Discours de M.N. Roy sur la question nationale et coloniale

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Intervention sur la question nationale et coloniale

ROY (Indes). — Il n’est plus nécessaire de parler de l’importance de la question coloniale. Son importance est devenue pour ainsi dire un axiome de l’Internationale et de ses sections. Avant de passer en revue le mouvement révolutionnaire des pays coloniaux et semi-coloniaux depuis le IV° Congrès, il faut vous rappeler les thèses votées par le II° Congrès, car c’est uniquement par elles que nous comprendrons la signification des événements passés et du mouvement actuel.

Je dois d’abord constater que la résolution sur le rapport de l’Exécutif contient une clause qui ne correspond pas aux thèses adoptées par le II° Congrès.

La résolution dit qu’afin de gagner les peuples coloniaux et semi-coloniaux, il doit y avoir « un développement des relations directes de l’Exécutif avec les mouvements d’émancipation nationale ». Il est vrai que nous devons toujours avoir des relations avec ces mouvements nationaux, mais un mouvement qui aurait pu avoir une signification révolutionnaire en 1920 n’a plus la même valeur en 1924. Des classes qui auraient pu être les alliées du prolétariat révolutionnaire en 1920 ne le seront pas en 1924. Voilà le danger d’une formule rigide et la cause de notre impuissance. Si nous voulons améliorer les choses, nous devons rectifier cette erreur fondamentale. La thèse du II° Congrès nous montre la route en soulignant l’importance d’un mouvement de classe : « Nous devons, autant que possible, donner un caractère révolutionnaire au mouvement paysan, organiser les paysans et tous les exploités en Soviets et réaliser ainsi l’union la plus étroite entre le prolétariat communiste d’Europe Occidentale et le mouvement révolutionnaire d’Orient, ainsi que des pays coloniaux et assujettis ».

Nous devons donc avoir des relations directes avec les masses et non avec les « mouvements d’émancipation nationale ». Ceux-ci embrassent toutes sortes de classes et de buts.

Quels résultats pratiques nos relations avec le mouvement de libération nationale ont-elles eus jusqu’à présent ? Aucun. On peut, en effet, diviser les pays coloniaux en trois groupes :

  1. les pays où la forme dominante est encore le féodalisme ;
  2. les pays semi-coloniaux approchant d’un État national, mais dominés financièrement et militairement par des pays impérialistes ;
  3. les colonies pures, dominées complètement par l’impérialisme.

Le premier groupe ne joue pas à présent un grand rôle, parce que, quoiqu’il y ait là des révoltes fréquentes, elles sont désorganisées et souvent dirigées par des réactionnaires, des traîtres, etc. Il est difficile de leur donner une orientation révolutionnaire, mais il faudrait les reconnaître comme des alliés et les soutenir un peu plus que par des résolutions.

Dans le deuxième groupe sont la Perse, la Chine, etc. Il est également difficile d’y trouver un caractère politique uniforme parmi les différentes classes sociales. Mais c’est une raison de plus pour observer soigneusement les faits et ne pas s’engager dans des formules.

Il faut éclaircir un malentendu, avant de continuer. Il n’est pas exact que je soutienne l’autodétermination pour les masses laborieuses seulement et non pour les nationalités. Le droit des nations opprimées à disposer d’elles-mêmes doit être défendu, mais nous devons trouver les moyens de réaliser ce droit. Ce n’est pas le prolétariat seul qui a le droit de disposer de lui-même. Toutes les classes l’ont également. Mais nous devons analyser les conditions sociales, afin de comprendre quelle classe joue le plus grand rôle dans la lutte pour la réalisation du droit et de rechercher un contact direct avec cette classe.

Manouilsky a dit que, dans l’année passée, le mouvement nationaliste dans les Indes britanniques s’est sensiblement ranimé. En 1920 et en 1921, le mouvement nationaliste, dirigé par des leaders bourgeois et petits-bourgeois, avait, en effet, jeté la terreur dans les cœurs des impérialistes britanniques. Mais cette période est maintenant passée. Il serait erroné de prétendre le contraire ou de considérer la grève de Bombay comme une preuve de la puissance du mouvement nationaliste.

Qu’était-ce que la grève de Bombay ? Dans tout autre pays, on l’aurait considérée comme de première importance révolutionnaire, mais comme elle a eu lieu dans un pays colonial, personne n’en sait rien. Pendant trois mois, 150.000 hommes et 30.000 femmes ont fait grève contre l’impérialisme capitaliste hindou et britannique.

Ce fut un mouvement véritablement révolutionnaire et qui n’a rien à voir avec le mouvement national. Il a eu son origine dans le conflit entre les intérêts capitalistes hindous et britanniques dans le Textile. Pendant et après la guerre, les travailleurs avaient obtenu quelques petites augmentations de salaires sous la pression du gouvernement qui voulait avoir la paix. Lorsque les entrepreneurs essayèrent d’enlever aux masses ces conquêtes, les ouvriers refusèrent d’accepter leurs conditions. Les chefs nationalistes — petits-bourgeois et humanitaires, radicaux et Fabiens qui dirigent toujours les syndicats — vinrent leur conseiller d’accepter les salaires de famine qu’on leur offrait, et cela au nom de l’intérêt national. Si les ouvriers n’acceptaient pas cette diminution, le coton du Lancashire pourrait entrer et être vendu à meilleur marché que le coton hindou ! Pour la première fois dans l’histoire, les ouvriers hindous repoussèrent leurs leaders et engagèrent la lutte.

Les ouvriers engagèrent la lutte sans leurs chefs ; les gens furent mitraillés partout où il y eut la moindre perturbation ; le lock-out frappa 83 moulins ; il y eut un grand nombre de cas de morts de faim, et lorsqu’enfin un comité de secours s’organisa, le congrès national refusa de lui accorder des subventions. Voilà la recrudescence du nationalisme !

Manouilsky a aussi parlé de la lutte des paysans. La lutte de la paysannerie est une lutte de classe des paysans exploités contre les propriétaires fonciers hindous et elle se poursuit parallèlement à la lutte des ouvriers des villes contre les capitalistes hindous. En 1920 et 1921, au contraire, les paysans et les propriétaires révoltés étaient dirigés par les bourgeois et les petits-bourgeois, qui ne comprenaient pas la signification des forces révolutionnaires qu’ils appelaient à l’action. Le mouvement nationaliste se trouve donc aujourd’hui divisé par la lutte de classe. Avec quelle classe devons-nous avoir notre « contact direct » ?

Les petits-bourgeois sont toujours enchaînés par leur idéologie au féodalisme et à la grande propriété foncière et ils sont séparés des masses, mais si nous organisons les paysans et les ouvriers, ils prendront en mains les petits bourgeois qui sont à présent prêts à conclure des compromis avec l’impérialisme pour la paix et l’argent. S’ils trouvent qu’en luttant davantage, ils auront l’appui des masses, ils se sentiront fortifiés et inclineront moins à des compromis. Quant à la bourgeoisie nationale, elle soutient l’empire et a même demandé que l’armée et les relations étrangères restent au gouvernement britannique. Le bourgeois hindou sait que le mécontentement des masses est un mécontentement économique et non pas nationaliste et il veut être protégé contre les exploités. Le capitalisme hindou se jette dans les bras de l’impérialisme britannique.

En Egypte aussi, Zagloul a employé plus de phrases révolutionnaires que n’importe qui. Il a été accepté comme leader par le peuple égyptien. Mais il a pris le pouvoir en exploitant le mouvement nationaliste des masses et il les exploite toujours davantage. Tout le Comité Central du Parti Communiste d’Egypte est en prison, terriblement maltraité. Nous voyons ainsi qu’un gouvernement nationaliste peut être au pouvoir sans qu’aucune libération nationale soit réalisée. L’émancipation nationale ne pourra s’accomplir que lorsque l’impérialisme sera vaincu, et le prolétariat égyptien, quoique jeune et inexpérimenté, doit diriger la paysannerie vers ce but. Les communistes doivent encourager les bourgeois et les petits bourgeois à combattre l’impérialisme et leur poser des revendications de plus en plus fortes, mais sans compromis.