Discours d’ouverture de N. I. Boukharine au VIe congrès de l'IC

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VIe Congrès mondial de l’Internationale Communiste

Séance d’ouverture

Moscou, le 17 juillet 1928.

Le VIe Congrès mondial de l’Internationale Communiste a été ouvert ce soir, à 8 heures, dans la « Salle des Colonnes », magnifiquement ornée, de la Maison des syndicats. Presque toutes les sections de l’Internationale Communiste ont envoyé des délégations et, bien avant l’ouverture de la séance, la salle et les tribunes sont remplies. Salué par une tempête d’applaudissements, Boukharine monte à la tribune et inaugure le Congrès par l’allocution suivante :

Discours d’ouverture de N. I. Boukharine[modifier le wikicode]

Camarades,

Après le Xe anniversaire de la Grande Révolution d’Octobre et de la chute de l’ancien empire tsariste, à la veille du Xe anniversaire de la fondation de l’Internationale communiste, de cette véritable Association Ouvrière Internationale, voici que se réunit le VIe Congrès de l’Internationale communiste. Au cours de ces années, il y eut de nombreuses conférences de toutes sortes, des pourparlers diplomatiques et non-diplomatiques, de la phraséologie pacifiste trompeuse d’agents bourgeois qui suivent en laisse la S.d.N. qui est pour l’humanité l’instrument le plus dangereux de la bourgeoisie internationale. Contrairement à toutes ces conférences et à tous ces congrès de nos ennemis, notre congrès international, le Congrès de l’Internationale communiste, est un congrès des révolutionnaires prolétariens, destiné à passer en revue sévère les états-majors des divers détachements de l’armée communiste internationale.

Camarades, c’est pour la sixième fois que nous nous réunissons dans la capitale rouge du pays prolétarien. Qu’à cette occasion, notre première pensée soit pour nos innombrables camarades de combat morts dans la lutte et ayant sacrifié leur existence à l’œuvre de la révolution prolétarienne internationale. (Tous se lèvent.) Le prolétariat européen a perdu des dizaines et des centaines de ses fils, les meilleurs et les plus fidèles. La plupart d’entre eux ont péri ; d’autres périssent encore sous les griffes de l’aigle blanc polonais si rapace, sous les coups de botte du maréchal Pilsudski ; en Italie, ils périssent sous le fouet et la matraque de Mussolini, renégat du mouvement socialdémocrate ; en Bulgarie, ils sont exterminés avec l’assentiment bienveillant de la social-démocratie. Mais il existe un pays immense, lointain, à culture ancienne, qui est inondé à présent du sang des ouvriers et des paysans. C’est la Chine, où de formidables masses se sont soulevées contre la canaille impérialiste et se sont lancées presque sans armes contre les agents de l’impérialisme.

Des dizaines de milliers de nos camarades chinois meurent en ce moment dans les tortures, sous le garrot, des épingles sous les ongles, les yeux crevés... Et ils meurent en s’écriant : « Vive le triomphe du communisme ! Vive la victoire des partis prolétariens ! ».

De la Pologne jusqu’au Japon, de l’Italie jusqu’à la Chine, de l’Indonésie à l’Amérique, les pionniers du communisme périssent sous la hache du bourreau, dans les carcans, sur les chaises électriques. Honorons leur mémoire ! Que leurs noms innombrables et grands restent vivants dans le cœur des prolétaire ! (Tous les délégués se lèvent ; l’orchestre joue la marche funèbre.)

Avant de commencer notre travail nous adressons notre salut chaleureux aux soldats de la révolution ouvrière et à leurs dirigeants qui remplissent actuellement les prisons d’Italie, de Pologne, de Chine, de Bulgarie et d’autres pays encore. Nous adressons d’ici notre salut à nos camarades chinois, polonais, bulgares, à nos glorieux camarades italiens et autres. Nous savons qu’en cet instant leur pensée est avec nous.

Camarades, au cours des années qui se sont écoulées depuis le Ve Congrès, notre mouvement s’est développé en largeur et en profondeur. C’est pour la première fois que la parole du communisme, que les premiers principes d’organisation du mouvement communiste, que les paroles claires et précises de Lénine ont pénétré dans des territoires immenses, dans de nouveaux continents, dans de nouveaux peuples, dans de nouvelles couches de la classe ouvrière. L’Amérique du Sud entre pour la première fois dans l’orbite de l’influence de l’Internationale communiste. Le parti chinois se forme en un vrai parti révolutionnaire de combat sous le drapeau du marxisme et du léninisme révolutionnaires.

C’est pour la première fois qu’est apparue dans l’arène historique une nouvelle unité de combat qui commence à se former, le Parti communiste japonais. Nous sommes à la veille d’un accroissement certain du mouvement communiste dans l’Inde, cette forteresse principale de l’impérialisme, de l’Empire du roi d’Angleterre.

En même temps, les tâches de notre mouvement se sont extrêmement compliquées. Le premier élan, la première vague révolutionnaire énorme qui a déferlé sur l’Europe s’est terminée par la défaite de la classe ouvrière des pays capitalistes. Les perspectives de krach immédiat du capitalisme, de sa perte immédiate, ont laissé la place à des perspectives quelque peu différentes. La thèse de Lénine d’après laquelle il n‘y a pas pour la bourgeoisie de situation sans issue s’est entièrement justifiée : dans plusieurs pays ayant subi le plus l’action du mouvement révolutionnaire, la bourgeoisie a su se tirer d’affaire. Le capitalisme construit actuellement d’urgence de nouvelles forteresses et s’arme aussi rapidement que possible. Il bâtit et s’arme en même temps. La désagrégation du capitalisme ne suit pas une ligne droite, elle s’effectue par zigzags, par l’amélioration partielle de certains secteurs isolés du système capitaliste. Le capitalisme a suivi la ligne que nous appelons stabilisation partielle du capitalisme. Et cela a créé de nouvelles difficultés au mouvement communiste ; cela a posé devant l’Internationale Communiste de nouveaux problèmes et obligé l’I.C. dans son ensemble ainsi que les partis de l’I.C. à élaborer une tactique extrêmement compliquée de préparation et de mobilisation des forces de la classe ouvrière ; cela a obligé l’Internationale communiste à chercher dans la vie journalière, sur la base du développement des contradictions de la stabilisation capitaliste, les moyens de mobiliser les masses pour une nouvelle offensive contre le capitalisme, pour un nouveau coup encore plus formidable, encore plus puisant au capitalisme.

Dans notre pays aussi, dans le pays des Républiques prolétariennes, dans l’U.R.S.S., la tâche de l’édification du socialisme ne fut pas simple et facile. Cette tâche grandiose de l’édification socialiste dans un pays entouré d’ennemis, dans un pays ruiné et arriéré, posa notre classe ouvrière, son avantgarde — notre parti communiste de combat — devant plusieurs difficultés et tâches des plus considérables et des plus compliquées : si, dans les pays capitalistes, au cœur même du système impérialiste, la complexité grandissante de la situation complique les tâches de tactique des partis communistes, on peut le dire à plus forte raison aussi pour le Parti communiste de l’U. S.

Voilà pourquoi, en ce moment où nous comptons déjà plusieurs années de stabilisation partielle du capitalisme, où nous avons déjà traversé en U.R.S.S. une période assez considérable de reconstruction, d’édification sur une nouvelle base technique, nous devons dire que nous n’avons pas encore appris suffisamment à travailler comme il faut et cela aussi bien dans les pays du capitalisme que dans notre pays, dans le pays de l’édification du socialisme. En ce qui concerne les pays du capitalisme, l’Internationale Communiste a proclamé à plusieurs reprises la nécessité de la tâche de conquérir les syndicats, de conquérir les masses. Mais, notre ennemi social-démocrate est encore fort, nous n’avons pas encore appris à résoudre comme il le faudrait ce problème. Et dans notre pays, dans l’U.R.S.S., nous avons à plusieurs reprises tracé la ligne générale de notre édification. Mais nous sentons que c’est une chose de faire progresser l’édification dans la période de relèvement que nous avons passée et que c’en est une autre de construire de nouvelles fabriques et usines, en appliquant de nouveaux principes d’organisation. Nous voyons fort bien dans les pays d’Europe occidentale et en Amérique dans quel sens s’oriente notre principal adversaire, la social-démocratie, mais nous n’avons pas encore appris à travailler assez bien pour pouvoir plus résolument, plus efficacement briser l’échine à cet adversaire.

Voilà pourquoi, camarades, pas un parti communiste ne peut exister actuellement avec les seuls mots d’ordre d’agitation. C’est pourquoi, à l’heure actuelle, des exigences si grandes sont imposées à la direction de nos partis communistes. Voilà pourquoi la tâche de l’accentuation de notre travail, de l’amélioration des cadres de nos partis communistes, de l’amélioration de la direction est actuellement une des tâches les plus importantes, je dirais même, une tâche cardinale.

N’importe lequel des problèmes que nous mettons actuellement à l’ordre du jour du congrès, en commençant par le programme et la question coloniale jusqu’aux problèmes relativement secondaires de tactique, tous se posent d’une façon bien plus compliquée qu’il y a trois ou quatre ans. Quelle que soit la question qu’on aborde, il est nécessaire que la pensée communiste collective lui porte bien plus d’attention. Chaque question exige bien plus de tension, bien plus de travail, non seulement pour saisir les contours généraux de ce que nous devons faire, mais aussi pour voir chaque détail, si insignifiant qu’il soit, pour tracer avec justesse chaque pas tactique, pour formuler avec précision chaque thèse du programme.

Cela nous est imposé par la nouvelle phase que nous traversons actuellement, dans laquelle nous travaillons et combattons contre nos ennemis mortels. Un travail plus attentif, plus qualifié, plus soutenu est actuellement d’autant plus nécessaire et plus urgent que l’accroissement des contradictions du capitalisme l’approfondissement de l’antagonisme entre les pays capitalistes et l’Union des Républiques soviétiques entraînent inévitablement de formidables conflits entre les Etats, des combats de classes gigantesques dont l’issue réglera toute la destinée future de l’humanité.

Nous allons tous vers des combats de classes sans exemple dans l’histoire de l’humanité, vers des batailles de classes sans précédent dans l’histoire du mouvement ouvrier international. Etant données les perspectives et les tâches d’une importance historique mondiale qui se dressent devant nous, nous devons travailler de façon à sortir de notre congrès enrichis de toute l’expérience collective internationale, de façon à en sortir avec un programme qui réponde aux questions les plus vitales des centaines de millions d’ouvriers, des centaines de millions de paysans laborieux. Nous devons travailler de telle sorte qu’en partant de ce congrès nous ayons une ligne tactique définie, pouvant convenir à toute une série de pays, en commençant par la Chine jusqu’aux Etats-Unis d’Amérique. Le travail de ce congrès devra constituer une base pour nos sections communistes, il devra leur donner une impulsion pour tout l’avenir prochain, pour que cette impulsion féconde tout notre travail, pour que, dans la pratique réelle de la lutte révolutionnaire, nos partis marchent avec encore plus d’animation, avec encore plus de dévouement et de compréhension claire de la situation, avec encore plus de savoir tactique, sous le drapeau du marxisme, sous le drapeau de la théorie léniniste, sous le drapeau de la révolution internationale. Camarades, permettez-moi d’ouvrir le VIe congrès de l’Internationale Communiste en criant : Vive la Révolution internationale ! (Applaudissements frénétiques. Les délégués se lèvent et chantent l’Internationale.)