécontentement et haine chez les nationalistes. Si nous disons qu'il faut considérer les statistiques officielles avec beaucoup de scepticisme, nous pouvons gagner beaucoup de sympathie, Ce qui est plus important c'est qu'ainsi nous pouvons gagner la confiance du proletariat bulgare. Même avant la guerre les Bulgares étaient très méfiants aussi à l'égard des Grecs car les Grecs sont très nationalistes.

Mais, même s'il n'y avait en réalité pas plus de 82 000 Slaves en Macédoine, la question conserverait une importante signification. Où vit cette minorité de 82 000 ? Probablement à la frontière bulgare. La faible importance numérique de cette couche nationale n'exclut pas l'autonomie. Ainsi en Russie le petit pays de Moldavie proche de la Roumanie existe bien en tant qu'entité indépendante. Il faut poser la question : faut-il balkaniser plus encore ? A cela nous répondons : nous sommes pour la constitution de vastes unités économiques. Mais ce ne peut être réalisé contre la volonté des masses. Si les masses veulent la séparation nous devons leur dire : faites votre expérience et vous reviendrez à la fédération soviétique. Cependant, dans la mesure où le gouvernement bourgeois de la nation dominante vous interdit la séparation, nous vous détendrons. L'importance qu'il y a à poser la question en ces termes est le mieux illustrée par le destin de la monarchie austro-hongroise et de la monarchie tsariste.

Un Autriche les demi-marxistes ont toujours mie en avant de sages arguments économiques pseudo-révolutionnaires pour démontrer la nécessité de conserver les nations opprimées dans le cadre de la monarchie Austro-hongroise. Résultat : l'Autriche-Hongrie s'est décomposée en ses éléments composants. En Russie, les bolcheviks ont toujours défendu le droit à l'autonomie de chaque nation. Résultat, la Russie a survécu en tant qu'entité économique, Cela n'a été possible que parce qu'à travers leurs longues années de lutte pour le droit des nations à l'auto-détermination, les bolcheviks avaient gagné la confiance des masses populaires opprimées sur le plan national et, avant tout, du prolétariat. Je crois que la presse grecque et internationale doit consacrer à cette question plusieurs articles. Il faut étudier à fond tout ce problème et tenir avec les camarades bulgares une petite conférence afin d"élaborer une politique identique.

V. Cette année d'importantes mobilisations nationales révolutionnaires contre l'Angleterre ont eu lieu à Chypre. Nous avons pris la position de défense du droit de la population à l'auto-détermination et expliqué la nécessité de luttes révolutionnaires. Nous avons pris la même position à l'égard du Dodécanèse qui est occupé par les Italiens. L'organisation s'est attachée pendant plusieurs années à la question macédonienne. Mais l'alliance du parti avec les nationalistes bulgares l'a sérieusement affaiblie. J'écrirai là-dessus.

Trotski

A Chypre et dans le Dodécanèse, il s'agissait de Grecs opprimés, en Macédoine, de Slaves opprimés. Si les communistes défendent les grecs opprimés, mais ne défendent pas les Slaves opprimés contre leur oppresseur grec, la méfiance à notre égard grandira. Si je ne me trompe pas c'est Engels qui disait en polémiquant contre Bakounine : "Tout révolutionnaire qui donne ne serait-ce qu'un petit doigt au pan-slavisme est perdu".

La question agraire

Trotski

Quels sont les mots d'ordre des Archiomarxistes sur la question agraire ?

V. La conférence a dressé une série de revendications : annulation des dettes des réfugiés et des petits paysans (dettes vis-à-vis de la Banque nationales, usuriers, importants imôts impayés), abolition des taxes à la production sur les moissons et les troupeaux.

Trotski

C'est un impôt sur le revenu et vous voulez que cet impôt soit supprimé pour les petite paysans ?

V. Notre conférence et nos comités régionaux ont en outre présenté une série de revendications partielles divisées en catégories vin, tabac et huile d'olive qui constituent les produits les plus importants de l'agriculture grecque. La conférence a mandaté les membres du comité central pour qu'ils préparent un rapport séparé pour chaque région. Ces rapports sont encore en cours de préparation. Pendant quelque temps nous avons eu une position générale sur la question agraire, Cependant ce n'est que cette année que nous nous sommes fixés des tâches très pratiques dans ce domaine.

Nous nous sommes également opposés au parti agrarien parce qu'un parti paysan qui serait entre, et au-dessus des deux classes principales, la bourgeoisie et le prolétariat, n'est pas possible. Un parti agrarien "neutre" ne peut être qu'un organe de la bourgeoisie. Nombre de membres du parti agrarien sont d'anciens communistes qui ont été démoralisés par la politique du Parti communiste officiel et se sont tournés depuis vers le nouveau parti croyant qu'il est aussi un parti révolutionnaire.

Par un travail systématique et une clarification théorique on peut gagner à nous d'importantes fractions de ce parti. Dans certaines régions paysannes on voit des sentiments révolutionnaires. Nos camarades qui vivent dans les villes.sont invités dans les villages pour y prendre la parole par des membres du parti agrarien. Les paysans de villages entiers sont convoqués et ils écoutent nos orateurs avec une grande sympathie. Dans un certain nombre de régions, les paysans travaillent activement à distribuer nos journaux. La situation nous est plutôt favorable et il n'est pas exclu que, sous la pression des paysans, qui sont cent fois plus à gauche que la direction du parti, comme nous l'influence de notre activité, le parti agrarien peut rapidement se désintégrer.

Nos camarades sont en train d'élaborer des revendications spécifiques pour chaque région, qui répondent aux besoins de la paysannerie là. En outre, conformément à la résolution de notre oonférence nous publierons prochainement un journal paysan particulier. Quant au Parti communiste, il qualifie le parti agrarien de "fascisme agraire". Le Parti communiste projette de former des syndicats d'ouvriers agricoles ? Nous ne sommes pas opposés à cette idée mais elle ne réglera pas la question paysanne car les ouviers agricoles constituent un pourcentage négligeable de la population rurale et ne se trouvent que dans certaines région. Nous lançons, nous, le mot d'ordre de la formation d'associations de paysans pauvres,

Quelques expériences supplémentaires en Macédoine et en Thrace où le parti officiel a exercé à une époque une grande influence sur la population paysanne. Aujourd'hui cependant le parti perd visiblement du terrain devant le parti agrarien. Nous devons d'autant plus int lutter contre le parti agrarien pour regagner ce que le Parti communiste a perdu. Le parti publie tous les quinze jours un journal pour les paysans. Le parti agrarien a deux quotidiens et un organe mensuel (c'est-à-dire des journaux bourgeois qui ont obtenu le soutien du parti agrarien. Au cours des dernières élections le parti agrarien a obtenu un grand nombre de voix. Dans certains villages, où le pagti communiste ne présente pas de candidats. nous voulons, nous, en présenter pour faire de la propagande communiste. Le parti agrarien est très hétérogène, il cherche à attirer tout le monde sans considération d'idées., On peut trouver dans ses revues des articles de tendances tout à fait contradictoires. Les dirigeants de la même organisation écrivent pour ou contre le socialisme, pour ou contre la petite propriété.

Il y a en Grèce un autre problème sérieux, le manque de terre cultivables Dans certaines régions, une réforme est en cours d'application. Le manque de terre a provoqué une importante émigration des campagnes vers les villes. Il y a là des gens qui cherchent du travail, des artisans, des marchands aussi bien que des éléments du lumpen-prolétariat.

Trotski

Est-ce qu'il existe déjà des syndicats d'ouvriers agricoles ? Et des associations paysannes ?

V. Non, pas de syndicats d'ouvriers, agricoles, quelques associations locales,de paysans [Il lit dans la revue Davlos (La Torche) le compte­rendu d'un comité régional et du programme de lutte avancé par le comité.]

Trotski

Ces faits sont très intéressants et donnent l'impression d'une situation pré-révolutionnaire. J'ai l'impression que, dans les circonstances actuelles, les mots d'ordre de notre organisation ne conviennent plus. La situation exige de mettre en avant, avec des revendications limitées, des mots d'ordre généraux qui puissent donner au mouvement une direction commune. L'un d'entre eux pourrait être le contrôle ouvrier et paysan des banques. Voyons par exemple la question de la remise des dettes et de l'octroi de crédits. Il y a bien entendu des paysans pauvres et des paysans riches et il faut qu'il y ait un contrôle, sur quelles dettes vont être annulées et à qui on accordera des crédits. Il faut des organisations qui puissent exercer cette surveillance - des comités paysans -. Les associations paysannes sont des organisations semi-politiques que nous pouvons utiliser pour augmenter leur influence. Les comités paysans sont des organismes révolutionnaires qui se dirigent contre l'Etat un jour et le lendemain deviennent des organes révolutionnaires de pouvoir d'Etat. Ces comités correspondent tout à fait aux soviets ouvriers des villes. Il nous faut combiner la question de la rémission des dettes et du crédit avec la revendication du contrôle des banques et de la formation de comités paysans. Contrôle paysan ! Pas de diplomatie secrète dans l'octroi des crédits ! Ouvrez les livres de toutes les banques ! Mais comme les paysans ne comprennent pas les livres de compte, ils vont se tourner vers les ouvrîers des villes et les appeler au secours. Il nous faut comprendre comment couronner des revendirations limitées et locales par des revendications à l'échelle nationale et donner au mouvement des perspectives révolutionnaires.

La formation d'un parti agrarien est un symptôme d'une crise révolutionnaire comme les événements de Bulgarie en 1924. Il est vraî qu'il ne peut être un parti de classe indépendant. Mais outre cette appréciation théorique juste, il nous faut avoir une politique juste à l'égard de ce parti, dont l'existence est maintenant un fait. Notre politique ne peut pas être simplement négative. Il nous faut commencer un processus de tri dans ce parti et montrer sur la base des faits qu'il ne peut pas être un substitut de parti communiste mais plutôt qu'il doit être remplacé par un parti communiste. Notre politique a déjà été définie par les revendications que nous avons avancées. Nous proposons des luttes en commun sur la base de ces revendications. Ou bien nous gagnerons les éléments révolutionnaires de ce parti, ou bien nous les démasquerons devant les paysans. C'est également vrai du mot d'ordre de contrôle des banques et de formation de comités paysans.

Aux élections, nous pouvons aussi présenter non seulement des ouvriers de l'endroit, mais même des paysans révolutionnaires comme candidats en leur demandant de reprendre nos revendications et de s'engager à combattre pour elles. Même si les paysans sont membres du parti agrarien nous pouvons les porter sur nos listes s'ils adoptent notre programme. Puisque le parti agrarien n'est pas un parti, mais un rassemblement de tendances qu'il faut faire voler en éclat. Bien entendu, cela n'exclut pas que paysan ou un autre que nous aurions poussé en avant se laissera corrompre après son élection et nous trahira plutôt que se laisser définitivement gagner par nous. Aux élections aux Doumas, les bolcheviks encore et toujours, formaient des blocs électoraux avec les socialistes révolutionnaires, une tactique que les mencheviks critiquaient sévèrement. A leurs critiques les bolcheviks répondaient : “Notre alliance repose sur la lutte pour les revendications démocratiques. La bourgeoisie libérale est anti-démocratique. Nous sommes prêts, aux côtés des socialistes révolutionnaires à affronter la bourgeoisie libérale et ses alliés mencheviks“. La grande différence entre la Russie et la Grèce est que le féodalisme n'existe plus dans la seconde. Mais ce qui existe encore c'est la note que présente le féodalisme sous la forme de la dette due par les réfugiés et les paysans pauvres pour la terre qu'ils ont occupée. La lutte pour l'abolition de cet endettement est la lutte pour l'élimination finale du féodalisme.

Les développements en URSS

V. Une question sur la signification du dernier tournant en Russie.

Trotski

Nous avons maintes fois écrit qu'une retraite était inévitable. La bureaucratie stalinienne a proclamé son programme de collectivisation totale sur la base de fondements techniques et économiques tout à fait insuffisants. Elle a obligé les paysans moyens à entrer dans les fermes collectives et acclame cette collectivisation comme un grand succès. Nous disions que les paysans allaient consommer leur capital agricole de base et que la crise déborderait inévitablement de ce secteur. On ne peut réaliser la collectivisation sans une base technologique et sans la préparation psychologique nécessaire. L'issue est évidente, le grain et le bétail sont tombés au-dessous des besoins minimaux. A Moscou, Pétrograd et dans d'autres grandes villes on a déjà des difficultés à maintenir le ravitaillement. Par ailleurs, en province, il y a famine. C'est également vrai dans les villages paysans (surtout là où il faut faire venir du grain). Le résultat est que la petite bourgeoisie souffre, mais le prolétariat aussi. Le nombre de paysans collectivisés est en train de s'effondrer. Lee paysans indépendants - dont on nous avait dit avant qu'il n'existaient pas - commencent maintenant à être protégés. La propriété individuelle et le marché libre sont encouragés ; un processus de différenciation se généralise dans les fermes collectives et même plus encore chez les paysans indépendants. Après avoir ruiné les koulaks par la violence administrative la bureaucratie leur donne à nouveau l'occasion de prospérer. Nous avons toujours proposé de contrôler les koulaks, de leur rogner les griffes ? On ne peut pas les éliminer d'un seul coup, mais les réglementer et les limiter jusqu'à ce qu'aient été posées les bases techniques et culturelles d'une collectivisation à grande échelle. Jusqu'en février 1929 on encourageait les koulaks. Les koulaks, qui comprennent 5% de la paysannerie, possédaient 40 % (chiffre officiel ?) de la quantité de grain destinée au marché et ils refusèrent finalement de le livrer aux villes ce qui eut pour résultat la menace de famine. C'est alors que la bureaucratie stalinienne lança d'abord son attaque contre les koulaks et transforma la campagne de réquisition des grains en campagne d'anéantissement des koulaks. Maintenant ils sont revenus à leur position ancienne mais sur une base nouvelle. Ce fait aura les conséquences les plus lourdes pour la collectivisation et le plan quinquennal. La distribution des biens sera réglementée non seulement par le plan mais aussi par le marché libre. Jusqu'où cela ira, cela reste à voir, puisqu'on ne peut prévoir jusqu'où ira la retraite. L'introduction de la Nep a été très soigneusement préparée et elle a néanmoins déclenché une croissance élémentaire du marché libre. Mais à cette époque, nous avions le parti qui suivait avec attention et contrôlait tous les développements. A présent, économiquement parlant, nous partons d'une position plus avantageuse : l'industrie s'est développée, le secteur socialiste s'est renforcé. Mais les facteurs politiques sont moins favorables et peuvent l'emporter sur les facteurs économiques :

1) Les ouvriers ont beaucoup souffert pendant la construction de l'industrie mais on leur disait que c'était l'avènement du socialisme. Nous avons mis en garde contre la désillusion que provoqueraient inévitablement pareilles phrases. Maintenant, ce ne seront pas seulement les koulaks qui accumuleront du capital au village, mais le nepman aussi à la ville et il apparaîtra un nouveau processus de différenciation. Les masses sont devenues politiquement plus critiques, plus revendicatrices mais aussi plus désillusionnées.

2) Pour les paysans, l'abandon de leurs fermes individuelles signifiait un changement catastrophique de leur mode de vie. Maintenant commence un retour vers une économie paysanne indépendante. Les paysans vont se dire : "Ce qu'ils interdisaient hier, ils l'autorisent aujourd'hui. Pourquoi dont nous ont-ils chassés de nos fermes ?" L'autoritê de l'Etat sera violemment secouée et, d'un autre côté, la conscience de classe des koulaks sera renforcée.

3) Néanmoins l'élément le plus important est le parti. La Russie est un pays qui a une population petite bourgeoise nombreuse et éparpillée (110 millions de paysans). Plus de la moitié sont collectivisés. Nous avons toujours prédit la différenciation inévitable et le danger de la koulakisation des fermes collectives : nous avons toujours souligné que les fermes collectives ne représentaient qu'une forme économique transitoire et qu'il fallait les réglementer. Le nouveau tournant va accélérer la différenciation à l'intérieur des fermes collectives et entre elles. Pour observer ces processus moléculaires et sonner à temps l'alarme, il faut des milliers et des milliers de dirigeants actifs. La bureaucratie et les statistiques ne peuvent pas les remplacer. Il faut un parti prolétarien révolutionnaire indépendant et celui-ci n'existe pas. La Nep signifiait une lutte de classes latente continuelle. C'était la tâche du parti que de la dévoiler. Le parti a maintenant fait place à la bureaucratie qui trompe le parti et le prolétariat sur la situation et sur les tâches. En 1921 nous avons dit au parti et au prolétariat la vérité absolue, que nous devions battre en retraite et revenir aux méthodes capitalistes : nous montrions clairement les dangers que cela comportait et mettions en garde contre eux. Même si nous étions obligés d'armer les koulaks économiquement, nous armions le prolétariat politiquement et militairement. Le parti aujourd'hui n'existe plus comme parti. Tout se passe dans l'ombre. On ne peut rien prévoir d'où les immenses dangers.